L’enfance nue.
8.0 Le film s’ouvre dans une chambre d’enfant. Une petite fille se pare d’une robe pailletée, attache un bandeau dans ses cheveux et enfile un collier de perles autour de son cou. C’est son ilot de liberté. Il n’y a aucune gêne. La caméra elle-même semble ne pas exister. C’est simple et beau.
Sasha, sept ans, est née garçon mais elle sait qu’elle est une fille. A la maison c’est une fille, mais à l’école ou à la danse, état civil oblige, c’est un garçon. Dysphorie de genre qui a conduit le documentariste Sébastien Lifshitz, auteur d’Adolescentes (aussi sorti cette année) et Les invisibles (César du meilleur documentaire 2013) à suivre, une année durant, le quotidien de cette gamine, scolarisée en CE1 ainsi que le combat de sa famille pour que son identité soit acceptée.
C’est le portrait d’une petite fille coincée dans le corps d’un garçon. Sacha a sept ans, elle est transgenre, mais pour elle ça ne veut pour le moment rien dire d’autre qu’une impossibilité de vivre en tant que jeune fille : Elle ne peut pas porter de robe à l’école ni être dans le groupe des filles à la danse ; Les copains la voient comme un garçon qui ressemble à une fille, les copines comme une fille qui n’en ai pas vraiment une. Ses larmes lors de l’entretien avec la pédopsychiatre est l’un des moments le plus intenses et énigmatiques du film, révélant une tristesse, une peur, une colère logés dans ce petit bout d’être humain malheureux, sans que l’on sache non plus toute la douleur qui la traverse, puisqu’elle n’a pas encore forcément les mots pour exprimer ce qu’elle ressent.
Le film est si intelligent narrativement qu’il fait naître d’emblée une ambiguïté, calée sur le ressenti de la mère. Et si Sacha rejetait son genre car lors de sa grossesse, sa mère avait tant espéré avoir une fille qu’elle avait été déçu d’apprendre que son bébé serait un garçon ? Il faut écouter cette maman évoquer cette souffrance, cette culpabilité qui semble la ronger chaque jour depuis sept ans. Jusqu’à l’évocation du prénom, qui dit-elle, est le seul des prénoms de ses quatre enfants qui soit mixte. C’est bouleversant. Et c’est très bien d’avoir fait éclore cette ambigüité si vite car c’est aussi le combat de cette mère, ce film. Elle craque souvent mais on sait qu’elle ne lâchera rien.
Petite fille est un film fort sur l’égocentrisme d’une société étriquée qui refuse les marginaux n’entrant pas dans ses cases et cherchent simplement à être soi. Un beau film sur un bourreau sans visage aux cents visages (Un directeur récalcitrant, une prof de danse humiliante, des camarades d’école moins compréhensifs que d’autres : Personnages forts qu’on ne verra pourtant jamais), autoritaire ou distant, qui, entre déni et rejet, brise un magma de pureté et d’innocence.
Mais le film ne se perd pas pour autant dans un déluge de combats ou de scènes reflétant la peur, le mal-être et l’injustice. Il le traite, certes, c’est son sujet central, mais il plonge aussi, avec une légèreté joyeuse, au cœur de l’enfance, des jeux insouciants (une bataille de boules de neige, un moment sur un trampoline, une partie de 1,2,3 soleil) parce que c’est finalement ce pour quoi Sasha, sa maman et les autres tentent de se battre : Préserver l’enfance que les forces d’autorités sociétales tentent de lui voler.
Le papa témoigne peu, mais un moment donné il dit ceci : « La question ne se pose même pas. C’est mon enfant. C’est Sasha, point » Ce message simple, fort, plein de bon sens et d’espoir, révèle pourtant toute l’absolue tristesse de cette situation, d’une absurdité accablante.
Et puis c’est loin d’être fini. Rappelons-nous la dernière réplique du film Vice-versa : « After all, Riley’s twelve now. What could happen? ». Bientôt, Sasha aussi aura douze ans. Chacun sait que son combat ne fait que commencer.