Publié 30 août 2016
dans * 730 et Marguerite Duras
Valse des mots en morte saison.
9.0 Ce sont les lignes d’une page d’un livre qui ouvrent le film. Pourtant, Agatha et les lectures illimitées ne fait pas partie de ces auto adaptations que Duras aura (eu) loisir d’offrir. Probablement lui fallait-il commencer par mettre à plat ce qu’elle allait poursuivre en relief : Infliger un dialogue quasi ininterrompu sur un décor. De façon à poursuivre ses expérimentations loin des schémas narratifs. Il s’agit d’une discussion, off, entre un homme et une femme, rarement guidée par des interruptions, mais empruntant les chemins du double monologue, aussi bref soit-il parfois, comme s’il s’agissait d’une relation épistolaire d’aujourd’hui, une chaine de texto infinie. En ce sens le film n’a pas de temps, il est d’hier et de demain, affranchi de sa temporalité puisque ce qu’il raconte tient de l’imaginaire ou de la mémoire et ce qu’il montre nous plonge dans un décor invariable ou s’il varie, c’est qu’il est entièrement remis aux lois météorologiques : la plage, les dunes, l’océan. Le récit est accompagné en permanence de ce bruit des vagues douces qui viennent constamment, comme une valse, s’abattre sur le sable ou les galets. Le dialogue parfois s’arrête. Le paysage s’offre alors sous les valses de Brahms, interludes musicaux qui ne sont pas de jolis gadgets mais rythment le récit comme ils semblent aussi rythmer le souvenir d’Agatha, qui évoque régulièrement ses cours de piano. Il est question d’un départ, d’une séparation à venir. L’amour interdit entre un homme et une femme, frère et sœur, qui se disent adieu dans un hall d’hôtel, en s’échangeant leurs souvenirs. L’image, elle, déploie une succession de plans fixes, de doux travellings sur un décor triste, mais jamais vide, puisque les mots le remplissent. J’ai beaucoup pensé à News from home, de Chantal Akerman. Bulle Ogier est là, fantôme d’Agatha mais c’est la voix de Duras et non la sienne qui se charge des mots. Un moment donné, les paysages sont remplacés soudainement et momentanément par des peintures, sur lesquelles sont dessinées des lignes. Duras nous offre ses planches de story-board. Tentatives parmi d’autres, gracieuses, dans un film où les mots parviennent à libérer et entretenir la forme. Mon Duras préféré, à ce jour.
Publié 29 août 2016
dans Marguerite Duras
Quête du hors-champ.
5.0 C’est ma première confrontation avec l’adaptation d’un scénario de Duras que j’ai lu (J’avais lu celui d’Hiroshima mon amour après avoir vu le film d’Alain Resnais). Que j’aime, forcément puisque j’aime tout ce que j’ai lu de Duras. Je me rends compte que je préfère nettement lire Duras que le voir, puisque ses élans, hachés, sont moins homogènes, plus dénaturés à l’image, probablement parce que dans un livre (Quand bien même celui-ci soit un scénario) on peut choisir son propre rythme de lecture tandis que le film nous l’impose.
Et Nathalie Granger, le film, me pose problème. Je lui trouve un curieux systématisme littéraire dans ses surgissements et ses silences. Sans pour autant qu’on y perçoive un scénario filmé, simplement, si j’aime son ambiance et son noir et blanc, j’accepte moins les dictions de ses acteurs parce que ce sont des acteurs (Jeanne Moreau, Gérard Depardieu) qui ne participent plus à cette tension anonyme qui faisait le sel de ce récit à double entrée, sur la violence hors champ, de la ville qu’on entend à la radio, d’une enfant dont on parle ; L’intérieur et l’extérieur.
Mais bon, c’est ma première incursion Durasienne avec des personnages visibles, incarnés (pas vraiment, en l’occurrence) bref c’était très déroutant. Exemple : J’aime beaucoup, dans le scénario, la place du représentant de commerce, l’espace qu’il vient remplir, le décalage qu’il vient créer et sa propre déroute qu’il suscite. Là je n’y crois pas. Et puis je m’y suis ennuyé. Alors que j’étais à priori parfaitement disposé puisque plongé dans la lecture de son deuxième livre, La vie tranquille. Ce qui me plait le plus ce sont ces plans secs en creux, sur les objets de la maison, les tâches qu’elle recèle, l’entrelacement des pièces. Le film dans son ensemble est beau, singulier, oui, mais ça manque de chair et de sang, et d’évocation comme ça peut être le cas dans le double court dédié à Aurelia Steiner. Son cinéma se cherche encore.
Publié 10 février 2015
dans Marguerite Duras
Avant l’aube.
7.5 Je continue de découvrir le cinéma si singulier de Marguerite Duras avec ce film court, 14 minutes, sorti la même année que son diptyque Aurélia Steiner. C’est court, mais faut voir ce qu’elle parvient à raconter et à évoquer en seulement 14 minutes, superposant ici une sorte d’appel préhistorique, discours d’un homme des cavernes magdaléniennes qui se fond dans la ville, un Paris à peine à l’aube, que l’on traverse dans un véhicule qui semble voltiger entre les boulevards déserts. Invocations sublimes d’un passé en forme d’au-delà (Du Pur Duras dans le texte) entrant en collision avec un présent quasi merveilleux, hors du temps. Deux temporalités disjointes qui dialoguent à l’hypnose. Très beau.
Publié 25 septembre 2014
dans Marguerite Duras
Saisir les interstices.
8.0 C’est ma première vraie incursion dans le cinéma de Duras. J’ai vu Hiroshima mon amour dont elle est scénariste ainsi que diverses adaptations de ses écrits mais jamais jusqu’ici je n’avais vu une de ses réalisations. J’ai beaucoup lu Duras, C’est probablement ce que j’ai lu de plus beau, ce qui m’a le plus inspiré. Aurélia Steiner a 18 ans et vit chez ses parents qui sont professeurs, voilà ce qu’on apprend en toute fin de métrage. Avant, cette femme (la voix de Duras) lit une lettre qu’elle semble avoir écrite pour un homme, pour nous, pour tous. Une lettre dans laquelle les mots se succèdent, comme des pensées, racontent le présent, un fleuve, un jardin, un chat, convoque le passé, les camps de concentration. C’est la lettre d’une fille juive, peut-être une fille de déportés. Une lettre sur la mort. La mort du chat fusionne avec celle des camps. C’est une voix off de lecture un peu à la manière de Chantal Akerman dans News from home. Ce n’est pas New York que l’on voit mais Paris, enfin seulement la Seine, ses ponts et ses berges que l’on observe de cette péniche qui nous guide, nous fait glisser sur le fleuve, langoureusement, entre le clapotis des eaux et le brouhaha des ponts. Un voyage vers un océan. Un océan de mort. C’est la mort dans les mots, la vie dans l’image. Un combat contre la résignation et l’oubli.