Not just his imagination.
7.5 Quel plaisir de retrouver Zemeckis aussi inspiré. De le voir se lancer dans un tel projet qui se situe à la croisée des genres et des possibilités offertes par le cinéma. Welcome to Marwen relie l’amplitude narrative d’un Forrest Gump avec la dimension casse-gueule de la performance capture d’un Pole express, pour le dire grossièrement. Et pourtant c’est loin d’être un film-monde, il est plus resserré, plus intime que cela, n’embrasse pas l’histoire de l’Amérique, mais plutôt un présent quelque peu sinistre, proche de celui de Seul au monde. Et surtout, ce n’est pas entièrement un cinéma de poupées, il voyage d’un monde à l’autre, du réel à l’imaginaire, avec une limpidité et une audace assez déconcertante, notamment dans les variations d’échelles : Un plan s’ouvre dans un salon avec le personnage de Steve Carrell, s’immisce dans l’une de ses maquettes et nous propulse dans un champ de bataille miniature. Je connais assez mal les expérimentations de Zemeckis sur ce terreau-là puisque je n’ai pas revu Le pôle express depuis sa sortie et je n’ai jamais vu Beowulf, mais il me semble qu’au détour de quelques plans, on se dit que seul l’auteur de Roger Rabbit sait faire un truc pareil – Même si, un peu plus tôt, Spielberg avait tué le game avec Ready player one, c’est vrai.
L’autre élément casse-gueule du projet c’est le fait que le film s’inspire d’une histoire vraie, et plus particulièrement du documentaire, Marwencol, qui racontait déjà l’histoire de Mark Hogancamp, cet homme brisé suite à une violente agression qui l’a rendu amnésique. Tabassé pour avoir dit porter des chaussures de femmes, il fait son auto-thérapie en se construisant un imaginaire de poupées, véritable monde miniature dont il photographie chaque situation. Le parti pris du film est particulièrement osé : Ce que voit, ce que vit Mark à travers ce monde qu’il se crée, c’est aussi ce que Zemeckis nous offre à voir, un peu comme si l’on voyait ce que voit un enfant qui joue avec ses figurines et ses jouets. Le film s’ouvre d’ailleurs sur une scène relevant de l’imagination de Mark. On le voit dans un avion de chasse et il s’écrase, puis s’extraie du cockpit détruit avec beaucoup plus d’aisance que Tom Hanks ne sortait de la carcasse de son Boeing noyé dans Seul au monde. Mais d’emblée, des signes perturbent notre immersion : Des pieds en plastique, une fausse boue et bientôt une brochette de nazis s’affaissant comme des soldats de plombs, sous les balles d’une armée de femmes badass. C’est Tarantino qui croise Expendables et Toy Story.
Entrée en matière assez virtuose, en effet, jubilatoire, avouons-le autant qu’elle peut faire carrément flipper. Sauf qu’il y a le tout premier retour à la réalité et c’est un émerveillement : Un long plan, circulaire, dévoile Steve Carell photographiant les figurines miniatures qu’on venait de voir prendre vie. Puis il se lève et se dirige, poupées en main, vers un tout petit portail qui le fait entrer dans la cave de sa maison, comme un enfant qui rentre dans sa cabane, ou Alice, qui pénètre dans le terrier du lapin. Le film va regorger de ce genre de va-et-vient entre le monde et l’imagination de Mark, cette maison et ce jardin qui devient le village belge de Marwen dans lequel des nazis s’attaquent en continu (puisqu’ils ressuscitent à chaque fois) à Captain Hogie et ses femmes. On comprend rapidement que cet imaginaire est la représentation extrapolée de la vie de Mark, que les nazis sont ses agresseurs, que les femmes sont celles qui peuplent sa vie (Son aide à domicile, une amie de rééducation ou encore sa nouvelle voisine, très bientôt) et que ce village, ce monde, cette période (La seconde guerre mondiale) est celle de dessins qu’il a retrouvé chez lui au retour de son agression : Si Mark a perdu la mémoire et qu’il est incapable dorénavant de tenir un crayon entre ses mains, il sait qu’il dessinait, jadis, sur le thème de la seconde guerre. Evidemment ça pourrait être lourd, programmatique, mièvre mais Zemeckis contourne toutes les facilités, génère à la fois une mélancolie étonnante autant qu’il ouvre vers une jubilation permanente.
Je ne comprends pas, il parait que le film fait un bide, que le public le boude (Et en atteste ma propre séance, un dimanche soir à 20h30, seulement dix jours après sa sortie : Nous étions tout juste cinq dans cette salle) et qu’il se fait copieusement démonté dans la presse. Même la bande-annonce me semble catastrophique. C’est sans doute ça le fond du problème aussi, le film est mal vendu. C’est comme s’il avait été abandonné par ses distributeurs, c’est triste. J’hallucine un peu tant je ne suis pas loin de penser que c’est une merveille, et son plus beau film depuis longtemps – Flight était génial, aussi, j’ai tendance à l’oublier. Et par ailleurs l’évolution du personnage joué par Steve Carrell, sans être similaire, ressemble à celle de Denzel Washington dans Flight, ou à celle de Tom Hanks, dans Seul au monde, puisqu’ils doivent affronter leur purgatoire, leur psychose afin de retrouver le goût de la vie, de la rencontre, être en paix avec eux-mêmes. Et c’est d’autant plus fort que la thérapie est artistique dans Marwen, ce qui ne manque pas de faire une analogie entre Mark et Robert Zemeckis. Tout sonne Zemeckis là-dedans, aussi bien du point de vue de sa fabrication que dans ses thématiques. Enfin disons que ça pourrait faire l’objet d’un excellent film classique qu’Eastwood aura fait magistralement par exemple, mais pas avec l’utilisation de la performance capture. Le tout, fond et forme, respire Zemeckis et personne d’autre. D’ailleurs le film ira jusque dans l’autocitation comme jamais Zemeckis ne l’avait fait, puisqu’il sera question d’une DeLorean un moment donné.
On pourra toujours penser que la mécanique procédurière et les scènes traumatiques sont un peu lourdes, au même titre que certains personnages, notamment les antagonistes nazis ou bien cette voisine dont l’histoire (on sait simplement qu’elle a perdu un enfant) aurait mérité d’être davantage développée, en effet il me semble que Zemeckis aurait pu se passer de certaines choses pour en déployer d’autres, mais ce n’est jamais vraiment problématique tant le cœur du film, c’est d’abord la dimension queer de son délire tarantinesque et ensuite sa résurrection dans la réalité par l’histoire d’amour, qui rejoue un peu celle de Seul au monde, d’ailleurs, en évacuant son fantasme (la retrouvaille de sa femme pour l’un, épouser sa jolie voisine pour l’autre) pour le déplacer vers un autre, plus inattendu. Il y a une façon de faire confiance aux émotions du spectateur, cette façon d’être persuadé que l’on acceptera tous les parti pris que le film va nous offrir, assez touchante en fin de compte. Enfin bref, c’est fort, c’est super beau, super émouvant, le film réussit à peu près tout alors qu’il est méga casse-gueule.