Treasure Buddies.
8.5 Le 08/02/2013,
C’est un film intéressant par bien des aspects puisqu’il est hybride, paradoxal. On ressentait déjà cela dans le précédent film de Enrico, Les grandes gueules, qui avait tout pour se fondre dans un moule populaire mais était construit un peu bizarrement, autour d’une hystérie maladroite mais aussi d’une curieuse gestion spatiale. C’est un film d’homme, Les grandes gueules, il faut que ça castagne, c’est un western étrange, dans les Vosges où les cow-boys sont remplacés par des bûcherons. C’est un film qui j’aime bien parce qu’il joue sur deux tableaux, il met en scène de l’acteur mais n’oublie pas de saisir l’espace dans lequel il se trouve. Je me souviendrais de cette immense forêt, ces longs troncs d’arbres et ce circuit boisé sur lequel les bûcherons font descendre une voiture brouette remplie de bois. Je retrouve cette attention et cette singularité dans Les aventuriers. Mais c’est un film qui me touche infiniment plus, aussi bien dans ses défauts que dans ce qu’il réussit le mieux. C’est un film scindé. Trois parties, mais on pourrait en distinguer davantage. Ou qu’une seule. En ce sens c’est un cinéma qui m’évoque celui de Rozier, toute proportion gardée. Cette capacité à aller de l’avant, pas forcément où on l’attend, saisir l’instinct des personnages, capter l’aventure, la suspension. Mais Enrico a le cul entre deux chaises, il n’a pas confiance en son cinéma, à l’exaltation de ses mouvements, ou alors il n’a pas eu le droit d’aller plus loin. Il orne de convenu, dérape mais se replace, joue sur du velours alors que l’on aimerait le voir sur du fin linon. Stévenin le faisait aussi très bien, lui. Le choix d’utiliser ces deux acteurs en vogue pose d’emblée un facteur succès obligatoire. Privilégier l’aventure ou le narratif. Faire du Rozier ou du Rappeneau. Enrico hésite. Le film me touche aussi pour ça. Trois destins en marge se rencontrent et vivent l’échec en même temps ce qui les amènent à chercher un trésor au large du Congo avant que le film ne s’achève dans un vieux fort en pleine mer, très connu aujourd’hui pour d’autres raisons. J’ai adoré partager l’aventure de ce trio Truffaldien (on pense à Jules et Jim) surtout avec la magnifique Joanna Shimkus, qui me rappelle Ana Karina chez Godard, folie en moins – folie de mise en scène.
Le 21/11/2018,
Je suis ravi de l’avoir revu : c’était mon Enrico préféré, très largement et ça l’est toujours. Et si j’y vois toujours plein de défauts, sensiblement les mêmes qu’à l’époque où je l’ai découvert (progression trop saccadée, musique de De Roubaix top mais omniprésente, partie Congo trop expédiée à mon goût) ce sont des défauts qui renforcent son humilité. S’il évoque donc parfois le « cinéma de papa » (au sens où l’entendait Truffaut), parfois plutôt le cinéma d’aventures des années 50, souvent l’esprit Tintin, il respire aussi les prémisses d’un Rozier (la partie africaine prépare Les naufragés de l’ile de la tortue) ou d’un Stevenin (Notre duo évoque celui de Passe-montagne). C’est cette incertitude qui le rend si touchant. Cette hybridité qui en fait un magma. C’est aussi de voir Delon & Ventura comme finalement on ne les avait jamais vus, qu’ils soient dans le cockpit d’un Cessna, pilote d’un dragster, pilier de casino, plongeurs en quête de trésor ou voyageurs endeuillés. Pourtant c’est bien le sort réservé au personnage campé par la belle Joanna Shimkus qui fascine tant. C’est simple, elle est le cœur battant du film. C’est d’ailleurs elle qui l’ouvre puisque le film démarre au moment où elle cherche une vieille hélice pour son vernissage puis rencontre nos deux aventuriers, nos deux rêveurs encore simples mécaniciens jouant avec la vitesse de leurs bolides, l’un sur les pistes, l’autre dans les airs. Si elle disparaît aux deux tiers c’est elle qui continue d’être au cœur du récit, à travers cet enfant, son cousin germain et guide dans un musée africain, et à travers ce vieux fort, qu’elle voulait habiter et qui sera le théâtre tragique de la séquence finale. « Je me demandais lequel de nous deux avait eu cette idée de l’emmener là-bas ? » demande Delon, inconsolable à un Ventura, plus réservé dans son chagrin, qui lui répond « Je crois que cette idée on devrait la partager tu crois pas ? ». On a surtout envie de croire qu’elle est leur détonateur, que cette quête au trésor est née de son apparition. Les aventuriers c’est aussi et surtout un film sur deux amis inséparables. Je l’aime tellement, ce film. Et avant tout parce que c’est un beau film populaire, d’autant plus attachant qu’il est bancal, foutraque, un peu raté.