Archives pour la catégorie Paul Haggis

Collision (Crash) – Paul Haggis – 2005

33. Collision - Crash - Paul Haggis - 2005Seuls les anges ont des zèles.

   8.5   Dans Elephant, d’Alan Clarke, le procédé s’en tenait à une séquence (c’était même un plan séquence) pour un meurtre. Dans Collision c’est une scène pour un affrontement social et/ou racial. Loin de moi l’idée de comparer les deux films, encore moins les deux auteurs, toutefois il y a volontairement dans ce large portrait (de Belfast chez l’un, de Los Angeles chez l’autre) une imposante donnée conceptuelle qui puise dans la mélodie de la répétition plus que dans la puissance du réalisme : Il s’agit de brouiller les à priori face aux bourreaux et aux victimes, montrer les dommages collatéraux d’une guerre aussi transparente qu’abstraite, civile, chez Clarke et raciale, dans Collision.  

     Le film s’ouvre sur une scène d’accident (On ne le voit pas, il vient de se produire) mais déjà quelque chose cloche : Il semble que ce soit des flics qui aient eu cet accident, en débarquant sur une scène de crime. On entre ici par le trouble. Collision semble d’abord citer Mulholland drive, par le lieu dans lequel il nous convie, nous plonge, cet accident en ouverture et ces flics, sur une scène de crime, qui parlent de la météo. Par ce climat absurde de manière générale, disons. Mais c’est pour mieux l’oublier ensuite et plutôt virer du côté de Traffic ou Magnolia. Pas de pluie de grenouilles en point d’orgue ici, mais la neige, véritable providence.

     Et c’est là-dessus qu’Haggis s’impose : Le film a tout pour nous cloitrer dans notre déprime, mais sa cruauté est contrebalancée par une douce absurdité, sa noirceur compensée par des miracles. C’est un mélodrame déguisé en feel good movie et c’est suffisamment rare pour être souligné. Un film qui s’ouvre sur la découverte d’un corps et se ferme sur un incident de carrefour. C’est aussi ce risque-là qui surprend : Choisir de faire intervenir le climax pas du tout quand on le croit. Car Collision est un film volontiers manipulateur, hyper affecté, il faut apprendre à l’accepter. Disons que pendant quarante-cinq minutes, il n’y a plus une scène, même en apparence anodine, qui n’accouche pas sur un affrontement. Le film annonce la couleur d’emblée et tiendra sa ligne.

     Et pourtant il y a des trouées, des accalmies merveilleuses. La plus belle lorsque ce serrurier rentre pour coucher sa fille et la découvrant pétrifiée sous son lit – réverbération d’un coup de feu qui lui rappelle un mauvais souvenir de leur quartier précédent – lui offre un manteau invisible qui la protège contre les balles, en lui disant qu’elle devra le léguer à son enfant à son tour, plus tard. Il y a aussi ce flic antipathique qui accompagne consciencieusement son père aux toilettes, la nuit, quand celui-ci souffre atrocement d’une infection urinaire. Ou cet autre flic qui passe du temps avec sa maman qui ne fait que lui demander des nouvelles de son autre fils. Dans ces moments-là, qui ne sont pas anodins, le récit semble pourtant suspendu.

     Le film se pare de jolis fondus enchaînés visant à rapprocher chacun de nos personnages qui pour la plupart ne se rencontreront jamais. Un qui claque une porte d’un côté et qui semble en réveiller un autre de l’autre côté. Ou plus simplement une porte ouverte par l’un, refermé par l’autre. Il y a des échos un peu partout, des passerelles entre chacun, à l’image de celle plus cruelle du petit totem de tableau de bord arboré par deux d’entre eux. Si la narration semble si lâche en apparence, elle s’avère in fine très sophistiquée dans sa façon de tout faire se chevaucher. Il faut d’abord entrainer chacun sur la pente du conflit pour qu’il y ait rédemption ou embryon de rédemption. Qu’un miracle se crée ici en rapprochant la victime et son agresseur ou qu’au contraire le crime touche celui qu’on n’attendait pas.

      Si au départ le message semble grossier, martelé, beaucoup trop fabriqué (avec cette suite de remarques et injures racistes où l’interlocuteur est systématiquement jugé sur sa couleur, son origine ou son accent) il finit par s’affuter, se noyer dans le quotidien et l’extraordinaire. Tout simplement, le concept est gagné par l’émotion et le fait que ces personnages (Il faut signaler que le film est doté d’une tripotée de comédiens absolument étincelants) bien qu’ils soient au préalable de pures caricatures d’une Amérique meurtrie, retroussée derrière ses peurs, existent bel et bien, nous touchent bel et bien. Et finissent par eux-mêmes voir la beauté, le miracle, au sens pur quand Cameron, le cinéaste « violé » observe une voiture bruler sous les flocons de neige et appelle sa femme pour lui dire qu’il l’aime ; ou quand Farhad, l’épicier « volé » est persuadé d’avoir été sauvé par un ange gardien.

      Les séquences sont aussi brèves que le nombre de personnages principaux brossés est conséquent. C’est sa limite et sa force : On ne passe certes pas suffisamment de temps avec chacun d’eux mais on regrette de ne pas passer plus de temps avec chacun d’eux, justement. Franchement, j’aurais adoré que le film s’étire sur quatre heures, qu’on voit davantage chacun de ces personnages, que le rythme soit plus alangui. En l’état c’est le seul vrai reproche que je fais à Collision, de Paul Haggis : C’est beaucoup trop court. Et en même temps c’est délicat de tenir le concept plus longtemps et d’étirer son évaporation. C’est le quotidien de chacun qui méritait davantage d’étoffe, sans doute. Mais bon, il me plait aussi ainsi, resserré et incomplet.

      Car c’est un film d’une puissance inouïe. L’un de ceux qui me font le plus chialer au monde. Notamment durant deux scènes clés, absolument étourdissantes, accompagnées par le score fondamental de Mark Isham. Il m’arrive parfois de réécouter « Flames » et « A really good cloak » les morceaux utilisés pour ces deux séquences fulgurantes, complètement à fleur de peau. Revoir ici le terrible cri sourd de ce père qui tient son enfant dans ses bras, ou les larmes de cette femme coincée dans sa voiture accidentée m’a rappelé combien ces deux scènes en particulier m’avaient marquées.

Les trois prochains jours (The next three days) – Paul Haggis – 2010

28. Les trois prochains jours - The next three days - Paul Haggis - 2010Pétard mouillé.

   4.5   J’ai un faible pour le film choral, je le confesse. Par la force des choses, j’ai donc aussi un faible pour Paul Haggis, parce que Collision. Avec ses défauts, ses lourdeurs, sa tentation pour le pompiérisme, ce fut un choc pour moi, à l’époque de sa sortie. Je ne l’ai jamais revu (avant de le revoir dans la foulée de celui-ci) mais j’en gardais un fort souvenir, de purs éclats de sidération.

     En dépit de ses qualités et son utilité de film post 9/11 et constat amer sur la guerre en Irak, Dans la vallée d’Ellah, son film suivant, m’avait semblé un peu prisonnier de son sujet, trop académique, impersonnel, complaisant et propre sur lui pour éveiller autre chose qu’une indifférence polie.

     On était en 2007 et je me rendais compte qu’Haggis – qui était loin d’être un nouveau Paul Thomas Anderson ou Robert Altman (Collision avait été comparé à Short cuts ou Magnolia, si mes souvenirs sont bons) – et moi ça fonctionnait uniquement sur le terrain de l’émotion : Parvenait-il, oui ou non, à créer des personnages et des situations susceptibles de m’attraper et ne plus me lâcher ? 

     Puis, comme Iñarritu, je l’ai perdu de vue. Pour tout dire, Les trois prochains jours fit un tel four chez nous que je n’avais même pas connaissance qu’un nouveau Paul Haggis était sorti. Sans doute aussi parce que je n’avais pas encore vu non plus le film original, Pour elle, de Fred Cavayé – dont il est le remake revendiqué – un film d’action efficace, qui fonctionne à l’énergie et à l’économie et repose en grande partie sur la prestation de Vincent Lindon.

     Quand j’ai vu le Cavayé et appris, plus tard, que Paul Haggis en avait fait un remake, ça ne m’intéressait plus. Il ne m’intéressait plus. Un jour qu’il passait à la télé je l’ai enregistré, puis je l’ai laissé moisir sur le disque dur. Entre-temps j’avais partiellement recroisé la route de Paul Haggis à l’époque de la sortie de Show me a hero, sublime série créée par David Simon. Haggis était alors l’unique réalisateur des six épisodes.

     Où je veux en venir ? En fait, depuis quelques temps je caressais l’envie de revoir Collision. Mais vraiment, j’en faisais une obsession, quasi maladive. Avant de le revoir incessamment sous peu, c’est tout naturellement que je me suis dit : Et si je découvrais Les trois prochains jours, d’abord, plutôt que de le laisser à tout jamais tomber aux oubliettes, comme Bing Bong l’est par Riley dans Vice-Versa ? C’était le moment.

     Et c’est chose faite. Que dire ? Le film ne s’extirpe malheureusement jamais de sa fonction de pâle remake d’autant qu’il étire (assez laborieusement) là où le Cavayé était plus ramassé : On parle d’une heure supplémentaire, tout de même. Il luit là où Pour elle avait quelque chose d’un peu plus sombre, rêche et frontal. Il américanise tout dans ce que le terme a de plus péjoratif et pontifiant.

     Et si les acteurs font le boulot, il est difficile de passer derrière Lindon – d’autant que Russell Crowe est peu crédible en monsieur-tout-le-monde. C’est ce type de rôle (hérité aussi bien du thriller politique que du survival horrifique) qui a pourtant besoin de ça pour fonctionner, besoin de ce truc qu’Harrisson Ford dégageait si bien dans un film comme Le fugitif, d’Andrew Davis : C’est certain il ne vaut mieux pas les comparer.

     Toutefois, Les trois prochains jours parvient à trouver son tempo, son rythme de croisière, qui des années 90, s’inspire pour le coup moins du genre choral que des petits thrillers domestiques. Jusqu’à joliment s’envenimer quand le récit entre dans l’entonnoir : Ce moment où il ne reste au personnage plus que le délit de l’évasion. On attend un peu trop longtemps cet instant, je pense.

     Il faut alors passer outre les invraisemblances, hasardeuses, chanceuses, elles sont énormes, mais si c’est le cas, le film produit son petit effet. Un effet physique, immédiat. Qui retombe aussitôt : Notamment avec cette double fin visant à lever les doutes et à nous convier du côté des Experts. Vraiment pas une bonne idée. C’était comme ça dans Pour elle ? Aucun souvenir.

     Et le film retombe encore plus vite dès l’instant qu’il s’en est allé. Quand on se rend compte de son inutilité totale. Du pétard mouillé qu’il est et qu’on a mis 2h30 à comprendre qu’il n’exploserait pas. A vrai dire je ne pense pas que Paul Haggis soit un bon cinéaste. Mais il a écrit de belles choses pour Clint Eastwood et aura au moins œuvré à la réalisation sur Show me a hero et Collision. C’est déjà beaucoup.

Dans la vallée d’Elah (In the valley of Elah) – Paul Haggis – 2007

174_cinemovies_d58_239_5fd3bf055c41eee3b399bb72ca_movies-124739-26Le poids du déshonneur.

[Critique écrite en Novembre 2007]

   5.5   Plus qu’un film sur le conflit Irakien, Dans la vallée d’Elah parle d’une Amérique dominée par ses convictions, ses idéaux patriotiques et sa naïveté face aux ravages psychologiques produit par la guerre. Ainsi, par l’intermédiaire de Hank – campé sobrement par un Tommy Lee Jones au charme eastwoodien – qui est un ancien soldat du Vietnam considérant la guerre comme un moyen courageux et essentiel de renforcer son appartenance au pays, Paul Haggis nous fait découvrir les aléas du conflit (grâce notamment aux vidéos de portable du jeune soldat), mais principalement ses répercussions sur les consciences, détruites dès le premier jour de combat. L’enquête sur la disparition du jeune homme n’est qu’un support basique pour nous amener à une réflexion plus subtile, remettant en question les bonnes consciences républicaines. C’est donc une démarche antimilitariste intéressante, qui même si de facture classique et parsemée d’effets de mise en scène symboliques superflus (comme la mise en berne du drapeau étoilé), préserve son impact humaniste et pédagogique. Au final, on peut d’ores et déjà imaginer que Hank ne racontera plus son histoire sur David & Goliath de la même manière. Paul Haggis reste dans un univers post 9/11 mais change d’axe et offre l’un des premiers films sur les conséquences viscérales d’une guerre qui n’a probablement pas fini d’occuper les écrans de cinéma.

Show Me A Hero – mini-série – HBO – 2015

01.-show-me-a-hero-hbo-2015-1024x576And I’ll write you a tragedy.

   9.0   Il y a parfois des œuvres qui s’imposent instantanément, qui révèlent une telle richesse, pertinence, virtuosité, qu’on en sort changé.

     Nouvelle création de David Simon, intégralement mise en scène par Paul Haggis, Show me a hero, inspirée de faits réels, est une série hors norme, six épisodes ou trois blocs de deux heures d’une densité incroyable, ancrée dans la ville de Yonkers, Etat de New York, s’intéressant à la politique municipale lors de la création d’habitations à loyer modéré à la fin des années 80.

     La série fait surtout le portrait d’un homme (Nick Wasicsko, interprété par l’excellent Oscar Isaac) et de quatre femmes. Sept années mouvementées du futur maire élu puis bientôt sortant avant qu’il ne devienne simple conseiller et sombre dans la frustration et l’oubli. Ainsi donc que celui de plusieurs familles pauvres des cités environnantes, qui vont pour certain avoir accès à des murs neufs dans des quartiers plus sécurisés ; Ainsi qu’une femme de classe aisée vivant dans ces mêmes quartiers qui vit deux batailles soit d’abord contre cette construction future qui, comme beaucoup de ces voisins, y voit une chute de leur niveau de vie, montée de violence et baisse de leur bien immobilier avant qu’elle ne plonge corps et âme dans le partage et la compréhension d’une chance offerte aux plus démunis. Pour ce personnage (interprété par la géniale Catherine Keener) la série vaut déjà largement qu’on s’y penche.

     Manifestations diverses, assemblée de vote, conseils municipaux et rencontres politiques en tout genre, la série s’engouffre dans un matériau riche, fouillé, passionnant et fourmille d’idées et possibilités sans jamais tomber dans le démonstratif. C’est un The Wire plus ramassé, plus intime (au sens où s’il met en scène de nombreux personnages, il se penche minutieusement sur peu d’entre eux) mais tout aussi riche et passionnant dans ce qu’il aborde de l’échec du système politique et social américain, des inégalités qu’il engendre, les tensions qu’il nourrit, la peur qu’il installe. Le format et l’amplitude du récit convoque pêle-mêle les Carlos, Mildred Pierce, JFK, Erin Brockovich. Rien que ça.

     Fort d’être un édifiant portrait d’une période américaine, puisque c’est aussi l’adaptation du livre de Lisa Belkin, Show me a hero impressionne surtout dans sa confrontation avec les problématiques modernes. Il y a en effet beaucoup d’aujourd’hui dans ce conte d’hier. Beaucoup de chez nous dans cette histoire outre-Atlantique. Ne serait-ce que dans cette affaire de création de logements. Aparté personnel : Il se trouve que notre immeuble affronte aussi cette réforme, puisque beaucoup de gens distribuent des tracts, frappent aux portes, affichent leur mécontentements sur des banderoles, pour ne pas que l’on construise un « foyer » sur le terrain vague d’en face. Je pense que la série m’a beaucoup parlé aussi pour ça : sa façon d’évoquer frontalement cet embourgeoisement urbain, la haine du pauvre, le racisme ou  tout simplement ce refus de l’autre sous prétexte qu’il ferait baisser la valeur de nos biens. Hier et Aujourd’hui, ici et là-bas, même combat.

     Ces six heures brassent surtout énormément de l’absurdité politique en nous conviant à suivre le personnage de Nick, petit arriviste et fier d’arborer le blason de plus jeune maire des Etats-unis, qui coiffe d’abord le maire sortant en s’opposant à la mise en place des « Projects » avant qu’il ne soit plus tard dans l’obligation, pour s’en sortir et pour ne pas se faire démolir par la législation, de les défendre voire de s’allier à d’anciens adversaires ou de se présenter contre son propre parti.

     Il y a bien entendu des choses qui auraient pu être condensées, d’autres moins explicitées. Mais bon, me lançant dans un récit de politique du logement, j’avais quelques craintes. Surtout lors d’un premier épisode assez ingrat (autant que pouvait l’être le premier de The Wire) dans sa peinture foisonnante et excessive. Puis plus aucun doute après la première heure. Ça pouvait durer deux fois plus longtemps, j’y étais installé, bien. C’est tellement fort, tellement dense et précis, hyper ancré géographiquement, avec un cast ahurissant, des instants de grâce, des personnages fascinants, une sensibilité inouïe que toutes les réserves s’amenuisent jusqu’à disparaitre. D’autant que la série n’hésite pas à user d’ellipses ni à simplifier la moindre situation avec un œil avisé, lucide sur la reconstitution historique et une mélancolie quasi permanente renforcée par de très beaux choix musicaux – Bruce Springsteen, essentiellement.

     Précision, qui n’est pas non plus le scoop de l’année : J’ai beaucoup pleuré. Sérieusement j’ai fini dans un état indescriptible. Et puis c’est la première fois qu’Oscar Isaac me fait une aussi forte impression. Et puis il y a Carla Quevedo, aussi. Surtout. Ravi aussi de revoir Alfred Molina, qui campe avec brio une ordure modéré, politicard en pantoufle. Ravi de retrouver Clarke Peters, qui jouait Lester Freamon dans The Wire. Et puis parce que David Simon, évidemment. Showrunner de première classe.

     Bref, il faut s’y ruer illico. C’est un monument. Un manifeste politique et fin observateur des rapports sociaux en milieu urbain, sur la question de la mixité sociale. Humain malgré la violence qu’il charrie qui n’est autre que celle du réel. Six heures pleines, lucides, cruelles, bouleversantes.


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silencio


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