Archives pour la catégorie Robert Guédiguian

Et la fête continue ! – Robert Guédiguian – 2023

19. Et la fête continue ! - Robert Guédiguian - 2023Sortir des ruines.

   6.0   Après une parenthèse malienne (Twist à Bamako) le réalisateur de Marius et Jeannette revient sur ses terres de prédilection, avec sa petite famille d’interprètes fétiches (Ascaride, Daroussin, Meylan) et à une mobilisation citoyenne et politique, jusqu’à l’élection d’une coalition municipale de gauche.

     Le point de départ c’est l’effondrement de deux immeubles rue d’Aubagne à Marseille en 2018, qui fit huit morts : Dès lors, la place Homère sera rebaptisée place du 5 novembre. Le film s’ouvrira d’ailleurs sur les images d’archives de la catastrophe.

     C’est de cette poussière et ce vide béant que Guédiguian ira chercher la lumière, de l’engagement politique et romantique, du désir et du combat, de la solidarité plus globalement, au travers d’un film choral très solaire, très doux, mais évidemment non dénué de gravité et mélancolie.

Twist à Bamako – Robert Guédiguian – 2022

19. Twist à Bamako - Robert Guédiguian - 2022Et danse l’indépendance.

   6.0   Guédiguian délaisse provisoirement le Marseille contemporain pour nous embarquer en Afrique, dans le Mali de 1962. Pas sa première incursion historique puisqu’il avait déjà traité de l’Occupation dans L’armée du crime, des répercussions du génocide arménien dans Une histoire de fou ou encore la fin de vie de Mitterrand dans Le promeneur du Champ de Mars. Entre autres. Mais c’est vrai que Guédiguian, pour moi, c’est essentiellement l’Estaque et sa petite troupe d’acteurs qui le suit depuis Dernier Été jusqu’à La Villa. Cette fois Guédiguian s’inspire du photographe portraitiste Malick Sidibé. Il lui rend hommage, en incrustant tout le long du film des photos en noir et blanc qui ne sont que des images arrêtées de son propre film : ne pouvait-il pas utiliser les vraies photos ? Qu’importe, le film est une plongée dans un pays tout juste indépendant, qui doit composer avec ses tiraillements internes, le nouveau régime socialiste et ses opposants, généralement riches et/ou commerçants qui ont bien profité de leur pays colonisé. Le portrait que dresse Guédiguian est âpre puisqu’il montre les bienfaits de cette révolution et son désenchantement immédiat, symbolisé ici par cette histoire d’amour entre un jeune garçon porte-parole socialiste et une jeune fille qui a fui son mariage. Un amour impossible, en somme, sur deux mondes irréconciliables. Le récit est beau mais un peu alourdi par une forme (et une interprétation globale) un peu mièvre et vieillotte, à l’image de ces « fausses photos » qui traversent le film de façon trop programmatique.

Marius et Jeannette – Robert Guédiguian – 1997

03. Marius et Jeannette - Robert Guédiguian - 1997La vie des intranquilles.

   8.0   Ce fut mon tout premier Guédiguian, il y a fort longtemps. Ça ne m’avait pas grandement passionné.

     Au même titre que ses autres films, je pense qu’il faut le revoir à l’aune de sa filmographie toute entière, le revoir quand on a vu ses premiers (Dernier été, Rouge midi, Ki Lo Sa…) voire ses derniers (Les neiges du Kilimandjaro, Gloria mundi, La Villa) tant le cinéma de Guédiguian s’impose par sa petite troupe, que l’on retrouve de films en films, avec parfois des ponts étonnants.

     Et par sa petite musique, cette gravité masquée par la légèreté du soleil de l’Estaque. Cette naïveté transparaît d’autant plus dans Marius et Jeannette qu’elle prend les atours du conte. Une histoire d’amour et des potes de voisinage autour. Mais c’est bien plus compliqué que ça, ne serait-ce que d’un point de vue politique et social tant le portrait de chacun des personnages va de pair avec le contexte économique : on y évoque les problèmes d’argent, le chômage, les grèves, l’injustice sociale.

     Et ce n’est pas qu’une toile de fond : Marius travaille comme vigile sur un chantier, boulot qu’il a dégoté en faisant semblant de boiter. Jeannette travaille en tant que caissière dans un supermarché et peine à arrondir ses fins de mois pour subvenir aux besoins de ses deux enfants. S’ils se rencontrent c’est parce qu’elle est venu voler des pots de peinture sur le chantier qu’il surveille.

     Le conte chez Guédiguian est dépourvu de paillettes, c’est un conte de la précarité, situé entre bar, ruelle, cimenterie, fèves, aïoli et match de foot. Et c’est aussi un puissant mélodrame tant il fait le portrait de deux abîmés par la vie – la confession finale de Marius est l’un des trucs les plus tristes du monde.

     Mais à l’image de cette mappemonde qui débarque dans le port de Marseille au tout début du film, c’est comme si cette histoire d’amour, ce conte, trouvait là toute sa dimension universelle. Un beau geste tragique et utopique à la fois. Je ne m’attendais pas à être aussi ému à la revoyure. C’est vraiment très beau.

Gloria mundi – Robert Guédiguian – 2019

20509877Dieu vomit les acculés.

   7.0   « Ne me tuez pas » répète Nicolas (incarné par Salomon Stevenin) à son médecin ne voulant pas le déclarer apte à conduire, donc à travailler, puisqu’il est chauffeur Uber. C’est un lointain écho à Darroussin qui disait à son éditeur, dans Dieu vomit les tièdes « Il veut que je meurs ». Rien d’étonnant à tisser des liens entre ses films, le cinéma de Guédiguian est une somme de variations, plus ou moins visibles. Si Gloria mundi est une variation directe de l’un de ses films, c’est bien celui-ci : Dieu vomit les tièdes, sorti il y a près de trente ans et qui aurait largement pu servir de titre ici. Les tièdes se sont transformés en minables, dans Gloria mundi : Ce terme, immonde, qu’emploie Bruno (campé par Grégoire Leprince-Ringuet) à tout bout de champ.

     Au rayon des échos divers, on y croise une jeune femme voilée, que la petite propriétaire du cash va humilier comme le jeune maghrébin, cirant les chaussures, était humilié dans l’autre film. Quant à Ariane Ascaride, elle était enceinte dans Dieu vomit les tièdes, on peut s’imaginer qu’elle attendait Mathilda (Anais Demoustier) et que son homme finira en prison. Les rôles des garçons sont inversés mais les passerelles sont nombreuses. Gérard Meylan, lui, y incarne un homme sortant de prison après y avoir passé la moitié de sa vie, il écrit des haïkus plus ou moins comme il le faisait dans Dieu vomit les tièdes, au sein duquel il noyait sa nostalgie militante sous un pont qu’il ne cessait de peindre. Dans chacun de ses deux films, Meylan est à la fois pierre angulaire et nulle part.

     Guédiguian est en colère. Et désespéré. Il restait encore de cette tradition de lutte ouvrière dans Les neiges du Kilimandjaro, malgré un idéal tourmenté par les nouvelles générations. Quant à La villa, dans ce lieu qui semblait à la fois hors du monde et dilaté dans le temps (d’un souvenir macabre), mais servait in extremis d’hôte providentiel aux plus démunis, l’utopie l’emportait encore. Là on sent que tout s’est évaporé – Le soleil marseillais, lui-même, semble avoir disparu ; Par ailleurs, c’est un Marseille que Guédiguian n’a jamais filmé auparavant. Il n’y a plus ni bouclier, ni lutte. Les militants se sont tu et le capitalisme est tellement sorti vainqueur que les « bons » (Et voir Ariane Ascaride dans ce rôle, c’est d’autant plus terrible) se refusent à la grève car ils ne peuvent plus se le permettre. L’exergue de Gloria Mundi, signée Guédiguian lui-même, dit déjà tout : « L’apogée de la domination est atteint lorsque le discours des maîtres est tenu et soutenu par les esclaves ».

     Mais ce n’est pas que le travail ni l’entraide sociale qui ploie sous la caméra de Guédiguian. C’est d’abord la jeunesse, de manière générale : Le peu de solidarité qui reste est réservé aux vieux. C’est aussi le couple moderne – Il faut voir comme il le ridiculise volontiers – et la famille, surtout lorsque les vieux gauchistes ont passé le flambeau des gosses obsédés par la réussite financière, réfugiés dans le cash ou l’uber. L’idéal se joue dorénavant dans l’écrasement des masses populaires. Dans une dialectique du « plutôt être esclavagiste qu’esclave, exploitant qu’exploité » certains des personnages se rattachent à une quête du bonheur volontiers misanthrope. Il s’agit d’Aurore & Bruno. Jamais Guédiguian n’avait créé de personnages si infects et effrayants. Jamais, probablement, n’avait-il autant été en colère. Faire dire au personnage le plus répugnant qu’il n’a qu’un désir c’est d’être un « premier de cordée » ce n’est pas innocent, je pense.

     C’est aussi le revers de ce jusqu’au-boutisme : La mule est un poil trop chargée, je préfère Guédiguian un peu plus nuancé. J’aime le Guédiguian empathique, moins celui de la misanthropie. D’autant plus que c’est assez maladroit de faire de ces deux affreux personnages des entités hyper sexualisées comme s’il réservait cela aux pourris, aux ingrats. Certains reprochent la « surcharge » à un Ken Loach (notamment sur son dernier film, qu’on peut rapprocher à Gloria mundi ne serait-ce que dans le traitement de l’ubérisation) mais je pense que c’est un faux procès tant il milite, démontre et démonte. Guédiguian vise l’allégorie, c’est plus romanesque, mais ça crée un déséquilibre. Quand Aurore apprend que Bruno la trompe avec sa sœur, on ne rêve que d’une chose, qu’ils s’entretuent. Il me semble qu’on touchait à autre chose qui moi me travaillait davantage, dans La villa ou Les neiges du Kilimandjaro, pour citer ceux qui probablement sont et resteront mes deux films préférés du cinéaste.

     Gloria mundi s’ouvre sur un accouchement et se termine sur un meurtre. Le meurtre de Bruno à la fin est mis en scène exactement comme la naissance de Gloria au début, dans un ralenti accompagné par le requiem, de Verdi. L’ouverture, en hommage à Vie, d’Artavazd Pelechian, est magnifique. C’est une naissance, mais la musique suggère déjà la mort. Et le film de se terminer alors sur la mort, dans un élan formel similaire, même s’il me semble que l’on quitte les rives de Pelechian pour celles de Bresson. Vie puis L’argent. C’est dire toute la portée pessimiste de Gloria mundi.  Je pense que c’est le film le plus dur de Guédiguian, depuis La ville est tranquille. Malgré les haïkus et La pavane pour une infante défunte, de Ravel. Malgré les beaux personnages un peu fatigués, que sont ceux incarnés par les vieux d’antan, ce trio sublime formé par Meylan, Ascaride & Darroussin.

Dieu vomit les tièdes – Robert Guédiguian – 1991

10. Dieu vomit les tièdes - Robert Guédiguian - 1991Fils de pauvres.

   6.0   Deux époques se chevauchent dans Dieu vomit les tièdes – un peu comme dans Ki Lo Sa ? – puisqu’il s’agit de suivre les retrouvailles de copains, quasi la quarantaine, mais aussi de voir cette même bande des quatre durant leur enfance, notamment pour un serment visant à rester à tout jamais fidèles à leurs idéaux de révoltés. Le film se cale tout particulièrement sur l’un d’eux, Frisé, incarné par Gérard Meylan, peintre bohème qui vit dans une cabane et dans ses souvenirs, tout en suivant Cochise incarné par Jean-Pierre Daroussin, écrivain qui vient de tout plaquer. C’est de cet affrontement dont il est question ici : Entre ceux qui vivent dans les souvenirs et ceux qui vivent dans l’oubli, pour citer peu ou prou les mots de Frisé, lui-même. Le film se joue en majorité autour de ce décor magnifique, imposant qu’est le pont tournant de Martigues, qui relie l’étang de Berre à la Méditerranée. Pont qu’on va arpenter de long en large, à l’extérieur comme à l’intérieur, dessus, dessous. Un élément fait fusionner les deux époques, c’est un graffiti sur un pilier de ce pont pont. « Us go home » pouvait-on lire ici et voilà qu’on y a ajouté « Les arabes à la mer ». Ce n’est pas qu’un constat, c’est aussi l’histoire du récit, qui s’intéresse au jeune Rachid, tourmenté et exploité. En guise de fil rouge, on suit la commémoration du bicentenaire de la révolution, dont on entend une ritournelle de défilé sur des plans de cadavres flottant dans le canal de Caronte. Corps noyés, qui, abandonnés aux regards, parsèment un récit très lâche, éclaté, qui peine à maintenir notre intérêt et notre empathie. A l’image de son final terrible, Dieu vomit les tièdes est un film sombre, très sombre.

Ki Lo Sa ? – Robert Guédiguian – 1985

21. Ki Lo Sa - Robert Guédiguian - 1985Retrouvailles fantômes.

   7.0   Dix ans plus tôt, une bande d’amis jouant dans le parc d’une immense propriété qui engageait en tant que cuisinière et jardinier les parents de l’un d’eux, s’étaient promis de se retrouver dix ans plus tard sur le même lieu. On ne saura pas combien ils étaient à conclure ce pacte de retrouvailles mais ils ne seront que quatre à l’avoir respecté : Dada, le fils en question, qui habite toujours dans la maison, mais désormais seul, reçoit Pierrot, Marie et Gitan, l’occasion de retrouvailles mélancoliques, désabusées.

     On a vite fait de voir dans ce quadruple portrait d’adulescents dans l’impasse, « inadaptés » pour reprendre les mots de Gitan, toutes les angoisses de Guédiguian lui-même, en pleine crise existentielle et doute créatif. Illusions politiques déchues, panne d’inspiration, crainte de l’évanouissement dans un monde qui dévore les oubliés. Le film, projet minuscule, écrit en quinze jours et tourné en autant de temps, reflète l’étape charnière d’un auteur dans son moment de remise en question.

     Quand l’ambitieux Rouge midi répondait au frêle Dernier été, en étant son exact opposé sur bon nombre de points, Ki Lo Sa ? fait table rase, pour tenter de rebondir. Très beau film une fois de plus, dans un écrin solaire et solitaire qui pourrait évoquer l’ambiance de La collectionneuse, à la différence qu’ici les mots s’évanouissent complètement. Et dans sa dimension impalpable et onirique, appuyée par la présence d’enfants rodant autour de la villa, sans qu’on sache vraiment s’ils appartiennent au présent ou si notre petit groupe en fait partie dans une autre temporalité.

     C’est un film de retrouvailles endolories, parsemé d’instants somptueux où le présent mortifère chevauche l’enfance joyeuse, dans un regard, une confession, un silence. Daroussin, Ascaride, Meylan et Banderet y sont magnifiques. Bon et comme maintenant j’associe la scène de voiture sous Bob Dylan à La Villa, sorti l’an passé, ça m’a beaucoup ému de la revoir là, en plein milieu. C’est d’autant plus beau d’imaginer que cette séquence de La Villa, pur film de retrouvailles, puisse raconter le souvenir d’un moment de retrouvailles.

Rouge Midi – Robert Guédiguian – 1985

32. Rouge Midi - Robert Guédiguian - 1985Voyage à travers une famille Estaquéenne.

   7.5   Si l’errance mi solaire mi suicidaire de Dernier Eté se déroulait sur un espace de temporalité restreint, Guédiguian change radicalement de braquet et embrasse la fresque familiale sur plusieurs décennies dans Rouge Midi. Si sa qualité narrative demande encore à évoluer, se densifier, à gérer mieux ses ellipses, parfois trop conséquentes et brutales pour que l’amplitude du récit n’en soit pas amoindri, l’élan est plus que prometteur, le geste courageux. Si le début du film est plus extérieur et ressemble parfois à du Renoir, la seconde partie se déploie comme dans un Fassbinder.

     Gérard Meylan joue un jeune ouvrier qui va se marier avec une jeune immigrée italienne jouée par Ariane Ascaride. Auparavant, on les aura vu enfants, lors de son arrivée à elle et sa famille à Marseille, lors des courses de crawl à lui dans le port de plaisance. On va suivre Meylan (Le personnage central du film, qui s’ouvre et se ferme sur lui, fumant une cigarette sur un balcon) dans sa vie de mari, de père, puis de grand-père, avant qu’il ne meurt et réapparaisse dans la peau du petit fils qui a grandi.

     Pas étonnant que Guédiguian retrouve cette circularité qui habitait déjà Dernier Eté, mais sur une temporalité cent fois plus élastique. Cette volonté de brasser l’éternelle boucle prend toute sa mesure lorsque l’enfant des années 70, Sauveur, portera le nom francisé de son oncle assassinée, Salvatore. Boucle toujours, avec cette ouverture et l’arrivée de cette famille calabraise dans le quartier de l’Estaque puis cette fermeture, avec le départ de Marseille du jeune homme.

     Les derniers instants dans le train, silencieux, sont très beaux. Après avoir dévoilé en quelques plans les vestiges de la période Front Populaire et certains lieux décrépis qu’on a traversés, Guédiguian surplombe ce Marseille des années 80, lui offre une vue d’ensemble majestueuse, tout en le fuyant par sa voie ferrée, entre ses roches et terrains vagues qui renferment pour le spectateur d’aujourd’hui moult aventures de Dernier Eté à La Villa, en passant par La Ville est tranquille. Fin sublime, poétique, pour un film certes inégal dans son déploiement, mais terriblement attachant dans sa tentative de fresque aussi grandiose sur le papier qu’elle s’avère au final intime, modeste et pensée avec les moyens du bord.

     Le plus étonnant étant de constater combien Rouge Midi s’oppose en tout point à Dernier Eté et pourtant à quel point on reconnait la patte Guédiguian dans les deux films. L’un stagne tragiquement comme si le temps s’était arrêté, l’autre recule loin dans le temps pour mieux avancer. Constater finalement combien ce sont deux films qui se complètent et qui forment les deux faces d’une même pièce, que Guédiguian gardera plus ou moins (J’attends de voir ce que je n’ai pas vu) durant toute sa carrière.

Dernier Été – Robert Guédiguian & Frank Le Wita – 1981

11. Dernier Été - Robert Guédiguian & Frank Le Wita - 1981Rêves envolés.

   6.5   Si La Villa, le vingtième film de Guédiguian, était hanté par la mort, Dernier été, son tout premier, libère déjà cette odeur funeste au détour du portrait de ce garçon (Joué par le jeune Gérard Meylan, pas trente ans et dont c’est la première apparition au cinéma) accablé devant l’évaporation de son quartier, que tout le monde a quitté puisque les usines ont fermé, avant qu’il ne meure, lui aussi, plus tard, des suites de l’un de ses nombreux larcins. Dernier été est un beau premier film. On y découvre Marseille et plus particulièrement les quartiers populaires de l’Estaque, comme jamais on l’avait filmé au cinéma : Ses familles modestes retranchées dans des appartements minuscules et/ou dégradés, bande de copains squattant les bars, écumant les parties de baby-foot en sifflant des verres de pastis, gamins jouant au ballon sur des terrains vagues, baignades et plongeons dans le port de plaisance, dégustations de panisses au bistrot du coin, petits boulots au chantier naval, danses au bal du quartier. Le film m’a surtout plu dans sa capacité à filmer chaque déplacement, en bus ou en vespa, à bord d’une voiture volée ou d’un camion benne, notamment ces ruelles ou cette départementale menant au centre-ville de Marseille. Le film prend son temps pour cartographier les lieux. S’il est surtout question d’un film de copains, voire d’une tentative d’histoire amoureuse (Meylan y rencontre Ariane Ascaride, dont ce sera le deuxième film, après une apparition dans un film de René Féret) il y a chaque fois ce retranchement familial, silencieux puis conflictuel, comme si quelque chose de circulaire, relevant d’un non-avenir sans cesse renouvelé frappait chacun des personnages partagés entre le rêve d’ailleurs sans trop y croire et la résignation pragmatique, tragique. Il manque sans doute le sel romanesque qui fait la matière des derniers films du cinéaste, néanmoins il y a une volonté de construire d’étonnantes connexions entre les personnages et je le répète, une façon si singulière de saisir la respiration de cette région si chère à Guédiguian.

La Villa – Robert Guédiguian – 2017

05. La Villa - Robert Guédiguian - 2017De beaux lendemains.

   9.0   S’il nous a habitué à ancrer ses récits dans Marseille et alentours, jamais on n’avait senti Guédiguian aussi épuré dans sa dynamique spatiale. On n’avait pas vu ça chez lui depuis les ruelles de Marius et Jeannette. C’est un véritable petit théâtre thchékovien autour d’une baraque familiale, saisie dans la douceur hivernale, sur une fratrie déchiré par le temps, les fêlures, le drame, l’indicible. C’est presque un huis clos à ciel ouvert : Une calanque portuaire, deux maisons voisines, un bateau de pêche, une guinguette, un morceau de falaise, un sentier boisé, un viaduc ferroviaire. C’est tout. Jamais on ne s’extraie de ce cadre. C’est la première grande idée du film, il y en aura tant d’autres. Et s’il avait fallu attendre son vingtième long métrage pour que Robert Guédiguian nous offre son plus beau film ?

      A l’époque de la sortie des Neiges du Kilimandjaro, j’évoquais ce plaisir de troupe familiale comme presque fil rouge du cinéma de Guédiguian. La Villa ira plus loin dans le dispositif le temps d’une courte séquence étourdissante, qui élève soudain le film vers le sublime, quand l’auteur intègre dans son récit un morceau de Ki Lo Sa ? l’un de ses tous premiers films (que je vais rattraper fissa) où l’on accompagnait dans une voiture puis sur le même port de la calanque de Méjean, trois acteurs de La Villa : Ariane Ascaride, Jean Pierre Darroussin et Gérard Meylan. Ils n’avaient probablement pas les mêmes rôles qu’ici, qu’importe, ces quelques secondes s’immiscent brillamment, investissant un souvenir simple, un territoire bien dessiné. Un moment d’insouciance saupoudré de I want you de Bob Dylan – tandis que le film n’est jamais larmoyant ni illustratif dans son utilisation musicale – qui fait résonner cette double mélancolie : Celle de Guédiguian lui-même, désormais sexagénaire, mais surtout celle de ses personnages, que les épreuves de la vie ont éloignés. La simple évocation de la fuite de Pierre (le quatrième personnage de la séquence de Ki Lo Sa ?) montre autant la pudeur du cinéma de Guédiguian que son extrême sensibilité. Il n’est pas mort mais un drame l’a fait disparaître. Ce même drame qui aura fait partir Angèle pour les planches parisiennes. Le théâtre n’est pas qu’un décor, par ailleurs, il prend une place considérable dans le récit, c’est autant un vecteur de renaissance qu’une promesse d’amour. Incroyable personnage que celui incarné par Robinson Stévenin. Guédiguian n’en fait pas qu’un benêt pêcheur, c’est un amoureux transi, le plus beau des rêveurs, passionné autant par sa quête quotidienne de mange-tout que par les tirades de Claudel.

     Guédiguian parvient à filmer ce lien, aussi fragile qu’élastique, qui existe entre cette fratrie meurtrie. Deux frères, une sœur. Ils se sont éloignés, chacun tient sa rancœur envers l’autre, pourtant ce lien se réaffirme à mesure des jours passés ensemble, au chevet de leur père mourant. Il faut la nostalgie d’un retour lumineux aux années enfantines (L’immense sapin de Noël sur les quais de la calanque) et post-adolescentes (le flash-back solaire dans la voiture) mais pas seulement : Il y a aussi le poulpe ou l’écho du Viaduc. Ce sont des jeux d’enfants qui s’accrochent et surplombent, que l’on retrouve et comme on les a vécus ensemble, on les retrouve ensemble. Et c’est Angèle, véritable pierre angulaire de ce lien – puisque c’est elle qui a subi (de plein fouet et par son absence, paradoxe magnifique) l’insoutenable drame, c’est elle qui a laissé sa famille – qui réactive chaque fois ce souvenir.

     Le décalage est inévitable. Les retrouvailles sont difficiles, puisque Armand est le seul à s’être occupé de cette maison que son père a érigé de ses mains avec ses amis d’antan, à avoir repris le restaurant familial en continuant de servir, à petits prix (et tant pis ou presque si c’est un commerce promis à l’échec) les plats de son père hérités des recettes de sa femme, tandis que Angèle et Joseph ont tous deux choisi des chemins de vie éloignés des « promesses » familiales, plus marginaux, artistiques. Si ce retour aux sources s’avère compliqué au départ, La Villa va offrir de nouvelles perspectives à chacun de ses personnages, en particulier ceux qui s’en sont extrait : L’une retrouve le désir, qu’elle s’était probablement interdit d’éprouver. L’autre retrouve l’envie d’écrire.

     Sa puissance serait moindre sitôt le film pris sous un angle plus naturaliste, plus ordinaire dans sa cartographie. Guédiguian est avant tout un conteur. Le fait de tout ancrer dans ce petit coin de paradis perdu, mais vers lequel le monde se greffe, comme si chaque passage de train colportait non pas ses touristes, mais ses enfants médecins, ses militaires, ses promoteurs, ses migrants, créant un espace tout entier représentatif du cinéma de Guédiguian ainsi qu’un œil politique sur la vie moderne. A l’image de ce lieu coupé du monde, La Villa s’avère accueillant et hospitalier. C’est un petit théâtre ouvert au monde et sur le monde.

     Et puis c’est tout bête mais depuis quand n’avions nous pas vu une si belle séquence de cigarette partagée ? C’est un deuil qui nous l’offre. Il faut voir comment Guédiguian filme ça, la nostalgie qui en émane, l’esprit de groupe qu’elle endurcit ou fait rejaillir. Car la mort qui fait naître cette « pause cigarette » n’a rien à voir avec celle qui avait éparpiller cette fratrie. C’est une mort douce, choisie, la mort de ceux qui pensent avoir vécu ce qu’ils devaient vivre et préfèrent s’en aller ensemble plutôt que d’attendre de voir l’autre mourir avant soi. D’un coup, c’est le Saraband de Guédiguian. On se met presque à rêver de voir les Scènes de la vie conjugale de Suzanne et Martin, comme on nous avait brièvement offert le Ki Lo Sa ? pour Angèle, Joseph et Armand.

     Comment oublier cette calanque ouverte sur un horizon azur scintillant dont on entend perpétuellement le clapotis des vagues s’écrasant sur les falaises, le vent dans les pins ? Cette calanque s’ouvre sur le monde mais c’est le monde qui vient à elle, des passagers de la mer, une idée aussi lumineuse qu’elle ne sort pas du chapeau (Le récit nous prévient, par l’intervention militaire) mais surprend en se pointant concrètement là où l’on ne l’attend plus. Happy End, le dernier Haneke, que j’aime sur bien des points, manquait clairement sa trouée politique, avec son apparition de migrants artificielle. Guédiguian réussit lui à trouver la bonne distance, pour ne pas tomber dans le prétexte ou le film à message. Jamais misérabiliste, le film s’en va vers un final absolument bouleversant, d’une infinie délicatesse. Des vêtements d’enfant dans une chambre, des crabes sur un quai, un écho sous un pont. Mes plus grosses larmes cette année, haut la main. 

Une histoire de fou – Robert Guédiguian – 2015

16. Une histoire de fou - Robert Guédiguian - 2015De l’influence du dommage collatéral sur le comportement des Hommes.

   8.0   Ça semble un peu anecdotique parfois, Guédiguian, au premier abord. Et là c’est tout le contraire : Il s’agit d’emblée d’ancrer le récit dans le temps, de mettre une famille sous deux générations aux prises avec le génocide arménien. D’abord les années 20, en Allemagne, en noir et blanc, via l’opération Némésis, où l’on suit SoghomonTehlirian (joué par Robinson Stévenin) chargé d’éliminer Talaat Pacha – Le Hitler turc, selon les arméniens. Ensuite à Marseille, les années 70, dans une famille d’origine arménienne, tandis qu’Aram, la vingtaine, souhaite mettre fin au demi-siècle d’inactions de son peuple, en fomentant un attentat contre l’ambassade de Turquie. Pris sous l’angle du document et de l’action pur, le film rappelle Carlos, d’Olivier Assayas. Mais c’est oublier que Guédiguian est un cinéaste choral et utopique. Il va donc utiliser un autre fait réel : Le cycliste gravement blessé lors de l’explosion parisienne, s’inspire du journaliste  José Antonio Gurriarán, touché par un attentat à Madrid commis par l’armée secrète arménienne de libération de l’Arménie, en 1981.

     A partir de là le film semble moins investir le terrain du documentaire que celui de la fiction chorale, il est donc plus anecdotique sur le plan historique. Beaucoup moins sur le terrain de l’ouverture d’esprit tant il s’agit de rapprocher – jusqu’à faire se rencontrer – ce qui ne peut se réconcilier : le bourreau et sa victime, l’héritier de la révolte et la victime collatérale, Aram et Gilles (Grégoire Leprince-Ringuet, absolument magistral) puisque tous deux sont épris de fascination, doutes, incompréhensions, regrets l’un pour l’autre. Le mélodrame est dynamité par cette idée lumineuse de pacifisme héroïque via la compréhension du passé de l’autre. Quand on découvre Gilles (qui ne peut plus marcher) au milieu de livres dédiés au génocide arménien, c’est très beau, c’est un petit pas pour lui  mais un grand pour l’humanité, c’est la victoire de la prise de conscience sur la complaisance dans la désinformation, de la pensée sur la haine. Inutile de préciser qu’Arianne Ascaride illumine une fois de plus un film de Guédiguian. Je suis en tout cas ravi de retrouver l’auteur à son meilleur niveau (Celui de L’armée du crime, des Neiges du Kilimandjaro) après sa parenthèse conte ratée. 

12

Catégories

Archives

mars 2025
L Ma Me J V S D
« fév    
 12
3456789
10111213141516
17181920212223
24252627282930
31  

Auteur:

silencio


shaolin13 |
Silyvor Movie |
PHILIPPE PINSON - ... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Playboy Communiste
| STREAMINGRATOX
| lemysteredelamaisonblanche