Archives pour la catégorie Romain Gavras

Athena – Romain Gavras – 2022

31. Athena - Romain Gavras - 2022Une nuit en enfer.

   3.5   Le film s’ouvre sur un plan séquence (d’une dizaine de minutes) qu’il est difficile de ne pas évoquer, tant il impressionne par sa virtuosité. Gavras en met plein les yeux d’entrée : Il a des sous (35 millions, quand même) et on le sent très à l’aise dans la construction scénique, la chorégraphie de la révolte, la violence et le mouvement – sur ce point il serait malhonnête de ne pas le remarquer : Son clip pour Stress, de Justice, n’est évidemment pas très loin, quand bien même le filmage très saccadé cède ici place à l’image continue : mais déjà, il y a quinze ans, il s’agissait de sexualiser le cocktail molotov.

     L’aspect chorégraphique impressionnera par ailleurs durant la première moitié du film, tant le cadre est systématiquement rempli de corps, de mouvements, de bruits : il suffit de constater le nombre de figurants récurrents cités lors du générique final. C’est un film ambitieux. Clairement le film le plus cher de Romain Gavras. Merci Netflix.

     Qu’il impressionne ou non, l’intérêt du premier plan-séquence s’explique par la volonté de saisir deux forces en présence, deux lieux aux antipodes et deux visages de frères afin de tout relier dans le même élan, en partant d’un personnage, un visage (celui d’Abdel) dans un commissariat en plein conférence bientôt perturbée par un cocktail molotov provoquant une émeute et l’invasion de l’établissement, avant que l’on rejoigne, dans un cortège de motos cross et de camionnette de police volée, la cité d’à côté érigée en zone de combat, telle une forteresse gardée par des guerriers spartiates, dirigés par un autre personnage, l’autre visage (celui de Karim).

     On ne tardera pas à apprendre que tous deux sont frères et que la révolte en marche découle d’un évènement majeur (qui n’est pas sans évoquer des faits divers très actuels) : leur frère Idir viendrait juste de mourir, à la suite d’une bavure policière. L’arc de la tragédie grecque est donc lancé et Gavras de vouloir mélanger le tout dans un maelstrom bouillonnant de cris, de hurlements, de violence, de flammes, le temps d’une nuit. C’est la version Gavras de La Haine qui rencontre James Gray. Comparaisons en défaveur d’Athena, évidemment.

     D’une part, sa tragédie aurait gagné à être épurée. En effet, quel est l’intérêt de ce quatrième frère ? Sinon qu’il est celui qui flippe pour sa dope, passe son temps à gueuler et semble n’en avoir strictement rien à battre du décès de son petit frère. Ce personnage (Mokhtar) est nul. Et l’acteur (pourtant génial dans le très beau A tout de suite, de Benoit Jacquot, mais c’était y a vingt ans) est en roue libre, c’est une catastrophe. Le film se serait bien mieux porté sans lui d’autant que ça aurait évité ce virage improbable pris par Abdel aux deux-tiers du film. Ce double geste (Abdel tue Mokhtar, puis menace le jeune policier, avec le petit suspense dégueulasse nous faisant croire qu’il l’a tué aussi) est absolument aberrant tant le personnage d’Abdel est le plus pacifique de tous et que par une pirouette sans queue-ni-tête il devient le plus dangereux, il pète un câble de façon disproportionnée et incohérente.

     Dès lors, le film sombre complètement. Il n’a plus rien à raconter et ce qu’il lui reste à dire – dans un épilogue grandiloquent consternant – il l’a déjà transmis tout du long, puisqu’on apprend constamment, via les médias, la police ou les habitants de la cité, qu’il y a l’éventualité que la bavure policière n’en soit pas une mais qu’Idir aurait été tué par un groupuscule d’extrême droite, portant l’uniforme des policiers de la BAC. Une manière pour Gavras de ne pas trop se mouiller (tout ça c’est la faute du FN) mais pourquoi pas ? Si tant est qu’on ne le placarde pas à la truelle.

     Dans ce bourbier, quelques belles idées submergent, souvent visuelles (dès que les personnages ouvrent la bouche c’est une catastrophe : « Arrêtez avec vos métaphores ! », « Ma sœur, va me chercher un Tropico ! ») : Le frigo qu’on balance du toit aux côtés de Karim et que l’on voit tomber de l’immeuble sur les chaines d’infos ; Les appels répétés de la mère (qu’on ne verra jamais) sur les téléphones de ses fils ; Le fait de suivre la naissance d’un chef de guerre.

     Mais passée la prouesse technique que constitue cette introduction, que reste-t-il vraiment ? La promesse d’une construction en plusieurs points de vue : Celles de trois frères (+1 qui vient de mourir, mais qui irrigue tout le récit) et de l’étranger, un policier otage, auxquels on pourrait ajouter celui du terroriste qu’on prend au préalable pour un demeuré. Le dispositif choral aurait pu être passionnant. Mais à trop vouloir suivre le chemin de la tragédie familiale Gavras se perd. Les deux arcs les plus intéressants seront in fine ceux du flic – la mission que se donne Karim est de kidnapper un policier – notamment la séquence (sans parole, une fois encore) où il se planque dans les recoins de la cité pour échapper à ses poursuivants ; et du terroriste fiché S : Avec cette idée assez originale de l’avoir inséré dans le récit via une fausse piste – il s’occupe des fleurs de la cité ( ?) puis on le cache dans une crèche – sans pour autant masquer sa véritable identité : D’entrée, via les médias, on entend parlé de Sébastien, qui revient de Syrie. Mais à quoi va-t-il servir finalement ? A faire péter la cité avec des bonbonnes de gaz. Qu’est-ce que ça raconte, sinon que Gavras aimerait tout faire flamber et observer ça en se paluchant ?

     Dès lors qu’il filme la guérilla, le chaos, Gavras est à son aise, en effet, à croire qu’il jouit pleinement de cette destruction. Mais tout vire à la démonstration de force, et le film hésite constamment à jouer la violence du réel (façon Bac Nord, lors de l’arrivée dans la cité, sans compter qu’il n’est pas sans évoquer l’affaire Adama Traoré, et d’autres) et une violence carrément spartiate un peu ridicule : Les CRS en formation tortue, éclairés par des rafales de feux d’artifice, c’était un gros NON pour moi.

     Et qu’importent l’afflux de plans-séquence virtuoses : Ils n’ont plus d’autre intérêt (narratif) que d’en mettre plein les yeux, sans parvenir à impressionner comme le tout premier. Ça devient un peu gratuit. Un étalage de thune. C’est du vent.

     J’ai quand même bien fait d’attendre un peu pour en causer. Il y a huit jours je me serais contenté d’un cinglant « C’est de la merde ». C’est un peu plus intéressant que ça. Pire peut-être, car problématique et douteux, mais au moins ça pose question.

Le monde est à toi – Romain Gavras – 2018

04. Le monde est à toi - Romain Gavras - 2018« Prendre un chemin »

   4.5   Vu le film il y a une semaine et je n’arrête pas d’y penser. Et pas qu’en bien car je trouve ça plus détestable que brillant, mais j’y pense, alors qu’en sortant de la salle j’étais plutôt dans le mood « C’est de la merde ». C’est un peu tout le contraire d’Un couteau dans le cœur, Le monde est à toi : L’un assume clairement son penchant nostalgique et romantique quand l’autre se croit in, avec son esthétique de clip, alors qu’il fait réchauffé. Il pourrait être un cousin éloigné de Spring breakers et The Bling ring ou un frère de la Crème de la crème – On sait que Gavras et Chapiron ont fait leurs armes ensemble. Mais son obsession pour Scarface l’empêche de trouver une vraie identité, qui ferait pas de lui un ersatz de True romance dans une ambiance à la Very bad trip. Ça donne un truc un peu informe sur le papier, hein ? Et bien à l’écran c’est pareil, mais pas toujours dans le bon sens tant on sent que le film recycle plus qu’il n’est inventif. Il recycle bien, c’est tout.

     Pourtant, des idées le film n’en manque pas, suffit d’énumérer la galerie de personnages excentriques qu’il déploie et pas forcément les centraux, à l’image de Poutine, le caïd complètement lunatique et cocaïné, capable de monter dans des accès de rage tonitruants avant d’aussitôt redescendre dans un concert de sanglots. Mon personnage préféré du film, sans hésitation possible. Je le cherchais partout. Mais il fait figure d’exception, Le monde est à toi échoue dans son exubérance, c’est un film beaucoup trop sage. Il se satisfait d’une saillie ici mais ne creuse jamais. C’est comme l’idée de tourner à Benidorm, c’est génial. C’est l’un des endroits les plus laids et vulgaires qui soient. Mais Gavras n’en fait pas grand-chose. Il va balancer deux/trois plans pour capter la verticalité effrayante des lieux (On se croit sorti des Bruits de Recife, de Mendonça Filho) et c’est tout, histoire d’en mettre plein les yeux comme il en mettait d’emblée plein les yeux (pour rien) dans le plan séquence circulaire introductif suivant Karim Leklou traversant la cité.

     Adjani disait en interview que le film est barré et déjanté mais c’est curieux car je ne vois rien de vraiment barré et déjanté – Possession, de Zulawski c’était déjanté, ça oui. Là c’est relativement sage et bête d’autant que ça surfe sur plusieurs modes dans sa distribution tape à l’œil faite d’acteurs disparates – Cassel est celui qui s’en tire le mieux là-dedans, aussi drôle et touchant qu’il était ridicule chez Dolan : Il y a des excès qu’on peut jouer et d’autres pas. Et Karim Leklou est bien, aucun doute là-dessus. Mais j’ai un peu de mal avec ce mec. A la fois je le trouve toujours bien (surtout dans Coup de chaud, de Raphaël Jacoulot) à la fois je trouve qu’il fait plus office de bon élève (un poil décalé) qu’autre chose. Et puis le film se réclame ouvertement de Scarface, ça ne fait aucun doute : Le titre, déjà, tant la référence à « The world is yours » clignote. Et si Tony Montana rêve d’être le plus gros gangster de Miami, François rêve juste du petit pavillon, avec une petite piscine qu’il a trouvé en photo sur Internet. D’où la bonne idée de faire du film une comédie, avant tout. C’est pas poilant mais c’est parfois drôle, oui.

     L’utilisation musicale permet d’y voir clair quant au vertige de vulgarité qui transpire du film. C’est vrai, quoi, parvenir à balancer du Balavoine, du Sardou, du Voulzy, du Toto, du PNL, du Jul en enrobant le tout d’une partition originale signée Jamie XX et Sebastian ça en jette, non ? Moi j’ai trouvé ça obscène. Enfin c’est trop, en fait. Et en même temps il faut bien reconnaître que ces morceaux sont placés aux bons endroits, que ça arrive toujours quand il faut, que c’est drôle de voir Adjani fredonner Cocktail chez Mademoiselle, de Voulzy, que c’est hyper drôle d’entendre Cassel dire que Balavoine a tout compris à la vie quand il chante La vie ne m’apprend rien et que c’est encore plus drôle d’entendre le morceau quand le film s’en va en happy end façon Scarface du pauvre. Et puis t’as des idées comme Philippe Katerine et les zaïrois, François Damiens et les érythréens, certes ça fonctionne un peu en sketch fermé, mais faut bien reconnaître qu’on ne voit jamais ça dans la comédie française, qu’on ne va jamais jusque-là. Bref, le film m’agace, mais il a un truc, c’est certain – Et j’avais dit sensiblement la même chose de Notre jour viendra, le premier Gavras, il y a huit ans.

Notre jour viendra – Romain Gavras – 2010

Notre jour viendra - Romain Gavras - 2010 dans Romain Gavras b057ddbc3488494_file Le roux et le noir.  

   3.5   Notre jour viendra. Le titre ne résonne pas tant comme la quête d’un paradis chimérique accompagné d’un nihilisme révolutionnaire maladroit que comme l’approche apocalyptique d’un monde qui ne tient plus en place. Et la bande-annonce semblait confirmer ce sentiment, déployant une succession d’images foutraques, montrant un coup des visages hallucinés, un autre l’épaisse fumée d’une usine ou une voiture lancée à cent à l’heure, le tout dans un montage nerveux, doux puis progressivement stroboscopique. Ça semblait audacieux et prometteur, ou bien du n’importe quoi casse-gueule mais au moins ça attirait la curiosité.

     Pourtant, une fois devant le film, on est surpris par ce cruel manque d’imagination, par la vacuité du propos autant que de la mise en scène. Si l’on pense par moments à Blier et plus particulièrement aux Valseuses, c’est avant tout pour son absurdité, ses personnages lunatiques que l’on peine à cerner, mais surtout sa faculté à soigner les entrées de personnage secondaires mais de n’en tirer aucune substance, car derrière cela il n’y a jamais la force d’un plan à la Blier, ni sa drôlerie. On pense davantage à Sheitan sur ce point là, de son pote Kim Chapiron (Collectif Kourtrajmé). Mêmes idées bouffonnes, humour choquant mais malheureusement pas vraiment drôle, alors qu’il est clair que c’est ce que le cinéaste recherche. Dans l’un c’était une fille qui arrachait un peu de cheveux (et de crâne) sur la tête d’un type ahuri, après qu’elle n’est masturbée son propre chien. Dans l’autre ce sont deux types qui font irruption dans une salle de sport, l’un planté avec une arbalète sur un vélo, l’autre, la bite à l’air, en train de pisser dans le jacuzzi occupé par un couple. Il y avait un peu cela dans les Valseuses justement, lorsque Depardieu et Dewaere tombaient sur une famille le long d’une rivière, avant de leur subtiliser fille et voiture. Mais Blier se servait de l’absurde plus de façon humoristique que pour choquer, disons d’ailleurs qu’il ne pensait peut-être pas choqué, alors que c’est la volonté première de Gavras, j’en suis persuadé. A vouloir jouer sur deux tableaux, il n’en remplit aucun. Il y a donc des instants, bien qu’ils soient trop écrits, qui m’ont bien fait rire, mais tout se joue dans le débit de parole et son absurdité, ce n’est pas naturel, mais si on est de bonne humeur ça peut passer. Lorsque Patrick (Cassel, en psychiatre qui décide de ne plus se plier au système, de se rebeller) discute avec son acolyte Rémy (Barthélemy, le type de Sheitan, qui a fui le cocon familial aliénant après avoir frappé sur sa mère et sa fille) en lui demandant d’aller taper un des types au bar, répétant sans s’arrêter ‘Un arabe, un arabe…’ c’est très con mais ça m’a fait marrer. Ou alors lorsque Patrick devenu fou, fonce sur une église, manquant de peu d’écraser les mariés, puis que pour défendre son ami en train de se faire tabasser, Rémy demande à chacun des invités de se rouler des pelles sous peine de les dégommer à coup d’arbalète. Voilà, c’est de l’humour ras des pâquerettes, mais c’est en jouant avec un certain ridicule des situations (c’est la seule chose qu’ils ont pour s’en sortir ces deux personnages, le ridicule) que le film pourrait presque devenir touchant, à l’image du questionnement sexuel permanent de Rémy.

     En fin de compte on aimerait penser à d’autres films auxquels il est impossible de penser. La vie de Jésus de Bruno Dumont et Seul contre tous de Gaspar Noé. Dans l’un comme dans l’autre, il y avait un récit, des choses à dire, et une mise en scène intéressante, même si je garde de nombreuses réserves sur le Noé, à mon sens plus clinquant qu’inventif. Les premières images de Notre jour viendra laissent pourtant présager une filiation passionnante, avec ce défilé de plans fixes sur des villages nordistes, vidés de toute substance de vie humaine. Très vite on comprend que Gavras n’a pas grand chose à dire, en témoigne ce pitch des plus affreux, selon lequel deux roux paumés s’uniraient contre le monde. C’est là aussi que le réalisateur échoue. Car là où Dumont faisaient vivre ses personnages mêmes s’ils méprisaient leur univers, Gavras semble lui au contraire mépriser ses personnages, mépriser la différence. Chaque irruption dans le film est sujet à une moquerie (des personnages) et à un rictus (des spectateurs). Gaël, le geek gothique homo. Le couple hippie. Le gardien du supermarché. Le juif vendeur d’auto. L’Arabe violent du bar. Des anglaises qui ne cherchent qu’à baiser etc… Il n’y a pas d’incarnation car le cinéaste ne croit absolument pas à ce qu’il fait. La ligne de conduite du collectif Kourtrajmé « Je ne donnerai pas de sens à mes films, mais je ferai des films pour les sens » ne prend pas, puisque l’on ne sent rien. C’est soit trop écrit, dans les dialogues surtout, avec un Vincent Cassel en roue libre. Ou alors ça ne va justement nulle part, ce n’est même pas fou, c’est vide. Pourtant il y a les dernières minutes du film, assez étonnantes. Chaos général puis une longue plage avant que nos deux abandonnés du monde ne se retrouvent bras dans les bras dans une mongolfière lancée vers l’Irlande, sous un ciel rougeâtre, menaçant et magnifique. Deux corps en pleine résurrection. Je ne sais pas si le film méritait plus après tout ce foutoir, mais la fin, elle, commençait bien.


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silencio


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