Céline et Jesse vont en bateau.
8.5 Dans le wagon d’un train, Céline est en train de lire. Gênée par le bruit d’un couple en pleine scène de ménage à ses côtés, elle change de place et s’assied plus loin, en face de Jesse, qui lit aussi. Quelques regards furtifs l’un envers l’autre plus tard, les voilà s’adressant la parole, puis s’engageant dans de longues conversations et confidences intimes. Ils ne lisent plus. Le temps est suspendu ; Expression que l’on utilise facilement pour évoquer un embryon de romance, pourtant ce ne sont pas que des mots ici tant Linklater (Immense cinéaste, définitivement) s’intéresse à la temporalité (et forcément, à sa suspension) plus que n’importe quel autre cinéaste.
Le temps fait partie du dialogue qui se crée régulièrement entre Céline et Jesse. Le temps est aussi une donnée de fond puisque l’on sait que leur rencontre est perturbée par leurs obligations respectives – Céline s’en va pour Paris, Jesse pour New York, par avion, via Vienne. Ville qui sera le lieu de cette parenthèse, d’un bout à l’autre du film, avant que Céline ne reprenne le train et Jesse l’avion. Et avant Vienne il y a donc ce train, vecteur à la fois géographique et temporel, comme s’il permettait à deux êtres qui ne devaient pas se croiser, de se connaître, d’accepter l’imprévu et de s’aimer.
La première séquence à Vienne se déroule sur le pont d’un chemin de fer – Un croisement de routes, lignes, horizons, inéluctablement. Céline et Jesse, en quête d’un lieu à visiter, tombent sur deux types les invitant à leur représentation théâtrale le soir même à 21h30 – 9.30Pm. Quelques minutes plus tôt, Jesse disait devoir prendre son vol de 9h30 le lendemain. Ce n’est pas grand-chose, c’est même assez inutile, mais cela crée une passerelle étrange au sein d’une temporalité complètement distordue, le temps de 12h, une nuit, une balade, un film. Before sunrise est une succession de lieu Viennois traversés, toujours accompagné par cet échange infini entre Céline et Jesse, alternant un silence embarrassé (l’écoute musicale chez un disquaire, plus belle scène du film) ou un flot de parole ininterrompue (le tramway) ; Dialogues prenant souvent élan dans le jeu : Il s’agit ici de se poser une question chacun son tour et d’y répondre, là de faire mine de téléphoner à un(e) ami(e) et de lui raconter sa brève rencontre.
C’est un film que je chérissais avant de le découvrir. Depuis deux ans, j’ai vraiment fait connaissance avec le cinéma de Richard Linklater, qui me touche énormément, qui plus est lorsqu’il s’attache à travailler la temporalité sous toutes ses formes (Boyhood, une vraie révélation). Je savais que Before sunrise était le premier d’une série de deux (puis trois) films qui s’intéressait à la rencontre entre un homme et une femme, avec les mêmes interprètes, sur cinq (puis quinze) ans. Et bien ce fut le moment que j’espérais, parfois même en mieux. Je ne pensais pas que Julie Delpy et Ethan Hawke camperaient ce couple avec autant de grâce. Je les adore, sans réserve. Eux autant que leur personnage.
Et puis quand le film vient se fermer sur un adieu qui n’en est plus vraiment un (Ils avaient accepté le caractère éphémère de leur rencontre mais décidé à la dernière seconde de se revoir au même endroit six mois plus tard) avant de nous laisser sur la succession des lieux que l’on vient de traverser, désormais vides et silencieux, je n’avais plus que mes yeux pour pleurer. Comme Jesse qui dit, à l’aurore, dans un moment d’amertume, qu’ils sont de retour dans le monde réel, je vais moi aussi revenir dans le mien et savourer le moment où je replongerai à leurs côtés pour cette suite qu’est Before sunset.