Publié 12 avril 2016
dans Samuel Collardey
Entre deux mers.
6.0 La séquence d’ouverture se déroule sur un bateau de pêche, chevauchant des murs d’eau. En son sein, deux hommes, deux pêcheurs vêtus d’un ciré jaune, s’occupent du poisson, couteau en main, essuyant du même coup une tempête qui fait rage jusque dans leur cabine. A la fois tout est dit, pourtant cette introduction n’est qu’un leurre puisqu’on ne reverra quasi plus le bateau. Le film va mettre en scène une autre tempête, familiale, entre un père divorcé et ses deux enfants, dont il n’a bientôt plus la charge, sauf s’il abandonne le grand métier – Une expression qui évoque ceux qui partent quinze jours en mer et reviennent durant les deux jours de forte marée. C’est le monde des marins qui entre en collision avec celui des terriens. Le film caresse donc une intimité fragile, notamment lorsque la fille de Dom – le pêcheur – est enceinte et qu’il sera absent au moment où son rôle de père est fortement réclamé ou dans sa relation trop amical avec son fils, qui finira par rejoindre sa mère pour bifurquer de l’avenir marin qui lui était promis. C’est le contexte social qui s’avère ici le plus cruel, dès l’instant que Dom choisit d’abandonner le métier de sa vie pour s’acheter un bateau à lui et qu’il se heurte violemment à une crise des pêcheurs relayée par des banquiers voraces et des armateurs peu dociles. L’originalité du film de Samuel Collardey est d’offrir ses rôles à des acteurs amateurs puisqu’il s’agit de la véritable histoire de Dominique Leborne et ses enfants, jouée entièrement par eux. Le film n’est pas exempt de défauts, les mêmes que l’on pouvait trouver dans L’apprenti, le premier film de Samuel Collardey mais la cruauté, l’humanité et la vérité documentaire qui s’en dégage emmènent parfois le film vers des instants de grâce – Un café entre Dom et sa (propre) maman ; Un moment d’aveu/réconciliation entre Dom et sa fille. Sans compter que leur présence est essentielle pour ne pas dire exceptionnelle – Vibrant et inoubliable Dominique Leborne, vraiment.
Publié 15 mai 2012
dans Samuel Collardey
Je te promets.
7.0 Plus qu’un simple récit initiatique, L’apprenti est une rencontre, entre deux mondes, deux générations. Evidemment, le jeune Mathieu est au centre du film mais la faculté à faire exister les personnages qui gravitent autour de ce petit bonhomme n’est pas la moins bonne qualité du film. Mathieu, la quinzaine, ado gringalet qui n’a pas encore vraiment grandi, qui n’a pas mué non plus, est un garçon réservé et à la fois il renferme une énergie incontrôlée qu’il laisse exploser lorsqu’il se retrouve en groupe (avec ses amis à la piscine) ou entièrement seul (en courant après le coq). Le film va le suivre à la trace, d’abord dans son arrivée dans une ferme de Franche-Comté où il y effectue son apprentissage une semaine durant (en alternance, sans doute) puis quelques instants dans son quotidien parallèle, dans une salle de classe, des vestiaires sportifs ou dans un bar avec des amis. Samuel Collardey ne cherche pas à faire de cet apprentissage une construction schématique et ordonnée avec péripéties, intensité dramatique et tout ce que l’idée suggère de linéaire et de balisé. Son attention se porte essentiellement sur des gestes et situations quotidiennes triviales, qu’il s’agisse inévitablement de passer par les nombreuses tâches répétitives de la ferme (bétail, foins, traites…) ou des instants plus inattendus comme une révision d’anglais avec son hôte, une virée en mobylette ou la véritable mise à mort d’un cochon. Le film est clairement une fiction mais il s’engage partiellement aussi dans le documentaire et cet entre-deux est parfois délicat à percevoir tant il tente un peu à la manière de Nicolas Philibert dans Etre et avoir, de saisir des moments délicieux, qui donne l’impression d’une prise sur le vif – la séquence de nettoyage des sabots de l’âne est à ce titre merveilleuse. C’est un film dans la douceur, pendant un long moment. Il laisse se profiler l’examen en fin d’année mais, un peu comme dans Tomboy de Céline Sciamma (la rentrée), ce n’est pas cette issue sentencieuse qui engloutira le film avec ses personnages. Le film est autre, il s’envole. Car soudainement il se passe des miracles. Une entrevue avec un père que l’adolescent ne voit plus beaucoup depuis que ses parents se sont séparés, puis une discussion avec ce père de substitution (le paysan) sur les choses irrémédiables qui font un mal fou. Samuel Collardey se laisse parfois aller à une facilité un peu complaisante, surtout dans la durée de ses séquences, souvent interrompues trop tôt (pour ne pas trop dérouter) mais il saisit aussi quelque chose d’incroyable sur les rapports humains, familiaux, ces rêves qui nous étreignent, ces douleurs qui nous restent, et franchement par moment c’est bouleversant.