Archives pour la catégorie Ridley Scott

Le dernier duel (The last duel) – Ridley Scott – 2021

19. Le dernier duel - The last duel - Ridley Scott - 2021La vérité.

   7.0   En 1386, dans le royaume de France, le chevalier Jean de Carrouges, de retour d’un voyage à Paris, retrouve son épouse, Marguerite de Thibouville. Celle-ci accuse l’écuyer Jacques Le Gris, vieil ami du chevalier, de l’avoir violée. Le roi Charles VI doit décider s’il y aura un « procès par le combat », selon le souhait du chevalier. Ce duel doit servir à déterminer la vérité. Si le mari perd le duel, la femme sera également brûlée vive pour fausse accusation. La justice s’en remet à dieu, dit-on.

     Il y a quelque chose d’assez touchant de voir Ridley Scott revenir à ses premières amours. En effet, si le réalisateur de Gladiator a beaucoup investi la matière épique, il ne faut pas oublier que son tout premier film, Les duellistes (1977) était déjà l’histoire d’un duel, adapté d’une nouvelle de Conrad.

     Mais Le dernier duel est moins l’histoire d’un duel qu’un film sur le pouvoir des hommes et sur la vérité propre de chacun. C’est toute la particularité du film qui a la manière de Rashomon (ou de la série The Affair, plus récemment) se contentera de conter des faits suivant la perspective du personnage choisi. Donner à observer leurs vérités : d’abord celle de Jean de Carrouges (Matt Damon, impeccable) puis celle de Jacques Le Gris (Adam Driver, tout aussi à l’aise).

     Deux chapitres ? Non : Trois. C’est la grande idée du film, finalement très féminin, que d’offrir aussi et surtout le point de vue de Marguerite de Thibouville (Jodie Comer, révélation). Chapitre que Ridley Scott intitulera de ses sobres sabots : « La vérité ». Car heureusement, le film ne laisse aucun doute quant au fait essentiel autour duquel le récit se déploie. Fallait-il pour autant faire clignoter le sous-titre ?

     Qu’importe, le film se déroule en trois mouvements, inégaux certes, un peu longs parfois, puisque répétitifs, mais il converge d’une part vers un miroir médiéval de notre époque Metoo, et vers ce duel attendu qui ne démérite pas, loin de là. Jusqu’à ce très bel épilogue, lumineux et troublant.

     C’est un film passionnant, au récit bien plus riche, retors et ambigu qu’il n’en a l’air en apparence. Dans le rapport à la subjectivité bien sûr tant chacun ne s’étend pas du tout sur les mêmes faits, comme si certains éléments importaient pour l’un et non pour l’autre. Et le film prend une dimension assez imparable dans son dernier tiers et dans sa partie procédurière. Le meilleur film de Ridley Scott depuis trente ans.

Alien, le huitième passager (Alien) – Ridley Scott – 1979

04. Alien, le huitième passager - Alien - Ridley Scott - 1979La traque.

   9.5   Alien c’est d’abord un choc esthétique, déclenché par l’impressionnant décorum que constitue le Nostromo, vieille carcasse de cargo interstellaire – ancré à tout jamais dans notre imaginaire – qui fait office de xénomorphe géant, comme si nous étions plongés à l’intérieur de la bête, du début à la fin.

     Un décor de casse saturée de tuyaux, coursives et conduits d’aération, qui suinte l’huile et dans lequel la pluie et d’étranges fumigènes – masquant les erreurs techniques, sans doute à l’instar de la brume persistante (idée de génie) dans Blade runner, trois ans plus tard – accentuent cette ambiance mortifère.

     Alien s’ouvre sur un signal émis par une étrange planète inconnue. Un appel mystérieux qui va stopper le voyage et sortir l’équipage de leur statut d’hibernation. Le capitaine et certains de ses hommes descendent sur la planète et n’y découvrent que les vestiges d’un vieux vaisseau spatial. C’est la mort dans un miroir.

     L’épure du récit, liée aux fondements du survival, est contrebalancée par une mise en scène complexe, dont la puissance naît de sa force visuelle et de son tempo oppressant. Cette angoisse insoutenable tient en grande partie à une idée, celle d’en montrer le moins possible. Et aux accompagnants : Goldsmith à la musique, Giger au design du vaisseau et de la créature. Et à ces sept magnifiques acteurs. Oui, Scott n’est pas seul pour donner vie au Nostromo.

     Nous parcourons les viscères de ce monstre aussi multiforme que celui qui va y entrer. Chaque membre de l’équipage se trouve bientôt enlevé et/ou exécuté par l’entité extraterrestre que la mise en scène de Scott nous interdit de voir (avant le grand final dans la navette de secours) la rendant aussi invisible que Jonesy, le chat roux – véritable incarnation démiurgique de Scott lui-même – qui veille, devant chaque mise à mort, au bon engrenage narratif.

     Figure prométhéenne utilisant le viol sous toutes ses formes, c’est elle, de par la vertigineuse traque qu’elle fomente et sa capacité de mutation, qui devient vectrice narrative. D’abord ingérée par Kane (John Hurt) lors de l’éclosion d’un œuf qui envoie une araignée s’agripper à son casque, elle mue dans ses entrailles puis lui transperce le thorax – Lors d’une scène de repas entrée à la postérité ; Poursuit Dallas dans la pénombre d’un tunnel tentaculaire formé par les gaines d’aération ; Pénètre littéralement Lambert en l’enfourchant d’un immense dard ; Jusqu’à se hisser dans la navette de secours et surprendre Ripley, en tenue légère, juste avant qu’elle ne retourne dans son module d’hibernation. Un peu plus tôt, cette dernière était par ailleurs agressée par l’androïde Ash – une sorte d’appendice improvisé de l’Alien, pur bug du système qui privilégie, comme Hal quelques années avant lui, la mission à l’équipage – qui tentait de l’étouffer en lui fourrant un journal enroulé dans la bouche avant qu’il ne se fasse décapiter et que gicle de son corps un liquide blanc qui macule toute la pièce.

     Ou comment ériger un pitch de série B en expérience métaphysique et freudienne. Pour son deuxième film, Ridley Scott va proposer un suspense horrifique dans l’Espace, via une économie de moyens mais une maitrise narrative et formelle absolument étourdissante. Et ainsi créer une créature extraterrestre mythique en perpétuelle mutation doublé d’une icône androgyne et sexuée, Ripley, qui via Sigourney Weaver devient l’héroïne badass ultime, mère de toutes les guerrières du cinéma de genre.

Cartel – Ridley Scott – 2013

01. Cartel - Ridley Scott - 2013Tout ce qui brille.

   4.0   C’est raté. La faute en particulier à un manque d’intérêt total pour ses personnages, mais aussi à de gros problèmes de rythme : Certes les scènes sont longues, ça change du tout-venant, mais elles ne débouchent sur rien, ne créent pas d’ambiguïté, n’offrent jamais la contrepartie de leur durée, de cette attente, ce flottement, cet étirement. N’est pas Tarantino qui veut. Avec Cormac McCarthy au scénario – son premier pour le cinéma, puisque jusqu’ici ce sont ses livres qu’on adaptait – on espérait moins de bavardages mais des saillies d’une grande noirceur et la place pour de beaux détails visuels et une inscription dans l’espace – ce qui déjà fonctionnait nettement moins dans La route, le film de John Hillcoat que dans La route, ce bijou de livre. Mais le film est assez pauvre là-dessus aussi. Il fait briller les bijoux et se contente de planter sa kyrielle de stars (Penelope Cruz, Jarvier Bardem, Cameron Diaz, Michael Fassbender, Brad Pitt) dans le plan, c’est tout. Et il compense son économie romanesque en tunnels de parlotte. Les Coen s’en sortaient autrement mieux avec le Cormac McCarthy de No country for old men. Quant au milieu des cartels, il n’existe uniquement qu’en entité abstraite où chacun se succède, libère la place pour le suivant, belle idée sur le papier, mais à l’écran ça n’offre que de la succession, jamais de l’incarnation. On sent que Scott admire Breaking bad – Jusqu’à aller chercher Dean Norris aka Hank, le temps d’une scène inutile – mais jamais ça n’a le dixième de la force de la série de Gould & Gilligan, mise en scène comprise. Et c’est dans l’action aussi brève soit-elle chaque fois que le film réveille un peu, puisqu’il ne lésine pas dans ses mises à mort : On décapite, on strangule, on jette aux ordures. C’est bref mais les images en question restent – à l’image du bolito, ce curieux fil de fer qui se resserre jusqu’à la mort un peu comme l’engrenage qui s’abat sur chacun des personnages condamnés du film. D’autant qu’il dérange aussi dans ses trouées plus sensuelles, avec une introduction sous la couette plutôt très jolie et un peu plus loin une scène de lap dance sur un pare-brise franchement osée jusqu’à l’embarras au point que ça m’a rappelé le très bon Killer Joe, de Friedkin. Pour qu’aussitôt, malheureusement, le film replonge dans ses travers verbeux et abscons. Alors oui le casting est beau, mais comme un beau bijou bien cher, on n’en voit pas trop l’intérêt.

Blade Runner – Ridley Scott – 1982

12. Blade Runner - Ridley Scott - 1982Le crépuscule des anges.

   10.0   Ma découverte de Blade Runner remonte à une quinzaine d’années, j’étais encore adolescent, j’avais dû me plonger là-dedans entre deux devoirs de maths, sur la télé cathodique 15’’ de ma chambre (devant laquelle j’aurais aussi pris de gigantesques baffes) bref, pas forcément les conditions optimales pour découvrir un film aussi anesthésique, engourdi, hypnotique que Blade Runner. Pas de quoi non plus devenir fou devant sa richesse plastique. Il avait complètement glissé sur moi. Je ne me souvenais de pratiquement rien si ce n’est d’une ambiance très nocturne et pluvieuse ainsi que d’un monologue final pour le moins incongru.

     J’ai donc revu Blade Runner. Afin de préparer Blade Runner 2049, mais pas seulement : J’avais ce besoin d’effacer ou de confirmer mon impression mitigée d’époque. Et on ne va pas y aller par quatre chemins, c’est un choc. Loin de moi l’idée que j’allais prendre une telle gifle pourtant, croyant continuer d’entretenir mon incompréhension face à ce mastodonte surestimé, j’étais plus confiant à l’idée de voir la suite de Denis Villeneuve, pour tout te dire. Dans mon souvenir, c’était l’histoire d’un humain enquêtant sur un groupe d’androïdes, afin de les chasser, de les détruire, puisqu’ils étaient devenu incontrôlables Avec un boss à la fin. C’est tout. Mais c’est tellement plus que ça. Il m’avait sans doute trop désarçonné. Il fallait que je le revoie. J’ai trouvé le moment adéquat.

     Le film de Ridley Scott m’a cette fois saisi de la première à la dernière seconde. De ce bref carton introductif, précis, concis (Tout le film m’a semblé incroyablement limpide, jamais lourd) suivi de ce plan de LA, cet obscurité sinistre, ce champ de lumière dépourvu du rêve qu’elles incarnent habituellement, ces terrifiantes cheminées toussotant des bulles de feu et la musique de Vangelis, saisissante, stratosphérique, en adéquation instantanée avec cet univers terrible, ce futur à l’agonie qu’elle accompagne, jusqu’à cette ultime et brève séquence de l’origami licorne récupéré par Deckard qui fuit (et fuira pour toujours ?) aux côtés de Rachael, après cet « affrontement » incroyable, extatique avec Roy Batty sur les toits du Bradbury building. Ne serait-ce que pour ses extrémités, le film de Scott est cent coudées au-dessus de l’impression vague qu’il avait gravée en moi.

     Le fait de m’être penché sur le roman de Philip K.Dick cette année « Do androids dream of electric sheep » que je trouve incroyablement riche mais qui m’ennuie presque autant m’a sans doute permis de m’éloigner de l’écriture « Blade Runner » et de me rapprocher de l’écriture cinématographique qu’en a généré Ridley Scott. C’est un univers à lui seul ce film. Son extrême noirceur m’a terrassé. Ce Nexus 6 qui revient tuer son père-créateur qui ne peut lui octroyer cet antidote à son imminente date de péremption. Avec les sanglots de Rutger Hauer, mon dieu. Mais cette noirceur est continuellement contrebalancée par des éclairs ahurissants. Ici par exemple, la brutalité du meurtre entraine une pluie de larmes.

     Le film est à ce titre rempli de giclées de sidération. Parmi d’autres on citera la scène de l’agrandissement de la photo, qui est la version cyberpunk de celle de Blow Up. Il ne s’agit plus de découvrir un cadavre derrière un buisson, mais d’identifier un corps dans le reflet d’un miroir, afin de le pourchasser et d’en faire un cadavre. Cette danseuse au serpent qui se voit très vite éliminée dans sa course folle, Scott vient la capter dans un ralenti tragique puis saisit le corps inerte de la façon la plus insolite qui soit, qui plus est pour le corps d’un androïde : Deux impacts de sang dans les omoplates et Zhora n’est plus qu’un ange sans ailes.

     La direction artistique est l’une des plus fascinantes qu’on ait vue dans un film du genre. La verticalité de cette ville tentaculaire, poisseuse, pauvre et surpeuplée, aux apparences d’une mine de charbon géante faites d’immenses écrans publicitaires ; les façades et devantures d’immeubles/entrepôts habillées d’un vertigineux lierre de tuyaux d’aération ; L’architecture disparate qui semble réunir plusieurs architectures de tous temps (en adéquation avec le multiculturalisme et le multilinguisme qui s’en dégage) ; les rues crasseuses, désertes ou grouillantes, cosmopolites et polyglottes ; le Bradbury building et son allure néo-gothique, ses enchevêtrements de lignes, ses corniches, ses trous au plafond, ses cloisons en carton ; les éclairages nocturnes en mouvement permanent et s’immisçant dans chaque entrebâillure de fenêtre ; ces intérieurs claustrophobes ; la pluie perpétuelle. 

     Si Blade Runner s’injecte dans un passage de la Genèse, il choisit le Déluge. Chaque image de Blade Runner est un tableau. Gothique et crépusculaire, ici. Etouffant et dystopique, là. Génie du chef opérateur Jeff Cronenweth dont on pourra trouver un net héritage du côté du cinéma de David Fincher, de la noirceur pluvieuse de Seven à l’urbanisme labyrinthique de Fight Club. Des héritiers, on pourrait en trouver partout, rarement un film m’a semblé à ce point matrice d’une génération à venir.

     Les trois armes de Scott, qui n’avait pas suffisamment d’argent pour s’offrir des décors futuristes extravagants, c’était la nuit, la pluie et la fumée. Fascinant de voir combien un cache-misère peut parfois devenir une plus-value. Car Blade Runner c’est aussi beaucoup ceci : Un monde nocturne, pluvieux et enfumé. Ajoutez à cela des effets de stores, projecteurs, néons, de façon à faire gicler ce ballet de sources lumineuses aux confins de cette nuit éternelle. Et même le recours au matte painting. Tout est bon à prendre.

     Mais avant d’être un film de science-fiction avec un univers visuel très identifiable, Blade Runner est un film noir classique, au cours duquel un flic au rebus, désabusé, est extirpé de son trou et doit reprendre du service pour y traquer des fugitifs. Deckard n’est pourtant pas le super flic / anti-héros rêvé comme on pouvait trouver, dans les années 70, Frank Serpico ou Jimmy Doyle et Buddy Russo. Il semble fatigué, il est mutique, secret, apparemment sans envergure malgré le fait qu’on le sache blade runner number one dès qu’il s’agit de traquer du répliquant – Chez K.Dick on employait uniquement le terme « androïde ». Des indices, une femme fatale, un collègue aux méthodes singulières, un grand méchant et des sbires, la nuit, la pluie. Tout est là.

     Le répliquant est une « réplique » de l’homme, un androïde utilisé dans les forces armées ou comme objet de plaisir. Le Nexus 6 (nouvelle génération de répliquant) a tout du parfait robot puisqu’il reprend chaque trait humain, au point qu’il n’est possible de le distinguer des hommes qu’en le soumettant à une batterie de tests émotionnels. Le Nexus 6 permet surtout de remplacer les Hommes sur des missions spatiales dangereuses, on le constatera à de nombreuses reprises (Les œufs dans la bouilloire de JF Sebastian, le laboratoire réfrigéré de Chew) les répliquants ne craignent pas les brutaux changements de température. Ils sont aussi plus forts (Rick Deckard en fera les frais lors de ses rencontres mouvementées avec Léon puis Pris) et plus intelligents, comme en témoigne cette fin de partie d’échec accélérée. Pour parfaire leur dévouement mécanique, ils sont limités à une durée de vie de quatre ans, les empêchant ainsi d’acquérir une conscience, d’être des machines pensantes capables de se retourner contre leurs créateurs. Mais sa nature incertaine, imprévisible le rend finalement plus humain que les humains qu’il imite, et tout aussi esclave de sa mortalité. Il séduit, prend peur, fonctionne en collectif, finit par craindre de mourir.

     Le film s’ouvre sur plusieurs événements amenés à bouleverser les strates du récit. On apprend d’abord que six répliquants rebelles sont accusés de mutinerie au cours d’une exploration spatiale, qu’ils ont détournés un vaisseau et sont de retour sur Terre. Ils ont déjà tenté de pénétrer dans le palais de la Tyrell Corporation (L’entreprise qui les a crées) mais deux d’entre eux ont péri. On apprend ensuite qu’une assistante de chez Tyrell ne sait pas qu’elle est un androïde test, donc qu’on lui a incubé des souvenirs factices. La machine Voight-Kampf qui permet de différencier un homme d’un androïde imitant un homme, est le dernier remède sur lequel l’humain déshumanisé se repose : Il découvre l’identité de Rachael et grille l’identité secrète de Léon, l’un des quatre répliquants rebelles.

     La boite à empathie, le mercerisme et les moutons électriques du roman de K.Dick ont disparu. Au profit d’étranges serpents, hibou, colombe, licorne ? Pas vraiment. Disons plutôt que Rachael les a dévorés. Vectrice d’une histoire d’amour classique pour certains, peu crédible pour les autres, il me semble qu’au contraire, cette relation insolite crée une passerelle forte entre ces deux personnages phares en ce sens que leur nature est sinon incertaine, au moins refoulée. La frontière entre l’humain et le répliquant est abolie sitôt qu’on se trouve dans leur bulle. Il suffit d’un rien pour que Rachael, alors humanisée, soit un geyser de désirs. Scott ne la déshabille pas, il suffit qu’elle se détache les cheveux. On disait l’androïde plus fort, intelligent et résistant. Et s’il était aussi plus sensuel ?

     Je fais une parenthèse anecdotes : Il y avait fut un temps, parait-il, une voix off qui émaillait le récit de façon plus explicative qu’autre chose, la voix de Rick Deckard qu’Harrison Ford « jouait » volontairement mal car l’idée (d’intégrer une voix off) ne lui plaisait pas. Il y avait aussi un happy end chelou qui voyait Deckard et Rachael fuyant dans une bagnole sur une route de montagne – images récupérées de rushs inutilisés du Shining, de Kubrick. Il y avait la colombe de Roy Batty qui s’envolait dans un ciel azur. Merci Ridley d’avoir remis les choses à leur place avec ce décent Final Cut.

     La grande forcé de Blade Runner est de largement dépasser l’élément apparemment central, retenu comme la grande question des fans, à savoir la possibilité que Rick Deckard soit lui aussi un répliquant. Il serait faux de dire que ça ne nous intéresse pas, en revanche c’est loin d’être ce que l’on retient. Il n’y a pas un sujet, une ligne claire, puisqu’elle change sitôt qu’on la prenne du point de vue de Deckard ou de Batty : C’est l’acceptation de son humanité contre l’acceptation de sa mortalité. Dans mes souvenirs la scène finale était pompeuse avec une tirade insupportable « pour faire comme Apocalypse Now » mais punaise, la brièveté du truc, quelques mots lâchés avant de mourir, un vrai truc de poète. « Attack ships on fire off the shoulder of Orion. » Le grand frisson. La plus belle mort de l’histoire du cinéma.

     Il faut un rêve de licorne et un origami, ainsi que quelques indices épars, des mystères, des incompréhensions pour que le récit s’ouvre sur l’indicible, propre à K.Dick : Si Pris est capable de dire « Je pense donc je suis », si Rachael est ébranlée qu’on lui ait implanté de faux souvenirs, si Roy pétrifié par l’idée de mourir, qu’en est-il de Rick Deckard, pourquoi ne serait-il qu’un homme et qu’un banal détective ? Etre humain c’est apprendre à mourir. Expérience faite par Batty. Et si découvrir sa nature androïde permettait d’être humain plus que les humains. « I’ve seen things you people wouldn’t believe ». Les larmes, c’est dans les yeux des androïdes qu’on les trouve.

     Voilà bien longtemps que je n’avais été aussi absorbé par un film.

     Absorbé par l’univers, la musique, la pluie, la sourde mélancolie de Rick Deckard. Absorbé par ces lumières aveuglantes, le regard de Sean Young, cette verticalité oppressante. Absorbé par ces publicités géantes, cette tour pyramidale, ces rues désolées comme rescapées in extremis de l’apocalypse. Absorbé par cette richesse sonore, ces tuyaux en pagaille, ces nuages de fumées. Absorbé par cette ouverture grandiose et funeste, ce club de striptease, ce romantisme écorché, cette émanation de cloches durant la séquence du toit. Absorbé par l’œil rouge d’une chouette, la course d’une licorne dans une forêt, l’envol d’une colombe. Absorbé par Rutger Hauer, véritable christ androïde. Absorbé par ce fondu incroyable unissant les visages de Rick & Roy comme les ailes d’un seul ange. Absorbé par ce somptueux spleen crépusculaire.

« All those moments will be lost in time, like tears in rain.

Time to die.»

Seul sur Mars (The Martian) – Ridley Scott – 2015

Seul sur Mars (The Martian) - Ridley Scott - 2015 dans Ridley Scott The-Martian-Matt-Damon-Hamilton-Watch-5« Mars will come to fear my botany powers »

   6.5   Je pense qu’il faut vraiment prendre ça comme une comédie dans l’espace ; une mission de sauvetage amusante, un peu ringarde, avec bouffées d’héroïsme et charme rétro que cela engendre. A ce niveau l’exercice est vraiment réussi. C’est un défilé de rebondissements où chaque problème s’ouvre sur un autre, chaque solution aussi éphémère qu’illusoire appelle la suivante, jusqu’à trouver la bonne combinaison dans cette infinité de paliers improbables à franchir et terminer le voyage par un happy-end programmé.  

     Comment ne pas mourir de faim en restant seul sur Mars ? On fait pousser des patates dans son propre caca. Comment ne pas abandonner après l’explosion de ses récoltes ? Une bâche fera l’affaire. Comment se faire comprendre avec des captations circulaires insuffisantes pour utiliser l’alphabet ? Système hexadécimal. Comment gagner du temps pour retourner sur Mars ? On utilise la force gravitationnelle. Comment se propulser à la bonne vitesse dans l’espace ? Une explosion de Sas et hop. Comment réduire de trois-quarts le poids d’une navette spatiale ? On remplace son nez par une bâche, encore elle. Ça fait un peu nanar de luxe raconté ainsi mais je le répète, le film n’a pas plus d’ambition que de se faire son propre Il était une fois l’Espace, version pop corn.

     Le film n’est pas ouvertement construit ainsi mais il reprend les codes des films catastrophes de la vieille école. Et il le fait bien. On ne voit pas le temps passé. Il est limpide malgré le magma de jargon scientifique et physique qu’il nous assène – puisqu’il sait le rendre concret – et  malgré le montage parallèle rébarbatif NASA/MARS qu’on doit ingurgiter en permanence. Rien n’est pesant, tout passe tranquille. Il utilise sa matière comique sans trop de lourdeur, autant dans la coolitude affichée de Matt Damon (Le mec est seul sur une autre planète pendant des mois, mais ça va ; il vanne, s’auto-vanne, c’est cool) que dans les interactions diverses entre chaque entités qui permettent de faire avancer le récit. Tout est utile. Chaque scène appelle la suivante.

     C’est propre, c’est beau, c’est du divertissement haut de gamme un peu égocentrique mais pas trop (les chinois, alliés d’occasion, partagent la gloire), qui refuse de se prendre au sérieux en balançant régulièrement de la disco bien grasse qui fait toutefois partie du récit puisqu’il s’agit du seul héritage musical récupéré du commandant Lewis (Jessica Chastain) par Watney (Matt Damon, donc). Climax tordant lors du générique final, je ne révèle rien. Mais je préviens, il faut régulièrement se coltiner du Abba, du Donna Summer. Oui, il faut être solide. Mais ça fait partie du jeu.

     A part ça c’est aussi un défilé de stars sur le retour ou non qu’il faudrait énoncer mais l’envie me manque. Je salue surtout le vent de fraîcheur qui traverse le film. Très peu spectaculaire mais toujours stimulant dans sa robinsonnade en pantoufle. Un cinéaste plus sérieux que Scott en aurait fait un truc brûlant et poussiéreux, lui choisit douceur et volupté. Un cinéma décontracte, utopique, solidaire, avec zéro méchant, toujours positif malgré la pelleté d’obstacles à contourner. Feel good movie à la gratuité requinquante. Futur « film du dimanche soir » idéal, en somme.

Les duellistes (The duellists) – Ridley Scott – 1977

Les duellistes (The duellists) - Ridley Scott - 1977 dans Ridley Scott 40.-les-duellistes-the-duellists-ridley-scott-1977-300x166

« This time he’ll kill you! »

   6.0   Le premier film de Ridley Scott incarne déjà à merveille cette idée du combat et de la futilité, idée nourricière qui traverse son œuvre, diégétiquement ou non. Le cinéaste ne situe pas encore son récit dans l’ambition future, ici il s’agit d’une nouvelle de Conrad, la répétition d’un même duel, au milieu de la grande Histoire. Un duel qui oppose deux hommes, d’une même patrie, à partir d’un différend trouble. De cet ancrage historique, Scott n’en garde rien, ou pas grand chose, les alentours sont flous, hormis quelques dates et une parcimonieuse voix off qui étaye certains faits, seul l’intéresse véritablement cet affrontement entre ces deux hommes dont les chemins se croisent, s’éloignent puis se croisent à nouveau. Cette haine admiratrice, pour ne pas dire fascinatrice, émergera dans tous les films de Scott, libérant les écrous d’une rupture que le statut offre. Les duellistes sert d’introduction à cette thématique récurrente. Point de statut antagoniste ici, les deux hommes sont des soldats bonapartistes.

     Comparé au reste de la filmographie du cinéaste c’est un film très épuré, autant qu’il est inégal, puisqu’il n’y a ni l’ambition de la fresque ni la tentation du mélo ni malheureusement ce que l’épure évoque à savoir un radicalisme expérimental. En fait, Scott ne croit déjà pas en ce qu’il raconte, son cinéma est en total déséquilibre avec les possibilités de son récit. Mais il n’est pas cynique pour autant, ce qui l’intéresse c’est l’esprit de compétition. Le personnage héroïque souvent, mais ici encore davantage la compétition, le combat, l’absurdité que cela engendre. Il est rare de voir des films aussi pathétiquement beaux. Mais cet éternel combat pouvait encore être plus beau que cela, plus riche et mystérieux. On retiendra essentiellement le visage de Féraud et sa folie impassible qui traverse les années, être déshumanisé qui semble uniquement doté d’un appétit vengeur, définitif. On retiendra aussi cette belle idée de l’évolution de l’arme, en tant que matériau, qui se retrouve comme seul témoin du temps, l’épée initiale se transformant bientôt en revolver.

     Il y a une ambiance particulière. Le film raconte les guerres à la manière d’un Sokurov : c’est flottant, elliptique, jamais édifiant, c’est doux et détaché. Les duellistes n’atteint jamais l’ampleur romanesque ni la puissance mise en scénique d’un Barry Lyndon, pourtant on ne cesse d’y penser (le film est sorti l’année suivante) et pas seulement parce qu’il a la bonne idée d’accueillir la sœur de Raymond Barry en femme de Feraud. Mais il n’en reste pas moins un film bancal, coincé entre un absurde poétique et une dimension plus séductrice. Ironie atteinte lors de ce dernier combat – la seule vraie idée de mise en scène du film – offert comme une non-fin. Pas une seule fois durant ce duel en cache-cache Scott ne propose de jouir du scénario, il s’en tient à une jouissance physique, une jouissance de pure mise en scène avec ces deux hommes qui tentent de se débusquer dans les hautes herbes et la forêt hostile autour d’un château en ruine. C’est trop court, évidemment, Scott fait déjà du Scott, mais cette séquence est belle car c’est la seule fois où il nous offre plus que ce que l’on s’attend à voir.

American gangster – Ridley Scott – 2007

American gangster - Ridley Scott - 2007 dans Ridley Scott American_Gangster

Only the strong survive.

   5.0   On va dire que globalement je suis assez surpris. Par la tournure des choses en fait. Si au début je trouve la démarche presque ratée, d’une part trop pompée sur Scorsese, sans en atteindre sa magie, mais aussi des tics de réalisation très Scottiens avec de temps à autres des petits clips de transitions entre les séquences, entre les villes surtout, et l’impression aussi de voir une géante bande-annonce… il faut dire que par la suite, déjà je suis entré dans le film, dans sa logique (même si le travail sur les personnages reste très succins) mais aussi j’y ai vu un peu de cinéma. Certaines séquences sont chouettes.

     Mais le problème avec ce cinéaste c’est que ça ne dure jamais bien longtemps une scène. La course-poursuite est bâclée (j’aurai rêvé la maîtrise d’un French connection). Les scènes de dopes dans le labo je ne m’en souviens même plus (Gray n’a pas de soucis à se faire). Et la scène – quasi – finale où chacun se fait arrêter au même instant sous ce chant de messe en off manque clairement d’émotion (Coppola et son Godfather son pénards). Voilà, en gros rien de bien transcendant, ça je m’y attendais, mais en fin de compte quelque chose, peut-être dans le rythme assez étrange du film, me permet d’y voir un film moyen + on va dire.


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silencio


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