Archives pour la catégorie Richard Fleischer

Tora ! Tora ! Tora ! – Richard Fleischer, Kinji Fukasaku & Toshio Masuda – 1970

09. Tora ! Tora ! Tora ! - Richard Fleischer, Kinji Fukasaku & Toshio Masuda - 1970December 7th.

    5.0   C’est un cas particulier, dans le paysage du film de guerre hollywoodien. Rien que le titre, qui reprend le signal lancé par les Japonais pour l’attaque de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941. Il s’agit en effet du récit qui mène à cette attaque, avec de nombreuses scènes d’Etat-major et de préparatifs avant les scènes de combat. Et une idée majeure : filmer les deux camps, américains et japonais, et confier la réalisation à deux cinéastes, américains et japonais. Et ça devait être Fleischer & Kurosawa mais le réalisateur des Sept samouraï ne parvint pas à tourner ce qu’il souhaitait, toujours en désaccord avec la Fox. Il sera remplacé in extremis par deux jeunes cinéastes (sans doute moins chiants) qui se répartiront les scènes de dialogues et les scènes d’action. Le modèle c’est évidemment Le jour le plus long. Mais Tora ! Tora ! Tora ! sera un échec cuisant pour le studio. Est-ce dû au fait qu’il n’est porté par aucune grande icône de l’époque ? Est-ce dû à l’originalité de ce double point de vue, volontiers schizophrène ? Ou simplement parce qu’il raconte une défaite américaine ? Toujours est-il que le public américain ne s’y déplace pas. Quoiqu’il en soit c’est un film bien plus intéressant par ce qu’il défend que par ce qu’il montre tant il est beaucoup trop scolaire, beaucoup trop dans la lignée de ces films de guerre fleuve et ennuyeux que sont Un pont trop loin ou Le jour le plus long.

Le pigeon d’argile (Clay pigeon) – Richard Fleischer – 1949

36. Le pigeon d'argile - Clay pigeon - Richard Fleischer - 1949La mémoire dans la peau.

   6.0   Un ancien prisonnier des camps japonais se réveille d’un long coma quelques années après la fin de la guerre. Il est accusé d’avoir trahi un co-détenu et risque la cour martiale. Sauf qu’il est à moitié amnésique et ne se souvient pas du tout d’avoir provoqué l’exécution de son ami. Il s’évade de l’hôpital naval et se met à la recherche de sa veuve. Il y a évidemment du Hitchcock là-dedans – C’est La mort aux trousses, c’est Le faux coupable – mais il y a aussi les prémisses de L’énigme du Chicago express (que Fleischer réalisera six années plus tard) d’une part car le climax du film se déroule aussi à bord d’un train, d’autre part car c’est un singulier duo que Le pigeon d’argile nous demande de suivre. C’est un film très ramassé (Soixante minutes, pas plus) au sein duquel Fleischer se montre déjà très à l’aise dans le déploiement de son intrigue et de son suspense. Il y a quelques maladresses, des choses très appuyées, visant à faciliter la compréhension du récit, notamment les deux flashs mentaux très pratiques. Ou bien sûr le retournement rapide de la veuve du défunt qui n’est pas suffisamment bien écrit / hyper bien incarné pour qu’on y croit. Si le film est jalonné de jolies séquences, à l’image de la course-poursuite dans le Chinatown de Los Angeles ou de celle du train, il y a surtout ce moment où notre héros se réfugie chez une jeune chinoise, qui le cache dans la chambre de son bébé, et dont il comprend, en tombant sur une photo dans un cadre, qu’elle aussi est veuve de guerre, d’un soldat asiatique. Bref, ça vaut largement le coup d’œil.

Les inconnus dans la ville (Violent saturday) – Richard Fleischer – 1955

Les inconnus dans la ville - Violent saturday - Richard Fleischer - 1955Vendredi soir, samedi matin.

    6.5   Un film noir en couleur (Et quelles couleurs !) et en Cinemascope. C’est un beau pari, que Fleischer relève largement, tant l’image est sublimissime, en partie car cette cité minière dans laquelle le récit s’installe, est un lieu parfaitement cinégénique.

     C’est une sorte de film choral qui suit vingt-quatre heures durant, une multitude de personnages dont on comprend bientôt qu’ils seront tous concernés, de près ou de loin, dans la banque en question ou non, par le braquage qui aura lieu ce samedi à midi pile (à l’heure de sa fermeture) par trois brigands dont on va suivre l’arrivée en ville.

     Parmi ces segments, inégaux dans la mesure où certains personnages nous intéressent moins que d’autres, il y a de belles trouées. Un couple qui se déchire sur la rampe de leur escalier ; l’instant pervers d’un banquier voyeur ; Et une magnifique scène de voyous en pyjama, où l’un se confie à l’autre à propos d’une femme qu’il a laissé filé et qui est à l’origine de ce toc qui le caractérise : Il respire régulièrement dans un inhalateur.

     J’ai vu, dans sa construction du moins, du Trainé sur le bitume, soixante-cinq ans plus tôt. Dommage que Fleischer ne se fasse pas aussi confiance qu’un Zahler. Il me semble qu’il manque à chaque scène quelque chose, du temps, du trouble, de la surprise. La meilleure idée restera ce braquage, quasi survendu pendant une heure, tant le film navigue dans ses petits riens, et pourtant il ne sera pas grand-chose. Impressionnant mais bref, afin de laisser place à un climax dans une grange. Zahler fera la même chose avec le parking de son entrepôt.

     Je suis davantage gêné par les grosses ficelles d’écriture, notamment tout le discours moral sur la place du héros et de la violence. Les intentions sont un peu trop claironnantes et gâchent le somptueux final de la scène de la grange : Le père Amish qui s’en remet à dieu mais qui choisit in-extremis de tuer ; le papa qui se retrouve héros malgré lui, tandis qu’un peu plus tôt les amis de son fils se moquaient de lui car il n’avait pas, comme leurs pères à tous, fait la guerre de Corée. J’aime le film mais j’ai connu Fleischer plus subtil et inspiré.

Soleil vert (Soylent green) – Richard Fleischer – 1974

04. Soleil vert - Soylent green - Richard Fleischer - 1974Symphonie mortifère.

   6.5   En 2022, les hommes ont épuisé les ressources naturelles. Seul le Soylent green, une pastille très convoitée, créée par une élite dirigeante, parvient à nourrir une population miséreuse. Omniprésente et terriblement répressive, la police, quant à elle, assure l’ordre. Accompagné de son fidèle ami, Thorn, un policier, va découvrir, au péril de sa vie, l’effroyable réalité de cette société inhumaine.

     C’est un bon film comme tout ce que fait Fleischer – plus je découvre sa filmographie, plus elle m’impressionne – et dans le même temps je ne peux m’empêcher d’être un peu déçu : Sur le papier c’est un chef d’œuvre absolu du cinéma d’anticipation mais à l’image le film souffre d’une grande quantité de défauts, Charlton Heston en priorité, son jeu (de mâchoire) d’un autre temps, ses grimaces outrancières. Aussi, le film peine à retranscrire ce New York dystopique, pollué, surpeuplé mais aussi à se montrer inventif durant les scènes extérieures, notamment à cause de cette fumée jaunâtre très cheap et de la scène de l’émeute avec les pelleteuses, qui méritait mieux : On flirte dangereusement avec le nanar. Le déroulement de l’enquête (effectué par Thorn) n’est pas non plus son point fort, tant ça manque de rythme.

     On s’en remet à des bribes. La réussite se joue en effet dans les creux, lieux plus étriqués à l’image de l’appartement délabré du héros, qu’il partage avec un vieil ami – les moments avec le personnage incarné par Edward G. Robinson (qui meurt peu de temps après le film) l’un de ceux qui peut encore témoigner du monde d’antan, sont très beaux, notamment cette jolie séquence de repas ; mais aussi comme ces cages d’escalier occupées par de nombreux sans-abri.

     On s’en remet à son terrible dernier tiers. Quand Sol découvre le pourquoi de l’assassinat d’un dirigeant de la Soylent Corporation et décide de filer au Foyer, pour se faire euthanasier. Là-bas, durant ses derniers instants, on offre à Sol de voir des images de ce qu’était la Terre avant, celle que lui connut (que son ami ne connaîtra jamais) en écoutant La pastorale, de Beethoven. Ce moment où Thorn arrive trop tard mais reste muet en découvrant lui aussi ces images est vraiment émouvant.

     Il découvrira bientôt le secret impensable : Empruntant un camion-bennes qui transporte les euthanasiés vers un crématorium hors de la ville, il va comprendre que le Soylent Green est fabriqué à partir de ces cadavres. Si ce glissement terrifie,  j’en viens à penser que le film souffre beaucoup de la comparaison avec Snowpiercer, de Bong Joon-ho auquel il ressemble beaucoup et pas uniquement pour ses dérives anthropophages.

Le voyage fantastique (Fantastic voyage) – Richard Fleischer – 1967

05. Le voyage fantastique - Fantastic voyage - Richard Fleischer - 1967Brain destination.

   8.0   Dans la lignée de Vingt mille lieues sous les mers, Le voyage fantastique est un autre voyage un peu à la Jules Verne. Il s’agit là aussi d’un sous-marin : le Proteus. Simplement, il ne va plus arpenter les eaux du Pacifique mais l’intérieur d’un organisme humain. Il y a quelque chose d’un épisode d’Il était une fois la vie, là-dedans. Au point que l’on se demande si la série pédagogique ne s’est pas inspirée du film pour ses dessins. Mais ici aussi, on pense à Tintin, on a marché sur la lune. Et pas seulement pour cette histoire de sabotage, mais aussi parce que c’est encore un sous-marin, bien plus petit (bien moins fascinant, c’est vrai) que le Nautilus qui sera le véhicule héros digne de la fusée rouge et blanche.

     Le résumé du film m’a toujours fasciné : « Pendant la Guerre froide, les Etats-Unis et l’Union soviétique s’affrontent sur le plan scientifique. Le chercheur Jan Benes découvre une méthode permettant de miniaturiser les objets pour un temps indéfini mais ce dernier est victime d’un attentat en voulant passer à l’ouest du rideau de fer. Afin de le sauver du coma dans lequel il est plongé, un groupe de scientifiques américains miniaturise un sous-marin et pénètre dans le corps de Benes pour le soigner de l’intérieur »

     C’est un divertissement intelligent, très inventif visuellement et si bien écrit qu’on y croit corps et âme à ce voyage, on oublie son caractère complètement invraisemblable justement car Fleischer le traite avec beaucoup de sérieux, de passion, en faisant brillamment fonctionner le suspense lié au compte à rebours (la miniaturisation ne peut excéder soixante minutes) et au temps quasi réel de l’expédition. Et il nous convie malicieusement, entre mystère et pédagogie, au sein des merveilles que recèle le corps humain, son fonctionnement, sa complexité, sa beauté, sa richesse. Chaque région du corps est un nouveau lieu à traverser, un nouvel obstacle à franchir.

     Parmi les épreuves, qui deviennent à fortiori des péripéties grandioses digne des plus grandes aventures terrestres, spatiales ou sous-marines du cinéma, il y a la traversée d’un cœur momentanément arrêté – afin d’éviter les dangereuses secousses que ses battements produisent – ou bien le réapprovisionnement périlleux d’oxygène dans le poumon, l’attaque des défenses immunitaires – qui évoquent ce que seront les attaques de piranhas dans le film de Joe Dante à venir dix ans plus tard – ou encore cet abri de fortune dans l’oreille interne.

     Aussi léger soit-il, le film transporte en lui, en filigrane, l’éventualité terrifiante que ses personnages reprennent leur taille à l’intérieur du corps du savant. C’est évidemment impossible car on nous explique que dès l’instant qu’ils seraient amenés à grandir – progressivement, qui plus est – ils deviendraient alors une menace pour l’organisme qui enverrait les lymphocytes – comme il en sera ainsi du saboteur incarné par Donald Pleasance – avaler ces corps étrangers. Pas banal comme façon de mourir au cinéma. Et cette idée du réagrandissement plane sur le film, ne serait-ce que par le régulier retour du chronomètre, ce qui inéluctablement évoque cette issue horrifique.

     Il faut tout de même préciser que le rythme du film est très lent, ce qui en nos temps de cinéma effréné fait presque office d’insolence mais procure surtout un bien fou. Il parait que Guillermo del Toro planche présentement sur un remake. Assez curieux de ce qu’il va en retirer, en espérant au moins qu’il ne lui administre pas un rythme et une ambiance passe-partout, car c’est moins le récit qui importe dans Le voyage fantastique que la singularité mise en scénique de ce voyage. Il y a du psychédélisme pré 2001, l’odyssée de l’espace là-dedans (le Kubrick sort quelques mois plus tard) même si sa plasticité joue plutôt dans la lignée du Bava, de La planète des vampires.

     Voilà bien longtemps que j’envisageais ce double programme : Découvrir Le voyage fantastique, de Richard Fleischer puis revoir L’aventure intérieure, de Joe Dante. Inutile de préciser que ce fut une soirée assez parfaite, le panard total. Et quand bien même ces deux films ne soient pas, à mes yeux, les plus beaux de chacun des deux auteurs concernés, les appréhender coup sur coup me les rend infiniment touchants et précieux.

Vingt mille lieues sous les mers (20,000 leagues under the sea) – Richard Fleischer – 1955

05. Vingt mille lieues sous les mers - 20,000 leagues under the sea - Richard Fleischer - 1955Le monde de Nemo.

   7.5   Soit le film qui fait la combinaison de deux explorateurs, l’un de papier, l’autre de l’écran : Jules Verne & Walt Disney. Fleischer ne sera que le brillant artisan-exécuteur de cette affaire, qui repose aussi sur les présences de Kirk Douglas, Paul Lukas, Peter Lorre & James Mason. Excusez du peu. Le premier sera un courageux harponneur, les deux suivants un homme de science et son vaillant conseiller, quant au quatrième il s’agit ni plus ni moins que de l’énigmatique Capitaine Nemo, politicien fou et torturé. Un poulpe géant fera donc office de grand méchant quand Peter Lorre sera lui tout gentil, voilà en partie sur quoi s’appuyait la promotion du film, qui faisait aussi dire à Kirk Douglas qu’il allait se battre contre un requin et une tribu cannibale mais que son plus grand mérite ici allait être de pousser la chansonnette accompagné d’un ukulélé en tortue. Mais le cœur du film se joue avant, à mon sens. Dans la découverte du Nautilus (visuellement fascinant et bien aidé par le Scope et le Technicolor) dont on croit d’abord qu’il est un monstre marin qui dévaste les frégates du Pacifique avant de comprendre qu’il est un navire insubmersible qui renferme la folie d’un seul homme,  explorateur et terroriste. Rien que pour ce glissement (vers le Nautilus, vers Nemo, vers le monstre) et pour l’exploration sous-marine qui en découle, Vingt-mille lieues sous les mers est un très beau film d’aventure.

     J’aime aussi beaucoup le film pour l’imaginaire qu’il charrie et auquel il me renvoie, par nostalgie : L’intérieur du Nautilus à quelque chose de celui de la fusée dans Tintin – Faut-il rappeler que l’un des ouvrages de Jules Verne s’intitule « De la terre à la lune » ? – et des similitudes dans les personnages se ressentent, au point que l’on peut considérer que Milou est remplacé par l’otarie Esmeralda. Mais c’est aussi un cinéma maritime, que j’affectionne et qui probablement s’en inspire, que le film convoque par touches. Les portes étanches qui referment les compartiments inondés lors de l’avarie provoquée par l’explosion ne sont pas sans rappeler celles de Titanic ; Quant au voyage à travers le vaisseau, ses pièces, son ambiance métallique, son arbre d’hélice, c’est bien entendu à L’aventure du Poséidon (Peut-être Le film de mon enfance) auquel je songe ; On pourrait aller plus loin et voir les prémisses d’Alien dans ces couloirs, celles de Das boot dans l’immensité maritime qui enveloppe ce monstre d’acier. Quant à ce hublot géant, cette façon si singulière et poétique – Ah, la mort du Capitaine Nemo – qu’il a de s’ouvrir sur l’océan, il me renvoie à la structure vitrée de l’Atlantis de Stromberg dans mon James Bond préféré, L’espion qui m’aimait. Bref, tout ça pour dire que c’est un film que j’aurais probablement adoré voir et revoir, gamin, mais que de le découvrir aujourd’hui ne me le rend pas moins sympathique, au contraire.

Terreur aveugle (Blind terror) – Richard Fleischer – 1971

21. Terreur aveugle - Blind terror - Richard Fleischer - 1971La maison des tortures.

    9.0   Dès les premiers plans, Terreur aveugle annonce le giallo. Et le cinéma de Brian de Palma. Comme le premier, le fétichisme du détail – Les santiags étoilées, les mains gantées, le visage invisible – se nourri d’un savant découpage. Comme le second, l’héritage hitchcockien est évident. Et si la douche s’amuse du clin d’œil à Psychose, il y a du Frenzy (avant l’heure) dans l’air, sans doute parce qu’on est dans le Berkshire. Mais bientôt ça vire vers quelque chose de plus sale encore, tendance Massacre à la tronçonneuse. Dans la forme mais pas seulement : Incroyable de constater combien on a maintes fois copié son déroulement mais jamais sa maestria rythmique. C’est le film anxiogène ultime. Une matrice de survival.

     Ainsi, Terreur aveugle lance ce sous-genre de thriller dans lequel l’héroïne souffre d’un handicap, comme le dit Nicolas Saada dans la préface de l’édition blu ray. Je ne reviens pas sur les exemples qu’il donne mais je complète par un autre tant le film m’a sans cesse rappelé un autre que j’aime beaucoup : La main sur le berceau, de Curtis Hanson. Dans ce dernier l’héroïne était asthmatique, ce qui offrait une place importante à un objet, l’inhalateur, fétiche de film d’épouvante comme un autre. On peut aussi dire que Blink, avec une Madeleine Stowe aveugle fait directement référence à Terreur aveugle mais avec nettement moins de finesse et de mise en scène, dans le peu de souvenirs que j’en ai.

     C’est un film très physique parcouru de purs instants de sidération et de forts partis pris. L’un d’eux concerne la séquence pivot de l’attaque, un carnage qui restera hors champ de façon à ce qu’on reste aux côtés de Sarah – Déjà qu’on voit, nous – plutôt que dans un schéma omniscient classique avec montage alterné et autres facilités de narration. Une idée géniale parmi d’autres c’est que le film se déroule quasi exclusivement de jour. Dans la mesure où son personnage est aveugle, pour elle c’est toujours la nuit : Inutile donc de doubler l’effet. Il y a quelque chose de terrible à voir Mia Farrow (qui sort de Rosemary’s baby) à tâtons dans cette maison gigantesque aux multiples pièces, recoins, portes, bibelots. Et le film de nous familiariser d’abord avec ce lieu de façon à ce que son impact (en temps réel) dans la deuxième partie soit plus intense.

     Ce qui frappe c’est le sens des détails et notamment via ces nombreuses scènes miroirs : L’arrivée de Sarah lorsqu’elle bute sur la colonne du hall d’escalier, derrière laquelle elle se cachera plus tard pour échapper à l’agresseur ; l’oncle qui dit de faire attention à la porte de la cave dans laquelle elle échouera aussi un moment donné ; les plans sur la gourmette du tueur, sur les éclats de verre dans la cuisine, qui évidemment auront une importance conséquente par la suite. L’escapade romantique à cheval – qui déjà résonne avec son accident d’équitation qui  a provoqué sa cécité – permet elle aussi une scène miroir tout en tension un peu plus tard. Mais déjà cette scène détachée est en rupture, perturbée par les éléments et la mise en scène : Le temps se gâte, les feuilles et les branches saturent chaque plan.

     Le retour de Sarah marque le vrai tour de force du film, un interminable monstre d’angoisse, par ses pesants silences, sa gestion de l’espace, sa découpe des plans. Un homme sans visage d’un côté, invisible, introuvable, endormi ; une fille aveugle de l’autre, insouciante, qui croit que sa famille dort. Mia Farrow navigue entre les bouts de verre, tondeuse égarée, bijou perdu et les cadavres éparpillés sans se rendre compte de rien. L’apparition du premier corps, Sandy, sa sœur, provoque un frisson absolu. Le second c’est quand elle bute sur le jardinier, rescapé mourant. Le plus beau jump scare de cinéma ?

     La découpe des plans impressionne : Aux gros plans, zooms et décadrages violents dès qu’on se trouve en présence du tueur répondent une composition plus douce, plus classique mais très élaborée aussi, en compagnie de la jeune femme. Mais dès que les deux mondes se rencontrent la mise en scène de l’un contamine l’autre : Le film sera tendu, sec jusqu’au bout. Son héroïne s’ouvre le pied, tombe dans les escaliers, se prend des branches d’arbre dans la gueule, se retrouve enfermée dans une cabane isolée, se perd dans la glaise. C’est insoutenable.

     S’il y a pourtant des indices quant à l’identité du tueur qui semble connu de tous – Le barman qui lui enlève les pieds de la banquette sans rien lui dire, comme s’il était son père. Et bien entendu l’ouverture où il s’impose devant le chauffeur d’une voiture qui lui demande poliment de bouger – le film attend la dernière séquence pour le dévoiler. Peut-être que ce n’est pas ce qu’il réussit le mieux mais qu’importe, l’apparition de ce visage dans le miroir de la salle de bain et la séquence, hyper rude, de la baignoire qui s’ensuit font partie des trucs les plus crispant qu’il m’ait été donné de voir.

     Au rayon des films influencés par Terreur aveugle j’en retiens essentiellement deux. La séquence chez les gitans renvoie inévitablement à Eden lake. D’autant que le prénom sur la gourmette y est (assez bien) transposé en noms de chiens sur les gamelles de croquettes. Et puis Bonnie & Clyde (le nom des chiens) c’est aussi une manière de renvoyer au Nouvel Hollywood, mouvement dans lequel Terreur aveugle mérite amplement sa place. Aussi, il est évident que La traque, de Serge Leroy, s’en inspire tant les « Help » à répétition de Mia Farrow perdue dans la glaisière évoquent ceux de Mimsy Farmer dans les marécages.

L’Étrangleur de Boston (The Boston Strangler) – Richard Fleischer – 1968

06. L'Étrangleur de Boston - The Boston Strangler - Richard Fleischer - 1968Ecran schizo.

   8.0   Ce qui frappe dans un premier temps c’est l’utilisation abondante du split screen. Jusqu’à parfois morceler l’écran en quatre. Première fois que je voie le procédé utilisé de la sorte, je crois. Cela permet aussi bien de multiplier les points de vue, de voir évoluer la victime et le tueur dans le même espace temporel, ainsi que celui des témoins directs (une voisine découvrant le corps, par exemple) voire indirects, puisque le procédé est aussi utilisé durant l’enquête policière. Surtout on a le sentiment que ces « cases » forment des colonnes de brèves, comme si cette première partie de film constituait un recueil de faits divers qu’on feuilletterait avec la même distance que celles de policiers dont les recherches patinent. Mais cela permet aussi de préparer le terrain de la seconde partie, donc de créer une sorte d’écran schizophrène, relié à la personnalité du tueur. Une heure hyper impressionnante, donc, sèche autant qu’elle s’avère répétitive – On est d’ailleurs au bord du trop plein d’écran divisé un moment donné, au bord d’un dispositif nauséeux.

     C’est alors qu’à la manière de ce que fut le Psychose, d’Hitchcock ou plus tard son Frenzy, le film va changer de braquet brutalement. Il n’y avait pas de personnage vraiment identifiable et là, d’un coup, il y a un homme à l’écran, un père de famille, devant sa télé regardant, ému, les obsèques du président Kennedy. Il prend sa fille sur ses genoux, puis se lève, embrasse sa femme, sort de chez lui, prend sa voiture, entre chez une femme. Il n’est pas question pour Fleischer de montrer la suite comme il n’était pas question de montrer les agressions précédemment. Point de voyeurisme malsain ici, au contraire, le film tente d’apprivoiser ce personnage irrécupérable mais récupéré par son trouble. Difficile de ne pas penser à M le maudit. La suite c’est encore un autre film. Le dernier échange, avec une fois de plus un Henry Fonda magnifique et un Tony Curtis (incarnant le vrai Albert DeSalvo, auteur de treize meurtres au début des années 60) absolument monumental, offre une fin de film incroyable. Grosse calotte.

L’énigme du Chicago Express (The Narrow Margin) – Richard Fleischer – 1953

the-narrow-margin_302978_27751Aller sans retour.

   7.5   Outre le fait que ce Fleischer se déroule quasi entièrement dans un train, à l’exception de deux escales – les dix premières minutes qui nous y conduisent et une plus brève un peu plus loin – le film parvient à garder un rythme hallucinant d’un bout à l’autre, voguant entre cabines, étroits corridors et voiture bar avec une aisance de déplacement bluffante – accentué par de nombreuses prises caméra à l’épaule. Souvent relayé par de classiques transitions « train en marche » (afin de respirer un peu) et de salvateurs fondus enchainés (les bielles de la locomotive qui se transforment en lime à ongles, notamment) voire des surimpressions permettant de rester sur le même tempo tout en faisant avancer le récit, à l’image des deux/trois scènes de télégrammes ajoutées sur le mouvement du train, L’énigme du Chicago express est une formidable film noir dans la tradition du genre. Le récit est sec, famélique (une banale histoire de protection, le temps d’un voyage ferroviaire, d’une veuve d’un grand bandit, qu’une poignée de malfrats cherche à abattre, qui doit témoigner tout une liste de personnes compromises dans les affaires de son mari) et sans fioritures (1h11) si ce n’est cette fine thématique du double qui provoque un twist gratuit mais bien vu, aux trois quarts. Autrement, les dialogues vont à l’essentiel, Fleischer leur préférant les articulations physiques qui se nouent autour de sept/huit personnages, tout au plus et la tension que l’exiguïté du décor vient renforcer. A part ça, c’est fou ce que January Jones (Mad Men) me fait penser à Jacqueline White, dans ce film tout du moins.


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