Archives pour la catégorie Maurice Pialat

La gueule ouverte – Maurice Pialat – 1974

18. La gueule ouverte - Maurice Pialat - 1974La mort nue.

   9.0   Évidemment ce n’est pas le film de Pialat que je revois facilement (c’était ma troisième fois) mais c’est l’un de ses plus beaux à mes yeux, l’un de ses chefs d’œuvre. Peut-être son plus radical, aussi.

     C’est un grand film sur la mort. Un film cru, nu, dur, cruel, violent, et paradoxalement un film très tendre (avec chacun de ses personnages) tant il porte un regard pragmatique, sans ornements poétiques, symboliques ou naturalistes. C’est un film à l’os.

     Après avoir filme l’agonie du couple dans Nous ne vieillirons pas ensemble, avec La gueule ouverte Pialat filme la lente agonie d’une femme atteinte d’un cancer incurable, assistée de son mari et de son fils.

     L’idée c’est donc de reléguer rapidement cette femme (Monique Mélinand), la cinquantaine, dans sa chambre située au-dessus de la mercerie familiale. Elle n’existera dès lors plus en tant que personnage sinon en tant que celui qui se meurt.

     Il s’agit de vivre cette agonie aux côtés de son entourage : Son mari (Hubert Deschamps) et son fils (Philippe Léotard) donc, mais aussi sa belle-fille (Nathalie Baye). Mais eux continuent (ou tentent de continuer) de vivre malgré tout, tout en passant voir la malade à l’hôpital à Paris d’abord puis la mourante dans sa chambre en Auvergne ensuite.

     Quand bien même le film soit rythmé par la souffrance de la mère, sa voix qui se tut, son teint qui s’éteint, ses râles et sa respiration permanentes, ce n’est pas Bergman et ses « Cris et chuchotements » puisque les personnages autour d’elle continuent de vivre, de travailler, de baiser, manger, boire, fumer, évoquer le passé. Et même après, tout reprend, le rituel de la mise en bière, la discussion autour des fleurs pendant la réception funéraire. La vie continue.

     Les scènes sont souvent saisies en de longs plans séquences, parfois fixes, sublimés par la photographie de Nestor Almendros, qui parvient à capter cette banalité de la mort, la fulgurance d’une fenêtre ou d’un papier peint. Et régulièrement la nuit, l’obscurité.

     Le film est par ailleurs extrêmement cadré, et ce dès le premier plan où Léotard est dévoré par le cadre clinique d’un hôpital, relégué dans un petit coin bord cadre gauche. Ou bien lorsque la femme meurt et que des infirmières viennent la changer : on ne voit que ce corps, pas sa tête, masquée par la table de chevet.

     Il y a très peu de plans dans La gueule ouverte. Souvent c’est une séquence, un plan. Et ce même si la séquence s’installe et dure (une dizaine de minutes) comme celle, vers le début du film, où mère et fils sont posés à table et évoque certains souvenirs avant de se taire en écoutant « Cosi fan tutte » de Mozart.

     Scène bouleversante mais on pourrait en citer d’autres : Le fameux travelling du départ de chez les parents, quand la voiture quitte « La maison de la laine », puis les rues du village puis finit par s’engager sur cette longue départementale bordée de peupliers. Ou bien cette longue scène où l’on entend plus qu’une simple respiration, qui envahit la pièce, le cadre. Ou celle la cérémonie avec ce plan incroyable dévoilant le cortège puis la famille derrière la pierre de l’église.

     Comme Nous ne veillerons pas ensemble il s’agit pour Pialat d’exhumer ses propres démons : Ici c’est bien entendu du décès de sa propre mère dont il parle. Par ailleurs le film est en grande partie tourné dans un village auvergnat non loin de son village natal.

L’amour existe – Maurice Pialat – 1960

28A propos de Paris.

   5.5   A la manière de Vigo pour Nice, le Paris de Pialat est triste et obscène. Le nouvel urbanisme lui ôte ses atouts, le français s’enferme, les espaces se vident. Il y a quelque chose d’assez désespérant dans l’image qu’en donne l’auteur, de cynique aussi, lui qui restera un cinéaste de personnages avant tout, d’interactions, de violence. De plus subtil, aussi. Sur l’urbanisation je trouve le Métamorphoses du paysage, de Rohmer infiniment plus beau, lumineux (Ce qui ne l’empêche pas d’être critique) et passionnant. Et puis je ne peux pas m’empêcher d’y voir un trop plein mélancolique, regrets des guinguettes et promenades, opposées aux bidonvilles et quartiers résidentiels contigus aux pistes d’aéroport. C’est gênant. Mais le texte est beau, c’est vrai. Et les images sans doute aussi essentielles que le sublime film d’André Sauvage, Etudes sur Paris.

Sous le soleil de Satan – Maurice Pialat – 1987

24Trop de mortifications, peu d’étincelle.

   5.0   Lors de mon grand cycle de découverte Pialat il y a dix ans, Sous le soleil de Satan est le seul de ses films qui m’avait laissé froid. Ça n’a pas changé aujourd’hui, je reconnais les qualités et l’originalité (de la langue de Bernanos mise en scène par Pialat) mais à l’instar de Journal d’un curé de campagne, de Bresson je n’arrive pas à l’aimer, je m’y ennuie. Une autre fois peut-être j’en saisirai toute la sève, cette même sève (et ce courage) que Pialat lui-même a su trouver chez Bernanos pour oser le retranscrire au cinéma. Je ne désespère pas. En l’état, difficile de faire plus austère, littéraire et bavard – Même si plastiquement c’est assez monstrueux. J’adore Pialat, hein, plus que n’importe quel autre auteur, mais là je coince.

Passe ton bac d’abord – Maurice Pialat – 1979

10341977_10152163919872106_7185381336830961109_n Sous la grisaille des dieux.  

   8.5   Superbe. J’avais oublié que c’était si beau. Probablement l’un des plus beaux documents qui soit sur la jeunesse (de vingt ans) fin des années 70 dans le Nord de la France. Sorte de Nous ne vieillirons pas ensemble où le couple aurait été transposé au groupe. Et puis c’est très émouvant de voir Philippe Marlaud deux ans avant La femme de l’aviateur. Le pauvre, ce seront ses deux seuls rôles (Pialat et Rohmer) puisqu’il disparut en 1981 à l’âge de 22 ans dans des circonstances épouvantables…

Nous ne vieillirons pas ensemble – Maurice Pialat – 1972

38_-nous-ne-vieillirons-pas-ensemble-maurice-pialat-1972Chronique d’une désynchronisation.

   10.0   Elle s’appelle Catherine. Il s’appelle Jean. Six ans de passion, d’engueulades, de séparations, de réconciliations. Le film s’immisce dans la vie de ce couple comme une faucheuse ou un œil indiscret, à ce moment ci parce que le titre le porte déjà en lui, cette passion en dilettante est sur le point de disparaître. S’immiscer, c’est bien le terme adéquat, tant la situation conjugale ne sera jamais situable dans un but accrocheur et les contours de cette relation apparaîtront par petites touches, bouleversantes. La première séquence raconte déjà beaucoup, mais elle ne souligne rien, n’explique rien en faveur du déroulement du récit. Tous deux sont dans un lit, au réveil, après l’amour, on ne situe pas bien. Ses yeux à elle parcourent la pièce, les siens à lui sont plongés dans l’oreiller. Le premier désaccord que le film nous offre concerne l’atmosphère d’une maison, celle de son père à lui, elle ne s’y sent pas à son aise, lui répond qu’elle n’a pas toujours dit cela. La temporalité ne cessera d’être marquée de cette manière, dans la façon qu’a le dialogue de glisser, il n’y a aura jamais de date, jamais d’accompagnement temporel aux ellipses évidentes. Les séquences se répondront les unes aux autres sans aucun repère autre que les propres soubresauts, tons et humeurs des personnages. A maintes reprises, la relation se brise, aussi violente que définitive, en apparences seulement. On les retrouve au plan suivant pour une nouvelle retrouvaille, affectueuse, délicate ou parfois pour une nouvelle altercation, sans que la retrouvaille n’ait le temps d’éclore. Un moment donné, elle l’invite à la rejoindre chez sa grand mère, c’est reparti comme avant, dit-elle. Jean est une boule de colère, capable de lui débiter les pires méchancetés (il y a par exemple un fameux monologue dans une voiture, absolument terrifiant) quand il ne lève pas la main sur elle, mais il revient toujours, doux comme un agneau. Dans cette énième retrouvaille programmée, il attend son retour et passe la soirée avec la vieille, Catherine n’arrivera pas. Si, à cinq heures du matin. Il ne le supporte pas, la gifle violemment et fourre sa main dans sa culotte pour voir si elle a passé la nuit avec un autre. Nous ne vieillirons pas ensemble me fait penser au Mépris, via son personnage féminin. Toutes deux sont des filles solaires, rêveuses, à côté de la plaque ou indifférentes et toutes deux accèderont à ce stade irréversible du regard méprisant sur l’autre, assumant enfin leur superficialité. Le paradoxe dans le film de Pialat vient justement du fait que cette prise de conscience qu’elle n’aime plus – et pour le coup, même s’il y aura d’autres fluctuations, on sent qu’il y a dans son regard quelque chose de véritablement cassé – naît dès l’instant qu’il se dégoûte lui-même, la demandant en mariage, pour se racheter, pour s’excuser et parce qu’au fond il ne peut pas vivre sans elle. Pialat fait le portrait d’un personnage exécrable mais affectueux, amoureux transi, amoureux maladroit. Le plus beau là-dedans c’est que ce personnage là c’est lui-même, Maurice Pialat, campé par Jean Yanne. Loin d’être tendre avec sa propre personnalité, il tente de sonder la sensibilité qu’il y a en lui, les fondements d’un tel comportement, ses contradictions, ses doutes, comme il brossait le portrait délicat et complexe de cet enfant dans L’enfance nue. Nous ne vieillirons pas ensemble, titre élégiaque, est donc une succession de séquences de ruptures et de réconciliations, une variation sur une même scène, à l’infini. L’image fragmente systématiquement l’espace où évoluent les personnages, soit directement, par l’intermédiaire d’une voiture régulièrement, symbole de fuite, de réunion comme de solitude ; ou alors au moyen d’éléments brouillant le cadre et son atmosphère, interférant dans le dialogue ou les silences, comme c’est le cas ici avec ce sèche cheveux, là avec le vent. Au-delà de ce dispositif volontiers électrique il y a parfois des échappées inattendues où Pialat filme un monde comme il filmait la Camargue dans l’un de ses courts métrages des années soixante, dans sa trivialité et son lyrisme. Là c’est Jean qui rend visite à son père, il le force à trinquer avec lui avant de lui demander la bague de sa maman, afin de l’offrir à Catherine en guise de bague de fiançailles. Plus tard c’est la visite qu’il rend aux parents de Catherine : on sent cette maman ravie que cette histoire brinquebalante se soit enfin terminée, que sa fille ait enfin trouvé un bon parti et dans le même temps elle garde énormément de compassion pour Jean et à ses côtés son mari ne dit rien, et ne dira quasiment rien à chacune de ses apparitions, en retrait il se contente de sortir une bouteille, de servir Jean, de trinquer avec lui, sorte de toast perpétuel, sans époque, sans nom. Et puis il y a ce troisième personnage, Françoise, la femme de Jean. Le film prendra le temps avant de mettre en lumière cette relation pour le moins étrange de couple marié mais séparé, qui continue de se voir, de se soutenir, de se répondre en affection, donnée qui n’a sans doute pas non plus poussé Catherine à rester. Mais voilà, ailleurs, ce personnage aurait été la bouée de secours et la tentation, ici elle le soutient dans son malheur et tente, bien davantage que lui, de panser les plaies, de réactiver cette flamme entre Catherine et Jean qui n’aura cessé d’affronter la tempête. Je me souviens avoir vu le film pour la première fois il y a quelques années, je me souviens d’une expérience douloureuse parce que j’avais trouvé ça extrêmement violent et dans le même temps le film m’avait laissé une impression inédite. Je ne fais jamais ça, pourtant je l’avais revu dans la foulée, quelques jours plus tard et j’en étais tombé littéralement amoureux. Le revoir aujourd’hui n’a fait que confirmer mon enchantement, ce fut un immense moment d’émotion. C’est un film qui me terrasse à maintes reprises, la fin évidemment, dans l’océan, quand la couleur devient noir et blanc mais aussi ailleurs dans des situations plus triviales. Je pense que c’est le chef d’œuvre de Maurice Pialat. Et à mes yeux, c’est l’un des vingt plus beaux films du monde, pas moins.

Police – Maurice Pialat – 1985

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Jeu de dupes.

   9.0   Pialat effectue une plongée dans une brigade des stups avant de se laisser gagner par son personnage central, inspecteur bourru et meurtri, avec une carapace en inox, qui tombe amoureux de la jeune Noria qu’il avait préalablement charcuté durant un interrogatoire musclé. C’est un film qui sait se défocaliser. Les quarante premières minutes ne sont qu’interrogatoires et déplacements épileptiques. Les bureaux sont tous reliés les uns aux autres, il n’y a pas de mur, que des vitres, des cloisons fines, pourtant cette atmosphère est irrespirable. A l’image de ce premier entretien en champ contre champ, plein de tension et d’hystérie à deux doigts d’éclater, ou de ces nombreux gros plans où il n’est pas rare de voir couler des larmes sur des visages, d’entendre brailler ou de voir des baffes. Les corps se meuvent dans le cadre et hors du cadre tant ils sont impénétrables.

     On pourrait d’abord se demander pourquoi Pialat a choisi de tourner ce film là, dans un genre en vogue au début des années 80, un genre séducteur parce qu’il évoque le réel dans le mélodrame. Un film comme La balance, deux années plus tôt, l’avait par exemple très bien compris. Mais Pialat détourne cela, il détourne tout. Et en voyant Police je me suis même demandé si ce n’était pas le plus emblématique des films de Pialat, avec ce climat électrique et cette seconde partie, évasive et déconstruite. Quand Maïwenn réalise Polisse, elle se contente du catalogue, ne glisse pas ou maladroitement et de façon calculée (la fin épouvantable) sans compter l’aspect vignette avec ses répliques écrites alors que beaucoup mettaient en avant l’improvisation. On peut dire cela de Police, oui, tant certains dialogues se perdent dans le néant, gagnés par le rire ou le désarroi. Plus le film avance plus il est écrit, la poésie du drame, le romanesque fictionnelle ont vaincu la banalité du réel. La brute est devenue cœur meurtri. Maïwenn a aussi repris le rôle un peu ingrat de la photographe comme pièce rapportée, une commissaire stagiaire ici, sorte de fantôme sans personnalité qui observe ce balai de violence et de cris, aussi embarrassée qu’absente en tant que personnage.

      Cette fameuse frontière flic/voyou n’aura jamais été aussi impénétrable, confondue, faisant de chaque personnage des entités indiscernables. Il y a une inquiétude quant au destin de chacun d’entre eux, aucun ne semble à l’abri de rien, tous survivent miraculeusement dans un quotidien un peu trop imprévisible pour eux. L’idée d’une absence de contre-point, ou partiellement évoquée, dans le camp des truands, permet au spectateur d’apprivoiser le point de vue de l’inspecteur et l’on ne sait plus vraiment s’il est en danger ou non, lorsque par exemple il se retrouve dans un deal l’autre côté pour sauver celle qu’il aime. Flics et truands se ressemblent, dira t-il, un moment donné. Le temps d’un échange il est lui aussi devenu celui qu’il traque, par intérêt personnel mais tout de même. Il y a une belle scène aussi où il croise la route d’un type dont il brisait le nez dans un interrogatoire au début, ils se parlent sans ironie, comme si la première entrevue avait été amicale ou comme si l’environnement conditionnait le rapport. C’est très troublant. C’est un film que j’aime énormément pour sa complexité, sa multiplicité, il me fascine chaque fois davantage et j’en ressors épave, épuisé tant c’est un cinéma extrêmement physique.

A nos amours – Maurice Pialat – 1983

51Suzanne.   

   8.5   Maurice Pialat disait lui-même de A nos amours et du personnage interprété par Sandrine Bonnaire « La clef du personnage de Suzanne est cette phrase qu’elle dit ‘J’ai peur d’avoir le cœur sec’. Elle a seize ans au début, son incertitude est normale. Mais le film se passe sur deux ans et, à la fin, elle n’a pas changé, on peut s’inquiéter ». Tout se joue sur ce point là, sur l’évolution du personnage central. La jeune femme découvre la vie, c’est la fin de l’adolescence, elle découvre le sexe et décide de mettre un terme à la belle histoire qui la liait à son petit-ami, histoire que l’on peut imaginer de longue date. Elle couche alors à droite et à gauche, avec des cons puis des types plus sympathiques mais ça ne dure qu’un soir, jusqu’à ce qu’elle rencontre le bon, qu’elle se marie puis qu’elle le lâche pour aller avec un autre. C’est dans cette découverte et cette non-évolution qui s’ensuit que le portrait de Suzanne est passionnant. Elle ne paraît pas se poser les bonnes questions et semble se heurter à des hommes qui l’aiment mais qu’elle ne prend pas le temps d’essayer d’aimer.

     Et puis il y a le foyer familial dans A nos amours, il n’est pas simplement un décor, il est aussi déclencheur du comportement de la jeune femme. Elle semble proche de son père mais celui-ci n’est pas bien. Il s’apprête à quitter le foyer mais il comptait lui en parler avant, dans une séquence fabuleuse où il se rend compte que sa fille change, qu’elle n’est plus la même depuis quelques temps (Oui, elle est devenue femme du plaisir) et cette fossette sur sa joue qui a disparu. Dans cette scène il y a énormément d’amour ça se sent, mais ce n’est pas vraiment montré, au contraire, Suzanne semble lointaine, déjà détachée de toute réalité, n’évaluant pas encore les conséquences du départ imminent de son papa. Le climat familial jusqu’ici froid, silencieux, manquant d’amour concret, devient alors lieu de violence, de dissensions en tout genre, entre une mère et sa fille, l’une acceptant difficilement que l’autre vive sa vie de cette façon là, la seconde méprisant totalement sa mère, en train de s’abandonner à solitude et à la non prise en charge de soi. Et il y a le grand frère, joué par un étonnant Dominique Besneard, improvisé en nouveau chef de famille, qui tente de joindre les bouts, mais ne fait jamais rien comme il faut, protégeant l’une tout en frappant l’autre.

     C’est un film à fleur de peau, comme c’est souvent le cas chez Pialat. Avec des destinées de personnages, d’êtres humains qui n’arrivent plus à vivre ensemble, qui ne peuvent plus se supporter, mais qui s’aiment dans le fond toujours beaucoup. Ce sont des idéologies de vies différentes tout simplement, des idées qui ne peuvent plus cohabiter, à l’image de ce dernier repas avec le retour du père (bouleversant Maurice Pialat) qui déballe son sac devant des convives. Quand une jeune femme découvre son corps et s’aime à jouer avec, qu’un frère est trop canalisé par son travail pour comprendre son entourage, qu’une mère aveuglée aimerait que chacun se sente bien à la maison, un père ne supportant plus ce climat invivable décide de tout plaquer, voilà ce que ça peut donner. A nos amours a beau être un film sur la découverte de l’amour, mais davantage au sens sexuel que sentimental, c’est aussi et surtout un film sur la souche familial au bord de l’explosion. C’est éprouvant mais c’est somptueux.

La maison des bois – Maurice Pialat – 1971

11.La maison des bois - Maurice Pialat - 1971My childhood.    

   10.0   J’ai cette belle sensation que le film ne me quittera jamais, qu’il est déjà bien ancré dans ma mémoire, que je me souviendrai de cette maison, ce village, ce petit garçon pour toujours. J’ai beaucoup pleuré, de tristesse bien sûr, surtout dans le dernier tiers du film, mais de bonheur aussi, parce que je trouvais ça magnifique tout simplement. La scène du pique-nique en est l’illustration parfaite je crois : il n’y a rien de dramatique durant ce long moment, tout est affaire de joie, d’amusement avec en parallèle les mamans condamnées à faire le chemin à pied parce que leurs lettres ne sont pas arrivées. Ce n’est pas triste, c’est même très drôle, d’ailleurs il y a une scène où toutes deux, très remontées, laissent échapper un fou rire nerveux, je n’avais jamais vu quelque chose de ce genre dans un film. Il y a donc cette scène de pique-nique, comme substitution éphémère à ces peines quotidiennes, le départ au front de Marcel, cet enfant sans nouvelles de ses parents. Dans le même registre, ce qui doit d’ailleurs être ma scène préférée, il y a ce moment suspendu là-aussi (il y en a énormément dans La maison des bois) où les trois enfants, Hervé, Bébert et Michel jouent avec leur ‘grande sœur’ Marguerite à deviner les cris d’animaux en les imitant plus ou moins bien. Et le film regorge comme cela d’instants miraculeux, ce genre d’instants qui resteront gravés dans ma mémoire.

     Car La maison des bois pourrait tout aussi bien être plombant, il est au contraire lumineux, sincère et surprenant. La première guerre mondiale se passe puis se termine, il y a ceux qui disparaissent et ceux qui restent. C’est dans ce déchirement que tout devient beau, sensible, ce garçon appelé qui ne reviendra pas, ces familles que la guerre fait éclater puis à sa fin les reconstruit en en éclatant alors une nouvelle. Il n’y a pas plus de bonheur après la guerre (ou alors il est bref, le temps d’une journée d’Armistice) qu’il y en avait pendant. A l’image de Maman Jeanne, attachée aux enfants qui ne sont pas d’elle plus qu’aux siens, dira son mari Albert, et elle de répondre que c’est simplement parce que les uns sont grands, les autres il faut encore s’en occuper. La guerre permet à Jeanne de vivre, de s’épanouir, ce n’est qu’après celle-ci qu’elle mourra, séparée de son grand fiston que la guerre lui a pris, bientôt séparée de sa fille qui s’apprête à vivre sa propre vie, mais surtout de ses bouts de choux de retour dans leurs familles d’origine, donc sans plus aucune raison de rester parmi les vivants. Tout est magnifique jusque dans les nuances. Nuances apportées aussi dans la classe, dont Maurice Pialat s’est attribué le rôle délicat de l’instituteur.

     Ce film est un poème. Il parle finalement plus de la vie et de l’enfance que de la mort. La preuve, dans ce dernier épisode, Pialat choisit de montrer Hervé, de montrer Paris, il ne montre pas vraiment l’absence d’Hervé dans La maison des bois, il aurait pourtant bien pu le faire. Les dernières minutes sont probablement les plus belles et tristes que j’ai vu de ma vie. Comme le format utilisé est celui de la télévision on pouvait craindre que la commande s’en ressente, que Pialat ne fasse plus vraiment du Pialat. Au contraire, c’est même du Pialat puissance 10, et un beau passage de relais entre L’enfance nue et Nous ne vieillirons pas ensemble. Il est aussi question d’adaptation de l’enfant (nous suivons Hervé en permanence) et de couples qui se déchirent (Le père et la mère d’Hervé, qu’on ne voit pas, puis son père et sa nouvelle femme auquel on assiste dans la dernière partie du film). C’est un film sur les familles déchirées, recomposées, sur ces instants de bonheur qui ne se reproduiront plus, des gens qui vivent ensemble et que l’on sépare. Des vies que la guerre a détruit. Mais c’est surtout, à mes yeux, le plus beau film sur l’enfance.


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silencio


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