Archives pour la catégorie Quentin Dupieux

Daaaaaali ! – Quentin Dupieux – 2024

15. Daaaaaali ! - Quentin Dupieux - 2024La désintégration de la persistance de la mémoire.

   5.0   Avec six A comme le nombre d’acteurs interprétant le peintre espagnol. Pourquoi ? On saura pas vraiment. On se rend compte que Dali par Edouard Bear ou Jonathan Cohen c’est vraiment plus drôle que par les autres (qui n’osent pas trop), déjà. Enfin, qu’importe. L’idée d’un anti biopic (centré sur l’image public plutôt que sur l’artiste, en somme) c’est déjà chouette bien que très attendu, si on connaît Quentin Dupieux. Il est dans ses pantoufles. En mode apprenti buñuelien. Parfois savoureux et attachant. Souvent ennuyeux et paresseux. À l’image de cette ritournelle répétitive composée par Thomas Bangalter, qui accompagne TOUT le film. Même l’apparition de Marc Fraize & Jérôme Niel m’a semblé bien faible. Alors après j’adore deux idées. D’abord le rêve du prêtre qui n’en finit plus d’être un rêve dans le rêve dans le rêve : Dupieux fait son Inception à la sauce Buñuel. Et aussi le Dali qui se voit vieux et le vieux Dali qui se voit jeune : Dupieux qui fait son 2001. Disons que ça m’a tenu éveillé. Mais globalement c’est une grosse déception. Comme parfois avec Dupieux, j’y ai retrouvé un tempo attendu, une même paresse. J’y suis allé un dimanche après-midi, cinéma de quartier, la salle était pleine (de vieux essentiellement). Je me demande s’il est pas en train de faire sa meilleure réussite au box-office, et j’arrive pas à trop à savoir si ça tient au casting, à Dali, ou si les gens aiment vraiment et le disent : j’ai très peu ris, mais la salle était plutôt réceptive. Je préfère nettement Yannick (déjà revu) ou Fumer fait tousser, ses deux précédents. Ce n’est jamais désagréable à regarder, évidemment.

Yannick – Quentin Dupieux – 2023

06. Yannick - Quentin Dupieux - 2023Spectateur malgré lui.

   7.0   Le même soir, je suis donc allé au cinéma voir le dernier Ceylan, Les herbes sèches (3h17) puis le dernier Dupieux, Yannick (1h07 : Un court-métrage, en somme). Une fois de plus (déjà j’avais volontairement zappé Fumer fait tousser, avant de le rattraper chez moi et de l’adorer) j’y croyais moyennement en ce nouveau cru du réalisateur de Steak. La dimension pièce de théâtre et pitch-concept n’aidant pas, sans doute. Et puis il tourne tellement.

     Pas sûr qu’il m’en reste grand-chose pour des visionnages ultérieurs, mais quel bonheur immédiat et ramassé ce fut. On ne parle que de lui, mais difficile de ne pas en parler : Raphael Quenard est extraordinaire, il porte le film tout seul, au point de reléguer Blanche Gardin, Pio Marmai, Sébastien Chassagne au rang d’acteurs figurants (pas hypers passionnants, par ailleurs).

     Le film est un peu prisonnier de son concept, au sens où il ne va pas beaucoup plus loin que sa promesse. Néanmoins il raconte quelque chose du désir créatif, du divertissement et de la prise d’otage que peut engendrer le théâtre mais aussi le cinéma. J’aime bien l’idée que Dupieux ait fait ça en six jours, quasi entre deux autres films, que ça ressemble à une parenthèse et qu’en même temps ça soit quasi une profession de foi. Il arrive même à être très émouvant sur la fin, après nous avoir fait beaucoup rire.

Fumer fait tousser – Quentin Dupieux – 2022

15. Fumer fait tousser - Quentin Dupieux - 2022Araignée, oiseau, casserole.

   7.0   A vrai dire je n’y ai pas cru, au moment de sa sortie. Soit parce qu’Incroyable mais vrai (2022) m’avait un peu vacciné ou plutôt sans doute parce que je n’en pouvais plus de cette bande-annonce qui circulait avant chacun des films que j’allais voir au mois de novembre. J’avais décidé de faire l’impasse. Chose que je n’avais jamais faite pour Dupieux : Après avoir découvert Steak un peu après sa sortie, j’étais allé voir tous ses films en salle depuis Rubber. Je regrette de lui avoir fait faux bond cette fois car je suis pas loin d’avoir adoré cet opus, qui, sous ses airs de ne pas y toucher, serait peut-être bien le film le plus inquiet de Dupieux.

     Plus encore que d’habitude, j’ai été impressionné par son extrême minimalisme : ses décors, ses dialogues, ses plans, ces costumes de super-héros, son grand méchant homme-lézard. Mais aussi émerveillé par la limpidité de ses enchainements, et notamment par l’immersion de chacune de ces petites histoires. Et touché par son humilité : Je vois pas plus belle façon, simple, honnête, personnelle, de confier son inquiétude généralisée. Le film est jalonné de pures idées de génie, à la fois très drôles, lucides, macabres : Ce casque à penser, ce seau de viscères dans lesquels baigne une bouche qui continue de parler, ce suicide de droïde, cette marionnette de rat chef de mission qui bave d’un vert gluant.

     La Tabac Force, simili Power rangers habillés intégralement de jaune et bleu-ciel, est composée de Nicotine (Anais Demoustier), Mercure (Jean-Pascal Zadi), Ammoniaque (Oulaya Amamra), Benzène (Gilles Lellouche) et Methanol (Vincent Lacoste). C’est un groupe de justiciers qui lutte contre les forces du mal. On les verra au préalable affronter une hideuse tortue, qu’ils vont combattre à grand coup de cancer des poumons. Tout cela sous les yeux émerveillés d’un enfant.

     Mais ces justiciers en combinaisons moulantes partent en vacances, ou plutôt en congés forcés, afin de ressouder l’équipe, dans un camp en pleine forêt, au bord d’un lac, et qu’ils dormiront sur des lits en titane et se doucheront à l’eau de mer. Les histoires qu’on va dorénavant suivre, ce sont les histoires qu’ils vont se raconter au coin du feu. A moins que ce soit celle d’une petite fille faisant irruption dans leur cercle nocturne, ou celle d’un barracuda mort qui soudain se met à causer. Une affaire de digressions absurdes, en somme. Dans lesquelles on aura le plaisir de voir Adèle Exarchopoulos, Jérôme Niel, Blanche Gardin, entre autres.

     De petits films à l’intérieur d’un film qui n’en est plus vraiment un, puisqu’il est celui de super-héros qui se racontent des histoires, jouant à se faire peur. Pourtant, en sourdine, cet étrange film à sketchs devient plus grave. « On arrive sur terre dans un petit corps parfait, puis on passe sa vie à dépérir » lâche cette femme sous scaphandre, qui soudain pense, voit l’horreur du monde. Cette noirceur vient contrebalancer l’esprit enfantin du film, qui est évidemment partout, dans ces costumes, ces « raconte-moi une histoire » ou ces regards d’enfants, dont les plus beaux seront sans doute ceux des enfants de Mercure, qui leur raconte une histoire en visio, avant que la fin du monde les sépare.

Incroyable mais vrai – Quentin Dupieux – 2022

21. Incroyable mais vrai - Quentin Dupieux - 2022Wrong way.

   5.0   Globalement le même sentiment qu’au sortir d’Au poste (2018) : Casting génial, super pitch, super drôle (un temps). Mais aussi le film d’un feignant, incapable d’aller au bout de son idée, ni même de l’étoffer. Ici une histoire de trappe/trou dans le sous-sol d’une maison, qui ouvre, disons sans trop divulgâcher le plaisir relatif, sur une petite faille temporelle. On aimerait que le film suive son idée, c’est à dire qu’il soit en apparence peu impacté, mais qu’il se dérègle – à l’image du personnage incarné par Léa Drucker – et explose. Et il se dérègle, oui, au bout de 45min : son régime s’effondre doucement avant de sombrer dans un dernier quart d’heure embarrassant, qui aurait mérité un traitement plus intéressant que ce clip ridicule ni fait ni à faire. Dommage car il y a vraiment des supers instants : La découverte de la maison en plusieurs étapes/ellipses, la scène du repas entre Drucker/Chabat & Demoustier/Magimel, le chat, l’agent immobilier. Il y a comme des effluves de Buñuel, par ce début qui retarde ses effets, comme si un ange exterminateur empêchait les secrets d’être révélés, mais aussi par ce plan de main et de fourmis. Si on va un peu plus loin que sa science du dialogue, des mots et la réussite de son cast, il ne reste au fond qu’une banale histoire de trou et de bite et la sensation que Dupieux trouve son alter ego en Chabat, personnage un peu angoissé, un peu solitaire, qui préfère in fine aller pêcher avec son clebs plutôt que de s’intéresser à ces histoires de trou et de bite. Deux dernières remarques aussi : D’une part, c’est lorsque le film vire dans le drame qu’il a tout pour être passionnant, et c’est pile là que ça rate. D’autre part, la photo des films de Dupieux est de plus en plus dégueulasse et là c’est vraiment scandaleusement gris, flou, plat, terne, voilé, c’est très laid. Vraiment je ne comprends pas : L’image de Steak, de Rubber, de Wrong était si belle.

Mandibules – Quentin Dupieux – 2021

13. Mandibules - Quentin Dupieux - 2021L’idiot fait mouche.

   7.0   Soit le film par lequel je suis retourné au cinéma, lors des réouvertures. Il a certainement bénéficié de cet état d’esprit festif. Et il m’a offert ce dont j’avais besoin : Une récréation hors du temps. Mandibules semble en effet affranchi des affres de notre époque qui transpirent dans la plupart des films qui sortent ces temps-ci, évidemment. Ne serait-ce que par sa lumière, le film dénote. C’est une lumière à la Dupieux, très solaire, entre la Californie et le Var. Elle est presque américaine – Proche de Réalité (2015), en un sens : éclatante mais vaporeuse, un peu comme elle était grise et douce dans Le daim, son précédent film. Aussi par son ambiance, les objets, les vêtements, les styles, Dupieux prend plaisir à réactiver les années 70 sans être dans le fétichisme pur.

     Par ailleurs, c’est un film un peu paresseux, comme souvent chez Dupieux. C’en est presque sa marque de fabrique. Ici, il s’arrête même quand il pourrait démarrer. Au départ ça pourrait être un pitch de film noir mais très vite l’absurde revient : Une histoire de mallette mystérieuse à livrer, qu’il faut cacher dans le coffre d’une voiture. Affaire confiée à un pauvre type, Manu, qui convie son pote Jean-Gab, en l’échange de cinq cent balles. Mais ils vont bientôt découvrir que le coffre renferme aussi une mouche géante. Oubliée, la mallette et ce qu’elle peut faire gagner : Et si domestiquer une mouche n’était pas plus efficace en terme de rentabilité ?

     L’idiot permet tout. De Dostoïevski à Dumb & Dumber, en passant par Les Idiots de Lars Von Trier. Par ailleurs le duo d’idiots ne déteint pas sur le reste du casting contrairement à ce qu’on en fait généralement dans les films, notamment dans les buddy-movie, où si les personnages principaux sont cons il faut que les personnages secondaires le soient aussi. Ici ce n’est jamais le cas. Ils sont bizarres (l’entremetteur au début, le riche et son dentier en argent, Michel Michel, le frère ou les flics) mais jamais cons. Dupieux ne se moque jamais des autres personnages, ne les humilie pas. Mieux ils sont parfois plus beaux, émergent de nulle part : Adèle Exarchopoulos ici « J’AI FAIT DES PAUPIETTES DE DINDE » ou Adèle Haenel dans Le daim.

     Là c’est le versant naïf de l’idiotie. L’enfance. Taureau ! Le film est d’ailleurs totalement désexualisé. Un peu à l’image d’Adèle justement, dont il renverse le pouvoir érotique qui l’a fait naître chez Kechiche. C’est l’objet qui devient érotique chez Dupieux. Un pneu, une veste en daim. Ici peu de matière érotique, il y a même un gag avec un vélo à tête de licorne. Peu d’érotisme, mais une approche frontale de l’insecte. Par ailleurs, la mouche s’appelle Dominique. Qui est un prénom mixte, et même un prénom épicène, puisqu’il est homographique.

     On peut aussi se poser la question si le film est pour eux ? Pour les gars du Palmashow ? Pas vraiment non plus, tant ils n’incarnent pas le prolongement de ce qu’ils font habituellement. Dupieux préserve la sève de ses stars de l’humour, pour les contourner, les malaxer et en tirer une version de lui-même : Ludig & Marsais par le prisme Dupieux, comme ce qu’il avait tiré d’Eric & Ramzy il y a quinze ans. On les retrouve sur un plan, iconique, le tout dernier, lorsque David Marsais regarde la caméra. Soudainement ça évoque « Les petites victoires » on y entendrait presque la petite musique habituelle.

     Le film avance assez peu finalement. Il n’y a pas d’enjeu. « Retour à la case départ » dit Manu (à moins que ce soit Jean-Gab) à la fin. Le discours final méta car il y a toujours du méta dans les fins de film de Dupieux, est peut-être son plus réussi tant il rappelle que l’intérêt c’est le voyage, c’est l’amitié, c’est le film et non sa résultante. C’est la mouche et non ce qu’elle devient. C’est le plaisir de tourner et de sortir un film sans pour autant raconter quelque chose de notre monde. Car là où beaucoup vont s’empresser de raconter notre monde, actuel, de s’en plaindre et de s’y complaire, Dupieux propose une vision alternative. Et ce n’est pas grave si la mouche ne ramène pas les bananes, entendre ce n’est pas grave si le film ne marche pas. Elle est là, il est là. Ça existe. Le film a ceci d’actuel qu’il nous permet de nous rappeler qu’on existe.

Pour aller plus loin, voici notre petite vidéo d’analyse, écrite à quatre mains, sur notre chaine Lanternes & Cervoises :

https://www.youtube.com/watch?v=8g2HhfNALd4

Le daim – Quentin Dupieux – 2019

1a50d71_1_IgATYd1oNAfu5S5DwIIw6qPasse campagne.

   7.5   A plusieurs reprises dans le film, Georges se regarde dans le miroir et s’exprime sous forme d’interjections, expressions ou petits mots aussi absurdes que géniales. « Style de malade » est d’ores et déjà entré dans le langage courant, c’est le « swag » de l’élégance pure. Un moment donné ce sera « Putain, ça bute ». Sensiblement ce que j’aurais pu dire lorsqu’apparait le générique final. Le daim, ça bute, ouai.

     Georges, 44 ans, et son blouson, 100% daim, ont un projet. Synopsis de l’année. Pourtant, le film est plus beau que ça, encore, il dépasse le stade conceptuel : C’est surtout l’histoire d’un type qui déraille et plaque tout. Sur une mécanique plus loufoque, certes, mais il y a de L’emploi du temps, de Cantet dans cet abandon mélancolique, cette quête de soi mensongère, cette fantaisie à laquelle le personnage croit tellement fort qu’elle devient sa vérité, son dessein, son quotidien. On pense aussi à Passe montagne, de Stévenin : Il y trouvait Georges (Villeret) mais pas de veste en daim à franges, pourtant tout s’ouvrait plus ou moins déjà sur une aire d’autoroute.

     Quand bien même j’admire son univers et son ton, Dupieux et moi ça ne l’effectue pourtant pas systématiquement – Et c’est pareil quand il fait l’Oizo en musique. L’autisme guette. Si l’on excepte la sublime anomalie que constitue Steak, son (presque) premier film, il y a soit beaucoup trop d’absurde, beaucoup trop de fabrication ou beaucoup trop de théorie : Rubber, Au poste ! & Wrong cops, je coince un peu / beaucoup / beaucoup trop. Le daim, au contraire, tient pleinement sa réussite dans cet équilibre minimaliste voire précaire, d’absurdité légère, de fine mise en abyme et d’atmosphère joyeusement dépressive.

     Une scène résume tout. Alors qu’il vient récupérer son alliance sur le cadavre du réceptionniste de l’hôtel qui lui avait gardé en gage, Georges est séduit par le chapeau, 100% daim (il vérifie bien l’étiquette) que le mort recouvre de ses mains sur sa poitrine. Dans un film plus absurde, plus théorique (de Dupieux) Georges aurait pris le chapeau, oublié l’alliance et on l’aurait interprété comme l’ultime acte de son rejet de son ancienne vie. Sauf que Georges va aussi récupérer l’alliance – Un moment par ailleurs hilarant, avec le doigt du mort dans sa bouche – tout simplement parce qu’il a besoin d’argent / de l’objet pour le donner en gage au nouveau réceptionniste, et poursuivre sa nouvelle quête, de faire du cinéma tout en portant du daim. Il y a un côté pratique, réaliste disons, qui parfait l’identification et qui moi, en échange, me permet d’accepter sa folie là ou parfois, chez Dupieux, j’ai l’impression de buter sur un écosystème très fermé.

     « C’est la première fois que je fais un film sur un fou et non pas un film fou » a dit Quentin Dupieux. C’est une nouvelle donne. Cette folie c’est un retour à l’état sauvage. Le daim c’est aussi bien la veste que l’animal et Georges en arborera bientôt de la tête aux pieds : la veste puis le chapeau, les gants et le pantalon. Difficile de ne pas imaginer que Dupieux se confie (sur sa solitude en tant que créateur) à travers la version psychopathe de cet alter-égo mélancolique. Un désir de refaire un premier film, en somme. Et tant mieux car cette veine-là, plus minimaliste, plus touchante aussi, en plus d’ouvrir sur un monde nouveau me convient absolument.

     Si Jean Dujardin et son « style de malade » sont exceptionnels, parce qu’il ne surjoue ni l’exubérance ni l’antipathie – il est aussi fou qu’il demeure touchant – c’est aussi le fait de partager le geste qui me plait dans Le daim, de Quentin Dupieux, qu’il avait, selon moi, un peu perdu depuis Steak. L’aspect buddy movie, disons. Adèle Haenel se greffe à ce drôle de voyage et permet qu’ils forment tous deux un super duo en ce sens  qu’elle n’est son side-kick qu’en temps d’apparition, tant on peut même se demander si elle n’est pas, au fur et à mesure, plus folle que lui, tout en restant pourtant absolument bienveillante. C’est cette indécision qui me plait. Et le film s’arrête quand il faut : Il crée un manque avant de créer une lassitude.

Au poste ! – Quentin Dupieux – 2018

04. Au poste ! - Quentin Dupieux - 2018Le mauvais œil.

   5.0   On ne va pas se mentir, c’est un peu décevant. Certes j’ai ri à plusieurs reprises, dieu soit loué, on retrouve d’ailleurs bien l’humour de l’auteur, ses décalages, son délicat sens de l’absurde, sa mécanique propre tellement loin de toutes les autres mécaniques, encore qu’il y a là du Blier dans le tempo, magistralement trituré par une joyeuse bande hétéroclite : Une moitié de Palmashow (Grégoire Ludig), Monsieur Fraize (déjà génial dans Problemos), Anaïs Demoustier et Benoit Poelvoorde. Casting sans doute trop alléchant. Disons que c’est le minimum qu’on attend de Quentin Dupieux. Voilà, Au poste ! se contente du minimum, c’est un film paresseux, dont on voudrait qu’il ouvre des tas de tiroirs, qu’il fasse cent pas de côté, mais qui se satisfait finalement de son argument minimaliste et du non-sens attendu – Et en un sens c’est aussi ce qui fait son charme, paradoxalement, cette économie du gag, du geste.  Comme à son habitude Dupieux crée un monde (ici un commissariat or et moquette au présent, un immeuble désert et nocturne dans les souvenirs) mais il n’y a plus la sidération d’un Steak ni même d’un Wrong. Et puis le basculement est balourd, moins hautain que dans Rubber, mais tout aussi grossier – Je préfère cent fois l’idée de ce pauvre type innocent s’excusant du caractère peu romanesque de son histoire que l’issue FigInrock de la pièce poussive mais géniale, en guise de mise en abyme. Sans doute parce qu’il n’y a pas de « film juste-milieu » possible entre Buffet froid et Garde à vue, finalement – Deux références autour desquelles Au poste ! gravite clairement. Malgré la déception, la bonne nouvelle c’est que Dupieux semble avoir trouvé un nouveau terrain d’exploitation / fascination en revenant tourner en France : Celui de la parole, du dialogue, du langage, qui masque ses velléités habituelles ouvertement absurdes retranchées ici dans une dislocation temporelle (dialogue au présent à l’intérieur d’un souvenir), des objets/aliments fous (équerre, briquet, huitre, barre chocolatée) et des déformations physiques : Un flic avec un œil en moins, un autre qui boite, un autre avec un trou dans la poitrine. Mais c’est bien la parole qui rythme le film, rien d’étonnant à voir Poelvoorde et Fraize là-dedans tant leur comique repose sur leurs mots et la dynamique qu’ils leurs offrent. Là-dessus il y a quelques belles trouvailles, le dores et déjà incontournable « C’est pour ça » évidemment, mais aussi le jeu sur la différence entre « va-et-vient » et « aller-retour » qui permettent à Dupieux de retrouver la langue française, qu’il avait un peu abandonnée en allant tourner en Amérique. Et puis on ne pourra pas dire que ça ne sort pas de l’ordinaire, quant à l’attente d’une comédie française avec Poelvoorde et un mec du Palmashow. Nombreux dans ma salle ont d’ailleurs été très perturbé « C’est quoi ce film ? » ou « C’est n’importe quoi » ai-je entendu plusieurs fois. Mais quand on attend un ovni de Dupieux on reste sur notre faim.

Réalité – Quentin Dupieux – 2015

Réalité – Quentin Dupieux - 2015 dans Quentin Dupieux REALITE_CHABAT_01-810x437Kubrick, mes couilles.

   7.0   Alain Chabat joue Jason Tantra. Il y a déjà quelque chose de l’ordre du Gregor Samsa de La métamorphose. Si le pitch évoque d’emblée Blow out, on comprend néanmoins très vite que Réalité n’aura strictement rien à voir avec le chef d’œuvre de Brian de Palma. Enchâssements de films, de rêves, de réalités, collisions spatio-temporelles, interférences variées, Dupieux s’en donne à cœur joie.

     Un présentateur télé est sujet à des démangeaisons provoqués par une crise d’eczéma dont il est le seul à voir les plaques sur son corps ; Une petite fille retrouve une mystérieuse VHS dans les viscères d’un sanglier chassé par son père ; Un caméraman de télé cherche le cri parfait afin de trouver les financements pour son futur film d’horreur ; Le proviseur d’une école se déguise en femme et roule dans une jeep de l’armée ; Un producteur est confronté à un auteur moderne obsédé par le moment de l’endormissement d’une fillette.

     C’est à la fois très ludique et cauchemardesque, léger et fort. Je retrouve le Dupieux de Wrong, ses angoisses, son obsession pour les stratifications incongrues. C’est d’autant plus impressionnant ici que pour une fois la musique n’est pas de lui. Seul Music with Changing Parts de Glass se fait entendre ici et là pour accentuer cette boucle infinie, vertigineuse, géniale.

     Des situations absurdes qui se chevauchent, malgré leur différent niveau de réalité, se connectent entre elles, se déconnectent ensuite, dans un temps incertain, un espace troublé, selon des boucles infinies et des personnages coincés dans les rêves des autres. A ce niveau de non-sens génialement mortifère, jouissif et sans frontières, on pense aux heures Buñuelliennes, Daliennes et Cronenbergiennes. Entre Le charme discret de la bourgeoisie, Le Rêve causé par le vol d’une abeille autour d’une grenade, une seconde avant l’éveil et Videodrome. Plaisir de se perdre, angoisse de se retrouver. Du Dupieux en état de grâce.

     La grande force de Réalité et du cinéma de Dupieux en général, c’est de quasi systématiquement ouvrir un plan dans l’inconnu le plus total, de manière à installer un trouble immédiat et durable. On se souvient à ce titre de l’ouverture de Steak. Le fait est que c’est un procédé qu’il utilise au maximum, donc que ce manque de discernement des liants soit répété en continu, crée une proximité avec le spectateur intime avec le cinéma de Dupieux autant qu’il contribue à installer un état d’envoutement permanent.

     L’autre atout majeur de Réalité c’est Alain Chabat. Qu’on le veuille ou non, sa présence provoque des relents de l’humour des Nuls. C’est peut-être le propre du cinéma de Quentin Dupieux : Parvenir à capter cinématographiquement l’essence d’un humour sans égal, ici avec Chabat, comme dans Steak avec Eric et Ramzy. Avoir la volonté de mettre en scène cet humour sans que celui-ci ne la dévore. Dans Réalité, plus que dans Steak, d’ailleurs, il faut bien reconnaitre que c’est l’univers du cinéaste qui domine outrageusement l’univers de l’acteur.

     Il y a une quête perpétuelle de la pulsion dans son cinéma et au fond, son film ne parle que de ça. Wrong aussi. Et c’est peut-être parce qu’ils ne parlent que de ça qu’ils font autant maîtrisé qu’amateur. J’ai l’impression que ce compromis me touche, que ce juste dosage assez délicat à offrir me séduit. Ce n’est pas tant pour son obsession de la mise en abyme que pour un certain aveu d’impuissance. Derrière cette quête du No reason se cache en effet un désir de raconter encore des choses, de se raconter et de raconter le cinéma. En ce sens je comprends pourquoi je trouve Rubber raté. Et pourquoi j’ai moins d’attirance pour l’ovni total que constitue Wrong cops.

Wrong – Quentin Dupieux – 2012

Wrong - Quentin Dupieux - 2012 dans Quentin Dupieux wrong_dupieux-300x165Le saut dans le vide.

   6.5   Le plus enthousiasmant dans le cinéma de Dupieux c’est sa faculté d’invention de mondes parallèles. Steak était un monde à lui tout seul où tout était réel et réinventé, drôle et troublant, un burlesque déstabilisant, fusion parfaite entre le duo de comiques français le plus insondable, avec son langage, sa propre délimitation du rire, son monde à lui, et ce qui se fait de plus barré et de plus indépendamment prolifique en matière d’électro : Mr Oizo. Il y a l’esquisse d’une réalité alternative dans Wrong. Réalité alternative qui engendre une étrangeté elle aussi alternative. C’est ce qui fait à la fois la verve comique de ce cinéma là et sa mélancolie.

     Il pleut des cordes dans un bureau, doté pourtant d’un toit, cela semble ne choquer personne. Un détective fouille dans la mémoire d’une merde de chien. Une hôtesse de pizzeria nymphomane ne fait pas la différence entre Jack Plotnck et Eric Judor. Un chien s’appelle Paul, son maître se prénomme Dolph. La première scène du film montre la voie : une camionnette a brûlé, ne reste qu’une épave et un épais nuage de fumées ; à ses côtés, des pompiers présents viennent apparemment de la sortir des flammes, ils sont en train de manger ; et au milieu de tout ça l’un d’eux baisse son pantalon et chie sur le bitume.

     Wrong c’est l’histoire d’un homme qui cherche son chien. L’homme se réveille un matin, il est 7h60 et l’animal a disparu. En face, le voisin fait mine que tout va bien pourtant, calmement, il s’apprête à partir définitivement de chez lui pour sillonner le désert. Un jardinier s’étonne de voir qu’un palmier s’est transformé en sapin. Une multitude d’autres personnages viennent aussi se greffer à Dolph (jeu de mot repris aussi dans le film), cet homme qui fait le tour du pâté de maison avec un pouet-pouet avant d’engager un détective aux méthodes scatologiques puis de se faire alpaguer par un gourou, qui se fait appeler Maître Chang (maître chien ?) dont il comprend que celui-ci kidnappe les animaux domestiques à leurs maîtres afin d’anticiper le moment où ils ne s’en occupent plus, afin d’apprendre aux victimes (choisies au hasard, lui dira t-il) à entrer en communication télépathique avec leur animal, afin que l’amour éprouvé pour lui au moment de leur rendre en soit réinitialisé.

     Si le film était plus simple et reposerait moins sur des artifices gentiment absurdes et répétitifs que sur des idées nouvelles, sans cesse renouvelées, qu’elles soient en rapport à la mise en scène ou à de simples gimmicks ajoutés, ce serait beau, peut-être même bouleversant. On a malheureusement l’impression que Dupieux cultive sa petite étrangeté, en restant dans la lignée de Steak et dans son balisage. En gros, je trouve ça quelque peu suffisant. Heureusement, il y a parfois des trouées, par exemple je ne cesse de repenser à ce voisin, les deux scènes qu’ils ont en commun me fascinent.

     En l’état, il me manque quelque chose. C’est beaucoup mieux que Rubber mais ça n’atteint pourtant jamais la poésie délurée de Steak alors que le potentiel tragi-comique est nettement plus présent. Il lui manque sans doute une gestion du temps et de l’espace. Un langage cinématographique qui lui est propre. En rapport peut-être avec Tati, je ne sais pas. Ou même, instinctivement je pense à The Party de Blake Edwards et je me dis que Dupieux pourrait réussir quelque chose de très beau dans cette veine là, où il combinerait cette fois le tempo de ses séquences et le rythme entier de son film. J’adore Steak pourtant on en percevait déjà les lacunes.

     Il y a autre chose que je retiens du cinéma de Quentin Dupieux, c’est la légère inquiétude qu’il véhicule. Un absurde dans lequel on se sent bien mais avec par moment une certaine anxiété tout de même. Ce détective par exemple : c’est à peine s’il fait rire tant ses réactions et son ton monocorde perturbent notre axe de pensée et participent plus à créer une angoisse qu’un fou rire. Car l’on sent bien que Dupieux, sous ses airs d’auteur cool et absurde à son paroxysme, est angoissé par quelque chose. Le néant, peut-être. Ou peur de ne pas l’accepter.

     Le répétitif sert ici d’attestation d’une réalité comme banalité de manière à ce que le monde entrepris de montrer par Dupieux se substitut à notre regard comme un monde jamais absurde, juste différent. Une banalité nouvelle.

     Dans la nouvelle réalité de Dupieux on peut encore perdre son chien, c’est l’élément extraordinaire du film pourtant rendu normal à nos yeux dans la mesure où l’on peut le comprendre, le vivre, à la différence d’un palmier changé en sapin, d’un mort qui réapparaît le lendemain, d’une pluie dans un bureau, ou d’un réveil qui annonce chaque jour 7h60. Et l’on peut aussi être déprimé par la vie, ses enchaînements banals, puisque dans ce monde ils sont banals, c’est le cas du voisin d’en face, qui sature, commence à refuser son quotidien et veut à la différence de Dolph faire l’expérience du néant.

Rubber – Quentin Dupieux – 2010

rubberL’éveil, puis rien.  

   4.5   On s’attendait à un film audacieux, un film aussi fou que Steak, mais un film aussi sans prétention, un film qui inventerait dans chaque séquence, un film qui assumerait son statut de film bis, mais tellement beau et foutraque qu’il en deviendrait fascinant. Ça c’était mon sentiment après Steak. Rubber n’est même pas l’ombre de Steak, il en est la version prétentieuse, non assumée. On passe par deux états extrêmes dans le tout début du film. La naissance du pneu, extraordinaire. Avec sa difficulté à fonctionner, rouler, comme un bambin peinerait à faire ses premiers pas. Avec sa découverte d’un pouvoir télépathique qui lui permet d’exploser les objets, animaux ou encore humains qu’il a sous les yeux. C’est le plus beau moment du film. A côté, comme si c’était du remplissage, un shérif vient présenter cela (ce film) à des spectateurs dans un désert, qui n’attendent que de la bouffe et de l’action. Le film aura même commencé sur un regard caméra de ce même shérif évoquant quelques films cultes américains et déployant sa théorie du No reason. Je ne sais toujours pas quoi penser de cette séquence. Quoi qu’il en soit ce n’est pas vraiment ce qui me passionne. C’est le pneu qui m’intéresse. Ce que Dupieux est capable de faire avec. Est-il capable de lui donner vie ? De le rendre inquiétant ? En gros, est-il capable de faire passer des émotions par un pneu. Carpenter avait réussi à le faire avec Christine, le grand film sur l’objet tueur. Dupieux échoue parce qu’il ne s’y intéresse pas. Soit il répète inlassablement le même procédé du pneu killer, soit il préfère se concentrer sur ces spectateurs à la jumelle. Aucun intérêt. Et même si techniquement c’est admirable, même si ça fait plaisir de se dire que l’on peut voir ce genre de choses au cinéma, même s’il y a des moments aussi franchement drôles, on ne peut s’empêcher d’être déçu, vis-à-vis ce projet hybride qui ne sait pas vraiment où il doit donner de la tête.

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silencio


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