Publié 24 février 2017
dans Rectify et Séries
Sage épiphanie.
7.5 Rectify s’en va là-dessus. Il faut saluer l’extrême pudeur du projet, qui de ses questionnements à sa mise en scène aura redéfinit une certaine idée de l’élégance sérielle. Jusque dans sa façon de s’en aller, simplement, subtilement. Promesse de quatre saisons tenues, ni plus ni moins, sans jamais forcer quoique ce soit, ne serait-ce que dans le nombre d’épisodes différent selon les saisons. Pas de rebondissements improbables dans cette ultime saison qui viennent casser l’unité down tempo des saisons précédentes. Pas de grandes révélations, pas de twist ni de bouleversements qui sortent du chapeau. Mais une multitude de rapports délicats, profonds parfois complexes car inconciliables, que la série aura toujours traités à la bonne distance, avec la bonne durée. Rectify n’a d’ailleurs jamais pris autant son temps. Les personnages n’ont rarement été aussi beaux et bouleversants, défaits et porteurs d’espoir. Pourtant quelque chose s’est un peu brisé de mon côté, il me manque cette fois l’étincelle qui viendrait me cueillir (Ce que la saison 3 avait débusqué un peu miraculeusement) mais ça reste d’un niveau très élevé, évidemment. Pas de grief d’ailleurs, hormis la musique qui m’a semblé trop omniprésente et franchement, souvent inutiles. Mais Rectify n’hésite pas à faire durer les séquences à l’image, dans le dernier épisode, de la confession psy de Daniel qui s’étire sur plusieurs minutes, ou de cette discussion de cellule (Magnifique dernier flashback) qui vire au rêve éveillé ; Ou simplement ces discussions de famille souvent en duo qui prennent le temps de diffuser de la douceur dans le malaise et vice-versa. Rectify est rempli d’idées minuscules qui deviennent gigantesques : Si le garage avait disparu en saison 3 il revient ici, pour vraiment disparaitre. Aussi, Thawney et Teddy se séparent enfin, pour se retrouver, autrement. Chacun renoue avec l’autre, sans la promesse d’une reconstruction identique, qui aurait simplement effacé la douleur, mais celle d’avancer, de renaitre – Ce n’est pas un hasard si Amantha cite Lazare. Il y a en filigrane la reprise de l’affaire, cette intrigue périphérique, marquée par l’espoir final sans pour autant qu’on nous donne les clés de sa réouverture, car c’est une autre histoire. Et Rectify n’aura cessé de dire cela : C’est l’histoire de Daniel Holden et de ceux qui gravitent autour de lui, ce n’est pas l’histoire de ceux qui lui ont volé dix-neuf ans de sa vie. Les dernières minutes sont sublimissimes, aussi bien le diner de famille post déménagement, le coup de téléphone qui s’ensuit (Rectify aurait pu faire une banale scène de retrouvaille totale mais non, malgré la sérénité retrouvée, il y a une distance imperceptible encore) que le rêve lumineux, où l’élégie se transforme en miracle, où Daniel retrouve Chloé – dans un lieu qui rappelle certaines de ses errances de la première saison – et l’enfant qu’il s’en va tenir dans ses bras, scellant sa renaissance, son extraction du cauchemar. La relation entre Daniel et Chloé restera à mes yeux la plus belle chose que cette ultime saison aura créé. En fait, si, c’est quand même une belle, très belle saison. Et c’est une série indispensable.
A side trip in the side trip.
8.0 Jusqu’ou Rectify nous emmènera ? Difficile de l’imaginer. La série est à l’image de sa construction, de son intrigue, de Daniel, impalpable à souhait. Tout devient de plus en plus intense à mesure que le récit se déploie d’épisode en épisode. Une intensité jamais exagérée, toujours avec la bonne distanciation, la durée adéquate. Et avec tellement peu, concrètement parlant. Peu de rebondissements, peu d’accélérations. Tout ce qui se joue est pourtant d’une force inouïe, mais se loge entre les lignes, jamais ostensible mais prêt à exploser. C’est d’une telle force, justesse, patience, retenue, ça frise l’excellence en permanence. Ça l’atteint d’ailleurs le temps d’un dernier épisode sublimissime.
Chaque strate du récit aura donc pris le temps de grandir, de se mettre en place voluptueusement et douloureusement. Pour Daniel et autour de Daniel. Plus que jamais, la série donne à voir ce que cette sortie ambiguë laisse comme traces partout où elle passe, revient, s’installe. Dans un foyer qui se désagrège. Une entreprise qui disparaît littéralement de l’écran, durant cette troisième saison. Une cuisine, que l’on rafistole. Une piscine que l’on repeint. Et puis plus que jamais la série rappelle quelque chose de fondamentale mais de pas forcément évident : Daniel est un corps adulte prisonnier dans une âme d’adolescent, puisqu’il reprend une part de son âge qu’il avait laissé en partant. Parvenir à mettre cela en scène n’était pas gagné d’avance. Rectify y parvient. Haut la main. Et l’image de cette piscine, de cette plage, de ce road trip mère/fils souligne cela à merveille.
Weird as you.
7.5 C’est une très belle saison dans la continuité de la première, qui parvient même à faire mieux à raison d’un récit nettement plus dense, à l’ambiance plus éthérée, hypnotique. Si Daniel est toujours bien entendu le point de convergence, celui autour duquel chaque parcelle d’écriture se développe, à l’image de ce régulier flash back prison qui s’immisce parfois dans le présent – pas forcément ce que la série fait de mieux à mon avis – c’est surtout un temps offert aux personnages secondaires et donc à la petite ville de Paulie qui marque cette fois davantage. En particulier Teddy, le beau-frère, élément déjà éminemment problématique dans la première saison, qui est ici au bord de la rupture, autant professionnelle que conjugale. Je garde toutefois quelques réserves, essentiellement dans la première partie de saison où l’extrême lenteur de la progression narrative me parait un peu forcée. Il y a par exemple des moments illustrant le quotidien (Amantha à la caisse du supermarché, pour ne citer que le plus évident) qui sont plus faibles que le reste. Mais finalement, Rectify trouve de plus en plus son tempo, s’affirmant d’épisode en épisode, en brouillant constamment les cartes, dégageant un lot de nuances considérable. Si bien que l’on en sort aussi désarçonné que Daniel qui, au-delà de cette liberté intérieure qu’il a inévitablement déniché en cellule, ce nouvel espace-temps qu’il y a construit, il semble lui-même ne plus savoir s’il est innocent ou coupable (« I’m not a good guy » ne cesse t-il de répéter à Tawney) de ce meurtre dont il a finalement été disculpé trop tard, continuant ainsi de le hanter au quotidien, aussi bien au niveau mental que physique, familial ou politique. Quelque chose de terrible se noue à nouveau puisque l’affaire reconsidère les preuves Adn en revenant sur les aveux d’époque de Daniel, qui pourraient aussi avoir été donné sous la contrainte. Tout est flou pour tout le monde (l’enquête judiciaire aussi) et ce d’autant plus que le temps a fait son travail, qu’il est irrécupérable comme la mémoire qui se brouille. Six épisodes pour traiter cela, c’était peut-être un peu juste. Dix probablement trop. Qu’importe, il y a vraiment quelque chose de saisissant là-dedans, d’autant que Rectify offre pourtant dans ce cauchemar au carré des instants de grâce pure. C’est Six feet under qui croise Top of the lake. Bref, c’est très beau.
Publié 7 novembre 2014
dans Rectify et Séries
L’étranger.
7.0 Je suis très impatient de voir où la deuxième saison va me mener mais je pense qu’on tient là un futur standard, un indispensable. La série raconte la sortie de prison – grâce à une preuve Adn – d’un homme resté dans le couloir de la mort pendant 19 ans. On suit alors ses interactions avec ce monde qu’il ne reconnaît pas, entre l’accueil familial et le regard des autres, entre ceux qui le voient innocent et les autres toujours coupable du meurtre d’une jeune femme. Magnifique personnage que cet adolescent dans un corps d’adulte. La série est d’une extrême lenteur, apprivoisant ses déplacements, errements et perditions. Six épisodes magistraux, d’une puissance folle avec une fin qui laisse littéralement sur le carreau.