Archives pour la catégorie Sofia Coppola

Priscilla – Sofia Coppola – 2024

06. Priscilla - Sofia Coppola - 2024Poupée glacée.

   4.0   En tant que « fan boy » de Sofia Coppola – quand bien même je déteste son remake des Proies de Siegel – je suis allé voir Priscilla le jour de sa sortie nationale. J’étais convaincu d’adorer. De retrouver Sofia de Marie Antoinette, de Virgin suicides. Imaginant très bien Graceland remplacer Versailles ou le foyer Lisbon.

     Je suis tombé de haut : l’incompréhension de ce début d’année. Je vois tout le monde adorer ça : Les fans de Coppola autant que ses récents détracteurs. J’ai trouvé ça tellement insignifiant. Terne, amorphe, désincarné.

     Le film n’est jamais assez radical. Le King, la plupart du temps, est absent mais on ne ressent pas cette absence. J’aurais adoré, je crois, qu’il reste hors champ, entièrement. Que le film capte cette captivité de façon plus abstraite. Priscilla, prisonnière, devient le fantôme de son propre biopic. Celle qui attend, inconnue dans sa cage dorée, avant de s’en aller, las d’attendre. Cailee Spaeny devrait être magnifique, elle m’a semblé bien engoncée dans un personnage qu’elle ne saisit pas.

     Et puis ça va peut-être paraître bête mais si c’est un film sur Priscilla, j’aurais aimé avoir l’après. Un peu. Pas forcément que Priscilla pendant Presley & Priscilla. Ou bien il fallait peut-être appelé ça Graceland, je ne sais pas.

     Reste un beau livre d’images. Quoique. Ça m’a semblé très sombre, cette image. Très fabriqué pour faire un avec le personnage. Très Lincoln, de Spielberg. L’espace d’un instant j’ai rêvé de voir ce qu’en aurait tiré un Pablo Larrain. Ça m’a rendu très triste car j’y allais déjà conquis.

On the rocks – Sofia Coppola – 2020

06. On the rocks - Sofia Coppola - 2020Lost in exaltation.

   5.5   En repêchant Bill Murray au sortir du piètre dernier Jarmusch, Sofia Coppola tente de réinvestir le terrain de l’une de ses plus belles réussites : Lost in translation. Exit Tokyo, place à New York. A travers l’histoire d’une mère de famille, écrivaine en panne d’inspiration qui soupçonne son mari en pleine réussite professionnelle (au sein d’une étrange boite qui festoie ses milliers de followers) de la tromper avec son associée, Coppola fille va refaire Somewhere et donc nous plonger dans une retrouvaille entre une fille et son père.

     Et tout ce qui se joue autour de cette relation fera tout l’intérêt du film, à défaut d’en être le cœur, qui sera une banale histoire de soupçon d’adultère et de comédie de remariage. Quel plaisir en effet de revoir Bill Murray cabotiner de la sorte dans un rôle taillé sur mesure, de séducteur compulsif, papa maladroit et tardif, vieil homme errant, nonchalant mais brisé malgré tout. Il est drôle, émouvant, parfait. Le film lui doit presque tout. Presque oui, car Rachida Jones n’est pas en reste, à sa façon – tant c’est un rôle plus ingrat – dans ce portrait délicat d’une femme tourmentée, arrivée à un carrefour où tous les feux virent au rouge.

     Dommage que le film soit si grossier dès qu’il s’agit notamment de multiplier les apparitions d’une copine, plutôt une autre maman d’élève, en plein délire de régression adolescente, mais aussi de vieilles cyniques avachies sur des sofas. Dommage que l’on appuie tant sur ces marqueurs quotidiens d’une vie moderne décharnée, via des inserts peu subtils d’un aspirateur autonome ou d’un Thermomix. Coppola vaut beaucoup mieux que ça, ne serait-ce que lorsqu’elle crée de cette opulence obscène un sublime ballet pop, dans Marie Antoinette.

     Difficile de savoir où elle en est : The bling ring marquait un retour fulgurant ; Les proies un égarement en forme d’hommage pénible. On the rocks est un bonbon, délicieux un moment, indigeste l’instant suivant. Le milieu du film est plutôt chouette, parfois très drôle (le contrôle de police) merci Bill, mais la partie Mexique fait tout retomber et le final nous laisse un goût de « Tout ça pour ça ? » très gênant.

Marie Antoinette – Sofia Coppola – 2006

07. Marie Antoinette - Sofia Coppola - 2006All cats are grey.

   8.0   Au rayon des anecdotes « souvenirs de salle » celle-ci est fondamentale. Une tripotée de branleurs, dans la rangée derrière la nôtre, avaient perturbé notre séance à raison de téléphones qui sonnent, concert de mastication de popcorn à te filer la gerbe, moqueries en tout genre, coups de pieds dans les sièges. Quand on se retournait, chacun faisait mine d’être happé par le film, feintant de ne pas croiser nos regards noirs et mines désespérées. En fin de séance, l’un d’eux avait lâché grassement « C’est un bon gros film de merde ». On avait trouvé un point d’accord. En le revoyant deux/trois ans plus tard dans des conditions nettement plus optimales – moins le plaisir d’une salle de cinéma – j’avais pu constater d’une part ne pas avoir vu le même film du tout puisque c’est une merveille, d’autre part que je suis ravi de ne plus fréquenter ces grands complexes où se réunit tout le gratin de la beaufitude. Depuis, j’ai (re)revu Marie Antoinette deux fois, ce visionnage compris. Je continue de penser que c’est le plus beau film de Sofia Coppola.

     Il faut dire que le film part de loin, pour raconter ce qu’il veut raconter : la jeunesse dorée retirée brutalement de son ilot d’inconscience et d’insouciance, la solitude face aux pressions du monde, la mélancolie d’une adolescente moderne, espiègle et rêveuse. Oui on est au XVIIIe siècle et pourtant oui, c’est un film incroyablement moderne, un digne prolongement de Virgin suicides et Lost in Translation. La jeune autrichienne est une cousine de Lux et Charlotte. Si le film ne lésine pas à mettre en scène la grandeur absurde de ce monde, il ne joue pas la carte de la virtuosité glaciale viscontienne. Au contraire, s’en dégage une vraie chaleur, une saturation magnifique, de couleurs, de mouvement, qui évoque davantage L’arche russe que Barry Lyndon. Dans les extérieurs le film trouve encore autre chose, un filmage à la Malick succède à de purs tableaux de Renoir. Kirsten Dunst se perd dans ce décor trop grand et se trouve un rôle à mesure de sa mystérieuse présence, qui culminera chez Von Trier plus tard, dans Melancholia.

     Afin que le film fonctionne autant comme un récit d’introspection qu’en tant que biopic, il faut que Versailles existe. Le film de Coppola est d’ailleurs moins l’histoire de Marie-Antoinette d’Autriche que de Marie-Antoinette au château. Et Versailles y est filmée sous toutes ses coutures, dedans comme dehors. On a l’impression d’y être, normal puisqu’on y est. Si certaines scènes et pour des raisons pratiques sont reconstituées en studio (la chambre de la reine notamment) ou tournées dans d’autres châteaux de la région, la plupart du tournage s’effectue à Versailles même. Le risque du film trop respectueux voire poussiéreux guettait. Comment raconter un lieu si imposant et une destinée si connue des manuels scolaires ? Idée de génie que de le dénaturer de la sorte. C’est en insufflant sa dimension pop que Sofia Coppola va dégoter ses meilleures inspirations, complètement à contre-courant du biopic académique tant elle manipule avec brio l’anachronisme, discret le temps d’une apparition de converse au sein d’une paire de chaussures, joliment ostentatoire dans son utilisation musicale. On peut donc y entendre du Radio Dept., New Order, The Cure, Bow Wow Wow et ça se fond miraculeusement dans cet ensemble tant ces morceaux captent l’adolescence du personnage, sa douce folie « new wave » et sa tenace mélancolie « punk/shoegaze ».

Les proies (The Beguiled) – Sofia Coppola – 2017

The BeguiledComplot de femmes fade(s).

   2.5   Aucun intérêt. Je ne vois rien de neuf là-dedans qu’on n’ait pas déjà vu dans l’original de Don Siegel. Alors en effet c’est une version plus féminine en ce sens que tout est vécu du point de vue des filles du pensionnat. Mais bon, elles sont transparentes ces filles, elles ne s’incarnent jamais, ce sont des concepts récupérés du premier mais sans aucune épaisseur. Et puis je ne suis pas certain que prendre Kirsten Dunst, Nicole Kidman et Elle Fanning n’aide à y déceler de vrais personnages. Ça fait même très cinéma de Sofia Coppola pour les Nuls, quoi, je préférais nettement son « virage » The bling ring, que j’aime énormément avec le temps je me rends compte. J’aime le côté pop du cinéma de Sofia Coppola de toute façon, malheureusement il n’est pas de la partie ici. L’autre problème à mes yeux c’est l’utilisation de la photo. Superbe photo de Philippe Le Sourd en extérieur, mais exploitée tellement maladroitement avec des successions de plans hyper suggestifs où le soleil semble toujours prisonnier des branches des arbres qui semblent enroulées entre elles, pour bien appuyer sur l’effet de cloisonnement. Au bout d’un moment ça me faisait même marrer tant c’était grotesque et systématiquement utilisé en tant que transition entre deux scènes. Autre chose : Chez Siegel, Eastwood apportait un contrepoint passionnant à cette « prise de pouvoir » féminine. Elles étaient machiavéliques, il était manipulateur. S’engageait un vrai combat, d’autant qu’on vivait cette aide providentielle dérivant en séquestration, de son point de vue à lui. C’était bizarre, ambigu et violent. Là, on reprend toutes les situations fortes dans les grandes lignes (Les escaliers, l’amputation, la tortue, les champignons…) mais rien n’émerge, aucune sidération. La fameuse scène du repas n’a plus rien de fameux, elle est complètement expédiée, aucune tension ne s’en dégage. Et Colin Farrell a remplacé Clint. Sauf qu’un Colin Farrell qui n’a rien a joué, on sait ce que ça donne. Oui, en gros, j’ai trouvé ça incroyablement mauvais et je ne suis pas certain que ce soit seulement dû au fait que j’adore l’original de Siegel.

The bling ring – Sofia Coppola – 2013

The bling ring - Sofia Coppola - 2013 dans Sofia Coppola 1016095_10151494983877106_1585328926_n-300x199 « Let’s go shopping! »

     8.5   Et si la plus belle adaptation du premier livre de Bret Easton Ellis, Moins que zéro, c’était The bling ring, de Sofia Coppola ? Dans le fond, on a déjà franchi l’errance de cette jeunesse en perdition qui régnait dans ce beau livre, on a même dépassé le suivant, Les lois de l’attraction, tant toute aspiration sentimentalo sexuelle étant ici entièrement évincée au profit du culte absolu du paraître, de la jouissance par le regard, par le glamour, un Glamorama en germe, culte des magazines people, des marques et des stars. Ils appellent Paris Hilton « Paris ». Monde où quand on pénètre dans un pub, on se doit de commander du champagne, en bouteille, porter des fringues hors de prix, adopter des postures, se prendre en photo avant de Facebookiser ou d’Instagramer tout ça. Dans une séquence complètement Ellisienne, le garçon de la bande, le seul entre toutes ces filles, paumé au départ, suiveur par la suite, s’esclaffe en voyant tout près de lui Kirsten Dunst, puis Paris Hilton dans le fond de la salle avant de probablement finir la soirée avec des producteurs de la série Entourage. Et si le jeu c’était cela ? Intégrer ce monde du paraître, s’immiscer entre les stars, vivre comme elles vivent (rouler en Porsche), porter ce qu’elles portent (chaussures à talons Christian Louboutin). Au départ, c’est un banal fait divers relaté dans un article de Vanity Fair qui aiguille Sofia Coppola, cette folle histoire de cambriolages de villas de stars effectués par des étudiants dont le pactole estimé s’éleva, avant leur arrestation, à trois millions de dollars. Passés maîtres de la cambriole non pas forcément chez les stars les plus friquées, mais chez les plus fashion, de Megan Fox à Orlando Bloom, en passant par Lindsay Lohan, que l’une des jeunes voleuses adoube à souhait, le petit groupe se crée une petite vie de starlettes, ventant ouvertement leurs équipées nocturnes en balançant des clichés éloquents sur la toile. Voler ceux qui nous font rêver, enfiler leurs costumes pour devenir un petit peu d’eux, une simple parcelle, rien qu’un sac de luxe Chanel parfois peut suffire, ou une Rolex. L’insouciance des conséquences jusqu’à l’utilisation de la petite sœur de l’une d’entre elles afin qu’elle leur ouvre, en passant par la chatière, la porte de la villa de Miranda Kerr.

     The bling ring est proche de Virgin suicides sur de nombreux points, tout d’abord car il me semble être l’amorce d’un relook pour Coppola, non pas qu’elle renie son cinéma, les thématiques restant similaires, mais elle était arrivée à une telle abstraction dans le précédent, réflexion par le vide sans aucun pic formel, qu’il lui fallait à tout prix une rupture conséquente, un film en mouvement, informe ou changeant continuellement de forme, comme si elle se cherchait à nouveau. On dirait presque un second premier film. En un sens je me prends à rêver que le film n’existe que sur un registre nettement plus expérimental, où chaque vol aurait été filmé différemment, sur le même temps imparti, des vols de Coppola qui remplaceraient les ciels ou les lacs de Benning, les crimes froids du Elephant de Alan Clarke, un voyage à travers l’Amérique non plus de piscines en piscines (The swimmer, de Frank Perry) mais de villas de célébrités en villa de célébrités. Coppola opte pour l’esprit Larry Clark, avec cette construction tendance Bully version soft, linéaire mais avec quelques interludes sous forme de flashs forward, où les personnages semblent faire face à la police ou à leur avocat, face caméra, entre deux séquences de braquage. Et il y a la présence parentale, inquiétante, comme c’était aussi le cas dans Virgin suicides. Sofia Coppola tente beaucoup de choses, moins que Korine évidemment (elle réussit moins, aussi) qui avec Spring breakers a crée quelque chose de totalement dégénéré, inépuisable, dû aussi au fait qu’elle se situe toujours dans une épure narrative, réduite ici à de simples répétitions de braquages, pour ainsi dire, qu’elle filme pourtant tous différemment. Filmer des voleuses en action. Pour rester sur la comparaison avec Spring breakers, je ne suis pas certain, contrairement à ce qu’on peut lire au sujet de The Bling ring, que Korine ait plus de choses à dire que Coppola. Il a davantage d’idées de cinéma dans sa besace, sans doute, mais dans le fond ces deux films racontent la même chose et sont tout aussi incomplet l’un que l’autre dans le constat qu’ils dressent de l’adolescence moderne, ce sont des films dans le fantasme et le souvenir, l’inconscience et le « présent néant ». En fait je trouve ça futile mais faussement futile, il n’y a pas de portrait exhaustif mais ça raconte tout de même beaucoup de choses, dans l’approche rêvée de capter une image, arrêter le temps, n’être qu’une projection fantasmée de soi.

     La première séquence du film avec cette intrusion prémonitoire – puisque le film nous montre ensuite seulement la rencontre entre les personnages – est une entrée en matière magnifique, trépidante, ce qui est rare chez Coppola, tentant de caler d’emblée le rythme sur lequel le film dansera. C’est comme souvent, très musical, mais dans un souci nettement plus épileptique. Je pense à ces séquences au découpage syncopé, l’exemple de celle en voiture (il y a beaucoup de scènes en voiture) où Chloé (mon personnage préféré) et le garçon chantent par-dessus Kanye West et Rihanna sur All of the lights. La cinéaste adopte par ces plans de cut systématiques, cette espèce de logique consumériste qu’elle filme, un peu comme Gondry lorsqu’il filmait ad nauseam la vidéo gag sur les portables dans The We and the I. Le film pourrait alors être en roue libre, avec ces chevauchées sous tubes hip hop, mais il y a des cassures inattendues, je pense en particulier à ce long plan fixe, quoique en léger zoom vers l’avant, où l’on assiste à l’un de ces vols, pour une fois vue de l’extérieur, avec les bruits d’un hélicoptère en fond (comme si nous étions dedans), plan sublime laissant entrevoir, derrière la villa marbrée vitrée subissant le balai de nos jeunes voleurs, un Los Angeles nocturne illuminé hallucinant. Une ville qui la nuit vit en bas, laissant pour mortes et systématiquement ouvertes, clés sous le paillasson, ces grandes baraques sans vie, remplit d’or. Le graal ce n’est donc pas le spring break ici, mais un autre abandon de soi, celui de ne vivre que pour mettre la main sur ces objets sacrés, sans craindre emprisonnement ni procès, Coppola dénaturant la peur de l’arrestation tout simplement car elle engendre le plaisir ultime : la reconnaissance médiatique. Elle ne filme pas non plus le procès puisque ça n’intéresse pas les personnages, leur vrai procès se joue dehors, en enfilant les Ray Ban et en campant la star dans l’incompréhension, avant de préférer donner rendez-vous aux fans sur leur blog, l’un relativisant en comparant ses actes à ceux des adulés Bonnie and Clyde, l’autre philosophant sur le pouvoir de son inconscience qui lui a révélé une énergie qu’elle exploitera en gérant bientôt une association caritative. Philosophie de star. Le film est en accord perpétuel avec ce qu’il filme et joue sur l’ironie comme Ellis le fait dans ses livres, avec une infinie tendresse et une jouissance absolue du superficiel.

Somewhere & Lost in translation – Sofia Coppola – 2011/2004

Somewhere   6.5  Les similitudes entre les deux films sont nombreuses, évidentes et Sofia Coppola, tout en continuant à faire le même film, à creuser sa thématique de l’ennui depuis Virgin suicides, trouve une fois encore un rythme, une ambiance si singulière, allant à l’encontre du marché cinématographique hollywoodien actuel.

     Johnny Marco est un acteur en vogue, se la coulant douce au Château-Marmont, à Los Angeles, où il se promène au volant de son bolide, se paie des gogo-danseuses, sirote des bières et va aux interviews presse et autres séances photos. Sofia Coppola filme certaines séquences dans leur quasi-intégralité, comme la danse des jumelles dans la chambre, une bière dans son salon, une virée sur Sunset boulevard justement parce qu’il n’y s’y passe rien. Elle ne tente pas de grandes choses de mise en scène, elle se contente de suivre le personnage, de l’accompagner dans son ennui, dans la répétition de ce quotidien, jusque dans sa douche, qu’il doit prendre le bras gauche en l’air pour ne pas mouiller son plâtre, ou même jusque dans son lit lorsqu’il zappe sur toutes les chaînes. Jusque dans les figures Lost in translation et Somewhere sont en miroirs. Le plâtre pour l’un, l’orteil noir pour l’autre, les personnages sont fragilisés. La présence de la piscine comme lieu d’évasion. Les chaînes télé qui ne passent les films étrangers qu’en version nationale. L’hôtel dans chaque film comme protection du monde autant qu’il enferme ses personnages dans leur solitude. Les personnages des deux films ont des points communs mais sont très différents. Bob Harris d’un côté et Johnny Marco de l’autre. Deux acteurs d’Hollywood. La déchéance à petit feu de l’un, la notoriété montante de l’autre. L’humour de l’un, l’effacement de l’autre. L’un est marié mais son couple vacille plus ou moins, l’autre est séparé et s’occupe comme il peut avec des filles de passage. Puis deux rencontres. Enfin, deux personnages féminins qui entrent presque dans leur quotidien. Une jeune femme fraîchement diplômée pour l’un qui a échoué dans le même hôtel que lui pour avoir suivi son mari, photographe reconnu. Une jeune fille qui rejoint son père le temps d’une semaine, pendant que sa mère fait un point sur sa vie. Chaque être est à fleur de peau, proche de l’abandon et trouve un simple réconfort dans le partage des activités, du temps passé ensemble.

     Durant Somewhere, on pense donc souvent à Lost in translation. Pourtant ils n’agissent absolument pas de la même manière. Il y a dans l’un, une relation entre deux paumés dans Tokyo, qui ne se connaissent pas, n’ont semble t-il pas grand chose en commun, si ce ne sont la présence dans ce même hôtel, les insomnies et l’ennui permanent face à la vacuité de leur situation. Dans l’autre, c’est un acteur au sommet, séparé de sa femme, qui tourne en rond avant de revoir sa fille, qui pourrait être sa porte de sortie d’un monde dans lequel il s’est englué. Dans chaque film de la réalisatrice depuis ses débuts, ce n’est pas tant l’issue, ni même la situation initiale qui importe, mais ce qu’il s’y passe entre. Somewhere ne déroge pas à cette règle, va d’ailleurs plus loin, puisque la première séquence, directement associée à la dernière, joue malheureusement davantage sur la démonstration que sur le mystère. Où commençait Lost in translation avec un plan des fesses de Scarlett Johansson et le visage de Bill Murray affrontant les couleurs de la capitale japonaise et son propre regard affiché par les publicités sur les façades des buildings, Somewhere rate son entrée avec cette voiture noire effectuant des tours de circuit, à l’aide d’un plan fixe, démontrant – quand Lost in Translation suggérait – que quelqu’un tourne, que sa vie se résume à cette éternelle boucle dans un désert aride. De la même manière, quand Sofia Coppola faisait de la fin de Lost in translation quelque chose de miraculeux, de bouleversant, avec ce baiser comme instant éphémère, presque surréaliste, puis cette voiture affrontant l’asphalte entre les gratte-ciel, Somewhere se termine assez maladroitement, en écho à sa première séquence comme je le disais précédemment, il y avait le début de Love like a sunset de Phoenix pour accompagner le titre après que le bolide ait effectué ses boucles, il y a la fin du morceau lorsque Johnny s’extraie de sa Ferrari et emprunte cette ligne de bitume désormais droite. S’il y a bien deux petits trucs mal pensés ce sont ces deux là. Ils ont d’apparence tout pour plaire mais ils ne laissent pas de mystère, n’assument pas tout à fait la puissance de leurs enjeux, à l’image de cette voiture au début qui tourne jusqu’à épuisement, puis qui s’arrête plein cadre, avant que Johnny en sorte, immobile, déjà paumé. Le travail nous est mâché.

lostintranslationbobcharlottestreet   8.0   Pour le reste j’adhère presque entièrement au nouveau film de Sofia Coppola. Et s’il n’atteint sûrement pas la puissance ni l’originalité de Lost in translation, il gagne en épure, il gagne dans la surprenante relation qu’il offre entre un père et sa fille. Il suffit de se rappeler Virgin suicides, de l’utilisation de la voix off, de sa bande-son, il y avait déjà comme ça quelque chose de très beau, coloré, de très saturé, mais c’était aussi très violent, très méchant sur ce que ça disait de l’adolescence et des éducations sclérosées. Mais c’était un film qui assumait son titre, débutait par un suicide, terminait par quatre autres. C’était un premier film, et quand on y repense aujourd’hui c’est vrai qu’il fait premier film, film de jeunesse on pourrait même dire. Déjà, avec le suivant, Lost in translation, encore riche musicalement, hyper bariolé, on sentait comme des signes d’une maturité, on ne se prenait plus une claque, on planait, flottait littéralement, on errait avec les personnages. C’était assez similaire dans Marie-Antoinette, on planait à Versailles, Coppola ayant décidé de filmer l’histoire de la jeune reine dans la résidence royale uniquement, l’accompagnant de figures anachroniques comme pour la replacer allègrement dans le présent, et se terminant sur un plan de la chambre du couple entièrement dévastée. Comme il n’y avait rien après Tokyo dans le précédent, il n’y aura ici rien après Versailles, ceux qui s’attendaient à la guillotine sortaient déçus. Avec Somewhere, la réalisatrice atteint un palier supplémentaire. La géographie n’est plus limitée, il y a un voyage, il y a du mouvement, plus de repère évident.Si certains défauts apparaissent (souvent certaines séquences sont un peu trop appuyées) il y a autre chose qui fascine c’est l’idée de ne pas meubler, pour une fois, cette solitude, ou très peu. Filmer le vide, tenter d’y cueillir une force enfouie. Et cela, Sofia Coppola s’en va le chercher avec le son. Car si la musique occupe beaucoup moins de place dans son cinéma aujourd’hui c’est pour se pencher davantage sur l’univers sonore de son film, offrir une atmosphère qui n’était qu’embryonnaire dans Virgin suicides et commençait seulement a apparaître dans le film suivant. Tout est très intensifié. On y entend chaque bruit, aussi futile soit-il, que dégagent les couloirs de cet immense hôtel, son extérieur aussi. Tout se met à prendre vie autour de Johnny, à l’image de ce travelling arrière dévoilant l’homme et sa fille au bord d’une piscine peuplée de touristes. Il y a aussi les déplacements dans cet hôtel, tout est savamment orchestré, et pourtant sans repère temporel. La venue de cet ami qui jouera à la wii avec Cleo. Le musicien dans le hall de l’hôtel. Mais avant tout ça il y a l’apparition de la femme de Johnny, quand elle lui amène sa fille. A l’image de tout le reste du film, les rapports n’ont rien de déjà vu, ils sont vides, attentistes, ils n’ont rien de violents. La relation entre le père et sa fille est très belle dans la façon qu’ils ont de se regarder. Jamais Cleo n’a un regard condescendant (la mère non plus au passage) envers lui – peut-être qu’elle le plaint intérieurement, peut-être qu’elle ne se rend pas compte de ce qui le ronge, peut-être que ces belles retrouvailles lui suffisent, atténuent le reste – elle est un peu l’inverse de sa frangine quelques années plus tôt dans le film de Spielberg. Elle a comme une maturité supplémentaire, tout en gardant cette douceur naïve, le plaisir de l’évasion – l’escale en Italie. Alors ces moments intimes magnifiques apparaissent dans certaines séquences surprenantes, comme cette partie de guitar hero, pas tant lorsque Sofia Coppola filme la télévision – complètement inutile – mais lorsqu’elle s’attarde sur les mouvements et les regards des deux joueurs, un sourire lancé, un compliment affectueux. Ou comme la scène de la glace à la vanille dans le lit parce qu’ils n’arrivent pas à dormir – retour de nos deux insomniaques de Lost in Translation – ou ces regards si forts lors de cette remise de récompense au festival du film de Milan. Somewhere est donc un film de petits moments forts saisis à la volée. Lost in translaton et Marie-Antoinette fonctionnaient déjà de cette manière, une fille recroquevillée à sa fenêtre observant les lignes, l’architecture de Tokyo, sa profondeur, sa puissance, une jeune femme profitant de sa fille dans les jardins du Trianon, entre les hautes herbes et les papillons. Cinéma de l’instant, cinéma de la seconde tant recherchée, bouleversante, le cinéma de Sofia Coppola n’a presque pas bougé, il s’est assagi, s’est épuré, il semble même vouloir côtoyer des sensations inconnues, entre expérimentation du vide et simple surgissement d’un miracle.

     Et chaque fois les deux films s’envolent un peu, nous offre une grâce inespérée, quelque chose de muet mais de bouleversant. Une errance nocturne dans Tokyo, entre les machines à sous et les karaokés. Une séquence de patinage artistique. Une discussion dans une chambre d’hôtel. Un instant si suspendu au fond d’une piscine. Un intense baiser sur une rue piétonne. Une jeune fille qui éclate en sanglots dans la voiture de son père. Dans les thèmes mais surtout dans l’esthétique, Somewhere m’a fait penser, en plus de Lost in translation, à Last days et à Greenberg. Pas étonnant puisqu’il s’agit du même chef opérateur. La photo est au passage très réussie, même si encore une fois, c’est à mon sens le son qui fait le film.

     Tout ce qu’on a reproché à Sofia Coppola – hormis sur l’appui un peu maladroit de certaines scènes – ne tient pas la route, en tout cas pas si l’on aime ses films précédents. Somewhere n’est que la continuité de ce qu’elle faisait déjà, mais elle ne tourne pas en rond, elle resserre la puissance des relations, la puissance de sa mise en scène, l’épure, lui offre une nouvelle respiration. Beaucoup aimé Somewhere donc, maintenant on verra s’il supporte aussi bien que ses films précédents un second visionnage. Et revu Lost in translation dans la foulée, que je réévalue nettement à la hausse car c’est un film sublime, la fin m’a terrassé d’émotion.


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