Archives pour la catégorie Patricia Mazuy

La prisonnière de Bordeaux – Patricia Mazuy – 2024

08. La prisonnière de Bordeaux - Patricia Mazuy - 2024Sans cérémonie.

   3.0   Alma habite une grande bâtisse en ville, seule avec sa domestique. Mina est mère de deux enfants, vit en banlieue lointaine et travaille dans un pressing. Elles se croisent toutes deux en prison lorsqu’elles rendent visite à leur conjoint. Alma propose à Mina de l’héberger. Une relation naît, une sorte de complicité rivale inattendue, une amitié contrariée.

     Quasi tout trouvé insupportable là-dedans. Au sortir de la séance, je ne comprenais pas comment la réalisatrice du sublime Travolta et moi ou Paul Sanchez est revenu avait pu faire un film aussi nul, lourd et daté, avec un matériau coécrit avec Bégaudeau, pourtant. Et puis je me suis rappelé de Sports de fille (ce machin insupportable avec Marina Hands). Bref Mazuy et moi c’est OUI ou NON. Avec Bowling Saturne entre les deux, je dirais, mais penchant tout de même du bon côté. Là c’est clairement NON.

     Isabelle Huppert m’a constamment semblé à côté en dominante généreuse. Hafsia Herzi en permanence à se demander ce qu’elle foutait là dans ce rôle d’opportuniste asservie. On comprend vite où Mazuy veut en venir dans ce double portrait chevauché : qu’importe ce qu’on bouscule, il y aura toujours un déséquilibre social, une opposition de désirs, un conflit d’émancipations. Passionnant oui. Mais cinématographiquement c’est le néant. Un Chabrol sous Prozac. J’étais malgré tout ravi de revoir Magne-Håvard Brekke (magnifique chez Mia Hansen-Løve dans Un amour de jeunesse ou Le père de mes enfants).

Bowling Saturne – Patricia Mazuy – 2022

?????????????????????????????????Le mâle des maudits.

   7.0   Plus que cet appétit évident pour le film noir ou le film d’enquête ou cette tragédie fraternelle, contaminés par le poids violent d’un père désormais mort, c’est l’ambiance du film qui m’a en premier lieu emporté, perturbé, angoissé, cette bichromie rouge et noir, cet étouffant bowling en sous-sol – si suffocant que lorsqu’on en sort, on semble débarqué dans une ruelle, sous un pont – et cette atmosphère de chasse, appartement de chasseur, matériels de chasseur, trophées de chasse (un décor néocolonial archi flippant, je rentre jamais là-dedans) chien de chasse, fils de chasseur, association de chasseurs, militante anti-chasse, qui fait que c’est absolument partout, terrifiant comme dans La traque, de Serge Leroy.

     Cette angoisse culminera dans une séquence collective de réunion annuelle des chasseurs avec projections de films amateurs sur leurs safaris sanglants et mises à mort de crocodile et de lion. Terrifiante vision d’horreur que je ne suis pas prêt d’oublier d’autant qu’elle est vécue à travers le regard de ce garçon, qui parait aussi terrifié que nous, alors qu’on le voyait tuer une femme, sauvagement et impunément quelques temps plus tôt.

     Bowling Saturne est un film très étrange, coupé en deux, deux regards, puisqu’il s’intéresse plus à un frère qu’à l’autre suivant la partie, et que si la première constitue un crescendo assez déstabilisant vers une violence qu’on ne voit pas venir (un truc insoutenable, vraiment) la seconde est paradoxalement plus linéaire et impénétrable. Le film est bizarre jusque dans ses moindres recoins, jusque dans son point de départ (la mort d’un père, l’héritage d’un bowling), jusque dans sa construction (déployé autour de cette ellipse d’un mois), jusque sur le visage d’Achille Reggiani (fils de la cinéaste) véritable révélation terrifiante, jusque dans ce prénom que le garçon, pourtant clairement le plus rejeté des deux, partage avec le père.

     Pas facile d’être ému par la trajectoire de ses deux frères, Armand & Guillaume, volontiers antipathiques, mais une fascination pointe plus le film avance, déployant une douleur sourde – incroyable scène sur la tombe du père, avec cette racine récalcitrante que Guillaume s’entête d’arracher – et une démence prédatrice mais aussi dans ces morceaux de décors inquiétants (ce tuyau de gravats) et un cauchemar si tenace qu’on attend à la fois tout et plus rien, tant le film nous a liquéfié deux heures durant, avec un meurtre au mitan, qui crée un vertige qui n’est pas sans rappeler celui de Psychose.  

     J’aurais adoré faire l’expérience de ce film en salle. Ou pas du tout, tant il me met affreusement mal à l’aise en permanence. Mais j’aime l’idée du film gravitant autour d’un lieu, qui semble pas mal animer Mazuy, ici avec le bowling, dans Paul Sanchez avec le rocher de Roquebrune. C’est un pur film d’horreur, mais sans l’attirail parfois jubilatoire du genre. Il ne reste qu’une masse sombre, cauchemardesque, quasi postapocalyptique, en somme.

     Et j’aime l’idée que le film ne bascule jamais dans une psychologie attendue : ces deux frères ont un passé, une blessure, il y a probablement le poids du père, l’absence de la mère, mais on ne saura rien de plus que ce que nous offrent ce bowling, cet appartement et le comportement pas si éloigné de ces deux frangins, héritier et bâtard, à priori aux antipodes. Cette retrouvaille malade, qui n’engendre qu’une sauvagerie absurde repliée sur elle-même (un garçon tue quand son frère découvre les cadavres) se marie habilement avec l’atmosphère du film, lugubre étalage de virilité et de violence, cadenassées ou explosives.

Paul Sanchez est revenu ! – Patricia Mazuy – 2018

22. Paul Sanchez est revenu ! - Patricia Mazuy - 2018Je fuis donc je suis.

   8.0   Difficile de parler du film sans dévoiler les trajectoires et motivations de son personnage et donc sa véritable identité. Et en disant cela on en a déjà trop dit. J’ai à ce jour vu trois films de Patricia Mazuy et j’aurais tendance à dire que c’est son plus beau, à égalité avec Travolta & moi, qui m’a laissé une trace indélébile – Je pense à ce film chaque jour ou presque depuis que je l’ai découvert il y a deux ans. Pas sûr que Paul Sanchez est revenu ! s’installe autant dans ma tête, on verra. En attendant, c’est une petite claque, inattendue. Quelle belle proposition de cinéma quoiqu’il en soit. Surtout, le film trouve un équilibre improbable entre le nihilisme de son (anti)héros et la bienveillance quasi-totale avec laquelle Mazuy filme chacun de ses personnages.

     Je n’ai pas le souvenir au cinéma d’une boulangerie et d’une patinoire filmées avec autant de passion, amour et cruauté que dans Travolta & moi. C’est d’autant plus beau que ce sont à priori deux espaces bien distincts, même plutôt très distincts, qui révèlent forcément de la nature du personnage principal, de son évolution, son glissement et pourtant c’est filmé par Mazuy, on reconnaît sa patte, au milieu des viennoiseries ou sur la glace, comme on la reconnaît aussi dans les différents lieux qu’elle filme dans Paul Sanchez. Et ça ne tient pas à grand-chose car on est loin d’avoir affaire à une cinéaste de l’épate. Mais c’est un cinéma avec une forte personnalité. Qu’on accepte ou qu’on rejette. J’avais détesté Sport de fillesPaul Sanchez est revenu ! n’a strictement rien à voir avec Sport de filles, à mon avis. C’est un film complètement fou, qui évoque plein d’univers mais qui ne ressemble qu’à lui-même. C’est drôle puis terrassant l’instant suivant.

     On va d’abord passer un peu de temps dans un commissariat. Aux côtés de la jeune Marion qui se retrouve sur une affaire pas vraiment excitante après que son commandant lui ait interdit de s’intéresser au scoop nocturne qui aurait vu Johnny Depp se faire arrêter dans le coin pour fellation au volant de sa voiture de sport. Sauf que cette affaire de mœurs avec le héros de Pirates des caraïbes est aussitôt balayée par l’évocation d’un nom sorti d’outre-tombe, qui s’il n’évoque rien pour nous, semble cristalliser toutes les angoisses du patelin : Paul Sanchez. S’il ne nous dit rien c’est qu’en réalité, Mazuy s’inspire de Xavier Dupont de Ligonnès pour son personnage de Paul Sanchez et lui écrira une histoire similaire à savoir qu’il est un père de famille ayant assassiné sa femme et ses enfants avant de s’évaporer. On part d’un truc absurde et loufoque pour arriver sur un terrain plus fragile, plus lourd.

     Il y a quelque chose d’en apparence hirsute dans ce mélange des formes et des genres qu’en propose la réalisatrice. L’impression d’une part de plonger dans un téléfilm très français, dans une enquête menée par une jeune femme fonceuse autant qu’elle est un peu maladroite, plus humaine que la norme humaine de l’enquêtrice de base – C’est Tintin qui rencontre le Commissaire Marleau, en gros. Mais déjà il y a cet étrange commissariat et ces étranges personnages qu’il abrite, échappés d’un Guiraudie voire des Gendarmes de Jean Girault. Pire, le temps passé aux crochets du chassé offre au film des airs de western puisqu’on l’accompagne en bordure de nationale jusque sur le Rocher de Roquebrune, d’un rouge étourdissant. Paul Sanchez c’est ce hors-la-loi légendaire qu’on rêve d’attraper mort ou vif si l’on en croit les dires de la police locale de Roquebrune-sur-Argens.

     Il y a une vraie dissonance. Justement parce qu’on est à la lisière d’un épisode de Corinne Touzet (la presse n’a d’ailleurs pas manqué de pointer du doigt l’objet comme un revival de téléfilm policier) mais que par d’infimes décalages et une mise en scène qui colle parfaitement à ce décalage, le film devient complètement fou, bizarre, à la fois anachronique et dans l’air du temps. Après c’est vrai que la musique (géniale) de John Cale joue beaucoup dans sa volonté d’imposer son décalage. Ce serait mon seul reproche au film je crois : le décalage musicale est trop marqué. Quand bien même, quelle superbe partition, loufoque et flippante. C’est tellement rare d’avoir une musique originale aussi originale justement dans le « cinéma de genre » en France. Ne boudons pas.

     Un moment donné, il faut y aller, tant pis pour les spoiler. J’ai adoré être trimbalé dans tous les sens dans cet univers nettement plus retors que ce qu’il laisse paraître de domestique, confortable. Habituellement, c’est un parti pris qui peut me gêner (le côté fabriqué, malin) mais là pas du tout. Prenons par exemple le moment où Laffitte brule ses papiers d’identités. Ce n’est pas une fausse piste : Didier Gérard brûle vraiment ses papiers d’identités. Sauf que c’est amené de façon à ce que l’on croit que Paul Sanchez brûle ses propres papiers, ceux de sa nouvelle identité, celle qui lui a permis de ne plus être Paul Sanchez depuis dix ans. Mazuy installe un doute. C’est un doute qui relève de la croyance : Sommes-nous prêt à penser qu’il s’agit de Paul Sanchez malgré ce doute ? Moi j’y ai cru. Et c’est d’autant plus beau qu’il est Paul Sanchez. A sa manière. Car « On est tous Paul Sanchez ». Ce personnage-là, Didier Gérard (quel personnage somptueux, tragique, lucide, dur) raconte tout de la vision qu’à Mazuy du monde et du cinéma il me semble.

     J’ai beaucoup pensé au « nouveau cinéma de Bruno Dumont » devant Paul Sanchez est revenu ! et je me disais que Mazuy réussissait tout ce que lui ratait. J’ai beaucoup ri devant Paul Sanchez, notamment avec le personnage du commandant, mais aussi avec des à-côtés plus discrets, avec la rencontre Hanrot/Laffitte, les mensonges qui s’annulent, le fusil, la voiture, le hamac, la pom-potes… Enfin bref je ris avec le film constamment, il me semble alors que chez Dumont, je ris contre lui, je ris de malaise. Pour moi, tous les personnages du Mazuy sont très beaux mais justement ils ne sont pas tirés à fond dans l’absurde. Et puis la gendarmerie n’est pas rabaissée. Ou alors ça revient à dire qu’elle est rabaissée aussi dans Le roi de l’évasion. Mazuy et Guiraudie filment les flics de la même manière. Le Gign est naze ça oui, mais ça rejoins l’idée que Mazuy n’est pas du côté des puissants. C’est trop facile chez Dumont de jouer sur un pseudo gag de glycine, un duo de Dupont ou avec les tripailles d’une famille de paysans. Chez Mazuy c’est pas si absurde, parfois même hyper flippant, mais du coup c’est d’autant plus absurde. Par exemple, le personnage de la femme de Didier Gérard, je l’ai trouvé bouleversant, elle transporte une douleur terrible.

     C’est un film qui donne envie de devenir gendarme. Comme Guiraudie donne envie d’être pd. Je plaisante qu’à moitié bien sûr, c’est vraiment le regard humain qui me plait dans les films de ces cinéastes, le petit décalage que chacun arbore, leur propre personnalité plus ou moins fantasque. Je cite beaucoup Guiraudie car il me semble qu’il y a une vraie parenté mais on pourrait tout aussi bien pensé à Twin Peaks. Franchement, y a tout un tas de personnages du Mazuy qu’on ne serait pas gêné de croiser chez Lynch. Mais la grande réussite du film, je pense, c’est d’en avoir fait à la fois une franche comédie insolite et un drame universel terrible. Une histoire d’équilibre, en somme. Et cette fin est incroyable : il faut oser pondre un dernier plan pareil, dans un train, avec un tel regard en fuite, en quête de liberté, en totale contradiction avec ce que le cinéma réserve habituellement aux héros.

Travolta et moi – Patricia Mazuy – 1994

42La boulangère de Chalons.

   8.0   Au même titre que US Go Home, de Claire Denis et contrairement à L’eau froide, d’Olivier Assayas (sorti en format court sous le titre « La page blanche ») Travolta et moi n’a pas eu les honneurs d’une rallonge et d’une sortie salle. Il est resté l’un des téléfilms commandés par Arte pour sa collection « Tous les garçons et les filles de leur âge » dans laquelle on retrouve outre les films de Claire Denis & Olivier Assayas (Les trois seuls de la série que j’ai vu à ce jour) des réalisations de Téchiné et Akerman, entre autre.

     Travolta et moi suit une adolescente contrainte par ses parents (absents pour un week-end de congrès) de garder et d’assurer l’ouverture de la boulangerie familiale tandis qu’elle devait préalablement se rendre à une boum et rejoindre un garçon rencontré dans le bus qui l’emmenait au lycée – La première séquence du film. Le film se déroule en 1978 à Chalons sur Marne. Christine est fan de Travolta depuis la sortie de La fièvre du samedi soir. Tous les autres garçons sont des ringards. Nicolas, lui, lit Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche.

     Patricia Mazuy (dont j’avais relativement détesté son récent Sport de filles) filme quasi tout en gros plans, resserre la moindre séquence pour accentuer le côté écorché et instinctif afin de se mettre au même niveau que son héroïne. Ça m’a beaucoup rappelé La fille seule, de Benoît Jacquot. Elle crée d’abord un sentiment d’urgence dans cette boulangerie, entre le ballet des viennoiseries et les entrées à répétition des clients qui s’inquiètent de ne pas voir leur couple de boulangers habituels. On sent le poids des heures qui défilent et l’impossibilité pour Christine de s’extraire des obligations qu’on lui a octroyé contre son gré.

     Christine a la tête ailleurs, à Travolta (elle passe la bande originale du film en boucle) mais surtout à Nicolas, ce garçon pas comme les autres, ainsi qu’à cette foutue boum qu’elle va irrémédiablement manquer. C’est très beau. La seconde partie du film quand elle a enfin dynamité, littéralement, le magasin prison, s’ancre dans un tout autre décor : Une patinoire. Et délivre des moments de rêverie sidérants, à l’image de cette danse avec Igor, un patineur plus professionnel que dragueur, avec lequel elle semble avoir un peu oublié celui qu’il l’a provisoirement mise de côté.

     On stagne dans un registre cruel – Celui du monde adolescent en général – renforcé par une fin au jusqu’au-boutiste tragique, pourtant une certaine douceur se dégage de l’ensemble du film, s’incarnant dans de simples regards ou des rapprochements impulsifs un peu hasardeux. Il y a quelque chose d’un peu trop informe et épileptique, accompagné par des choix musicaux hétéroclites (Bee Gees, The Clash, Polnareff) mais c’est un bien beau film sur l’adolescence, ses tourments incompréhensibles, ses virages brusques, sa cruauté maladive et son insolence.


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silencio


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