Archives pour la catégorie Musique

Tired of love (Nev Cottee, 2017)

R-10422084-1497108393-1183.jpegAfter the love rush.

     Outre sa place d’ores et déjà immuable au sein des disques que je retiens de la décennie écoulée, qui me sont chers au point de largement figurer dans mon panthéon personnel (Il y en a d’autres, en vrac : Depression cherry, de Beach House ; The seer, de Swans ; Skeleton tree, de Nick Cave & The Bad Seeds…) Broken flowers, le troisième album de Nev Cottee abrite une pépite, un morceau qui me submerge comme il est rare qu’un morceau me submerge.

     Huit minutes de perfection, ambiance aquatique et cathédrale, qui évoque le Theme final of Pioneer de Air, morceau aussi inconnu qu’il est puissant, composé pour l’insignifiant film d’Erick Sjolbaerg ; mais aussi Let’s go away for a while, des Beach boys. Je ressens rarement une telle symbiose musical, entre l’instrumental et les mots, paroles qui introduisent puis disparaissent, avant de réapparaitre dans un écho à la toute fin. Splendeur parmi les splendeurs, tant cet album est une merveille.

en écoute ici:  https://www.youtube.com/watch?v=7tHmFrhXbFI

Autobahn (Kraftwerk, 1974)

3016a419ee6f9da1e8279d842641b8d8En route !

     Deux années se sont écoulées, durant lesquelles j’ai arrêté d’alimenter cette rubrique récapitulant, au compte-goutte, l’ensemble de mes morceaux préférés. Difficile de savoir pourquoi, probablement n’y voyais-je plus trop l’intérêt, sans doute trouvais-je l’exercice beaucoup trop délicat. Je vais essayer de m’y remettre tout doucement. 2020, nouvelles résolutions. Et pour ça, autant reprendre avec un titre fondamental.

     Autobahn c’est le Graal dans mon olympe si tu vois ce que je veux dire. Et dieu sait que Kraftwerk c’est essentiel pour moi, une discographie aussi pléthorique qu’exemplaire : Je crois même que je préfère au moins deux albums (Computer World & Man Machine) à Autobahn, l’album mais Autobahn, le morceau, c’est hors norme et sans équivalent – Un peu comme Hallogallo, chez Neu !

     Une portière qui claque, un moteur qui vrombit, un véhicule qui démarre, un épais klaxon qui retentit et c’est parti, pour vingt-deux minutes, sur une asphalte lunaire et pop. Après des disques expérimentaux et quelque peu hermétiques, les allemands ouvre la voie aux voyages thématiques – il y aura bientôt le train, l’ordinateur et autre radioactivité – et signent avec ce morceau-titre un véritable manifeste électronique.

     C’est à Kraftwerk et la musique ce qu’Il était une fois en Amérique est à Sergio Leone et au cinéma, pour le dire grossièrement. C’est un voyage total et différent à chaque écoute. C’est tantôt une route déserte encerclée par des canyons, tantôt une trois voies perdue au fin fond de la campagne bourguignonne. Tantôt l’aube, tantôt la tombée de la nuit. Alors si en plus t’écoutes ça au volant, c’est le panard absolu.

En écoute ici :

https://www.youtube.com/watch?v=x-G28iyPtz0

Top 25 Albums 2018

01. Profligate, Somewhere else

     Pas vraiment de roi cette année mais cinq albums qui se détachent et pourraient loger tout en haut de cette liste, suivant l’humeur. Passons les déceptions (MGMT, Jasmine Guffond, Saaad, Dead Can Dance, Spiritualized) et les incompréhensions (Oneohtrix Point Never, The Necks) j’en retiens vingt-cinq (sur la grosse centaine écoutée) et j’en laisse quelques-uns de côté (Strië, Lawrence English, Etienne Daho, Die Wilde Jagd, Cat power, Dominique A, Taylor Deupree, Damien Jurado, Mount Eerie…) qui auraient mérité d’y figurer. Belle année, donc :

Profligate, Somewhere else.

     On reçoit cet album comme un rescapé de contrées cotonneuses et tentaculaires, qu’on aurait jadis foulées avec cette étrange sensation de plaisir et de crainte, suivant l’écoute, suivant l’humeur. Darkwave complètement engourdie – Il faut s’imaginer la version pop d’un crossover Coil / Scott Walker – Somewhere else s’impose d’emblée dans un titre éponyme qui ne laisse pas de place au doute : Ce sera un disque sombre. « A circle Of » se contentera de faire mal, très mal. On aura fait le plus dur : C’est peut-être bien le seul reproche que je ferais à cet album dantesque, ce cauchemar brulant qui s’assagit délicatement en lévitant entre ses propres décombres. Si j’adore ses voix, toutes ses voix, j’aime aussi les apparitions dissonantes sur certains morceaux : les stridences de la fin du morceau d’ouverture, les nombreux dérèglements accompagnant « Lose a little » et notamment son imposante cassure aux trois-quarts, la basse magnifique (digne de The Cure) de « Black Plate » qui guide les élans poétiques d’Elaine Kahn. Et deux titres extraordinaires ferment l’album. Deux titres qui te rappellent que tu viens d’écouter un truc rare, sans précédent, une merveille. Merci à L’ombre sur la mesure, mon dénicheur préféré, c’est le premier album écouté cette année, il aura fait du chemin mais n’aura jamais véritablement été détrôné. Chef d’œuvre absolu.

Laurent Pernice, A world too late.

     Si A world too late – et son titre à la nostalgie élégiaque – est une œuvre stupéfiante, il m’aura permis de surcroit de découvrir Laurent Pernice, musicien que je connaissais seulement de nom et réputation – percussionniste dans le groupe Nox, notamment. C’est tout. Ça reste obscur, mais je ne dois pas être le seul puisque Pernice n’a même pas de fiche sur SensCritique, c’est dire. En écoutant par hasard « A world too late », j’ai fait connaissance avec ce nom puis fait la rencontre des superbes « Détails » (1988, son premier album) et « Sept autres créatures » (1996). Il faut que j’approfondisse, c’est certain. Mais en l’état, ce sont des découvertes majeures, qui m’évoquent plein de choses, plein de musiques (Brian Eno, Manuel Gottsching…) et en même temps c’est très difficile de le rattacher à un courant ou une époque. A world too late aurait pu accentuer cette impression de musique perdue dans l’espace-temps et pourtant, immédiatement, ça m’a semblé être le truc le plus moderne et prometteur (si j’ose dire) que j’écoutais cette année. C’est un album qui regorge d’idées, inédit sans pour autant crier qu’il révolutionne, traversé par des sonorités exaltantes. Durant chaque réécoute je découvre des choses, il me surprend sans cesse : Les personnages de contes enfantins qui tombent à l’eau avant les oiseaux qui tombent du ciel ; Une grosse voix caverneuse avant que l’arménien déboule sans prévenir ; le saxophone qui tente ici de se frayer un chemin, la guimbarde qui s’emballe toute seule un peu plus tôt ; une plongée électro qui devance des sonorités jazzy ; un trip énergique mais parfois ankylosé ; un voyage en Afrique ici, puis en Orient là-bas. Mention spéciale à cette flute bouleversante sur L’incendie. C’est donc un disque riche, monde, épique mais paradoxalement très doux. Triste mais doux.

The Empire Line, Rave.

     Album monstrueux, littéralement. Aussi bien dans ses accords que dans ce timbre vocal qui recouvre « Ipad modernity / Powder » le morceau qui ouvre le disque et le plonge dans un dédale de violence brute, comme une version condensé de Shining. Le morceau suivant introduit une ambiance plus mélodique mais très métallique. On ne s’attend pourtant pas à ce que Rave soit un monument de techno pure, convoquant les traces de poudre d’un Shifted. Le monument « Herrensauna » mettra tout le monde d’accord à ce petit jeu : Les voix ne sont pas loin, les scies métalliques déboulent sans crier gare et le beat est effréné, intraitable. Les trois morceaux suivants sont du même acabit – dont un final tonitruant, qui enverra n’importe quel raveur dans les cordes – dans la lignée tout en étant à la fois complètement différents. Le groupe suédois aura pondu une bombe, qui a tout pour être glauque, mais qui se révèle galvanisante. Une autre très, très belle découverte.

The Field, Infinite moment.

     Du The Field pur jus. C’est le sixième album du suédois mais c’est comme si c’était le premier : une boucle infinie, une heure d’extase, aux variations microscopiques. Je comprends que ça puisse lasser, ennuyer, agacer. Moi je trouve ça toujours aussi divin. A chaud si je dois faire un classement des albums de The Field ça donne : Looping state of mind > Cupid’s head Infinite moment > Yesterday and today > The Follower > From here we go sublime. Classement inutile et quasi aléatoire puisque je les adore tous, donc le premier est dernier sans être dernier, c’est simplement que je l’ai moins écouté que les autres, puisque j’ai découvert The Field avec la sortie du second. En tout cas c’est fou de constater combien le changement d’un disque à l’autre n’est pas significatif, en revanche quand on réécoute le premier avant ou après le sixième c’est flagrant, les boucles sont plus étirées et endolories aujourd’hui tandis qu’hier on naviguait dans des eaux plus club. De plus en plus radical, The Field ?

James Murray, Falling backwards.

     A défaut de piano cette année (pas de Quentin Sirjacq ni de Daigo Hanada) voici ce bijou de lévitation pure, un album cotonneux, véritable doudou/bouillotte qui réchauffe, réconforte et accompagne les longues nuits d’hiver. Une musique qui évoque aussi bien les ambiances d’un Angelo Badalamenti ou les envolées de Jóhann Jóhannsson, mais qui m’a surtout rappelé le Centralia, de Mountains, l’un de mes albums préférés de ces dernières années. Falling backwards est un disque d’une délicatesse absolue, à te faire survoler des souvenirs de vieilles destinations, de vieux amis oubliés, à faire ressurgir des images d’enfance. Les 20 minutes du triplé final « Old friend », « London plane », « Father figure » sont au-dessus du reste, pour moi. Au-dessus de tout cette année. Merci à Tartine de contrebasse, mon autre dénicheur préféré, pour m’avoir fait découvrir ce nom et cette merveille.

Alva Noto, Unieqav.

     Sans surprise, Alva Noto fait partie de ce top et du top10. Comme d’habitude, en somme. Le musicien allemand poursuit son insolente excellence dans le genre musical dont il est devenu l’un des grands acteurs. A l’instar du troisième opus des Xerrox, qui était le plus abouti des trois, le troisième volume des Uni (après Unitxt et Univrs) est aussi le plus brillant, complet, puissant des trois. Les dunes métalliques d’Uni blue, je ne m’en remets pas. Quand d’emblée Uni sub semblait naviguer à la surface des abysses, Uni chord clôt le voyage dans un brio solaire enivrant. Tout l’album est top mais cette ouverture, cette fermeture et ce chef d’œuvre central, lui permettent de tutoyer la perfection.

Vox Low, Vox Low.

     Un découverte de taille. Un premier album tranchant. Quasi du niveau du premier Tristesse contemporaine. Une pépite de post punk / cold wave made in France, aussi bien inspirée par le krautrock de Kraftwerk, l’électro de la French Touch que les sonorités dépressives d’un Joy Division (sur « What if the symbols fall down » notamment) ou d’un Sonic Youth (l’ouverture de « Trapped on the moon »). Bien qu’un peu inégal puisque pas toujours lucide dans les enchainements de ses neuf titres, ce disque aux pulsations métalliques entêtantes bordés par cette imparable voix caverneuse tourne en boucle sans problème. Quant aux sept merveilleuse minutes de « Rejuvenation » qui ferment l’album, que dire, si ce n’est que l’album mériterait qu’on l’écoute rien que pour elles.

Tim Hecker, Konoyo.

    Pourquoi cet album et pas le précédent ? A quoi ça tient ? Tim Hecker restera une énigme pour moi : Sur ses trois dernières sorties, il m’est arrivé d’y être hyper sensible (Ravedeath 1972) ou d’y être complètement indifférent (Love streams). Le très beau Virgins faisait la liaison : C’était froid mais impressionnant. Se jeter dans l’écoute d’un nouveau Tim Hecker relève de l’inconnue pure en ce qui me concerne. Et tant mieux, finalement. Après une première écoute pour le moins déstabilisante, le verdict est sans appel : Konoyo est une merveille et regorge encore de chemins secrets, passerelles invisibles, grottes désertiques à visiter. Sept titres aux durées variables (On oscille entre trois et quinze minutes) mais aux qualités insolemment homogènes. Disque d’ores et déjà inépuisable et qui pourrait devenir Le chef d’œuvre de Tim Hecker, avec le temps.

Julia Holter, Aviary.

     Bon. Difficile de se remettre de ce disque. C’est un voyage, doux autant qu’halluciné, trop long, probablement, sans précédent, certainement. Aviary est à Julia Holter ce que Vespertine est à Bjork. Et en même temps, on n’est parfois pas loin de tomber dans l’hermétisme outrancier de Tomorrow, in a year, de The Knife. Ce ne sont pas les quatre-vingt-dix minutes musicales les plus faciles à écouter cette année. La première fois je crois même que je ne suis pas allé au bout. Puis j’y suis revenu. Sans doute parce que Aviary m’avait plus impressionné qu’autre chose. Et puis il se passe un truc. Julia Holter, habituellement, c’est immédiat, c’est gigantesque dès la première écoute, on le sait. Là c’est un autre voyage. Ce sera jamais mon préféré (Mon cœur balance plutôt entre Loud city song & Have you in my wilderness) mais c’est son plus radical, ça c’est sûr.

Villeneuve & Morando (Feat. Vacarme), Artificial virgins.

     Ce bel album trimbale un défaut de taille : sa taille, justement. Doté de quatre titres -dont un dyptique – allongé sur vingt-trois petites minutes, il faut bien plusieurs écoutes avant de passer outre le constat que « C’est beau, mais beaucoup trop court ». Cette durée joue pourtant en sa faveur puisqu’on y revient sans cesse et quand on y revient, on le passe deux, trois fois. Il se passe alors un truc, qu’on peut éprouver à l’écoute de certaines pièces de Philip Glass, mais aussi des premiers albums « beaux mais courts » de Tangerine dream : Il ne faut plus jamais que ça s’arrête. Qu’importe, rarement la sensation que synthés et cordes se nourrissaient autant entre eux qu’à l’écoute d’Artificial Virgins, voyage étincelant, aussi limpide que retors.

Matthias Puech, Alpestres.

     Il faut un peu de temps avant de l’apprivoiser, cette « rencontre imaginaire » entre Chris Watson et Lawrence English. Autant qu’une randonnée entre les massifs, on rechigne d’abord, on s’éclate ensuite. C’est dans le grand air que nous convie Matthias Puech : Il faut déambuler entre les chemins escarpés, vaincre le vide et franchir les frontières suisses, françaises, italiennes (les titres des morceaux sont à cette image, dévoilés dans ces trois langues) dans un yoyo permanent, de plus en plus enivrant. Mais on sent que c’est un disque qui regorge de zones à découvrir, comme un massif qui cacherait quelques-uns de ses versants. On aimerait par exemple que « Incontro notturno » s’étire davantage pour parvenir à nous faire pleinement ressentir sa magie nocturne. Personnellement je ne me remets pas du caverneux « Krampus » sans doute l’un des plus beaux morceaux de l’année.

Yo La Tengo, There’s a riot going on.

     Le plus bel album de Yo La Tengo depuis longtemps, pour moi. Pour ne pas dire le meilleur avec Summer sun, c’est dire. S’il n’est pas dans le top 5 c’est uniquement parce qu’au-dessus il y a des monstres.

Skee Mask, Compro.

     On a beau en avoir souper de ces disques d’IDM, quand on en écoute un qui sort un peu de l’ordinaire, en 2018, ça fait du bien. Quelle tuerie, punaise. Quelle foi, quelle générosité ! Il suffit d’un « Dial 274 » ou d’un « Flyby vfr » pour s’en rendre compte : Le munichois n’a gardé que le meilleur d’Aphex Twin. Et me permet de me consoler de ne pas avoir encore osé écouter le dernier Autechre.

Beach House, 7.

     Pour qui a bien cerné mes goûts musicaux, c’est une liste encore moins surprenante que d’habitude que celle de cette année. Année durant laquelle je me serais encore moins jeté dans le vide musicalement, sans doute car y avait un paquet de disques que je voulais à tout prix écouter. Le nouvel opus de Beach House étant bien entendu l’un de ceux-là. Faisons simple : Il n’y a aujourd’hui pas de musique qui me touche aussi intimement que celle de Beach House. Hormis The Field, peut-être, mais davantage dans la case lévitation. Alors on n’est pas dans les plus belles heures du groupe – On tape moins du côté de Cocteau Twins que sur My bloody Valentine, cette fois – qui avait atteint un génie monumental avec Depression cherry, mais n’empêche que lorsque j’entends un morceau comme « L’inconnue » je fonds, complètement. Quelle beauté, franchement. L’ensemble est inégal mais il y a de tels éclats.

Liberez, Way through vulnerability.

     Le duo récidive. Après la claque All tense now lax en 2015, voici une sorte de Face B plus brouillonne mais plus bouillante encore, avec ses effluves de flamenco et ses voix caverneuses derrière les coups de boutoir de plus en plus manifestes d’une post-indus swansienne plus franche, sans scrupules. Des morceaux comme « M’aidez » ou « Forget so that you may be forgotten » ou « Derelict Intentions » te calment sévère pour un moment. Et le pire c’est qu’on en redemande. Je le mets là, au pif, il est sans doute trop bas mais je l’ai découvert durant ce mois de décembre.

Aphex Twin, Collapse.

     Un album de 28 minutes aux allures de friandise et pourtant, de par ses trouvailles et une richesse inattendue, chaque pièce révèle ses secrets au fil des écoutes, ce qui en fait un truc bien plus fort que ce que la durée et la pochette laissaient entrevoir. Richard D.James a changé le paysage électronique mais il continue d’inventer, continue de titiller nos oreilles, sur format long (Syro, en 2014) ou court, comme ici ou sur Cheetah en 2016. Cinq morceaux, beaux, complexes à écouter encore et encore. Dommage que les deux derniers soient un poil en dessous, un poil plus « normaux » ou plus « polis » pour du Aphex Twin, autrement c’était toptenable.

Nicolas Godin, Au service de la France.

     Mieux que la (superbe) deuxième saison d’Au service de la France : Sa bande originale, entre jazz et bossa. Une merveille. Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas l’autre moitié de Air qui m’aura fait rêver cette année (Je n’aime pas beaucoup le H+ de JB Dunckel) mais bien cette création de Nicolas Godin, pourtant un soundtrack, comme quoi.

Animal Collective, Tangerine Reef.

     Très sage dirons les admirateurs d’Animal Collective, très pantouflard dirons ses détracteurs, il y a pourtant dans ce beau voyage aquatique un trouble qui perturbe constamment son apparente douceur. Le corail est beau et dangereux comme souvent avec le groupe et Tangerien Reef pourrait être une version « acoustique » de Merriwaether Post Pavilion, quelque part. Il y a plein d’idées partout, des textures changeantes, des anomalies inquiétantes, des sonorités exaltantes La grande idée du disque est de concocter treize morceaux à écouter comme un seul, sans coupure et pourtant chacun déploie son propre rythme, offrant un vrai voyage d’un point A à un point B, avec une ambiance se renouvelant en permanence tout en restant absolument cohérent d’une strate à l’autre.

Grouper, Grid of points.

     J’ai d’abord trouvé ce nouveau Grouper très, très paresseux. Mais assez vite je ne pouvais plus m’en passer. Minimaliste, il l’est sans nul doute, beau il l’est assurément. Ça dure 21 minutes de piano/voix et c’est beau comme c’est pas permis. Une pause, une parenthèse rêvée. Une petite errance qui s’arrête aux abords d’une voie ferrée, devant le passage d’un train : Beau réveil.

The Blaze, Dancehall.

     Sans génie mais une belle hype pleine de tubes cotonneux dans la mouvance d’un The XX, d’un Moderat ou d’un Rone, qu’on peut trouver très limité, peu inspiré, mais qui s’avère limpide dans ses mélodies, émouvant dans la subtilité de ses choix (les voix rondement épaissies face aux incantations plus féminines en écho lointain, le piano-house caressant face aux basses très marquées), compositions, enchainements. Il y a du volume, c’est doux, dansant, raffiné. Alors oui c’est facile, ça n’invente rien, mais je ne m’en lasse pas. Puis bon, je soupçonne ce disque de jouer sur ma corde sensible, puisqu’à l’écoute de « Heaven » il est impossible pour moi de ne pas repenser au final de l’un des plus beaux films sortis cette année : Nos batailles, de Guillaume Senez.

Nine Inch Nails, Bad witch.

     Où l’on réalise qu’à l’instar d’Aphex Twin, Nine Inch Nails est tout à fait capable d’envoyer du très lourd sur du format court. Six titres, trente minutes. D’ailleurs la comparaison entre les deux est intéressante car là où Collapse démarre fort pour s’en aller de façon plus classique, Bad witch fait l’inverse : Deux morceaux efficaces mais convenus en ouverture qui sont effacés par quatre titres puissants, magnifiques. Mention spéciale au jazzy/indus « Play the goddamned part » ainsi qu’au très « Girl with the dragon tattoo » « I’m not from this world » : Un chef d’œuvre à lui seul.

Anna Calvi, Hunter.

     Ou quand Lana del Rey rencontre PJ Harvey. Je ne connaissais pas du tout Anna Calvi et donc Hunter, qui est le troisième album de l’anglaise, est le premier que j’écoute. On pense d’abord qu’il restera l’affaire de quelques écoutes, mais il traverse le temps. J’adore chacun de ses morceaux et tout particulièrement Don’t Beat The Girl Out Of My Boy qui pourrait être un croisement insolite entre le Yeah Yeah Yeahs de It’s blitz et le Mica Levi, d’Under the skin. Il y a de la guitare parfois agressive mais aussi des mélopées vocales entêtantes.

Giulio Aldinucci, Disappearing in a Mirror.

     Sans doute la pochette de disque la plus en phase cette année avec la musique du disque qu’elle abrite. Un long chemin obscur entre la neige ( ?), les nuages ( ?), les cratères ( ?) et les montagnes ( ?). Un trou noir vertigineux, dans la lignée des voyages de Lawrence English. Il faut laisser infuser longtemps pour percer les mystères qu’il regorge, d’abord en se laissant caresser les esgourdes par les douces nappes miséricordieuses de « Mute serenade », le morceau qui ferme le disque, puis grâce à l’ébouriffant « The tree of cryptography », plongée dantesque absolue qui peut laisser sur le carreau, puis en se laissant guider par l’écho de cathédrale de « Aphasic Semiotics », Et ensuite, seulement, on appréciera la cohésion et la continuité de l’ensemble de ces sept pièces. Bref c’est très beau, mais faut quand même aller le chercher.

Flavien Berger, Contre-temps.

     Cette année, j’ai beaucoup écouté cet album ultra encensé partout. Je pense qu’on s’est un peu enflammé à son sujet, c’est tout de même très inégal, trop long, la voix est un vrai problème par instants, et un morceau comme « Deadline » reste quasi impossible à ne pas passer, celui qui s’étire sur neuf minutes et résonne comme du Cliff Martinez, s’étire pour pas grand-chose. Même les 14 minutes du titre éponyme sont bancales, géniales un jour, gênantes le lendemain, c’est très étrange. Et pourtant j’y suis souvent revenu. J’aime bien ses défauts, j’aime les références qu’il convoque – On va pas les citer, y en a des tonnes. Et c’est sans doute parce qu’il est foutraque et qu’il tente à foison qu’il me séduit.

Jon Hopkins, Singularity.

     On peut trouver cela paresseux, penser que ça ronronne, manque de générosité et tout cela de façon tout à fait calculée. C’est vrai et c’était déjà le cas pour Immunity (2013), que je continue de réécouter avec beaucoup de plaisir tout en le trouvant un peu passé. Singularity prend en otages d’entrée au moyen de son titre éponyme, subtilement crescendo jusqu’à l’implosion, définitivement accrocheur. La suite joue davantage de ses rondeurs d’electronica et son beat somatique et les soixante minutes, ensorcelantes, passent d’un claquement de doigts. Par ailleurs, argument non négligeable : Ses deux plus grands morceaux (dépassant les dix minutes) sont ceux qu’on ne veut pas voir s’arrêter. Ça dit tout. Ce bruit de « train de marchandises » lors des deux premières minutes de « Luminous beings », je ne m’en lasse pas.

Top Albums 2017

01. LCD Soundsystem - American Dream

     Ayant écouté moins de disques cette année, je ne pensais pas avoir suffisamment de matière pour pondre un top 20 décent il y a de cela un mois. Puis certains albums se sont révélés à la réécoute, d’autres sont arrivés dans mes oreilles au bon moment. Belle année musicale, donc. Avec un roi, tout en haut. Indétrônable.

LCD Soundsystem – American Dream

J’ai d’abord cru, durant les premières écoutes, que l’album se ferait dévorer par son tube d’ouverture, absolument magistral. Les deux pistes suivantes sont un peu en-dessous mais in fine seulement moins immédiates tant elles révèlent leur puissance au fil du temps. Car « Oh baby » est une bombe, en effet. La marque d’un retour en grande pompe. D’un père heureux, qui remet en route la machine mais arpente la vie / les choses différemment. American Dream c’est du LCD, aucun doute là-dessus, mais on sent comme un changement, difficilement identifiable au début mais évident à mesure qu’on l’ingère.  La suite (après « Oh Baby ») pourrait être ce que Brian Eno ferait s’il avait encore cette inspiration. American dream c’est le Here come the warm jets de LCD Soundsystem. Un chef d’œuvre absolu, qui parvient à détrôner le déjà incontournable Sound of silver (qui fêtait lui ses dix ans) et à offrir les plus belles envolées de l’année, sur la durée (l’album s’étire tout de même sur 70 minutes) autant que dans chacun de ses petits blocs. A ce petit jeu, le triplé American dream / emotional haircut / Black screen qui ferme le disque l’emporte par KO. Un agréable KO, planant / effervescent / ensorcelant. Album de l’année, sans discussion possible.

Zombie Zombie – Levity

Alors eux, c’est clairement mes chouchous. Il s’en fallait de peu l’an dernier pour qu’ils ne scrutent pas la plus haute marche du podium, avec l’immense Slow Futur. Le « peu » c’était Swans et Nick Cave, hein, quand même. Première place qui leur échappe à nouveau cette année au profit d’un autre chouchou absolu, intouchable. Car cet album, aussi génial, addictif et puissant qu’il soit, ne révolutionne rien dans leur musique. On pourrait même dire qu’ils ont trouvé une certaine routine, qu’il leur manque ce grain de folie qui propulsera un de leurs albums au firmament. L’an passé, la durée des morceaux avait créé un espace d’ensorcellement complètement nouveau. Cette année c’est différent. Paradoxal même, puisqu’on les sent revenir à leurs premières amours, on a presque la sensation de les voir retrouver l’esprit du Plays John Carpenter (Ce qui n’est pas pour me déplaire) et pourtant ils ont cette fois largement moins écrit qu’expérimenter, puisque le disque découle d’un live, donc d’improvisations. Cette nouvelle façon de concevoir accentue la plongée krautrock et délivre davantage de free jazz, notamment via les apparitions (plus) surprenantes (qu’à l’accoutumée) du saxo. Je suis tellement dingue de « Ils existent » le deuxième morceau, hyper down tempo, avant qu’il ne se laisse gagner par les effluves tribales. Mais que dire d’« Acera » ? Tout est hallucinant. Jusque dans le délire martial d’« Hippocampe ». Zombie Zombie nous a concocté un disque de jungle, et la jungle de Zombie Zombie je te laisse imaginer la tronche qu’elle a. T’as pas envie d’y croiser des bestioles. Attendons que le disque prenne de la bouteille mais en l’état c’est absolument brillant, clairement au-dessus de la mêlée, c’est une réussite totale. Ces mecs sont des génies.

Nev Cottee – Broken Flowers

Que dire devant tant de beauté ? Broken Flowers est un classique instantané, tu le sais d’emblée et ça se vérifie au fil des écoutes. Découvert cet album absolument par hasard, puisqu’en lisant un papier sur l’album de Cigarettes after sex. L’auteur du billet évoquait Nev Cottee comme un songwriter s’inscrivant dans la lignée de Richard Hawley. J’ai foncé. Et en effet c’est à Richard Hawley qu’on pense en priorité. Sur « Be on your way », t’as même l’impression de voir ressusciter Gainsbourg et l’ouverture de Melody Nelson. Sur « Nobody’s fool » ça respire plutôt Nick Cave. Bref c’est absolument pour moi et c’est un album magnifique, un état de grâce permanent. Et puis cette voix, bordel. Je retiens surtout un morceau hallucinant : « Tired of love ». Que tu pourrais (devrais ?) retrouver dans ma liste parallèle 100 tracks sans problème.

Claudio PRC – Volumi Dinamici

La parenté est à chercher du côté de Shifted. De façon assez évidente sur « Ostinato », merveille effrénée d’une brusquerie insolente, qui aurait pu loger sans sourciller dans Crossed Paths. De façon beaucoup moins évidente sur « Aleatorio », morceau hallucinant au centre qui propulse Volumi Dinamici sur un terrain qu’il semble seul à investir, sur une planète qu’il est le seul à avoir foulée. Lente montée venteuse accompagnée d’un discret bip très perturbant, avant que l’ouragan ne s’installe indéfiniment, que l’aigu écho de cette sirène lointaine ne fasse partie du décor pour toujours. Ça pourrait durer des heures et ça s’étire uniquement sur cinq minutes, laissant derrière une bonne dose de frustration et le besoin de réécouter en boucle. A l’image de l’album tout en entier, qui balance ses doux uppercuts techno non-stop, car dans leur genre, « Disteso » et « Velato » valent aussi le détour. Ce qui élève ce disque au rang de chef d’œuvre, pour moi, c’est sa faculté à soigner sa sortie, avec le très chaleureux, lumineux, gracieux, aquatique « Materia ». Ce bien que le KO intervienne plus tôt, sur le somptueux « Aleatorio », car je le répète, je ne m’en suis pas remis.

Foxygen – Hang

N’ayant jusqu’alors été séduit par aucun album de Foxygen, Hang concourt assez largement pour le titre de meilleure surprise de l’année. Impressionnant de décomplexion, le groupe californien tente et réussit tout ce qu’il tente : L’album est articulé autour de huit morceaux relativement courts – La durée entière de l’album n’excède pas les 32 minutes – qui s’enroulent les uns dans les autres pour sembler n’en former qu’un, alors qu’on a tour à tour l’impression d’être chez Bowie, MGMT, Lee Moses, Lou Reed. Evidemment, l’orchestre de malade (on parle de quarante musiciens) ajoute indéniablement à sa richesse et son éclectisme. Ça pourrait être indigeste autant que je trouve Muse indigeste par exemple (même si à mes yeux ils se situent clairement aux antipodes) et j’imagine que ça l’est pour certains, mais pour moi c’est un album touché par la grâce qui propose indéfiniment, vire constamment, rebondit de façon inattendue, à l’image du somptueux « America » ou du déchirant « Trauma ». Et puis le fait est qu’on peut l’écouter deux fois en une heure, comme Pet Sounds ou Rubber Soul. C’est un point important.

Andrea Belfi – Ore

Avec ce type d’ouverture (Le sublime « Anticline » qui, après son apparition digne des lentes montées émotionnelles de « Stay », de Zimmer sur Interstellar, s’étire en sirènes, cymbales et carillons de bois sur dix minutes, soit un quart de l’album) la violente baisse de régime n’est jamais loin. Ce qui va sauver Ore, c’est son insolence à dilapider les promesses installées par une introduction précise et mélodieuse dans un dédale de tentatives qui à la fois ne se ressemblent pas entre elles, tout en s’inscrivant dans un projet commun (de krautrock se muant en solos jazzy) qui lui s’avère étrangement hyper cohérent. La réussite est là, je crois. On est ici très proche d’Oren Ambarchi. Il faut aimer la batterie, je préfère prévenir – Surtout sur « Ton » qui délivre une partition de cymbales de douze minutes sur un rythme effréné. Evidemment, je suis le client ciblé.

Thurston Moore – Rock’n roll Consciousness

Certes, cet album est moins puissant que The Best Day (2014) et moins fulgurant qu’un Demolished thoughts (2011) mais Wow, quelle tuerie encore ! Thurston Moore est incroyable de constance dans l’excellence. C’est l’un des premiers albums que j’ai écouté en 2017, la première claque. Je m’étais alors demandé s’il parviendrait à survivre au temps, à être toujours aussi fort en décembre, après maintes écoutes. Et je me suis repris une nouvelle gifle.

Octave Noire – Neon

Quelque part entre Biolay, Chauveau, Air et Tellier. Bref, le truc absolument pour moi, comme tombé du ciel. Qui réactive de façon improbable les plus belles envolées pop de la chanson française, de Gainsbourg à Dominique A, en passant par Christophe et Daho. Neuf morceaux tous plus beaux les uns que les autres, qui raconte chaque fois autre chose, une nouvelle facette de Patrick Moriceau, celui qui se cache derrière ce doux nom de scène. En ressort un album aussi mélancolique que paradoxalement très optimiste, c’est sans doute ce qui lui offre une saveur si particulière. Une bien belle découverte, un beau voyage, ample, tout en ambiances changeantes, textures fines, arrangements complexes. Chapeau. Et puis c’est l’album que mon fils m’aura le plus demandé d’écouter cette année, enfin surtout « L’envol » et son refrain « Cours vers moi… nu » donc rien que pour ça, il doit avoir sa (très bonne) place ici.

Verge – Emblematic Ruin

Je ne sais pas vraiment ce qui me restera d’un tel album avec le temps. Disons que c’est pas le genre de truc vers lequel je vais forcément revenir. Mais ça m’avait bien claqué, lors de sa sortie en avril. Car c’est un album techno qui aurait comme trop bouffé de cold wave. Et ça donne une sorte d’improbable mélange entre Lawrence English et Mogwaï. La ligne rythmique de « Thorri », l’arrivée saturée sur « Deluge », l’agonie tellurique de « Spleen », y a vraiment de quoi prendre cher. Et puis cet album me fait penser, dans un registre plus drone, moins percussif, à un autre plaisir solo (sorti ces dernières années) d’ermite se dandinant autour du feu : « The sixth sun », de Tzolk’in (Dans mon top5 en 2013). Et puis encore une fois c’est très cinématographique, souterrain, horrifique, on y traverse des grottes, on y frôle des gouffres et derrière chaque stalagmite, un monstre rôde, un geyser de lave ne demande qu’à jaillir. Bref, c’est un voyage.

Timber Timbre – Sincerely, future pollution

Il est passionnant de constater que le groupe québéquois ne stagne pas dans sa zone de confort. Si la respiration générale, le blues restent une dominante, de Creep on creepin on (2011) en passant par Hot dreams (2014) pour arriver à ce Sincerely, future pollution, il y a clairement une évolution, une volonté de débusquer d’autres horizons. L’enrobage est donc plus excentrique ici, puisqu’on y utilise des claviers, voire du vocoder (le morceau « Bleu nuit » pourrait être La faute de goût, mais finit par révéler un curieux goût de reviens-y) bref, ça désarçonne pas mal de se prendre du semi-funk dans les oreilles quand t’écoutes Timber Timbre, notamment sur l’osé « Grifting » (Celle-là il m’a fallu du temps pour l’apprécier) mais ça crée une autre ambiance, sous influence 80’s. J’aime. Moins que la perfection folk Hot Dreams, mais j’aime quand même. Et puis le titre éponyme est pur joyau incandescent, un magnifique électron libre – Ma fascination est venue de lui. Quant au très Tindersticks « Western Questions » il va surprendre avec ces décalages métalliques et son envolée mélodique finale. Sincerely, future pollution gagne malgré tout à ne pas renier les terres de Timber Timbre, notamment via son ouverture et sa fermeture (Aux effluves du Maraqopa, de Damien Jurado), discrètes, mélancoliques, qui sont exactement ce qu’on attend d’eux. Il fallait ça, probablement, pour ne pas perdre pied. Album surprenant donc, mais ça ne me surprend pas d’aimer.

Jasss – Weightless

Le truc le plus dingue entendu cette année. Qui échoue aux portes du top ten, parce que trop dingue pour moi justement. Pour situer, derrière le pseudonyme Jasss se cache Silvia Jimenez Alvarez, une jeune espagnole, propulsée par la scène berlinoise. C’est son premier disque. Pour le reste, si tu survis à « Every single fish in the pond » soit un morceau d’ouverture de dix minutes qui envoie n’importe qui au tapis, avec sa violence martiale et sa beauté cosmique (Quelque part entre Andy Stott et Fuck Buttons), ainsi que son étrange découpage en deux parties en apparence opposées mais qui finissent par se répondre, alors dans ce cas tu auras fait une partie du chemin vers cet étrange bonheur que procure cette heure absolument folle, qui liquéfie sans sourcilier, tout sur son passage. « Oral Couture » ensuite, rappelle certains morceaux de bravoure de Lucy, voire Shifted, à tel point que tu (ne) remercies (pas) les dieux que ça ne dure que six minutes. Les neuf minutes de « Danza » viendront confirmer que t’es face à un mur de son invincible, bipolaire, pas toujours accueillant certes, mais tellement vaste, tellement volontaire, tellement grandiose. Et puis t’as des surgissements de voix incroyables et des percées de sirènes comme sur le sublime titre central, qui donne son nom à l’album. Vraiment je le répète, la seule raison qu’il ne soit pas sur le podium c’est que parfois j’ai pas du tout, mais alors pas du tout envie de l’écouter. D’ailleurs, l’album se ferme sur un morceau vraiment sale, fiévreux, donc si tu y reviens c’est ce que tu l’as décidé, c’est pas lui qui t’as dit au revoir en te faisant les yeux doux.

Sascha Funke – Lotos Land

Mon admiration et ma reconnaissance pour Sascha Funke sont telles que même lorsqu’il déçoit et/ou s’avère plus anecdotique, je prends un plaisir fou à l’écoute de chacun de ses morceaux. On ne retrouve certes pas le génie solaire de Mango ni la magnificence nocturne de Unknown (sous Saschienne, avec sa femme) mais il y a dans ce nouveau bébé, qui ressemble moins à du Sascha Funke habituel qu’à une mixture inégale de Tristesse contemporaine, de Zombie Zombie ou Digitalism, une effervescence enivrante, parcourue d’instants vraiment épiques. Je ne vais pas te faire un dessin, Lotos Land c’est dix morceaux, 63 minutes et ça déboite l’afficionado aveugle. Un peu dans le même genre que lorsque Fuck Buttons avait pondu Slow Focus.

Lee Ranaldo – Electric Trim

Quand t’es fan de Sonic Youth, suivre les carrières solos de Thurston Moore ou Lee Ranaldo, c’est du pain béni. Si l’an dernier il avait fallu se satisfaire d’inédits, avec le très beau Spinhead Sessions (1986) l’année 2017 nous offre Rock’n roll Consciousness, de Thurston Moore et Electric Trim, signé Lee Ranaldo. On va faire simple, j’adore les deux. Je m’étais dit que pour des raisons d’équilibre (de mon top) je n’allais en garder qu’un. D’années en années, j’ai tendance à me sentir plus proche de Thurston, qui était par ailleurs monté  sur la plus haute marche en 2014, et comme ce dernier bébé lui ressemble beaucoup, à mon humble avis, j’étais prêt à faire gagner Lee sur Thurston. En fait non, c’est trop me demander. Cette ouverture magnifique sur Electric Trim (Les 7’29 de Moroccain Moutains) je ne m’en suis pas remis. Gros fan de « Thrown over the wall » aussi. Mais globalement, tout l’album démonte, tout est aussi beau que la pochette.

Vitalic – Voyager

Pascal Arbez-Nicolas aka Vitalic ne retrouvera probablement jamais la magie de son premier album, l’indétrônable Ok Cowboy (2005), mais quel plaisir de le voir revenir – après deux embardées franchement décevantes – avec un album aussi inspiré, généreux, dansant, qui plus est en le bouclant avec cette merveille de reprise d’une merveille de Supertramp. Entre autre, hein, car tout l’album est merveilleux.

Justin Hurwitz – La La Land

Ai-je besoin de revenir là-dessus ? De justifier la présence d’une telle bande originale dans mon top annuel ? Certes, le disque est dépendant du film, mais l’inverse est vrai aussi. Dingue de constater que La La Land c’est aussi (voire surtout) cette musique incroyable orchestrée par Justin Hurwitz, chantée parfois par Emma Stone & Ryan Gosling. L’émotion qui m’étreint à l’écoute de « City of stars », « Audition », « Epilogue » est assez indescriptible et à l’image de ce que le film aura laissé comme emprunte sur moi cette année. Et puis les deux morceaux qui ouvrent le disque filent une pêche d’enfer.

Lawrence English – Cruel Optimism

Dans le paysage massif, éclectique et inégal de l’ambient, c’est un cas vraiment particulier, Lawrence English, car t’as vraiment la sensation d’être enveloppé dans les retombées cendrées d’un nuage atomique pendant un album tout entier. Il faut l’accepter. Et si tu l’acceptes, ça devient un voyage complètement dingue. Ce nouvel opus est moins immédiat que le précédent, moins fort mais pas moins brillant dans sa richesse abstraite, ces textures et ces couches qui se superposent à l’infini, que parfois tu crois saisir puis qui s’échappent l’instant suivant. La tempête est fragile, les cornes de brume giclent de façon soudaine, les vagues sont des rouleaux compresseurs, les gémissements des lamentations d’outre-tombe. Lawrence English s’est entre autre adjoint les services de deux membres des Swans pour parfaire la richesse de son univers sonore. Inutile de dire qu’on ne distingue aucunement leur présence, on imagine seulement qu’ils se fondent admirablement là-dedans, qu’ils apportent une plus-value, invisible mais probablement essentielle. La musique de Lawrence English dévore tout.

Daigo Hanada – Ichiru

On ne sait par quel miracle le japonais parvient à ne pas tomber du côté « Album de premier de la classe » qui le guette à de nombreuses reprises. Ni comment il esquive chaque embryon de guimauve. Et pourtant, si les deux premiers morceaux sont en effet plutôt anecdotiques, lors de la première écoute, c’est lorsque « Weak Me » s’embrase, mais s’embrase en douceur, qu’il se passe vraiment quelque chose. Dès lors, Ichiru ne nous lâchera plus. On a parfois l’impression d’entendre du Burwell. De fouler l’asphalte enneigé de Fargo (Fragment, Pt.1). De replonger dans les grands mélos de Todd Haynes (Fragment, Pt.2) Alors évidemment c’est pas Quentin Sirjacq. C’est même une toute petite chose, je crois, mais elle fait du bien. C’est un disque parfait pour l’hiver. Avec deux sommets de beauté pure sur « Hue » et « And this is how it ends ». Et puis il faut dire que le dernier morceau, intitulé sobrement « Close », le seul qui soit d’une durée si imposante (huit minutes) est touché par la grâce. Ah oui, au fait, c’est du piano, mais je pense que t’avais pigé.

Ekin Fil – Ghosts inside

Un peu de douceur dans ce monde de brutes. Une douceur macabre, cela dit, aussi gothique que cotonneuse, c’est tout le secret paradoxe de ce disque aux relents de Portishead (noirci par les épreuves de la vie) et au showgaze endolori de Grouper ou Saycet. L’étrange impression d’écouter du Slowdive sous Prozac, notamment sur « Before a full moon ». Morceau suspendu dans la suspension tellement il donne l’impression de pouvoir faire léviter tout ce qu’il touche. J’imagine qu’on peut trouver ça agréablement anecdotique. Moi j’adore.

Laura Marling – Semper Femina

Quand j’écoute Marling (cet album-là autant qu’un autre, tous tiennent du génie) je me demande fréquemment comment il est possible de composer et d’écrire des choses aussi belles. Ça me dépasse. Cette jeune anglaise qui n’a même pas trente ans et offre déjà son sixième album, est un enfant prodige, une prêtresse du folk, quelque part entre Nico et Neil Young. Dans cette balade dépouillée, suspendue, mais tout en rebonds gracieux, Laura Marling embrase chaque morceau par ses fins arrangements de cordes, sa voix reconnaissable entre mille, et offre quelque chose de plus sensuel qu’à l’accoutumée, de plus intime et vaporeux aussi. Mention spéciale aux très beaux morceaux d’ouverture et de fermeture : « Soothing » & « Nothing, not nearly ». Bien commencer un disque et bien le finir, c’est la base.

Kendrick Lamar – DAMN.

Typiquement le genre d’album qu’habituellement je ne réécoute pas, que je peux trouver objectivement bon la première fois, riche et foisonnant, trop riche et foisonnant en fait – Cf good kid, m.A.A.d city, aussi de Kendrick Lamar – sans que ça me parle intimement, sans que j’y ressente l’envie ou la nécessité de m’y replonger une deuxième fois voire davantage. DAMN. sera donc un cas particulier puisque c’est exactement comme ça que fut ma première écoute. Aucune chance que j’y revienne. Et puis par le hasard d’une force incompréhensible je l’ai emprunté lors de mon dernier passage à la médiathèque. Je le réécoute alors. Et bim. Je le réécoute encore et encore. Et c’est puissant, bordel. Hyper narratif et aussi très impressionnant dans sa (dé)construction, ses changements de rythme, son épure, son côté pop aussi qui le rend plus accessible, plus immédiatement émouvant, les mots qui giclent et qui parfois apaisent. Très fort.

Slowdive – Slowdive

Difficile de ne pas tomber sous le charme de ce nouvel opus, magistralement désuet mais tellement Slowdive, tellement émouvant, donc. Ils auront érigé le showgaze au rang d’art dans les années 90 et avaient disparu des radars, même si leur musique à continuer de résonner dans le paysage musical, inspirant de nombreux musiciens, de nouveaux groupes – Citons The Pains of being pure at heart, Radio Dept. Et pourquoi pas Beach House – Qui aurait comme miraculeusement inspiré Slowdive sur Sugar for the Pill. Slowdive réapparait donc avec huit morceaux, aux textures variées, au charme mélancolique et vaporeux intact.

Fever Ray – Plunge

J’ai d’abord été très déçu par ce nouvel album de Karin Dreijer aka Fever Ray. C’était l’un des retours qu’on attendait le plus, le premier jet de 2009 avait été une claque intersidérale. La déception c’est cette impression d’être davantage face à un album de The Knife (Elle et son frère) – Et un petit, mais faut voir sur quelle bombe The Knife nous avait laissé aussi, le majestueux Shaking the habitual – que face à un deuxième album de Fever Ray – Elle toute seule, donc. Pourtant il se passe un truc au fil des écoutes. Le disque est moins beau, moins homogène, mais révèle ses pépites. On finit par l’aimer. On finit même par en redemander. Et pas qu’un peu, puisque je l’ai tourné en boucle, un moment donné.

Phoenix – Ti Amo

Je suis embêté avec Phoenix car depuis la sortie de Wolfgang Amadeus Phoenix (2009) je ne peux m’empêcher de « juger » leurs nouveaux disques à l’aune de ce chef d’œuvre absolu. Bankrupt fut donc une déception autant que le fut cette année Ti Amo. De prime abord, du moins. Puis Ti Amo, comme Bankrupt en 2013, a beaucoup tourné chez moi, j’ai fini par accepter son étrange trajectoire, ce voyage italien éphémère, jusqu’à littéralement jubiler à l’écoute en boucle de trois merveilles pop : Fior di latte, Telefono, Tuttifrutti. Dans cet ordre de préférence. J’aime moins le reste, mais c’est pas grave, si Ti Amo n’est pas aussi homogène que WAP, il n’en demeure pas moins une parenthèse estivale savoureuse, autant que l’était cette merveille de Saison 2 de Master of None, avec laquelle il partage plein de points en commun.

Godspeed You ! Black Emperor – Luciferian Tower

Pas encore eu le traditionnel déclic face à ce nouvel album de Godspeed, qui le ferait passer (comme à chaque fois) de « Sans surprise, ça envoie! » à « Ah oui, quand même ! » mais je l’intègre dans (le bas de) cette liste en faisant le pari qu’il entrera au fil des écoutes dans la seconde catégorie. Pour l’instant, disons que ça manque d’amplitude mélodique, à mes oreilles, et le drone de plus en plus marqué dans leur musique me parait un poil plus calculé que sur leurs deux précédents disques. Mais si ça se trouve je le trouverai brusquement génial demain.

Cigarettes after sex – Cigarettes after sex

Dream pop appliquée mais limitée, paresseuse et un peu rébarbative, d’autant que Beach House est passé par-là. Oui mais voilà, si comme moi tu lévites dès que tu retrouves un soupçon de Cocteau Twins, si comme moi Beach House est un cyclone cotonneux dans lequel tu voudrais t’envoler et/ou t’envoyer en l’air ad vita aeternam et représente ce que le genre mais aussi la musique tout court a produit de plus beau ces dernières années, alors tu seras sensible au charme caressant magistralement désuet de Cigarettes after sex. Mention spéciale aux deux très beaux morceaux « Apocalypse » et « John Wayne ». Hype ou pas c’est vraiment une toute petite chose. Aussi agréablement éphémère qu’une taffe. A l’instar du premier The XX ça sent le beau one shot, fragile, qui tient on ne sait pas comment, mais je ne donne pas cher de leur peau pour la suite. J’espère me tromper, évidemment.

Life’s A Bitch (Nas, 1994)

deca44fb8344d17dc683a285c1ad8e1a.800x800x1« that’s why we get high »

     Ma période Nas remonte à mon adolescence. Pas sûr que c’était une « période » d’ailleurs, je me souviens d’avoir écouté en boucle The Message et Affirmative action les deux morceaux plus mélodieux que les autres, qui devaient squatter une cassette, entre Prodigy et Daft Punk (Pour pas dire Shaggy et MC Solaar, désolé) à une époque où je ne jurais que par Skyrock et les singles. En fait j’ai découvert l’album Illmatic bien plus tard. Un jour de septembre 2009 je vois Fish Tank au cinéma. Dans l’une des dernières scènes du film retentit Life’s a bitch, de Nas, morceau sur lequel mère et filles se mettent à danser, alors qu’elles viennent de se pourrir la tronche une heure et demie durant. Aujourd’hui encore (Je suis toujours aussi fan de ce film) je ne peux m’empêcher d’éclater devant cette séquence. Bref, dès lors, j’ai recroisé Nas, acheté Illmatic, album absolument parfait. Nettement meilleur qu’It was written, sur lequel se trouvent pourtant les chansons que j’aimais, ado. Et Life’s a bitch, s’il est sans doute loin d’être le morceau le plus fulgurant (Suffit d’évoquer N.Y. State of mind) aura toujours ma préférence. Parce que Fish Tank, forcément, mais pas seulement : J’aime son rythme jazzy, le couplet de Nas qui répond à celui d’AZ, et j’aime surtout l’arrivée tardive et discrète du cornet à pistons, joué par Olu Dara, le père de Nas. Je ne m’en lasse pas de l’épure de ce morceau.

En écoute ici :

https://www.youtube.com/watch?v=HEwSfbE9IXc

La séquence de Fish Tank dont je parle :

https://www.youtube.com/watch?v=s5BBd-4E_rQ

 

Grand Canyon (Timber Timbre, 2014)

23755025_10155256869752106_7964451966368952047_n« In the warm confusion »

     Sincerely, future pollution, le dernier somptueux album de Timber Timbre aura sans nul doute sa place dans mon top de fin d’année. Il m’a fallu un peu de temps pour l’apprécier autant que le précédent mais voilà, j’y suis. Il y a l’élégance de Springsteen et Richard Hawley, la grâce de Tindersticks et Leonard Cohen. Oui, rien que ça. Ce dernier disque me fait en outre retrouver des sensations similaires à celles qui me traversaient durant l’écoute de Dream River, de Bill Callahan. Sorte de plaisir absolu, complet.

     Je me permets donc de revenir sur Hot dreams, le chaleureux et sensuel cru 2014 et tout particulièrement sur Grand Canyon, véritable trésor caché et ce d’autant plus qu’il se situe au centre de l’album. Le montréalais Taylor Kirk et ses comparses nous propulsent dans une odyssée bohême quasi cinématographique, où l’on peut sentir le vertige des Rocheuses et les profondeurs de ses cavités inexplorées, songer à cette immensité, cette chaleur, ce mystère comme on a pu, parfois brillamment, le fouler au cinéma. Grand Canyon dure quatre minutes mais c’est un voyage à elle toute seule, une balade hantée au sein d’un territoire aussi douillet que caverneux où l’on se fraie notre propre chemin, où l’on y projette nos propres rêves.

En écoute ici :

https://www.youtube.com/watch?v=EaiSr1MQYrI

The Falconer (Nico, 1970)

Copie de MI0001462560Au cœur des ténèbres.

     Ça s’est joué à pas grand-chose. J’ai réécouté Chelsea Girl l’autre jour, ça m’arrive régulièrement – Très honnêtement, je pense pouvoir dire qu’il fait partie de mes disques préférés, quoiqu’en ait pensé Nico plus tard, regrettant notamment la présence de la flûte. J’ai tout de suite pensé que si je devais extraire un morceau de cet album absolument divin, ça se jouerait entre It was a pleasure then (qui déraille et annonce un peu sans le savoir les futurs expérimentations de la chanteuse) et The Fairest of the saisons, soit les sublimissimes quatre minutes qui ouvrent l’album, belles à en pleurer. Evidemment que tout l’album est de cet acabit mais l’ouverture ça reste l’ouverture, le métronome, le guide, c’est fondamental.

     J’ai alors réalisé que si j’aimais aussi beaucoup mais pour des raisons bien différentes Desertshore, l’album qui suivit son passage chez les Velvet Underground, album qui témoigne de sa rencontre avec Philippe Garrel, de sa vie de maman, c’est aussi parce que, là aussi, son ouverture est déchirante. Janitor of Lunacy. Chair de poule obligatoire quand t’entend les premières notes d’harmonium puis la voix sépulcrale de Nico. Je me souviens avoir entendu pour la première fois ce morceau dans L’eau froide, d’Assayas. Il avait éclipsé tous les autres, de Dylan, Joplin, Cohen.

     J’en profite pour dire que bon nombre de morceaux de cette liste de 100 proviennent du cinéma, puisqu’il m’aura permis de découvrir tout un tas de belles choses, aura parfois orienté mais envies mélomanes. Dans Desertshore, il y a d’ailleurs John Cale qui est aux arrangements et y joue de plusieurs instruments. Impossible pour moi, ne serait-ce que sur les premières notes de Piano d’Afraid de ne pas songer au chef d’œuvre de Garrel, Le vent de la nuit. Tout se rejoint.

     J’ai donc réécouté Desertshore, dans la foulée de Chelsea Girl. C’est un album incroyable, mais plus difficile à apprivoiser – quoique moins difficile que The Marble Index, à mon avis. Le folk du premier, et ses fins arrangements de cordes et de flutes, a disparu. On peut tomber en larmes en l’écoutant comme on peut passer complètement au travers, tout dépend du moment, de l’humeur, c’est un peu comme avec le White light, white heat des Velvet underground. Plus avant-gardiste, Desertshore est une plongée sous harmonium dans la détresse d’une femme, d’une mère, d’une junkie. Un album d’errance dans le désert des ténèbres, d’une tristesse sans nom.

     Et j’aime énormément The Falconer, morceau plus classique, qui semble faire le pont entre Chelsea Girl et Desertshore, rien d’étonnant puisqu’il s’adresse directement à Andy Warhol. J’aime la cassure éphémère en son centre, le piano qui surplombe l’harmonium, qui semble apporter de la douceur dans les jours sombres, qui finissent par revenir en fin de morceau. Quand j’écoute When, morceau éponyme du chef d’œuvre de Vincent Gallo, je pense systématiquement à The Falconer, tant ils semblent tous deux être le miroir inversé de l’autre.

     Sitôt qu’on en saisit l’ampleur dramatique, c’est le plus beau disque du monde, qui en plus m’évoque certaines merveilles de Dead Can Dance ou Coil à venir. Je pense beaucoup à Desertshore en écoutant Horse Rotorvator, notamment grâce à Babylero (qui évoque la comptine Le petit chevalier) mais aussi sur Abscheid et Mütterlein. Les deux morceaux utilisés dans La cicatrice intérieure, de Garrel, le film tout en haut de la liste des films que je rêve de voir. Et pour revenir à The Falconer, parait-il qu’on peut l’entendre dans un autre film de Philippe Garrel, Le lit de la vierge. Autre film que je rêve de découvrir.

En écoute ici :

https://www.youtube.com/watch?v=7QZu8FrzgpU

Get Innocuous (LCD Soundsystem, 2007)

88409LCD I love you and you’re bringing me dance.

     Il fallait vite que je parle d’LCD Soundsystem.

     D’une part car le dernier album en date, American dream, sorti le mois dernier, est une merveille. Laissons mûrir encore mais pas impossible que ça devienne le plus beau avec Sound silver. Il contient entre autre un tube absolu à écouter en boucle, l’ouverture Oh baby, qui signe un retour en fanfare, après la séparation puis la reformation du groupe depuis This is hapenning.

     D’autre part car LCD Soundsystem n’a commis à mes yeux aucun faux pas, aussi bien depuis son premier LP éponyme que dans son excursion EP avec l’extraordinaire 45’33 conçu pour la course à pied. Je ne cours jamais avec de la musique dans les oreilles donc je ne sais pas si ça fonctionne, mais cet album me rend dingue (d’autant plus en version CD, avec trois morceaux supplémentaires bouillants !) surtout en bagnole. On retrouve d’ailleurs Someone great – présent aussi dans Sound silver – moins la voix de James Murphy.

     C’est aussi cela que j’aime chez LCD : L’impression d’être face à de (parfois) longues boucles en variations, qui se répondent en écho d’un album à l’autre ; Des bases précises, solides, qui partent en vrille sans qu’on ait vraiment pu s’en rendre compte. Franchement, impossible de faire plus jouissif et obsédant que du LCD à son meilleur.

     Pourquoi ai-je choisi Get Innocuous ? Tout simplement parce que ce fut ma porte d’entrée dans l’univers du groupe. Je ne connaissais pas à l’époque (dix ans, bordel), j’écoute ça par hasard et je me le prends dans la gueule, Get Innocuous, puis le reste. Jusqu’à New York, I love you but you’re bringing me down, que j’aurais pu poser là aussi. Le nombre de trajet de train que j’ai pu me faire avec cet album dans les oreilles, c’est indécent. Je me souviens aussi d’un réveil de soirée beuverie, quand tu dois tout remettre en ordre parce que c’est pas chez toi, et j’avais lancé ça : Rarement été aussi efficace pour ranger une baraque.

     Et Get Innocuous a ceci d’un peu différent du reste de la discographie d’LCD Soundsystem qu’il est moins ouvertement funk/disco mais ressemble à une extraction un peu batarde de dance-punk ascendant krautrock. Et puis j’aime les sentiments contradictoires qu’il m’offre : Souvent je regrette qu’il ne s’installe pas davantage, jusqu’à me happer entièrement ; parfois je me dis que si le morceau était plus long on en crèverait tellement ses bases sont énergiques et les couches qui se superposent de plus en plus fragiles ; Mais chaque fois je me dis : Purée, mais quel tube de malade ! Et puis chose rare me concernant, je préconise l’écoute à TRES haut volume, dans la maison à en faire éclater les fenêtres, dans les oreilles à t’en faire saigner les tympans. Pas si inoffensif que ça, finalement.

En écoute ici :

https://www.youtube.com/watch?v=-Vz_01o6Nao

All and everyone (PJ Harvey, 2011)

PJSortir du noir.

     « Death was everywhere, in the air and in the sounds coming off the mounds of Bolton’s ridge… » Quand un morceau s’ouvre là-dessus… J’en conviens, ce sera pas le plus joyeux de ma liste. En revanche, je ne vois aucun autre morceau ces dernières années capable de rivaliser d’émotion avec cette complainte magnifique. Tout, chaque instrument, chaque note, le rythme, les changements de rythme, la voix de PJ, tout tient du génie pur, t’arrache les larmes à t’en faire défaillir.

     Les trente-huit premières secondes – pourtant exempts de la voix à se damner de la sublime PJ – sont déjà essentielles. Ça se joue pas à grand-chose : un alliage autoharpe / batterie absolument somptueux qui me file chaque fois la chair de poule. L’instru sera l’élément moteur du morceau, dans ses accélérations et accalmies, qui plus est lorsqu’elle est si majestueusement agrémentée, notamment sur la minute quinze qui clôt le morceau, de façon aussi brillante que désespérée, à t’en faire danser les cadavres.

     Je ne connais pas l’intégralité des albums de PJ (et plutôt mal ses premiers) mais de ceux que j’ai écouté, Let England Shake est le seul que j’aime vraiment (avec White Chalk) et le seul qui me touche à ce point, n’ayons pas peur des mots : C’est un chef d’œuvre absolu de tous les instants. Et All and everyone, pile au centre, c’est six minutes absolument bouleversantes, Ça suinte la mort – puisqu’il raconte la guerre – mais c’est tellement beau, divin qu’on dirait un chant liturgique. La voix de PJ n’aura jamais été si majestueuse qu’ici.

En écoute ici :

https://www.youtube.com/watch?v=Qn7qKXPGZ-A

Olé (John Coltrane, 1961)

John_Coltrane_-_Olé_ColtraneA trance supreme.

     Quand on évoque Coltrane, c’est souvent A love supreme qui revient dans les textes et conversations, à juste titre puisqu’il est l’album de jazz imparable, complexe et serein, très accessible bien qu’hyper avant-gardiste – J’y suis probablement moins sensible à cause de son côté « performeur » : ses imposants solos (piano sur Resolution, batterie sur Pursuance, contrebasse sur Psalm) et l’omniprésence du sax ténor. On le retrouve souvent parmi les listes des plus grands albums de tous les temps et c’est assez logique. On peut dire que c’est son chef d’œuvre, oui.

     Pourtant je lui préfère toujours un album qui le précède de trois années, Olé Coltrane, sans doute parce que j’aime son intensité, sa mélancolie hispanique, et qu’il m’émeut davantage, me plonge dans une transe comme je pourrais en retrouver plus tard dans le krautrock. Je ne suis pas très jazz, à priori, mais ici et principalement sur le titre Olé qui ouvre l’album, j’y suis entièrement réceptif, dix-huit minutes durant. J’imagine que la durée y tient une place primordiale : Il faut que ça s’étire pour que je m’y fonde, mais pas trop pour ne pas que je m’y ennuie.

     La contrebasse d’abord, épaulé de la batterie (qui agit en véritable mantra sur l’intégralité du morceau), puis le sax de Coltrane, puis la flûte, la trompette, le piano. Tous les instruments ont un rôle fondamental, prennent le pouvoir ici avant de le refourguer là-bas. Je les aime tous, je n’ai pas de préférence de l’un sur l’autre, j’aime les entendre ensemble ou séparément, les voir apparaître puis disparaître. Je trouve ce morceau absolument parfait.

     Petite parenthèse : j’ai des morceaux et/ou albums préférés suivant les saisons, l’heure de la journée et le l’endroit dans lequel je me trouve. Par exemple, j’adore écouter Histoire de Melody Nelson au réveil, chez moi, un jour d’automne. Ou bien Moon Safari en été, en bagnole, vers midi. C’est comme ça. Je reviendrai sur ce délire fétichiste à mesure que ma liste s’épaissira. Toujours est-il qu’Olé de Coltrane c’est très particulier puisqu’il fait partie de ces morceaux que je peux écouter partout, à n’importe quelle heure de la journée, en été comme en hiver. Chaque fois c’est pareil, il s’affranchit de tout, m’extraie de l’espace et du temps.

En écoute ici :

https://www.youtube.com/watch?v=_Z5cRYd1Vr4

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silencio


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