Publié 24 mars 2024
dans Peter Hutton
Valse de cargo.
7.0 Il faut savoir que Peter Hutton fut jadis marin sur des cargos marchands. S’ils font partie intégrante de son cinéma, aussi singulier soit-il, ce n’est pas un hasard. Or les cargos n’ont jamais vraiment été ses sujets, que l’on songe à Study of a river ou bien à Time and tide : ils sont un lointain mouvement dans l’un ou un véhicule à plans dans l’autre.
At sea sera entièrement consacré à la vie de ces cargos puisqu’il s’agit de filmer, trois années durant, la naissance, la vie, la mort d’un porte-conteneurs. C’est d’abord un chantier naval coréen, des ouvriers, affairés à construire, peindre la coque, l’hélice d’un vaisseau si immense qu’il les rend minuscules. C’est finalement un cimetière de démantèlement bangladais où les cargos sont abandonnés. Entre ces deux pôles, le bateau et ses conteneurs hauts en couleurs, navigue, voyage au gré des vagues, des pluies, des jours et des nuits.
Une fois encore il faut penser les bruits des soudages et des grues, des remous et des vents, des hommes s’affairant autour de lui, pour lui donner vie ou mort.
Je tenais à remercier Kelly Reichardt qui avait dédié son magnifique film First cow à Peter Hutton, qui venait de mourir. Ça m’avait rendu curieux de découvrir ce cinéma dont j’ignorais tout. Cinq ans plus tard, j’aurais vu sept films et donc fait une belle découverte, dans la lignée d’un Benning, dispositif sonore en moins. Hâte d’en voir d’autres.
Publié 23 mars 2024
dans Peter Hutton
On board.
6.0 Cette année-là (2000) sortit deux films avec le même titre. Deux Time and Tide très différents. Il y a celui de Tsui Hark et celui de Peter Hutton, dont on parle évidemment moins, mais qui a ma préférence, quand bien même ce ne soit pas celui de ses essais méditatifs qui me passionne le plus.
Il me semble que le film navigue (je choisis ce terme à dessein) dans trop de directions (à l’image de son ouverture accélérée en noir et blanc), qu’il lui manque des transitions, qu’il me manque la compréhension de son découpage.
Je retiens de très beaux plans d’hublots, un train sur la rive, un plan obstrué par des gouttes d’eau. Et un bateau. Quel que soit le récit, narratif ou non, ça reste la chose la plus cinématographique à mes yeux, un bateau.
C’est une fois encore une passionnante réflexion contemplative et silencieuse sur l’horizon, la lumière, la vallée, à travers le voyage d’un remorqueur qui arpente l’Hudson river.
Publié 7 février 2022
dans Peter Hutton
Trois visages.
6.0 Une heure. Trois parties. Trois paysages différents : Une aciérie dans laquelle on voit notamment des réparateurs de pont dans la ville industrielle de Détroit ; Des ouvriers agricoles dans les champs de la vallée de l’Hudson ; Des mineurs de sel dans le désert aride de Danakil en Ethiopie. Mais trois espaces indépendants reliés par les gestes du travail humain, saisis comme un mirage, prenant une apparence quasi abstraite. Et comme souvent avec Hutton, le film est muet, vraiment muet, sans son. C’est une expérience très étrange tant notre imagination parvient à reconstruire chacune des éventuelles sonorités.
Publié 11 mars 2021
dans Peter Hutton
Eté 71.
7.0 Le titre annonce dignement et avec exhaustivité l’entièreté du programme. Une temporalité : Juillet 1971. Un lieu : San Francisco. Le quotidien (living), l’obligation (working) et la vie (swimming). On est loin de ces peintures paysagistes entre ombre et lumière que Hutton offrira bientôt. C’est un journal intime filmé. Mais il a déjà le goût pour les formes plus que pour le récit : D’une promenade en vélo le long de la baie, nous ne verrons que le sol, les roulements et l’impression de voguer sur une terre liquide. D’une captation de la vie dans la cuisine, nous n’assisterons qu’à la méticuleuse fabrication du pain, n’apercevant que les mains pétrissant la pâte dans la farine à même une planche de bois. Il s’agit moins de capturer par la contemplation que d’enregistrer la cristallisation. Un peu à la manière d’un Mekas – en moins fragmenté – Hutton y filme son intimité et ceux qui peuplent son intimité : Sa femme, son enfant, son chien, ses poules. Et lui-même, dans son potager, embrassant une perruche, vidant un gibier, jouant avec un tuyau d’arrosage. On y voit l’intérieur de la maison, le jardin, les alentours, une bâtisse en ruine, une traversée sur un paquebot, un voyage en voiture, une projection de cinéma, une chenille sur une branche, une baignade dans une rivière, une séance de yoga, un jeu de billes. C’est le doux portrait d’un style de vie à travers une collection de petits instants. Un poème discret, en noir et blanc. Sans aucune piste sonore, toujours : Hutton nous laisse le choix d’accompagner ses images avec ce que l’on souhaite.
Publié 15 février 2021
dans Peter Hutton
La lumière pour lui dire.
6.0 Qui est Manon ? S’il semble tiré d’un tableau de Thomas Cole (L’une des grandes inspirations de Hutton) ce titre évoque un film comme on enverrait une lettre, des images plutôt que des mots. Une enfant qui naît, pour lui présenter d’emblée la beauté du monde ? Une femme qui meurt, pour lui faire accepter l’éternité ? Une déclaration de la beauté naturelle, aussi bien dans sa picturalité que dans ses mouvements microscopiques. Une somme d’enregistrements, plus ou moins étirés, qui se succèdent sans se répondre et partagent seulement le passage de la lumière, discret ou puissant, ainsi que la captation de leur ancrage géographique, puisqu’il s’agit, pour Hutton, d’effectuer une première approche des paysages de la vallée de l’Hudson, avant Study of a river puis Time and tide. Des images, intégralement en noir et blanc, et une absence totale de son. Il faut se fabriquer une bande sonore intime, mentale. Et c’est sans doute ce qui brise l’élan du témoignage réaliste et ouvre une passerelle vers le merveilleux et l’intemporalité.
Publié 1 février 2021
dans Peter Hutton
Ombre et brouillard.
6.0 Peter Hutton filme les fjords de la région nord-ouest islandaise au moyen de plans fixes au sein desquels le mouvement est infime (souvent la brume, le clapotis des eaux ou les rayons de soleil) et où la frontière entre le ciel, la mer et la terre tend à se confondre.
Les nappes de lumière font bouger les montagnes. L’épaisse brume crée des formations en tout genre, animales, végétales, monstrueuses. Skagafjördur n’est que reflets et mirages. Soit une succession de peintures paysagistes perturbées par d’infimes phénomènes atmosphériques.
Les nuages stationnent dans d’épaisses lignes horizontales, qui dévorent le paysage. La lumière y pénètre à la verticale, par percées, avant d’être engloutie elle aussi. Les lieux semblent oubliés par le temps, abandonnés de toute présence humaine : au cours d’un plan, seulement, une barque traverse le cadre et disparaît. Était-ce un mirage ?
Publié 19 novembre 2020
dans Peter Hutton
Dérive des rives.
7.0 Mes seize premières minutes avec Peter Hutton. 27 plans en guise de portrait de l’Hudson river, captés sur l’eau, des rives ou d’un pont. J’ai d’abord cru que l’absence de son me gênerait, mais le film y gagne, tant chaque irruption de mouvement (de la rivière et des bateaux) dénaturant l’image immobile s’avère fascinant. Je retrouve l’acte de foi d’un Benning, ce même pouvoir de méditation, avec un amour des textures davantage que des durées. Des navires-fantômes dans la nuit de glace. C’est très beau. Il s’agit du troisième des cinq films consacrés par Hutton à la vallée de l’Hudson et aux peintres paysagistes de l’Hudson River School. Vite, je veux voir les autres.