Archives pour la catégorie Mouk

Top Mouk

mommy10     Voilà, je termine laborieusement ce tour du monde. Un seul coup de cœur, au final, et très inattendu, tant mieux. Et pas mal de déceptions, même dans les films aimés, malgré quelques belles trouvailles. Et un paquet de trucs très dispensables.

Ce qui me permet, et c’est plutôt d’actualité quelques jours après la fin du festival de Cannes, de dresser un top et de faire un palmarès :

1. Québec : Mommy, Xavier Dolan (2014)
2. Colombie : L’étreinte du serpent, Ciro Guerra (2015)
3. Argentine : Jauja, Lisandro Alonso (2015)
4. Corée du sud : Haewon et les hommes, Hong Sang-soo (2013)
5. Australie : Wolf creek, Greg McLean (2006)
6. Allemagne : Montag, Ulrich Köhler (2006)
7. Taiwan : Les chiens errants, Tsai Ming-liang (2014)
8. Portugal : John From, João Nicolau (2016)
9. Lituanie : Indigènes d’Eurasie, Sharunas Bartas (2010)
10. Japon : Saudade, Katsuya Tomita (2012)
11. Hongrie : White god, Kornél Mundruczó (2014)
12. Hong-Kong : The grandmaster, Wong Kar-wai (2013)
13. Italie : Reality, Matteo Garrone (2012)
14. Maroc : Rock the Casbah, Laïla Marrakchi (2013)
15. Iran : Une famille respectable, Massoud Bakhshi (2012)
16. Chili : La danza de la realidad, Alejandro Jodorowsky (2013)
17. Pays-bas : Tricked, Paul Verhoeven (2014)

Prix du scénario : White god.
Prix du jury : Jauja.
Prix d’interprétation féminine : Jeong Eun Chae dans Haewon et les hommes.
Prix d’interprétation masculine : John Jarratt dans Wolf creek.
Prix de la mise en scène : Les chiens errants.
Grand prix du jury : L’étreinte du serpent.
Palme : Mommy.

Tricked (Steekspel) – Paul Verhoeven – 2014

18. Tricked - Steekspel - Paul Verhoeven - 2014Tentative oubliée.

   2.0   Je croyais que Verhoeven n’avait rien fait entre Black Book (2006) et Elle (2016) à tord puisque le déroutant cinéaste hollandais s’est aventuré dans une expérience tout aussi déroutante, un projet Entertainment Experience basée sur le crowdsourcing consistant à balancer un embryon de scénar sur le web (suffisant pour poser les bases et les personnages récurrents) en laissant aux internautes le soin de poursuivre. Idée pour le moins casse-gueule puisque Verhoeven et son équipe vont recevoir des centaines de scénarii et vont démêler parmi ces milliers de pages parfois improbables des morceaux qui leur plairont. On passe sur la forme indigente digne d’un banal téléfilm érotique. On passe sur l’interprétation, mauvaise sans exception. Le vrai problème c’est le scénario justement, la construction approximative, le manque de liant, la faible durée de ces pauvres saynètes. C’est nul et ridicule, d’un bout à l’autre. Une vraie purge que Verhoeven a exploité sur une cinquantaine de minutes en l’accompagnant d’un documentaire sur la conception du projet – Nettement plus intéressant que le film, évidemment. On a du mal à croire qu’il allait faire cette merveille qu’est Elle dans la foulée ou presque. Mais peut-être fallait-il qu’il en passe par cette expérience foirée qui accouche d’un navet total, qui sait. Un mal pour un bien. Je croyais que Verhoeven n’avait rien fait entre Black Book (2006) et Elle (2016) et bien j’aurais mieux fait de continuer à y croire.

Les chiens errants (Jiāo Yóu) – Tsai Ming-liang – 2014

SONY DSCLes réprouvés de Taipei.

   6.0   Les films de Tsaï sont toujours délicats à apprivoiser, il faut s’y jeter à corps perdus, en accepter leur extrême lenteur (Parfois jusqu’à l’autisme, dans Le voyage en Occident) et l’étrange construction, notamment d’une scène sur l’autre, son obsession pour l’adage Une situation/un plan, ainsi que l’originalité et la puissance de chacun de ses cadrages. Soit ça me tient poliment (Puisque c’est toujours au minimum super beau) à distance comme dans I don’t want to sleep alone, soit c’est absolument génial, hypnotique à l’image du sublimissime Goodbye dragon inn. Possible aussi que ça soit une affaire d’humeur, en fait.

     C’est quoiqu’il en soit un langage cinématographique qu’on n’a pas l’habitude de rencontrer donc il vaut mieux être très disponible au moment de le recevoir, vouloir planer comme devant un Weerasethakul, s’abandonner aux infimes variations de plans comme devant ceux de Benning, se lover dans son lyrisme si singulier et lancinant qu’on peut trouver aussi chez un Béla Tarr par exemple, donc forcément, là, dans ma nouvelle période couches/biberons, Les chiens errants a fait l’effet d’un somnifère parfait. Je l’ai lancé un soir entre deux cycles de réveil bébé et j’ai dû tenir quoi, cinq plans – Quinze minutes donc. Bref, ce n’était pas le moment. Ou alors c’était justement trop le moment, je ne sais pas.

     J’ai ressayé le surlendemain vers une heure plus décente et un sommeil moins capricieux. C’était mieux. C’est dans la variation d’échelle de ses plans au sein de séquences à priori identiques que le film m’a d’abord le plus troublé. Je pense évidemment à cet instant où le père arbore sa pancarte publicitaire à un carrefour venteux, vêtu d’un ciré jaune. Le plan choisi est chaque fois différent et je ne comprends pas ce qu’il raconte d’autre si ce n’est qu’il appuie le gag cruel du vent violent et du chant du désespoir jusqu’à ce qu’on y voit la morve couler. Il me semble que Tsaï était fort plus subtil dans Visage, tout en étant moins sage.

     Une fois de plus avec le cinéma du taiwanais ce qui fascine ce sont ces lieux que les personnages traversent, autant de no man’s land improbables que Tsaï parvient à mettre en scène avec une lumière, une profondeur de champ et une durée qu’il affectionne. Ce ne sont pas seulement des lieux bizarres, défroqués, leur captation est au-delà de toute complaisance, ils figurent un voyage dans les limbes de la précarité où chaque source lumineuse révèle une magnificence cachée, où chaque mouvement aussi bref soit-il parfois déplace notre regard, car chacun de ces plans est une merveille de chorégraphie minutieuse, tranchante, hallucinée et sidérante dans son refus de la gigantesque parabole.

     Il faut voir cet étrange et interminable plan où une femme (après avoir traversé des tunnels de ruines dans ce qui semble faire office de vieil immeuble calciné) se recueille devant une fresque murale, représentant un curieux et apaisant paysage montagnard, avant de s’accroupir pour pisser. Chez Tsaï il y a toujours mille trucs à regarder d’un plan sur l’autre et les échos entre ses films sont nombreux. Lorsque le père foule un chemin circulaire avec sa pancarte sur le dos, j’ai immédiatement repensé au plan final de Visage. Quant à la peinture, elle rappelle aussi beaucoup le cinéma mourant qui habite Goodbye dragon inn.

     Il y a d’étranges reflets partout, des idées à foison. Reste que ça me passionne et m’émeut assez peu, malheureusement ou de façon sporadique. J’aime beaucoup la scène du chou, par exemple, qui pourrait être une version plus mystérieuse du ballon de Tom Hanks dans Cast away. Un Wilson dans un container de Taipei en gros. Chou avec lequel les enfants dorment puis un soir où ils ont disparu, le père y projette toute sa tristesse, l’étouffe sous un oreiller, avant de le trucider de ses ongles et de ses dents. De le dévorer puis de le pleurer. Avant l’avant dernier, c’est le plan le plus long du film : Dix minutes, puissantes, au sein desquelles Lee Kang-sheng (acteur fétiche de Tsaï Ming-Liang) explose par sa brutalité et sa fragilité.

     C’est Le plan de bascule du film. C’est celui qui accouchera sur une évasion nocturne, un soir de tempête. Le temps de ce plan, l’eau s’écoule hors champ. Les éléments s’écharnent, les sentiments se chevauchent, la folie est palpable. Et la tempête, ensuite, fait rage. On sait combien l’eau est un élément récurrent chez Tsaï, on se souvient de cette interminable inondation d’appartement dans Visage. Il y a là aussi une histoire de maison (le conte de la femme qui accueille les enfants) qui aurait été inondée mais aurait préservé ses larmes. Les chiens errants se resserre alors. Il était un peu dispersé, esthétiquement et narrativement. Il se fait intérieur, quasi exclusivement.

     Il y a vers la toute fin du film ce plan complètement dilaté où la femme et l’homme se retrouvent tous deux dans la grande pièce à contempler l’immense peinture – On sait ce qu’ils regardent mais il faut attendre quinze minutes pour que le contre-champ nous soit offert. Lui, noyé dans l’alcool (Un verre à la main, il titube à moitié) elle immobile, dans ses larmes, se tiennent là, happé par ce mur qui semble tout leur dire de la vie, de leur vie. A leurs cotés, le train passe à plusieurs reprises, dans le fin fond du champ. On l’entend très distinctement mais on distingue aussi un fin trait lumineux. Le plan s’étire à l’infini. Jusqu’à cette étreinte furtive. Avant que dans un ultime plan d’ensemble, les deux corps se désunissent pour l’éternité, devant cette fresque d’un autre temps, apaisante et brutale. Rien que pour cette fin, le film laisse une trace.

White god (Fehér isten) – Kornél Mundruczó – 2014

15. White god - Fehér isten - Kornél Mundruczó - 2014Revanche canine.

   5.0   A faire écho de par son sujet puis son titre à deux films monstres que sont Birds, d’Hitchcock et White dog, de Fuller, j’attendais beaucoup de ce film hongrois – Peut-être bien celui qui me faisait le plus de l’œil dans cette liste de rattrapage – malgré le total rejet éprouvé devant Delta, autre film de Kornél Mundruczó, sorti il y a huit ans.

     Si le film fonctionne (et surprend) plutôt habilement dans sa partie centrale dévouée à l’évolution du chien, qui échoue aux mains d’Hommes plus malveillants les uns que les autres, tout ce que l’auteur brode autour, aussi bien dans son introduction (Je ne parle même pas de la toute première inutile scène, putassière, qu’on retrouvera, on le sait, une heure plus tard dans une ambiance plus appropriée), son éreintant montage parallèle avec l’adolescente, puis dans son final horrifico-métaphysico-politique un brin complaisant, est assez peu inspiré et brise le semblant d’unité fragile qui pointe parfois au détour des « dialogues » entre chiens ou de cette création abstraite de la meute ou tout simplement de plans vertigineux comme ceux débusqués dans cet étrange terrain vague au reflets infinis dans les flaques d’eau, ceinturé par des bâtiments en ruines.

     Et puis il faut bien dire que la pseudo parabole politique « Le mal engendre le mal » est assez lourde dans ses intentions tant chaque séquence semble appuyer l’idée. Si globalement j’ai retrouvé l’univers balourd de l’auteur de Delta, j’y ai toutefois trouvé des choses intéressantes, notamment visuellement car le film est assez beau, à l’image de ses impressionnants lâchés canins. Et je reconnais avoir été séduit par son étrange construction, s’ouvrant comme un truc social plombé entre Kes, de Ken Loach et Le temps du loup, d’Haneke, avant de virer vers un conte Disney façon L’incroyable voyage pas pour les enfants (Portrait d’un chien, victime de vileté humaine et moteur de la rébellion) pour s’acheminer dans la fable apocalyptique. Après, on pourra toujours vanter les performances des chiens dressés, personnellement ça me gêne, je n’aime pas ça et préfère laisser le débile du Figaro dire que cette meute de vrais chiens c’est toujours mieux que les oiseaux en carton d’Hitchcock.

Mommy – Xavier Dolan – 2014

14. Mommy - Xavier Dolan - 2014Born to fight.

   9.0   Les premières minutes peuvent irriter : Parole omniprésente, envolées pop chéris par Dolan (C’est White flag de Dido qui ouvre le bal), cadrages serrés, postures un peu théâtralisés, langage de charretier (forte utilisation du joual, argot québécois), le tout enveloppé dans un format 1:1, plus étouffant tu meurs. De quoi se préparer à endurer un calvaire. Ou l’accepter et se laisser gagner par son énergie, celle qui d’abord nous agresse par ce jeu de massacre mère/fils puis celle qui fascine, soudainement, quand Kyla, la voisine fait irruption dans le cadre, brise le duo mal agencé et l’équilibre miraculeusement. Ses bégaiements apportent un doux contrepoint à la volubilité qui régissait jusqu’alors, le mystère qui accompagne un éventuel trauma et sa situation familiale compense la dureté ostensible des rapports entre Diane et Steve. Le film est devenu trio sans qu’on ne s’en aperçoive jusqu’à exploser dans l’émouvante autant que sublimissime car inattendue séquence Céline Dion. Dolan ose tout. Ça casse parfois – Son dernier film, éreintant, en était la preuve – mais quand ça prend, il emporte tout.

     Je ne pensais pas qu’une séquence comme celle durant laquelle Steve déambule sur son longboard sous Colorblind de The Counting Crows pouvait m’émouvoir autant. La suspension qu’il génère par cette image à la Van Sant menacé par le cliché du clip arty offre pourtant une respiration salvatrice. Mais cette façon qu’il a de virevolter avec son caddie sur un parking de supermarché, ces contre plongées répétées pour le voir se faire dévorer par le soleil : Tout fait frémir là-dedans. Tout fait frémir quand on l’évoque mais tout devient génial quand on le voit. C’est peut-être cela la magie Dolan ? Sans doute parce qu’il y a un étrange décalage dans cette scène puisque Steve n’écoute pas le morceau que Dolan nous offre, ce qui accentue l’étrange arythmie du film. Et sans doute aussi car on a besoin de cette petite parenthèse naïve pour encaisser ce qu’on vient de voir et accepter de replonger dans la suite. Pour que le tourbillon prenne des allures de fresque alors qu’il a pourtant tout du film intimiste, il faut ces envolées-là, cette croyance que chaque scène, aussi excessive soit-elle, tire le film vers des cimes bouleversantes dans ses pics autant que dans ses creux.

     Vers la moitié du film, le format carré que Dolan s’est imposé se transforme gracieusement. C’est Steve lui-même, le personnage, cet adolescent impossible, qui de ses mains semble agrandir le cadre. Idée de génie qu’on avait vanté partout depuis son passage cannois, gimmick que je redoutais à l’époque mais que j’avais oublié aujourd’hui. Et tant mieux, ça a fait son effet. Si en soi l’idée est jolie (L’avenir s’ouvre avec l’éventualité d’un équilibre parfait et une harmonie personnages/décor, aussi publicitaire que soit ce clip charmant accompagné par Oasis) c’est son utilisation qu’on retiendra : C’est une parenthèse enchantée. Et Dolan va s’en servir à deux reprises, de façon radicalement différente. D’abord en tant qu’évasion réelle (C’est le passage de l’huissier et sa lettre de mise en demeure qui viendra refermer les volets noirs du cadre, réactiver l’enchaînement mélodramatique et rejouer l’épuisante routine) puis en tant qu’échappée onirique dans laquelle Diane imagine l’avenir radieux de son fils (Accompagné musicalement par le piano et les violons d’Expérience de Ludovico Einaudi) avant de condamner leurs rapports en l’abandonnant aux mains de médecins psychiatriques.

     Mais Dolan ne s’en sert pourtant pas comme d’un twist de la mort, il nous avait prévenu, dès le début de son film au moyen d’un étrange carton racontant une réalité légèrement futuriste (Le film sort en 2014, l’action se déroule en 2015) et dystopique (La mise en place de la loi S14 permettant aux parents d’enfants turbulents de les placer en maison psychiatrico-carcérales) nous conviant un moment donné forcément à ce cas de figure. Mais il est tellement fort qu’on parvient à l’oublier, ce prologue un peu lourdingue (Le carton autant que la mise en place, notamment le rendez-vous entre Diane et la directrice du centre spécialisé de Steve) et à croire en sa vitalité utopique. L’interprétation y est pour beaucoup : Si le jeune Antoine Olivier-Pilon est une force brute tout en dissonance, c’est ce double portrait de femmes qui impressionne. Comment Dolan, alors âgé de 25 ans, peut-il créer des personnages féminins pareils, aussi riches, aussi beaux ? Anne Dorval et Suzanne Clément sont toutes deux étincelantes, traduisant par leur langage opposé et leurs silences mystérieux une puissance de jeu foudroyante, qu’on n’a peu vu au cinéma sinon chez Cassavetes.

     Loin de l’hystérie factice qu’on pouvait redouter de la part du jeune auteur de J’ai tué ma mère, Mommy se déroule sur un rythme fort en jouant sur une harmonie entre ses joutes éreintantes et ses moments silencieux, ses frénésies et ses accalmies – A l’image du Vivo per lei entonné par Steve, qui face aux moqueries du bar, abandonne la douceur candide qui l’anime par des points serrés et un accès de rage foudroyants. J’ai retrouvé ce qui m’avait séduit dans Les amours imaginaires. Certes, les deux films n’ont à priori pas grand-chose en commun, mais j’aime la foi qui les anime. Une foi que l’on retrouve aussi beaucoup dans le choix du format qui accentue le portrait. Rien ne vit dans le cadre hormis un corps, un visage. Le film s’envole dès qu’il cadre le trio, ici dans la séquence On ne change pas, là dans le selfie, qui semble s’offrir de dos avant qu’ils ne se retournent vers nous, au ralenti, pour qu’on en profite le plus longtemps possible. Le film se fermera d’ailleurs sur l’une de ces envolées dont Dolan a le secret : Purement mélodramatique (Steve semble s’envoler vers une porte vitrée) mais dans une sensation de flottement bouleversant, que le terrassant tube de Lana del Rey viendra accompagner en beauté.

     Si Mommy conte l’histoire d’une impasse, celle d’un lien mère/fils aussi fragile que leurs témoins d’affection sont légion, celle d’amitiés éphémère malgré leur renaissance commune, Xavier Dolan en fait une impasse merveilleuse, à briser le réel en continu tout en y étant complètement dedans, à magnifier ses personnages malgré leur antipathie de façade, à tenter des choses, briser le rythme en permanence. Comment peut-on à ce point croire que le morceau ultra-populaire d’une banale playlist familiale (C’est la bonne idée de l’utilisation de ces morceaux, l’impression qu’elles sont piochés dans l’histoire de Steve, avec son père, sa mère, avant qu’elles ne soient de simples chansons de chevet de Dolan lui-même) va élever une séquence, qu’un changement de format va tout redéfinir à nous en faire tomber les bras, qu’un rire étouffé ou des sanglots retenus (Je me répète mais bon sang : Dorval et Clément illuminent tout le film) vont tout raconter, qu’un ralenti en apparence passe-partout va émerveiller, qu’un léger décrochage va tout relancer ? Mommy est un film infiniment précieux pour ce qu’il témoigne d’une foi hors norme dans le cinéma, son pouvoir d’évocation, son émotion brute. C’est une déflagration. Je ne m’attendais pas à ça. Je veux déjà le revoir.

The grandmaster (Yat doi jung si) – Wong Kar-wai – 2013

12. The grandmaster - Yat doi jung si - Wong Kar-wai - 2013La danse de la mélancolie.

   4.5   Wong Kar-Waï qu’on n’avait pas vu dans cet exercice depuis Les cendres du temps (1994) rend hommage aux films de kung-fu et tout particulièrement à IpMan , grand maître de wing chun, en retraçant son histoire et l’Histoire de la Chine des années 30/50 alors en pleine occupation japonaise.

     Comme d’habitude chez WKW mais plus encore ici, le film est très stylisé, aussi bien dans la complexe beauté de ses combats que dans sa multitude de décors et postures aussi magistrales qu’improbables. On va juste dire que c’est n’est pas mon truc. Que ça me séduit un temps, puis que je m’y ennuie très vite.

     D’autant que portrait oblige, The grandmaster est un film beaucoup trop bavard et la sensation vaporeuse qui irrigue les premières séquences et présage d’une belle capacité d’hypnose, laisse vite place à une lourde épopée qui perd sa fluidité pour ne garder qu’un spectacle à la démesure beaucoup trop chichiteuse dans ses ralentis à n’en plus finir et son agaçante sacralisation de chaque costume ou décor.

     Je préfère le film quand il s’attache aux gestes (Quand il danse, en fait) plutôt qu’à cette orgie éreintante. Surtout, The grandmaster paye sans doute l’éternité de sa fabrication (Une dizaine d’années dit-on) en se déployant dans un kaléidoscope fait d’ellipses vraiment ingrates. Reste que son côté elliptique le rend parfois surprenant. Et les chorégraphies des combats en imposent.

     On pioche alors ce qu’on trouve, dans les corps à corps notamment, dont on retiendra celui entre Ip et Gong Er, la fille du vieux grand maître, véritable combat de séduction à l’ambiance infiniment érotique accentué par le décor vertical de la maison close dans lequel ils semblent défier la gravité. Mais aussi un bel affrontement sur un quai de gare enneigé ou une simple discussion (Quand le film se pose enfin, tardivement) entre deux amoureux qui s’ignoraient, qui fait renouer brièvement l’auteur avec la mélancolie de son In the mood for love.

Haewon et les hommes (Nugu-ui ttal-do anin Haewon) – Hong Sangsoo – 2013

498158.jpg-r_1280_720-f_jpg-q_x-xxyxxFragile symphonie.

   6.5   Si les parties sont à priori moins distinctes que dans certains films chapitrés d’Hong Sangsoo, Haewon et les hommes ne déroge pas aux règles imposées par son cinéma : Une discussion ou une errance mènent systématiquement vers une autre discussion ou une autre errance. La voix off est celle de l’héroïne qui nous confie quelques pages de son journal intime. C’est quasi exclusivement une affaire de duos : Haewon et sa maman, d’abord – voire même une introduction Haewon et une célébrité (Jane Birkin) qui semble faire un peu trop écho à In another country, avec Isabelle Huppert – puis Haewon et son ancien amant (que l’on retrouvera plus tard) ou Haewon et un professeur rencontré par hasard.

     Très peu de lieux une fois encore, le style HSS est de plus en plus minimaliste, très doux autant qu’il laisse une sensation de tristesse infinie, dans ce parcours chaotique semé d’incertitude. On s’y promène beaucoup (Lors de très jolies scènes au fort de Namhan, notamment), on y boit allègrement, on y dort aussi – Haewon a cette manie de s’endormir un peu partout, au café, à la bibliothèque, renforçant ce climat de rêve cher au cinéma du sud-coréen et l’incertitude quant à savoir si certaines situations sont rêvées ou vécues.

     Dans sa démarche, son rire, son regard, sa nonchalance, sa force, son imprévisibilité, Jeong Eun‑Chae est une jeune actrice magnifique (Et c’est vrai qu’elle ressemble à Charlotte Gainsbourg) s’accaparant tout le film au point d’en dévorer les personnages secondaires qui apparaissent puis disparaissent du cadre autant que de notre mémoire, s’acclimatant idéalement à l’état d’esprit de la jeune femme, volatile, impulsif. Elle qui se laisse guider par ses échecs pour capter sa mélancolie et retrouver de son innocence.

     Si j’ai un reproche à faire au film, c’est cette crainte, qu’avec le temps, je le confonde avec d’autres HSS, tant il se différencie peu de sa petite musique désormais traditionnelle, à contrario des deux derniers HSS en date. Car il y a sensiblement les mêmes situations d’un film à l’autre, depuis quelques années, les petites répétitions au sein du récit se multiplient (lieu, discussion, objet, plan) et les variations sont de plus en plus infimes, invisibles, tout en continuant d’exister afin de tirer chaque film vers davantage de tendresse, d’onirisme, ou de tristesse. Haewon et les hommes est probablement plus doux-amer que les autres.

Rock the Casbah – Laïla Marrakchi – 2013

05. Rock the Casbah - Laïla Marrakchi - 2013Secret, deuil et retrouvailles.

   4.0   Ravi de retrouver Morjana Alaoui qui illuminait Marock, le premier chouette film de Laila Marrakchi (Qu’il faudrait que je revoie, tout de même, mais j’aimais son énergie féminine, sa totale légèreté brisée par l’irruption soudaine du mélo) avant d’être au coeur du tord boyaux Martyrs. Bon, Rock the casbah a très peu à voir avec Marock, on est plus dans un carrefour entre du Danièle Thompson et de la telenovela : C’est pas très bien joué, les dialogues sont mal écrit et il y a zéro idée de mise en scène. Il s’agit d’une histoire de retrouvaille familiale pour les funérailles du patriarche, avec tous les stéréotypes du genre : petits affrontements entre soeurs, banales discussions nostalgiques, clashs entre générations, mais les joutes verbales sont sans relief et l’atmosphère est désincarnée. En filigrane couve un lourd secret sur une quatrième soeur qui s’est suicidée il y a longtemps, mystérieusement, que le film va s’amuser a faire éclore, histoire d’apporter un peu de matière mélodramatique a un récit jusqu’ici trop binaire. La lourdeur des chapitres n’aide pas à ajouter de la subtilité. Les musiques non plus : On va jusqu’à balancer du Antony & the Johnsons lors de la mise en terre et sur des travelling larmes, bref c’est d’une grande finesse. Les quelques passages pseudo surréalistes qui émaillent ces trois jours de deuil (apparitions du défunt grand père en conteur interprété par Omar Sharif) ne sortent pas le film de sa torpeur ni de sa mièvrerie, au contraire. Sur un sujet similaire Rendez vous à Atlit était autrement plus intéressant. Mais malgré tout ça et son côté Petits Mouchoirs ça reste mignon, doux (malgré l’apparente âpreté du sujet), réconciliateur. Assez touchant, même, dans la relation entre les deux mères.

Wolf Creek – Greg McLean – 2006

02. Wolf Creek - Greg McLean - 2006Du sang dans le désert.

   6.5   Très intéressant de découvrir Wolf Creek en 2017 déjà pour constater qu’on ne fait plus ça aujourd’hui. On sort sans doute encore ce genre d’ersatz de Massacre à la tronçonneuse mais plus du tout avec un vrai regard, une vraie identité comme c’est le cas ici. C’était vraiment une super période (2005/2006) pour le genre qui nous aura offert en peu de temps, deux merveilles : The descent et La colline a des yeux. Et dans une moindre mesure mais aussi de qualité : Creep, La maison de cire, Hostel ou Ils. Chacun officiant dans le survival, à sa manière. Wolf Creek n’est pas celui qui révolutionnera le genre, mais il est réussi. Déjà le film est beau. Pourtant ça tremblote beaucoup mais tout le côté road movie de la 1ere partie joue admirablement de l’espace, du désert australien, ses routes et ses cratères de météorites – On est assez proche du désert américain d’Alexandre Aja d’ailleurs. Le film prend son temps pour poser son voyage et faire exister ses personnages. Sans jamais – autre bonne idée – choisir de contre champ. On ne sait donc pas, une heure durant, où le danger va venir mais on sait qu’il va venir, on le sent, ça devient très angoissant sans pour autant abuser des standards style jump scare et musiques illustratives. Et puis le film se brise. Brutalement. De façon surprenante puisque le basculement est hors champ, on nous enlève la traditionnelle séquence pivot trash. D’une scène de feu de camp aussi cool que bizarrement tendue on passe à une scène de séquestration. Le film ne réussit pas tout ensuite, notamment son final mais il a deux bonnes idées éminemment hitchcockienne : un méchant charismatique et un triple basculement de points de vue. Super film ! 

La danza de la realidad – Alejandro Jodorowsky – 2013

01. La danza de la realidad - Alejandro Jodorowsky - 2013Irreality.

   3.0   Il aura fallu attendre ma neuvième escale pour faire un rejet en bloc, esthétique, mise en scénique, sur l’un des films de ma liste. C’est tombé sur ma première rencontre avec le cinéma de Jodorowky. Pas certain que La danza de la realidad soit un dépucelage idéal, j’en conviens. Le chilien n’avait alors pas fait de film depuis plus de vingt ans et pond cette œuvre somme, autobiographique, fantasmagorique pleine d’enchevêtrement de souvenirs déformés dans un tourbillon abscons. Il y a dans cette mixture indigeste, ce ballet de grimaces ahuries, cette narration hyper-opératique, ces jeux théâtraux, ces surgissements de freaks en tout genre, ces lourds symboles et grotesques métaphores, ce collage de saynètes choc, ces couleurs flashy, cette hystérie collective, ces acmés musicales pompières, tout ce qui, au cinéma, me file des boutons. Cette démesure trop revendiquée, programmée, masturbatoire et in fine plus décorative que vertigineuse, que je peux trouver et rejeter chez Fellini, dans Amarcord ou Intervista, chez les Wachowski, dans Cloud Atlas, chez Alex de la Iglesia ou dans certains Kusturica. D’aucuns diront que c’est de la poésie pure, naïve, hallucinogène, moi je n’y vois qu’une évocation (la réconciliation avec l’enfance, la rédemption du père, les cauchemars intimes, la politique chilienne) grasse, surlignée au marqueur, à l’image de ces nombreuses apparitions de Jodorowsky himself accompagnant son Soi enfant en assénant ses grandes phrases moralistes. Toutefois, comme pour Reality, de Matteo Garonne – Pour rester dans mon tour du monde – il y a ce jusqu’au-boutisme remarquable qui à défaut de m’émouvoir, m’intéresse dans sa volonté de te vider, de te malaxer avant de t’écrabouiller, te donnant la sensation, au sortir de ces interminables minutes, d’avoir été ingéré puis dégueulé. Pas forcément une sensation agréable, mais ça ne laisse pas indifférent. Je vais peut-être attendre quelques années avant d’éventuellement tenter une rétrospective, hein.

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