De beaux lendemains.
8.0 Dans une petite province du Puy De Dôme, un homme est l’unique instituteur d’une si petite école qu’elle ne comprend qu’une seule classe, contenant elle-même quelques élèves, de la maternelle au CM2. L’école se situe dans un petit village reculé, entouré par les forêts et les champs, et nous allons la suivre durant quelques mois, au gré des saisons, entre neige et temps radieux.
Chaque enfant est accompagné jusqu’à l’école, en voiture, en navette, sillonnant tous les matins ces routes de campagne à l’infini. C’est la première chose que nous montre Philibert, comme le faisait Vigo dans Zéro de conduite, le trajet des élèves, le voyage non pas unique cette fois, mais quotidien. Puis nous passerons alors la majorité du temps en classe, saisissant des portraits pour chacun d’entre eux, pris individuellement ou plus souvent dans un contexte de groupe. Car c’est bien le collectif qui intéresse principalement Philibert : les interactions des uns avec les autres, entre les enfants et leur professeur, tous ces petits instants entre inquiétude, fierté, désaccord. Joutes verbales ou même parfois de simples moments de silence, allant chercher des regards, des chuchotements, des sourires.
Il y a une telle sincérité dans le projet, qui reste avant tout un documentaire et saisi de vrais instants de vie, mais est construit comme une fiction. J’aime bien faire un comparatif entre ce film là et Entre les murs de Laurent Cantet. Si ce dernier marche beaucoup moins bien c’est pour deux choses : Dans un premier temps il y a un manque d’honnêteté dans le projet, se situant à la lisière du documentaire, mais le refusant intégralement car tentant de faire comme si l’on filmait sans que personne ne le sache. Dans Etre et avoir, la caméra est là, au milieu de la classe, à côté d’un visage, entre deux élèves, il y a donc par moments des regards caméra, par curiosité ou simplement pour se protéger, même parfois l’instituteur nous parle directement. Dans le Cantet la caméra est trop intime avec ce qu’elle filme, je trouve ça presque dommage de ne pas avoir fait d’elle un personnage. Il y a autre chose : La respiration. Chez Philibert, les moments en classe, bruyants, émouvants, presque épuisants, sont entrecoupés de plans extérieurs, plein de poésie et de douceur. Chez Cantet on croirait la réussite d’un tour de force, où il faudrait punir le spectateur en l’enfermant dans cette classe d’un bout à l’autre (ou presque) du film.
Et puis la respiration concerne aussi la façon de filmer les élèves. Philibert ne les filme pas tout le temps dans une démarche utile de groupe, il saisit aussi des bâillements, des gestes singuliers, des moments de rêverie, quelques moments maladroits aussi. Cela en fait un film aussi très drôle. La séquence de l’auriculaire est formidable. La séquence de l’œuf aussi. On peut d’ailleurs rapprocher cette idée avec la précédente justement pour la séquence de l’œuf, qui est à mon sens à l’image de tout le reste du film. L’instituteur est en atelier cuisine avec ses élèves et leur apprend à casser des œufs. Une jeune demoiselle s’y colle, le fend trop brutalement et le jaune tombe sur la table. Son premier réflexe est de regarder la caméra, comme pour s’excuser, ou comme pour chercher un réconfort. C’est magnifique, parce que c’est vrai. Dans Entre les murs, lorsque l’ado quelque peu insolent se lève et fou son sac en l’air je n’y crois pas vraiment, je vois un geste répété, pas forcément réaliste en plus. Après je ne dis pas que Cantet aurait dû faire comme Philibert, leur dessein de base n’est effectivement pas le même, je dis juste que pour ce genre de film, il y a une démarche qui fonctionne à merveille et nous fait découvrir un tas de choses sur l’enfance et sur nous même, pendant qu’une autre échoue parfois à vouloir faire semblant en permanence.