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Bleeder – Nicolas Winding Refn – 1999

15385429_10154213736287106_5605517398706713672_oSous toi, Copenhague.

   6.  Bien qu’encore en gestation, c’est tout l’univers de Refn qui gicle dans Bleeder, son deuxième film danois, qui annonce les suites de son tout premier (Pusher) autant qu’il prépare le terrain pour le futur Drive. On y croise quelques lieux forts dont un vidéo-club aux étagères DVD infinies (Sublime introduction dans un style à la Noé), les couloirs d’un night-club rouge néon, un petit fast food, une cave de cinéma bien glauque, un entrepôt d’usine miteux ou un modeste appartement. Cinq voire six personnages (présentés dans une intro que n’aurait pas renié Tarantino) ornent cet étrange tableau où l’apparente trivialité d’un quotidien morne et sans accroc (Chacun travaille sans passion, pour gagner sa croûte, mater des films, lire des bouquins, préparer l’arrivée d’un enfant) va se transformer en montée de malaise (A l’image de celle du flingue devant le Maniac de William Lustig) jusqu’à un déchaînement de violence dont on sait désormais Refn coutumier. Pourtant, si l’on met de côté le différend conjugal (Louise veut garder l’enfant qu’elle porte, Léo veut qu’elle avorte) qui mène au sanglant règlement de compte entre beaux frères, le film est très tendre, le plus tendre qu’ait réalisé l’auteur danois, grâce notamment au personnage joué par Mads Mikkelsen, doux autiste, qui pourrait être une version geek-cinéphile de celui de Ryan Gosling dans Drive – La séquence où il donne la liste de TOUS les noms de cinéastes recensés dans le magasin à un client qui demandait ce qu’ils avaient qui pourrait lui plaire dans le même registre que La colline a des yeux, de Craven, est absolument jubilatoire. La relation entre Lenny et Léa est ce que le film trouve de plus beau et le fait de fermer le film sur eux prouve à quel point cette rencontre constituait pour Refn, la motivation principale de son long métrage.

The Neon Demon – Nicolas Winding Refn – 2016

13466094_10153761602947106_7695917789762909798_nSchizophrénia.

     9.0   09/06/16 – Rejet Black Opium.

     Une fois de plus avec Refn, les retours sont assez discordants. Au sortir de la salle de cinéma j’avais de tout aussi : Certains semblaient avoir vécu la séance de l’année, d’autres comme moi étaient plus circonspects, pour rester poli. Puis j’ai un rapport très bizarre avec le cinéma Nicolas Winding Refn. Je trouve sa trilogie Pusher intéressante mais inégale. J’aime beaucoup Valhalla rising et Drive. Le reste (Only god forgives, Bronson) je trouve ça nullissime. The Neon Demon vient je le crains, agrémenter la dernière catégorie.

     Je ne comprends pas ce que le film veut raconter. S’il est une comédie horrifique (qui ne fait pas rire, qui ne fait pas peur) ou une satire enrobage bonbon de la mode et de la quête de la jeunesse éternelle. Pourquoi Elle Fanning ? Et pourquoi Keanu Reeves ? Réduits à être de simples pantins sans relief, oubliés illico dès que le film s’en est allé. Elle Fanning rappelle pourtant Mads Mikkelsen dans Valhalla Rising, ce viking qui convoite cet eldorado qu’est Jerusalem. Terre sainte qu’on aurait remplacée ici par le règne de la beauté, grâce naturelle chassant l’élégance bionique. Mais toutes les images, aussi prometteuses fussent-elles, s’annulent, autant dans leur velléité démonstrative que dans leur annihilation pure et simple : L’œil dégueulé / Elle Fanning dévorée, pour faire court.

     À ce titre je me demande si le NWR accolé au titre au début puis à la toute fin du film, post générique, est un hommage mégalo à Yves Saint Laurent (La tipo de l’acronyme NWR pour YSL est similaire) ou un clin d’œil cynique (Ce que le film semble être en permanence) d’une affligeante trivialité qui fait office de marque déposée. Il y avait une dualité symbolique dans Drive nettement plus subtile et aboutie, dans cette façon d’en faire un film de masques et d’y faire éclore un coup de foudre. Il y avait une naïveté, une croyance. Il ne reste maintenant que froideur et léthargie d’un photographe buriné, de mannequins applicatives, d’un directeur de casting ahuri ou d’un gérant de motel déséquilibré. Tout ça sous néons roses/bleus/violets, stroboscopes et ralentis impossibles, musique ininterrompue.

     On a beaucoup critiqué le Somewhere de Sofia Coppola pour le peu d’incarnation que sa relation père/fille (coincée dans le monde du cinéma) dégageait. Là, hormis s’astiquer sur des triangles renversés, des travellings de défilés, des ralentis sur des bouquets de fleurs ou toiles fleuries murales, je ne vois pas trop ce que le film souhaite dire de plus. Ou bien j’y vois le même cynisme rance que dans Bronson, proclamé par un type persuadé d’être le nouveau génie cubique. Les quelques séquences intéressantes sur le papier, comme le puma, le rêve (qui rappelle ouvertement une scène de L’Apollonide) ou les deux séances photo ne dégagent rien, ne débouchent sur rien. Le jeu autour de la nudité du personnage est évacué par un plan cou ; les apparitions de l’animal dans l’ombre, le couteau dans la gorge nocturne, sont offerts gratuitement.

     The Neon Demon m’agaçait déjà dans sa première scène pivot de la boite de nuit. L’idée que toute la séquence se déroule aux toilettes et non sur la piste c’est génial, sauf que dans ces toilettes les quatre filles sont positionnées comme des poupées russes, le cadre ne respire pas puisque tout doit se réfléchir dans les miroirs, les regards se croiser, les corps en masquer d’autres. C’est d’une telle lourdeur conceptuelle. Et narrative qui plus est : la reine et ses ouvrières. Il y aura plus loin un prolongement, on le sait.

     Plus débile et laid tu meurs. J’espérais un truc fou, hypnotique, quelque part entre Lynch et Argento, entre Mulholland drive et Suspiria – Auxquels, rapidement, on peut songer ci et là. J’ai eu le même rejet que devant L’étrange couleur des larmes de ton corps, la bouillie indigeste de Cattet et Forzani. Pour moi, le film échoue là où Under the skin avait réussi, dans la fascination procurée par ses enchainements et sa puissance esthétique, débarrassée d’une imagerie publicitaire convenue.

23/06/16 – Transformation démoniaque.

     Ça ne m’était pas arrivé depuis The tree of life. Sortir de la séance et me persuader que je déteste le film que je viens de voir. Ecrire dessus, sous le coup de la colère, méchamment. Puis y repenser chaque jour, jusqu’à être hanté deux semaines durant, et me programmer une nouvelle séance, contraint par l’obsession, pour que le film s’en aille ou qu’il reste mais qu’importe : y retourner dans le seul but d’évacuer ces contradictions.

     C’est plus dangereux pour The neon demon que ça ne l’était pour The tree of life, dans la mesure où ce dernier m’avait plus chamboulé qu’agacer et je ne l’avais pas accepté – Comme je n’avais au premier abord pas accepté Le nouveau monde, à l’époque de sa sortie, mais j’étais jeune. Et surtout parce que si ma relation avec Malick sent un peu le souffre aujourd’hui, celle que j’entretiens avec Refn est clairement impalpable. En gros, je n’avais pas d’attente particulière en allant voir The Neon Demon, ce qui n’était évidemment pas le cas pour The tree of life.

     Cela provient à mon sens d’une part de l’attente qu’on y a placé (Retrouver la flamboyance d’un Drive, probablement) et d’autre part de l’humeur qui guide l’instant de le rencontre : Etre bousculé comme jamais j’aurais pensé être bousculé. Fascination prise à revers par la répulsion. Sidération remplacée par l’aberration. La frontière est si mince. Mais elle est rarement aussi mince. Chacun à leur échelle, Malick et Refn auront par leur audace, déniché cela en moi.

     De nombreux facteurs entrent en compte dans ce changement de trajectoire (Certains diront retournement de veste) comme le fait d’en entendre énormément autour de soi, en bien comme en mal, mais surtout ce sentiment étrange que le film est partout, tellement omniprésent qu’il masque tout le reste. Tout ce que j’ai vu durant ces quinze jours semblait sans intérêt à côté de The Neon demon, que j’avais pourtant détesté, que je pensais oublier dans la seconde.

     Le fait d’avoir écouté beaucoup (Tous les jours ou presque) la (sublime) bande originale signée Cliff Martinez y joue sans doute énormément. Plus les jours passent, plus les images réapparaissent comme de violent flashs imbriqués avec majesté dans la mécanique stridente et grinçante de cet électro, qu’on distingue d’ailleurs entre mille. Plus les jours et donc les écoutes s’écoulent, plus je me demande si tous les reproches que je faisais à The demon demon, si tous les griefs avec lesquels je m’accordais ici ou là dans la presse, ne relevaient pas d’une bonne dose de mauvaise foi, au moins d’un mauvais procès, tant l’exercice, aussi stylisé soit-il, ne correspond finalement pas à ce qu’on s’attendait de voir ; à ce qu’on avait pris l’habitude de voir.

     Je pensais l’oublier illico. Mais chaque jour, le film revient dans un coin de ma tête, s’installe, comme un doux cauchemar, qui vient hanter nos nuits à plusieurs reprises. Une image ou un son ici. Une séquence là. Bref, il faut que j’y retourne.

25/06/16 – Retour en grâce.

     Mea culpa. Oubliez tout ce que j’ai dit, d’ailleurs je n’ai rien dit. C’est exceptionnel. S’il me reste un semblant de crédibilité après un tel écart perceptif, faites le moi savoir. Voilà quinze jours que The Neon Demon me hante. Ça s’est joué en plusieurs phases. D’abord un fort rejet, qui me semble dorénavant inexplicable, puis ce rejet s’est transformé, jour après jour, jusqu’à l’envie de revoir le film au point de ne plus avoir envie de voir autre chose. La claque prise hier me fascine autant qu’elle me terrifie : Comment est-il possible d’arriver à autant de contradictions ? Comment The Neon Demon est parvenu à me dévorer tout entier ? Je ne l’explique pas. Mais qu’importe finalement, ne compte que ce qui reste. Et si le chemin pour y arriver fut ô combien plus laborieux qu’avec n’importe quel autre film, je sais maintenant qu’il ne me quittera plus. Je pourrais y retourner aujourd’hui, demain, sans problème.

     C’est en fait une grande proposition de cinéma, référencée mais sans égal, enivrante, hypnotique et ça ne tient pas à grand-chose au sens où ça pourrait basculer d’un moment à l’autre du mauvais côté. De sa fragilité il en tire une puissance insondable. C’est un film aussi fragile que la jeune étoile qu’il met sur le devant de la scène, Elle Fanning, véritable incarnation, lumière sous les lumières, constellation dans le ciel de Los Angeles, majesté narcissique sur un plongeoir dont elle a fait son trône, statut glacée libérée, ensanglantée dans une piscine vide. Aussi fragile que ces mannequins obnubilés par la beauté juvénile. Aussi fragile que cette maquilleuse faisant l’amour à un cadavre. Aussi fragile que LA bâtie sur un désert. Il y a dans The Neon Demon des images, des visions, des apparitions, des convulsions et de véritables coups de hache formels qu’il est impossible d’oublier.

     Tout m’est très vite apparu limpide (tandis que ça m’avait semblé confus), gracieux (alors que j’avais trouvé ça laid) et cohérent dans chacun de ses partis pris formels. Dès la première séquence de shooting, en fait, beauté glacée extra-symétrique qui raconte déjà tout, à la fois le rêve de la célébrité que les forces perverses du faux et la proéminence de la mort – Jesse photographiée égorgée, dans une robe bleue métal et un décor aseptisé, quasi numérique saisie par des travellings avant/arrière automatique. Puis plus tard, dans les différentes rencontres opérées par la jeune femme, d’abord avec ce photographe amateur et amoureux discret (ce visage dur qui ouvre le film, derrière son objectif, alors qu’il semble ensuite être le seul qui puisse rattacher Jesse au réel, le seul qui lui dévoile ouvertement ses sentiments) puis ces mannequins bioniques repliées dans leur sophistication artificielle, puis cette maquilleuse bienveillante et dangereuse, le gérant du motel psychopathe, le photographe mutique, le golden boy tout droit sorti d’un livre de Bret Eston Ellis. Chaque nouvelle interaction annihile encore un peu plus l’innocence de Jesse et développe son pouvoir d’égocentrisme. Chaque personnage du système la dévore, à petit feu, symboliquement avant qu’elle ne se fasse dévorer littéralement.

     Et le film va transformer ainsi sa muse, qui au contact de ce monde nouveau, clinquant, démoniaque, accepte cette beauté qu’on lui prête jusqu’à s’embrasser elle-même dans une séquence de défilé abstraite d’une audace folle, se libère du réel (Dean, que le film aussi abandonne) pour s’enfoncer dans le faux, via notamment cette incroyable séance de shooting sur fond blanc, puis noir, aux trainées dorées. Plus tôt, il y avait ce premier show (la première incursion dans la nuit pour Jesse, invitée par Ruby) en boite de nuit, où Refn libère son héroïne, amusée et fascinée sous les stroboscopes. Et comme si cela ne suffisait pas, The Neon Demon se permet une autre folie, une dernière, hallucinante, celle de faire disparaître prématurément la clé de son récit et d’investir brutalement le giallo (Couteaux, ciseaux, bain de sang) vampirique (Ou cannibale) avant que la beauté naturelle dévorée ne reviennent prendre sa revanche et hanter ses hôtes anorexiques, rendant Gigi malade, qui n’a d’autre choix que de mourir en s’éventrant puis Sarah fantomatique s’enfonçant, tout de blouson de cuir vêtu (Relent de Drive ?) dans les méandres d’un désert infini.

     The Neon Demon c’est aussi une somme de regards, qui sont généralement tous posés sur Jesse. Des regards marquants. De celui du jeune photographe amoureux à celui de Ruby, ensanglantée dans sa baignoire. C’est le regard de la menace, de la fascination, du vide, de l’obsession. Le regard du démon, féroce mais hypnotique. Comme l’est celui de Jack, ce photographe au talent indiscutable à qui l’on ne refuse rien ; celui de Hank, ce gérant de motel qui n’inspire que la crainte et l’horreur (Un viol hors-champ) ; celui de Gigi qui voudrait devenir Jesse ; Celui de Sarah qui aimerait une dernière sortie. C’est le regard de la sorcière sur Blanche-Neige – Et ce n’est pas anodin si The Neon Demon est aussi un incroyable balai de miroirs. Fable horrifique mais fable quand même.

     C’est surtout un super film d’ambiance, qui se vit plus qu’il ne s’analyse. Abstrait ou clipesque, diaphane ou vide, il garde sa ligne, exclusif comme aucun autre film ne le sera à ce point cette année, prenant tous les risques qu’il souhaite prendre sans jamais se laisser distraire par les forces de l’académisme – Point d’orgue forcément atteint lors de cet étonnant virage dans le dernier quart. C’est un film explosif, en permanence. Qui rythme sa mise en scène autour d’un seul corps, plutôt un visage et n’en déroge jamais. Autour de ce « diamant dans un océan de verre » pour reprendre les termes du créateur.

     J’ai eu des mots très méchants envers le film, quand je n’y voyais qu’un pot-pourri de références mal assemblées. En fait, oui, je pense que The Neon Demon peut être vu comme le parfait trait d’union entre Mulholland drive et Suspiria voire entre Sunset boulevard et Maps to the stars ; Ou qu’il en est un petit frère d’un autre temps, d’un autre goût, une vision d’esthète, qu’on regarde comme on écoute un disque comme Nolan nous avait offert sa vision du voyage spatial dans Interstellar. The Neon Demon est un film terrassant, qui n’a pas fini de me hanter. Bref, j’ai vécu un mois de juin très étrange. Inexplicable.

Only god forgives – Nicolas Winding Refn – 2013

Only god forgives - Nicolas Winding Refn - 2013 dans Nicolas Winding Refn 41.-only-god-forgives-nicolas-winding-refn-2013-300x168Pas son genre.     

   2.0   C’est plus fort que moi, ce titre m’évoque Bettoun, Roger Hanin dans Le grand pardon, celui qui ne pardonne pas. Deux films très éloignés mais deux gros nanars. Il y a celui qui déclenche le rire malgré lui et celui qui nous l’interdit fondamentalement. Celui qui naïvement croit faire un Godfather à la française et celui, sûr de lui, qui se proclame comme étant le nouveau Jodorowski. Le mulet et le tyran.

     Il y avait souvent matière à jubiler chez Refn et cette impression de gratuité, de conscience de son vide et de son délire abscons, m’intéressait beaucoup. C’est ce que je ressens devant Valhalla rising, c’est pour moi ce qui le sauve. Et Refn sait créer une ambiance, non loin du mauvais goût certes, ce qui dénature son aspect séducteur. Mais Only god forgives est un film qui s’y croit, un film qui croit chambouler un genre, variant les plaisirs, entre polar sur-stylisé, complexe œdipien, dimension quasi métaphysique et fétichisme absolu du cadre.

     Refn fut le mec féroce (Bronson, loin d’être une réussite) avant d’être celui qui en a (Son film de viking Herzogien qui portait les stigmates de son cinéma bourrin) puis le mec cool (Drive, évidemment). Aujourd’hui, Refn se prend pour dieu. Les trois quarts des plans de son film boucherie s’amorcent sur un regard caméra, aux multiples significations, entre fureur et désespoir. Ce n’est plus que de l’auto caricature, là où Drive rejouait le plaisir du polar esthétique au ralenti et grimpait en jubilation. Caricature jusqu’au grossier non-jeu de Gosling, aux plaies béantes dans lesquelles dorénavant on plonge les mains, la couleur rouge omniprésente et la scène choc.

     Il n’y a plus de subtilité, plus de surprise et surtout plus aucune générosité dans l’accomplissement de ces séquences fortes. C’est un film agonisant et mécanique. En rupture de ton pour faire genre, ralentissant la dynamique de violence pour faire genre, avec des personnages ne desserrant presque jamais les dents exceptés pour la pose grimace, pour faire genre, encore. Le faire genre est probablement ce qu’il y a de plus ridicule au cinéma. Car en faisant genre on ne fait plus rien du tout, on n’est plus qu’artifice d’un genre, un corollaire ridicule.

Drive – Nicolas Winding Refn – 2011

Drive - Nicolas Winding Refn - 2011 dans Nicolas Winding Refn drive_jacket Wrong floor.

   8.0   La première séquence du film, pré-générique, est un modèle de mise en scène de course-poursuite non pas selon des critères traditionnels, et c’est là que se situe sa réussite, mais de manière tout à fait singulière, avec ces nombreuses cassures de rythme. Il ne s’agit pas d’avancer pied au planché à toute berzingue, mais de se faufiler, devenir invisible. Lorsque les deux malfrats que l’homme doit conduire montent dans l’Impala, on se dit qu’on n’est pas prêt de souffler ; j’attendais, au vu de cette attention mise en scénique des premières images et de l’aura que le film a dégagée de son passage cannois, un étirement majestueux de la course, une sorte de fusillade de Heat transposée dans la course-poursuite de bagnoles. L’Impala démarre, fait cent mètres puis avant un carrefour où roule une voiture de police, s’arrête derrière un semi-remorque, le long d’un trottoir, feux et moteur éteints en attendant que le chemin se dégage. J’étais scié. Une course-poursuite qui fait une pause au bout de trois secondes. En passant, cette séquence est un bijou en son entier. Pas une parole, simplement comme univers sonore, le bruit du moteur, une musique d’ambiance hypnotique reproduisant comme des battements de cœur et surtout l’utilisation d’une double radio : les commentaires d’une retransmission d’un match de baseball (qui semble se juxtaposer miraculeusement à la poursuite) et en parallèle la radio de la police qui s’occupe de l’Impala. On ne sortira jamais de cette voiture, Refn multipliera les plans, de coupe, gros plans, rétroviseur ou pare-brise pourtant on entend cette radio de la police si bien qu’on se demande si elle n’est pas dans la voiture, sur le même canal que le base-ball. Elle est bien présente puisqu’un plan du chauffeur avant la course le montre sortant une sorte de talkie de policier. Du coup, on sait absolument tout, même l’issue du match de base-ball – stade vers lequel roule d’ailleurs l’Impala – tout en restant dans la voiture. J’aime ce parti pris autant que son refus du naturalisme et du sensationnalisme. Jamais tape à l’œil, la course-poursuite qui est en réalité un jeu du chat et de la souris, adopte un rythme complètement nouveau. Cette première scène est tellement parfaite qu’on se demande comment le film va pouvoir s’en relever. Pourtant, même le générique qui s’enchaîne est une merveille !

     L’obsession du vrai et le tour de force ne sont de toute façon pas ce que recherche le cinéaste, en perpétuelle quête de l’exercice de style. Un exercice de style hype, c’est évident, qui navigue sur la corde-raide, entre maniement de l’absurde, de l’action et de l’histoire d’amour. Celle-ci serait d’ailleurs bien sirupeuse sans cet enrobage. J’aime ce jusqu’au-boutisme. Je l’aimais déjà dans Valhalla Rising. Je l’avais pourtant détesté dans Bronson. Cette ambition moins prétentieuse à mon goût que mégalo (le spectre Kubrickien rode) cachaient une suffisance et un cynisme exécrable dans ce film là qui m’avait profondément agacé tandis que j’étais rentré, non sans une crainte décuplée par l’ampleur du projet, corps et âme dans son film de viking. Match nul. Drive se devait d’être une confirmation, mais laquelle ? Confirmation que lorsque Refn se concentre sur l’image davantage que sur l’idée, force est de constater qu’il est meilleur. Drive devient film jouissif par excellence, dans lequel le cinéaste peut tout se permettre. J’ai marché du premier au dernier plan. La mise en scène colle à ce personnage, sait enrober ce climat de rêve (ambiance ralentie, présence spectrale de Carey Mulligan) à une imagerie pop (l’utilisation musicale) tout en incarnant cette minutie millimétrée, ce calcul quotidien. Le film ne bascule d’ailleurs pas dans une survie à la Essential killing mais dans un déferlement de violence mécanique, le même que l’on peut trouver régulièrement chez les Coen ou dans le Terminator de Cameron. Une machine enraillée. Une impassibilité extrême transformée en pulsions animales protectrices compulsives.

     Drive réussit l’exploit d’être un film attendu, dans le sens où l’on sait où il nous emmène, dans les grandes lignes il reste un polar classique, tout en se révélant surprenant dans la manière. Lié l’attendu à l’inouï. La séquence emblématique est bien entendu celle de l’ascenseur d’où l’on sait qu’ils n’en sortiront pas comme ils y sont entrés mais dont on aurait guère imaginé cette issue. Refn tente et réussit quelque chose d’assez incroyable, climax de son histoire d’amour et apogée de ce déluge de violence enfouie, tout cela en trente secondes. Utilisation de ralentis, cadrages en lumière tamisée, baiser langoureux suivi d’un défonçage de cervelle pur et simple que Gaspar Noé, et son extincteur dans la scène de son film le plus célèbre, doit admirer. Le croisement de regard qui s’ensuit est un truc absolument dément. Le regard de Gosling joue d’ailleurs beaucoup dans ce film, à la fois inexpressif et inquiétant. Ce nouveau regard semble être celui d’une bête qu’on a réveillée. Mais c’est celui de Carey Mulligan que l’on retient essentiellement de cette scène, qui se rend compte en une fraction de seconde que ce type là, qu’elle prenait pour un nounours silencieux et maladroit est un dingue bien plus dangereux que son taulard de mari. Il y a une idée géniale à la fin de cette scène c’est le scorpion sur le bombers de Gosling qu’on a l’impression de sentir respirer à sa place, témoignant de la naissance de la bête. Et le film regorge ainsi de moments sublimes qui ne sont jamais des instants de bravoure comme dans un film d’action hollywoodien basique, mais des éclats de magie de pure mise en scène hypnotique. Il suffit là de n’en citer qu’une seule autre : celle de la plage.

     Ces dernières années, les films de loups solitaires réussis – dont je suis absolument friand à en perdre toute objectivité – nous emmenaient aux côtés de tueurs accomplis dès le commencement du film. Et quand bien même c’est souvent le cas – revoir Le solitaire de Mann en 1981 ou Le samouraï de Melville en 1967. Il y avait le magnifiquement hypnotique film de Jarmusch il y a deux ans : The limits of control. Collatéral un peu plus tôt. Le guerrier silencieux ou The american l’an dernier. Mais il n’y avait chaque fois pas de réelle mutation et si le déchaînement surprenait par sa force (le Mann principalement) il ne paraissait pas spécialement inattendu et disproportionné, comme c’est le cas dans Drive. Car cet homme qui paraît avant tout malléable et inoffensif même s’il dégage l’impression de ne faire aucune erreur, d’être invulnérable lorsqu’il tient un volant entre les mains, se révèle être finalement un dangereux psychopathe. Ryan Gosling, blondinet à la gueule d’ange, devient l’incarnation de cette froideur impassible puis destructrice, personnage mutique, benêt, qui se révèle amoureux transi mais dont on ignore longtemps la rage qui sommeille en lui.

     Cette double lecture du héros silencieux / bad guy apparaît à de multiples reprises dans la mise en scène du cinéaste, non pas dans une symbolique bas de gamme (miroirs, reflets, etc.) mais selon un procédé un peu fou comme lors de ces doubles séquences post-générique quand on le découvre dans son boulot diurne. Premièrement, il nous apparaît avant tout en costume de policier, scène qui fait rire la salle bien entendu puisqu’on vient de le voir réussir à les semer avec son Impala grise. Costume que l’on découvre être son déguisement pour la scène qu’il tourne en tant que cascadeur dans un film. Juste après, dans le même registre, il y a ce plan très étrange où l’on distingue le visage d’un homme rasé, sans doute le véritable acteur, que le plan en travelling remplace comme un tour de magie par celui du cascadeur prêt à enfiler le masque. Drive devient alors film de masques. Masque qui cache le visage et surtout la véritable identité. Drive me rappelle Point Break à plusieurs reprises. A la différence que dans l’un c’est essentiellement une amitié qui va éclater, ici Refn ne démord pas de ce coup de foudre en silence et il a raison car c’est sublime. C’est l’adéquation qui est sublime. Le film accentue chaque fois l’idée de la doublure, jusqu’à cette scène pivot où par simple coup de main au mari de sa nouvelle amie, l’homme au volant découvre qu’il s’est fait doubler. Où jusqu’à ce simple regard de la scène de l’ascenseur, ce regard de la jeune femme qui est le même que celui du jeune flic du film de Kathryn Bigelow, le regard de la désillusion, lorsqu’il se rend compte que ses amis surfeurs sont les braqueurs qu’il recherche.

     Dans la deuxième partie du film on a cette impression d’être aiguillé vers un autre film, un film coréen. The murderer n’est pas loin. Ces belles échappées délicates du début, comme la scène magnifique des égouts pluviaux de L.A. avec le sensuel morceau pop de College, ont complètement disparus. Le film ne devient pas plus sombre pour autant. Il était autant diurne que nocturne et ça ne changera pas – la fin m’a d’ailleurs beaucoup fait penser à celle de No country for old men, règlement de compte en plein jour dans un endroit tout à fait public. Mais une rage nouvelle fait son apparition et quelques accès de violences sont d’une puissance quasi insoutenables. Il y a une scène de shotgun qui m’a littéralement tétanisé. D’ailleurs, s’ensuit ce premier carnage un visage de Gosling tuméfié par les éclats sanguins, qui attend, silencieux le long d’une porte avant d’en disparaître lentement derrière jusqu’à ce qu’on ne voie plus rien de lui. J’avais rarement vu un regard et un déplacement humain aussi animal et terrifiant.

     Le Los Angeles chez Refn rappelle énormément celui de Friedkin de To live and die in L.A. Sans compter que ce magnifique générique, écritures en lettres roses et musique de Kavinsky très eighties, donne l’impression de se replonger dans un film des années 80. Du coup, on ne sait pas vraiment si le cinéaste recherche ou non à faire un film hommage, tout est à l’image de cette absence de symbolique, comme si l’on avait vidé de sa substance les canons du genre pour en injecter une nouvelle dans un même moule. On a l’impression de connaître Drive mais l’instant d’après on ne le connaît plus. J’aime la sensation que le personnage soit le prolongement de sa carrosserie, comme dans Crash de Cronenberg, dans une version moins érotisée que fusionnelle, qu’il ne fasse qu’un avec le véhicule, que ce soit sa carapace, que tout ce qui gravite autour n’appartienne pas à son réel à lui. Dans un premier temps tout du moins. D’abord réglé comme une horloge (les fameuses cinq minutes sont chronométrées, ce ne sont pas des paroles en l’air), sorte de Jeanne Dielman sur le bitume, cet esprit déraille d’un seul coup, dans la disproportion, jusqu’à (l’auto)destruction. Le personnage semble invulnérable dans sa voiture qui est comme son bouclier. Il n’est pas à son aise quand il n’est plus dedans – scène terrifiante de la boite à strip-tease, où il adopte une posture étrange, le poing serré sur un marteau, tremble, transpire, première fois qu’on le voit dans cet état. Cette rencontre amoureuse, fenêtre ouverte sur le monde, sa beauté, ses dangers, le conduit à sa perte, disons plutôt à la perte de ses repères inamovibles. Ce personnage n’est jamais aussi fort que lorsqu’il est au volant d’Une voiture – Je tiens à appuyer sur l’article car contrairement à de nombreux autres films de bagnoles il y en a aucune d’attitrée ici, tout engin à quatre roues semble convenir, il n’y a pas de culte du modèle. La voiture en général le rend invincible. C’est d’ailleurs dedans qu’il se permet de séduire sa jeune voisine. C’est dans cette voiture qu’à la fin du film il renaît.

     Le film ne dit à mon sens rien de plus que ça. Il est donc compréhensible que l’on n’y voit qu’une coquille vide. Mais une coquille vide aussi jouissive moi j’en verrais bien une par semaine.

Valhalla Rising – Nicolas Winding Refn – 2010

Valhalla Rising - Nicolas Winding Refn - 2010 dans Nicolas Winding Refn 19278241

Vikings.     

   7.0   J’ai volontairement oublié d’écrire le titre français, n’arrivant pas à la cheville de l’original d’une part et correspondant d’autre part au titre de l’une des parties du film, the silent warrior. A première vue, il y a quasiment tout ce que je peux détester dans Valhalla Rising. Déjà le film se divise en parties. Six au total. Heureusement on ne le sait pas avant. Je crois avoir horreur de ce procédé, surtout quand il guide un récit au vide abyssal, c’est le cas ici. Puis il y a autre chose qui me débecte c’est le travail sur le son. On est loin d’une nature filmée à la Malick où celle-ci couvrirait les bruits humains. Non au lieu de cela, le son est davantage accentué lors des batailles, aussi brèves soient-elles, lorsque le glaive entre et sort de la chair. On se croirait dans Apocalypto de Gibson. Des corps noyés dans la boue, des visages tuméfiés, du sang devenus noirâtre, les gros plans, aussi bref soient-ils eux aussi, sont explicites. C’est barbare. Comme l’était Bronson, son précédent film. Sans compter une utilisation lourdingue de l’insert choquante, entièrement rouge et accompagnée de bruits stridents je peux enfin dire qu’en lisant cela, j’ai juste envie de vomir tout ce que j’ai mangé depuis ma naissance.

     Et pourtant ! C’est ce jusqu’au-boutisme qui peu à peu est venu me cueillir. Le mec a une idée en tête et il y va à fond. On pourrait alors dire : Oui mais Bronson c’était un peu pareil. Je suis d’accord. Sauf que Bronson j’étouffe, je prends tout dans la gueule, la photo est hideuse et le film m’avait vraiment insupporté, l’acteur aussi. Les personnages de Valhalla Rising ne sont pas intéressants. Mais ils ne sont justement pas insupportables. Ce ne sont que des concepts, jusqu’à l’enfant errant, suiveur, guide et voix, tout droit sorti de chez Tarkovski. Et c’est peut-être ça qu’il me fallait : me sentir loin de cette expérience, y observer des situations absurdes, des personnages improbables. Quelque part j’ai beaucoup pensé à Herzog et son chef d’œuvre, Aguirre la colère de dieu. Même sentiment lointain et pourtant, même sensation de flottement. Bon, après, Herzog disait plein de choses par ce personnage fou, en pleine mégalomanie coloniale, dans cette solitude éternelle et cette fin presque cosmique. La dernière demi-heure de Valhalla Rising évoque Aguirre, c’est évident. Quelque part il y a aussi cette dimension cosmique ici. La descente d’un fleuve dans une coquille de noix. Six vikings assaillis par des flèches de tireurs que l’on ne verra jamais, simplement la forêt, les feuillages à perte de vue. Les deux dernières parties dans le film se nomment Hell et The sacrifice. Excepté la présence de l’enfant, il y aussi quelque chose dans ce dernier titre et l’esthétique du film en général qui renvoie au géant cinéaste russe. J’assume complètement ce que je viens de dire. A la différence qu’ici on ne travaille pas la durée du plan, c’est probablement mon seul regret. Mais certaines images sont remarquables. Il y a une profondeur de champ que Bronson n’avait jamais. Une profondeur qui laisse apparaître des fleuves qui sillonneraient les vallées vertes sur des kilomètres. Il y a un truc dingue tout de même c’est l’absurdité de ce voyage et l’ironie du quatrième tableau : Terre sainte. A la recherche de Jérusalem, l’équipage s’égare dans la brume et accoste en terres américaines primitives. Refn ne donne aucune date ni situation géographique. On se perd dans cette brume avec des personnages qui ne tarderont pas tous à périr avec cette croix levée qu’ils imaginaient protectrice. Dans ces deux dernières parties, Refn tente un truc. Jusqu’au-boutiste, je vous le disais. Son film était déjà ultra silencieux, il devient limite expérimentalo-muet avec l’apparition d’une musique noisy qui ne m’avait pas paru aussi bien choisie – comme musique d’ambiance se fondant dans l’image – depuis le dernier Jarmusch, The limits of control. J’achève le flot de références en citant Kubrick car c’est assez évident, je dirais même que ça saute à la gueule et pas simplement pour son dernier plan : Refn a voulu faire son 2001 !

     Voilà, je ne pense pas que ce soit un bon film, non, enfin je ne sais pas, je crois même qu’il entrerait dans la catégorie des films que j’ai honte d’aimer. Mais bon, c’est con à dire, j’ai pris mon pied. Je crois surtout que ce que j’aime c’est que le film ne raconte absolument rien – Mais il est dans son sujet, le personnage ne parlant pas, ne pensant pas, n’ayant pour ainsi dire aucune émotion. Je dirais même que le cinéaste a cette prétention à filmer le vide en pensant que la technique, seule, peut faire un chef d’œuvre. Tout l’inverse de Bronson. Oui, rarement j’ai vu un film aussi prétentieux, aussi suffisant et j’aime l’idée que le type soit allé au bout de sa démarche. En fin de compte je crois que j’aurais adoré le même film mais entièrement silencieux. Sans aucun dialogue. Après, qu’il fasse joujou avec ses sons comme un gros bourrin qu’il est, ne me dérange pas tellement. Qu’il fasse le tout en musique (que certains qualifierait d’inaudible, c’est ce que j’ai entendu en sortant de la salle) ne me dérange pas non plus. Ce ne sont pas des partis pris que j’affectionne mais disons que sur ce que j’en attendais je trouve cela déjà épatant. 


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