Hearts wide open.
7.5 Hyper impressionné par cette nouveauté (d’un cinéaste dont je ne connaissais pas le nom) estampillée Netflix. Déjà par son unité de temps, puisque le film se déroule entièrement le temps d’une nuit. Puis par son unité de lieu, puisque tout se déroule dans une maison. Avec au centre, deux personnages. C’est tout. C’est un dispositif qui peut s’avérer étouffant, mais Sam Levinson fait vivre le tout brillamment, avec beaucoup de finesse (le film est parfois virtuose sans que ce soit écrasant) et une distance assez exemplaire.
Pourtant Malcolm & Marie peut vite souffrir de ses nombreux modèles. Certains plans sont des décalques du Eyes Wide Shut, de Kubrick. Avec l’idée de capter en priorité les visages et leurs déformations par l’émotion, c’est aussi le Faces, de Cassavetes qu’on veut retrouver. On peut aussi y déceler l’influence d’un Buñuel, tant l’impossibilité de dîner (Le charme discret de la bourgeoisie) ou celle de quitter la maison (L’ange exterminateur) plane sur leur impossibilité à faire l’amour, entre deux disputes. Quant à l’écrin qu’impose le noir et blanc stylisé, il place le film aussi bien dans le mythe que dans une mouvance du néo-réalisme italien, Antonioni et Rossellini en tête. Sauf que ce patronage est aussi intégré dans le récit, en effet on y parle sans cesse de cinéma (Malcolm est cinéaste, Marie sa muse), de Spike Lee, William Wyler, Gillo Pontecorvo et il est clairement évoqué un contraste de classe (il est issue d’une famille bourgeoise, pas elle) qui renvoie le récit aux limites de la forme imposée par le film. C’est assez vertigineux.
Le postulat est simple (mais riche) : Un couple rentre d’une soirée de gala (la première projection de son film à lui) et se dispute. On comprend vite qu’il ne l’a pas remercié durant son discours. Mais ce n’est que le début d’une longue entreprise de règlements de compte, parsemés pourtant d’instants plus doux voire détachés, avant qu’un autre grief (finalement plus profond) remette la machine hystérique en route. C’est très intense, bavard, bruyant et magnifiquement écrit.
La forme se caractérise par de nombreux longs plans-séquences construit autour de la parole. C’est un reproche qu’on pourrait lui faire : Le film est fort dès qu’il capte le langage, moins dès qu’il tente de saisir les creux, sans doute car il ne le fait pas suffisamment. Et dans le même temps c’est aussi son sujet : Le couple a traversé des épreuves ensemble, sans pourtant savoir qui ils sont au fond l’un et l’autre. L’esperluette du titre ne raconte que ça tant elle agite un double sens, englobant le couple tout en leur rendant leur individualité respective.
Zendaya et John David Washington sont tous deux exceptionnels, habités par leur interprétation du premier au dernier plan. Si on devait chacun leur détacher une scène hors de leur dispute, pour lui ce serait celle où il s’en prend à la critique du L.A.Times (difficile de savoir si tout est écrit tant ce qu’il déblatère est quasi abscons ou s’il improvise un peu, mais purée c’est complètement fou, et hyper drôle) pour elle celle du couteau (Franchement je ne l’ai pas vu venir).
On pourrait dire qu’à l’instar de Pialat et Bergman, le film fait l’autopsie du couple (en crise) d’autant qu’il y a là aussi une part de mise en abyme. Mais d’une part Malcolm & Marie a très peu en commun avec Nous ne vieillirons pas ensemble ou Scènes de la vie conjugale. D’autre part, il a une dimension politique très actuelle, et c’est un film né de notre crise sanitaire : Le dispositif découle moins d’une idée gadget que d’un geste pragmatique, c’est un film écrit pendant le confinement et je crois qu’on le ressent.