Publié 3 avril 2023
dans Nicolas Boukhrief
Après la tempête.
5.5 En apprenant, dès la fin du film, qu’il s’agissait de l’adaptation d’un roman de Pierre Lemaitre, j’ai compris pourquoi ça m’avait semblé être un scénario improbable : c’est l’auteur d’Au revoir là-haut, adapté au cinéma par Dupontel. Et déjà c’était comme qui dirait chargé. Ce qui est intéressant avec Boukhrief c’est qu’il garde l’aspect spectaculaire du récit tout en dégraissant au niveau de l’image. Le film ne cherche jamais à en mettre plein la vue.
Plus que son scénario tarabiscoté avec ses nombreux rebondissements, ce qui me plaît dans Trois jours, une vie c’est le lieu, ce village ardennais duquel on ne sort jamais, bordé par une forêt de pins. J’ai un peu pensé au Becker de Goupi mains rouges. Ensuite il y a deux idées fortes, inattendues : une ellipse de quinze ans alors qu’on ne l’attend surtout pas à ce moment-là. Et l’explication du choix de cette date d’événement (l’enfant disparaît le 23 décembre 1999) : dans la nuit du 26, de grosses intempéries viendront tout secouer, balayer, enfouir secrets, douleurs et culpabilité, comme un livre inachevé que l’on referme brutalement. Faire entrer dans ce récit la tempête du siècle c’est plutôt très bien vu.
Reste un sordide conte de Noël, froid, macabre. Qui l’est d’autant plus quand le personnage est adulte, car notre regard sur sa culpabilité ou son déni de culpabilité a diamétralement changé. Le film manque tout de même un peu d’incarnation et de mystère, malgré tout : avec cette quantité de personnages il y avait moyen d’étoffer un peu plus les ambiguïtés plutôt que de jouer sur des mécanismes à twist grossiers (le rôle de la sœur de la victime, la révélation du médecin ou le secret du charcutier-volailler, qu’on avait compris illico). C’est très scolaire, au fond. C’est pas Twin Peaks, quoi. Mais il y a une atmosphère malgré tout, un truc qui reste, une patte.
Publié 3 octobre 2016
dans Nicolas Boukhrief
L’infiltré.
4.0 Autant il me semble aisément concevable d’aborder le dernier Bonello autrement que par le prisme des évènements qui ont secoué la France depuis bientôt deux ans, autant chez Boukhrief c’est plus difficile, au sens où la démarche est nettement moins artistique que fondée sur un terrain réaliste, ce qu’il a toujours fait depuis Le convoyeur même si le rythme si étrange de ses films et leur grain de folie latent lui permettaient parfois de dynamiter le polar. Le fait est que Made in France fonctionne aussi en polar et qu’il ne fonctionne d’ailleurs que si on le prend ainsi : L’infiltration, le récit en entonnoir, les personnages qui tombent, la scène finale. Et dans le même temps, le fait de se baser sur une situation très proche de celle qu’on a pu observer pour le Bataclan (Une cellule terroriste se voit confier la mission de faire sauter un lieu public sur les champs Elysées) on ne peut pas oublier la dose de réel dans laquelle il met les pieds. Malgré le genre (le polar) il faut reconnaître que Boukhrief se situe plus dans le réel que Bonello, qui lui (outre le fait de s’emparer d’un sujet épineux) vogue entièrement dans le fantasme. A part ça il y a quelques bonnes scènes dans Made in France, quelques bonnes gueules aussi, mais on est loin, très loin de la générosité du Convoyeur ni même de Gardiens de l’ordre.
Publié 19 mai 2015
dans Nicolas Boukhrief
4.0 C’est très dispensable. On est bien loin des deux autres films de Boukhrief, les chouettes Le convoyeur et Gardiens de l’ordre où la mise en scène était moins sur d’elle. Là, tout est carré, plan plan, trop écrit pour que l’énergie transpire à l’écran. C’est pas mal hein, pas honteux mais c’est un film de plus sur l’amnésie, les défaillances de la mémoire. Fait sans originalité. C’est un peu le Mémento du pauvre quoi. Et puis je trouve dommage qu’il n’ait pas accentué l’angoisse et l’ambiance moite de cet immense terrain de jeu comme il le faisait si bien dans l’entrepôt du Convoyeur.
Publié 5 février 2011
dans Nicolas Boukhrief
6.0 Au départ ça fait peur. C’est déjà difficile de se coltiner une fois de plus Cécile de France, mais alors de se l’imaginer en flic, il faut alors beaucoup de temps et d’indulgence. Même traitement pour Fred Testot que l’on adore en trublion de canal façon Tata Suzanne ou Super Connard mais qu’il n’est pas évident d’apprivoiser en nouvelle recrue de la gendarmerie, un peu froid, un peu violent. Je rassure, je les trouve par la suite tous deux excellents. C’est simplement que ces deux données associées au fait que Nicolas Boukhrief choisit d’entrer dans le vif du sujet au bout de cinq minutes, à savoir une intervention nocturne qui tourne mal, je commençais à être de plus en plus sceptique, surtout lorsque l’on sort du chef d’œuvre de Xavier Beauvois, Le petit lieutenant, qui a su faire tout le contraire, s’approprier le temps, tout comme s’approprier les personnages. C’est évident, il manque quelque chose à ces Gardiens de l’ordre. Une personnalité. Un vrai travail en profondeur. On ne les connaît pas suffisamment. Ils nous sont offerts sur un plateau, jetés dans la gueule du loup, piégés par la pression hiérarchique, bientôt obligés d’infiltrer par leur soin des groupes de dealers de plus en plus menaçant, pour remontrer à la source de ce drame initial et faire éclater la vérité afin de ne pas tomber dans l’oubli. Mais Boukhrief réussi ce qu’il avait déjà réussi avec Le convoyeur, tenir un rythme soutenu et proposer de l’action plus que du psychologique. Il lui manque sans doute sur la fin un peu de folie, ce qui rendait son premier long métrage surprenant, avec son côté barré, apocalyptique, qui se terminait en eau de boudin. Là, il s’est moins lâché. Mais ce qu’il a réussi c’est à faire tenir son histoire, invraisemblable ou pas, je ne cherche pas à tout calculer, ce qui m’intéresse c’est que je trouve ce film passionnant d’un bout à l’autre, je ne décroche jamais. Sans compter que c’est encore une fois hyper tendu, en permanence. Mais ce n’est pas du Marchal, ce n’est pas glauque, on ne se repose pas sur les situations dramatiques avec musique à la clé, non ce qui intéresse Boukhrief c’est l’action et son déroulement. Il y a un truc fascinant dans ce film c’est le peu d’explication et c’est très bien. Parfois on voit notre duo avancer dans leur plan mais on ne comprend pas vraiment où ils veulent en venir. Il y a aussi de nombreuses scènes inutiles, sans conséquences alors qu’elles installent tout de même un trouble, l’exemple avec cette secrétaire patibulaire un peu trop curieuse. C’est rare de voir ce genre d’attention dans ce type de film où tout ce que l’on voit doit nécessairement avoir un sens, ça me plait beaucoup à moi. C’est un film imparfait, qui aurait presque gagné à être épuré, mais c’est un film en constante évolution, avec une photo soignée, ça dépote et ça me suffit amplement.