Que la belle meure !
8.0 Si la filmographie de Serge Leroy, loin d’être conséquente, est relativement passée inaperçue et globalement oubliée – J’ai d’ailleurs un très mauvais souvenir de Légitime violence, avec Claude Brasseur – le mec aura au moins pondu La traque. Ce film qui traine dorénavant une sorte d’ « aura culte » ce qui lui a permis d’être exhumé des greniers auxquels il semblait éternellement promis.
J’ai moi-même une histoire avec La traque puisque je l’ai découvert tout jeune et il fait donc parti de ces films français qui m’ont un tout petit peu traumatisés au même titre que Le vieux fusil ou Dupont Lajoie. J’ai réussi à revoir le Enrico il y a quelques années, mais jamais je n’ai revu le Boisset. La traque c’est vraiment celui que je craignais de revoir puisque c’est celui qui m’avait fait le plus mal : Du jour au lendemain, tous les chasseurs méritaient de crever. Je n’avais pourtant gardé que des flashs mais suffisamment éprouvants (Dans une chapelle, dans un tunnel, dans un marais) pour meubler ma mémoire et probablement mes cauchemars.
Alors, déjà le film mérite entièrement d’être revu/découvert/réhabilité, c’est un truc très sale, gris, malaisant, qui te fait arpenter la forêt en plein automne (Et s’y tient tout du long), une voie ferrée et des ruines, et qui te demande de croire, tiens-toi bien, que la bande de notables plus ou moins notables (Tous ont des intérêts croisés) est joués par : Jean-Pierre Marielle & Philippe Léotard (Les frangins pourris, par qui tout commence), Michel Robin (Qui oublie son fusil), Michel Constantin (Réticent tant que ça le met pas dans la merde), Jean-Luc Bideau, Michael Lonsdale, Paul Crauchet. Brochette aussi géniale qu’improbable d’acteurs magnifiques campant une belle bande d’ordures.
La force supplémentaire de La Traque, ce qui le rapproche d’un certain cinéma chabrolien c’est la richesse de différenciation de chacun de ses protagonistes, aussi détestables soient-ils. Dans mon souvenir vague et binaire, c’était des ordures dégueulasses. Point. En fait c’est plus complexe que cela, ils sont reliés les uns les autres, puisque ce sont des gens importants, ici un conseiller régional ou un éminent bourgeois local, là un assureur ou un notaire. Avec leurs propres secrets et casseroles qu’il vaut mieux ne pas ébruiter. Certains se mettent en retrait, d’autres s’occupent des manigances. Pour qu’au final, la battue initiale de simples chasseurs beaufs se mue en mission façon unité militaire – Rien d’étonnant alors à ce que certains se remémorent leurs passages en Algérie ou en Indochine.
Le film est âpre d’entrée, dans une double introduction où Mimsy Farmer arrive en voiture et semble s’engouffrer dans la nuit normande, puis dans une chambre d’hôtel miteuse, avant qu’un cut sordide sur un fusil vienne introduire Jean-Luc Bideau, dans le même hôtel avec sa maitresse. Plus tard c’est lui qui la conduit vers la visite d’une longère en forêt et ils sont déjà traqués, en voiture, par ses amis chasseurs qui les pourchassent gentiment. Ce sont des gosses, dit-il. Mais déjà le jeu prend des allures bestiales, déstabilisantes. Un interminable repas, bien arrosé précédant une battue au sanglier fera ensuite entrer le film dans une atmosphère forestière et marécageuse, poisseuse et irrespirable qu’il ne quittera plus.
Avant que ça ne dérape brutalement, au détour d’un viol dans une chapelle. Les chasseurs oublient le sanglier et pourchassent la jeune anglaise, en fuite, qui pourrait parler. On plonge en plein survival. Tout se déroule en extérieur, le temps d’un après-midi, le long des routes désertes, entre les arbres, les roseaux et les étangs. La réalisation sobre mais efficace de Serge Leroy colle à la situation, la photo terne accentue la lourdeur du climat. On se prend les cris de perdition de Marielle et les gémissements d’agonie de Léotard dans la gueule. Car tout le film ou presque se vit du point de vue des chasseurs. De Mimsy Farmer nous ne verront que parcimonieusement ses courses folles et silencieuses avant ce « Help » hurlé jusqu’à trépas absolument déchirant.
Autre point qui a son importance, les quelques séquences douloureuses de La Traque, celles que j’avais gardé en mémoire (de façon odieusement déformée) ne sont jamais écrasées par l’exploit ou la performance (Comme on pourrait le reprocher à un certain Gaspar Noé, par exemple) mais au contraire brillent par leur sécheresse et leur brièveté. Le film n’est pas trop sale ou trop violent pour être dans la démonstration au contraire, il impressionne par ses nuances (Sans l’effet de groupe, point de traque) et son imperceptible dérapage.