Archives pour la catégorie Sergey Loznitsa

Portrait (Portret) – Sergeï Loznitsa – 2002

21. Portrait - Portret - Sergeï Loznitsa - 2002Figés dans le paysage.

   4.0   L’idée cette fois est de filmer des habitants d’un village russe, debouts, immobiles, face caméra, dans leur tenue quotidienne, au milieu de leur activité. Ils posent parfois avec leurs outils, avec leur chien ou avec rien. Loznitsa fige chacun d’eux au centre du plan mais ne fige pas le paysage, qui lui continue de respirer. On entend la campagne environnante, les oiseaux continuent de voler, jusqu’à parfois traverser le cadre. Un moment donné on aperçoit un véhicule. Ailleurs c’est une porte qui s’ouvre. Et le sujet, aussi statufié soit-il est parfois gagné par de légers mouvements : une main qui tremble, des yeux qui clignent. Bon, je ne vois pas trop l’intérêt. Je trouve que c’est un beau geste de peintre ou photographe – Loznitsa créé de beaux tableaux – mais au cinéma ici Loznitsa nous impose le temps et il est assez court. Ajoutons à cela un plan panoramique au premier tiers temps puis au second, prouvant bien que Loznitsa lui-même croit moyennement en son dispositif si ce n’est pour faire passer les saisons.

La colonie (Poselenie) – Sergei Loznitsa – 2001

10. La colonie - Poselenie - Sergei Loznitsa - 2001Les habitants.

   6.0   C’est une campagne isolée habitée par une mystérieuse communauté. Loznitsa y filme des êtres qui déambulent. Un quotidien rural avec ses codes, ses habitudes. On comprend qu’il s’agit d’un internat psycho-neurologique, mais filmé ainsi, ouvert, naturel, spacieux, le lieu ressemble à un petit village. Ses habitants y sont mutiques mais les visages disent énormément. Visages souvent perdus dans la masse d’un plan très composé, souvent en longue focale, dans un noir et blanc très lumineux. Mais Loznitsa offrira du temps à chacun de ses visages, cadrés cette fois en gros plan, durant les cinq dernières minutes accompagnées d’un Avé Maria tandis qu’il était jusqu’ici sans musique.

L’attente (Polustanok) – Sergueï Loznitsa – 2000

33. L'attente - Polustanok - Sergueï Loznitsa - 2000Les passagers de la nuit.

   5.0   Avec ce nouveau court métrage, le cinéaste ukrainien choisit de filmer un lieu unique, la salle d’attente d’une gare, réunissant une communauté de passage, des dormeurs, dans l’attente de l’aube qui verra l’arrivée du train. Loznitsa revendique faire appel à ses souvenirs d’enfance, lorsqu’il attendait le train avec ses grands-parents. L’idée est de capter des visages, des corps au repos, dans des poses parfois très inconfortables, occasionnant des mouvements de gènes, la plupart du temps en plein sommeil. Les plans sont très longs, très rapprochés, parfois entièrement statiques. Les bruits de la gare et des trains lointains viennent renforcer cet état de léthargie qui guette aussi bien le spectateur que ces passagers de la nuit patientant dans la gare.

Today we are going to build a house (Segodnya my postroim dom) – Sergueï Loznitsa & Marat Magambetov – 1996

02. Today we are going to build a house - Segodnya my postroim dom - Sergueï Loznitsa & Marat Magambetov - 1996Ni le ciel ni la terre.

   6.0   À l’époque de la sortie de My Joy (2010) sélectionné à Cannes, je ne connais Loznitsa même pas de nom. Il a pourtant réalisé une multitude de films, courts pour la plupart, documentaires en totalité. Bref, je découvre un nouveau « cinéaste narratif » mais il est déjà un documentariste installé.

     Ce qui frappe dès ce premier film c’est la puissance du regard et la force du cadre. À l’image de cette suite de plans, désordonnés, fragmentés, cette journée sur un chantier de construction semble relever d’un chaos absolu sans résultat et pourtant l’ensemble finira par prendre forme, le chantier aussi.

     L’essai, pas forcément pertinent (Loznitsa filme quand même beaucoup trop les ouvriers en train de glander) est visuellement très beau, notamment ce ballet archaïque de mains, de seaux et de cordes, et quasi burlesque dans sa dynamique sonore. Ni visages (ou si peu) ni dialogues, le film semble parfois faire écho à Tati dans sa mécanique spatiale.

     La constante chez Loznitsa, qui ouvrira My Joy sur un bulldozer dans la boue c’est la terre et le ciel : ce premier court s’inscrit déjà dans cette veine en s’ouvrant ainsi sur un plan de ciel et un plan de flaque. Entre les deux, un bâtiment s’érige.

Letter – Sergei Loznitsa – 2013

28. Letter - Sergei Loznitsa - 2013Elegie de la traversée.

   7.0   Vingt minutes, dix plans. Tous fixes, plutôt un beau score sur l’échelle de James Benning, bien que ce soit à un autre cinéaste auquel on songe constamment, à savoir Aleksandr Sokurov, notamment ses travaux courts comme Une vie humble et Elegie orientale à la différence qu’aucune voix off ne sera ajoutée ici – ni paroles, d’ailleurs – tant il s’agit d’observer des déplacements, des traversées du plan. Il semble qu’on se situe dans un village hors du temps, dans les jardins d’un vieil asile psychiatrique rural, saisi dans un noir et blanc somptueux, net au centre, flou sur ses bords, nimbée d’une aura aussi ordonnée que féerique, où chaque plan est composé à la perfection, avec ses lignes de fuites, ses mouvements gracieux. Des hommes et des femmes se croisent, entrent dans le plan puis en sortent, caressent une vache, secouent des draps, écoutent l’un d’eux jouer de l’accordéon, ils sont les derniers habitants de ce monde malade, simple, élégiaque. Le travail sonore, d’une grande richesse est entièrement retravaillé en post-production, faisant ressortir des voix lointaines, un langage non identifiable, mais surtout le bruit des éléments, de la faune, de la flore. Il faut le voir comme un rêve, très court puisque ça ne dure que vingt minutes donc on pourrait aisément y revenir et s’y perdre encore brièvement. C’est très beau.

My joy (Schastye Moye) – Sergey Loznitsa – 2010

My joy (Schastye Moye) - Sergey Loznitsa - 2010 dans Sergey Loznitsa my-joy-04-10293468jptjg_1798

La terre de la folie.    

   7.5   A l’heure où l’on commence un peu partout à dresser les bilans de l’année qui se termine, certains films arrivent encore à se hisser vers les sommets, rejoindre ceux que l’on considérera comme des œuvres marquantes. C’est à mon sens le cas de My joy de Sergei Loznitsa, ovni cannois, adoré ou archi-détesté qui suit les périples d’un jeune homme, qui transporte une cargaison de farine en Russie, effectue diverses rencontres et s’engouffre dans un pays enneigé, fantomatique et violent principalement dominé par l’idée du pourrissement et de la mort. Bref, un film à cent lieux de ces réconciliations avec soi-même, avec son pays, comme on en voit chaque semaine. Le film de Loznitsa, dont c’est le premier long-métrage de fiction –c’est d’autant plus fulgurant – est un brûlot qui fait mal. Mais pas vraiment pour asséner une didactique, faire éclater des vérités, rendre compte d’une déchéance humaine dans tel ou tel lieu, non, My joy agit avant tout comme simple expérience, comme voyage initiatique, au travers d’un pays qui n’a que dégoût comme surprise. Dans la première scène du film, des tracteurs soulèvent des tonnes de terre. Un corps est transporté et jeté dans une fosse cimentée. Tout est recouvert, le film peut continuer. Il est déjà d’entrée de jeu question de cadavre. C’est en se radoucissant dans un premier temps que My joy s’en va chercher dans un crescendo déstabilisant et perturbant des séquences terribles, de violence froide Hanekienne. Mais il n’y a pas cet enfermement qui est un moteur pour le cinéaste autrichien, ici on est constamment dans l’idée du voyage, de la traversée, du mouvement géographique. Tout se joue dans ce fin paradoxe, surprenant d’étouffement par la durée du plan, plus que par l’espace cadenassé. Un moment donné, il y a une scène très forte, un contrôle de police. Loznitsa joue énormément sur les possibilités du regard. Il y a du mouvement devant nous, il y a aussi un dialogue qui accompagne cette scène, mais il y a du mouvement plus loin, avec ce flic qui contrôle cette jeune femme, il y a du mouvement au loin, la nature, un homme qui passe, il y a du mouvement dans les rétroviseurs. Le film a sa respiration. Et c’est elle qui va le mettre sens dessus dessous, un peu plus tard. Après une nouvelle rencontre – le film tient comme objet de fascination pour ces rencontres d’ailleurs, les trois premières essentiellement, simples, limpides, inquiétantes avec des policiers corrompus, un ancien combattant de l’armée rouge, puis avec une jeune prostituée – l’homme s’engouffre dans un village et affronte les visages des habitants pendant un marché, des regards marqués, presque éprouvants qui apparaissent comme les premiers signes d’un changement, d’un égarement. Plus tard, dans le désert d’un champ, au beau milieu d’une forêt, en pleine nuit, l’homme se perd, bientôt assommé par des types venus à la base le piller. Le film effectue alors un virage violent. Il nous perd sans nous perdre. Il perd de son cheminement simple linéaire, il gagne en tension, fascination et pure expérience physique. Il laisse un temps son personnage, s’intéresse à d’autres, puis le retrouve, changé, et continue d’avancer avec la mort comme fil rouge, comme autant de rebondissements étranges qui peuplent chaque rivage du film. Il n’y a plus de limites, plus de repères, c’est à peine si l’on arrive à reconnaître notre personnage, qui semble perdre sa personnalité et en gagner d’autres, celle de ceux qu’il croise, qui le recueillent, qu’il tue ou qu’il voit mourir. Des lieux qui reviennent parfois, sans que l’on sache vraiment pourquoi. Peut-être même des évolutions à diverses strates de temps. Inutile de parler de la fin, absolument incroyable, qui donne l’impression que le film décolle à nouveau avant de s’éteindre violemment sur un homme s’engouffrant sur une route, vers le noir. Loznitsa n’aura eu de cesse de le faire plus de deux heures durant, s’engouffrer vers l’inconnu, dans le noir, se libérant des contraintes temporelles, des repères cinématographiques habituels. Rien que narrativement le film a quelque chose de nouveau, il fascine. J’ai vu le film il y a plus d’une semaine lorsque j’écris ces lignes, et je n’arrive plus à reconstruire un ordre précis dans les séquences dont je me rappelle, qui m’ont le plus marqué. Il n’y a plus rien qui ne fait vraiment sens dans mon souvenir. D’autant plus étrange pour un film comme celui-ci, d’apparence très simple, qui peu à peu prend des aiguillages nouveaux. Et comme si ça ne suffisait pas, cette étrangeté que l’on vit durant la projection, ce sentiment de gêne, de mal aise, d’angoisse mais aussi de flottement, s’est perpétué pour moi après le film : My joy est enneigé, cette neige est le poids du film. Quand je suis sorti, la neige devait tomber chez nous depuis un moment, elle était absente à mon entrée dans la salle, elle recouvrait alors tout. C’était comme un prolongement au film. Moi aussi j’empruntais des rues sinueuses, marchant dans la poudreuse, pour rentrer. J’étais devenu le personnage, un peu, un temps.


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silencio


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