Archives pour la catégorie Ted Kotcheff

La grande cuisine (Who Is Killing the Great Chefs of Europe ?) – Ted Kotcheff – 1978

14. La grande cuisine - Who Is Killing the Great Chefs of Europe - Ted Kotcheff - 1978L’assiette de la peur.

   3.0   Impossible pour moi de savoir où se trouve le réalisateur de Wake in fright & Rambo là-dedans tant j’ai trouvé ça sans intérêt, tour à tour affligeant, insupportable et mal fichu. Ça aurait pu être aussi endiablé qu’absurde – Et en un sens ça peut rappeler La cité de la peur – mais c’est finalement un tout petit whodunit (à la Agatha Christie) très paresseux que n’aurait pas renié Pascal Thomas, par exemple.

     Un grand (et gros) critique gastronomique souhaite organiser un banquet à Buckingham avec une recette établie par les quatre plus grands chefs européens. Mais ceux-ci se font assassiner les uns après les autres. Avec une particularité de taille : L’assassin les élimine à la manière dont ils préparent leur meilleur plat. L’un d’eux, spécialiste du pigeon en croute, sera donc retrouvé calciné dans son propre four.

     Pas ri une seconde. Problématique pour une comédie, aussi culinaire soit-elle. Et pourtant on y croise Noiret, Cassel  Rochefort : En roue libre, mal dirigés. Et la sublime Jacqueline Bisset y campe le (quasi) premier rôle, fait ce qu’elle peut, mais elle ne sauve pas les meubles. Reste un joli voyage à travers l’Europe, du Café Royal de Londres à l’hôtel Cipriani de Venise, en passant par la Tour d’argent à Paris.

Rambo (First blood) – Ted Kotcheff – 1983

15. Rambo - First blood - Ted Kotcheff - 1983L’étranger.

   9.0   C’est un film de guerre, l’un des plus grands qui ait été fait sur la guerre du Vietnam, mais il a cette particularité de ne pas se dérouler là-bas, sinon au sein de brefs souvenirs disséminés par flashs, comme si l’on avait déplacé le conflit sur le sol américain, dans la bourgade la plus recluse qui soit. Quand John Rambo se retrouve dans la voiture du shérif local, qui l’a fait monter pour ne pas le voir traverser sa ville avec ses cheveux longs, son uniforme et ses médailles militaires, ce dernier lui dit clairement que c’est un patelin sans histoire, ennuyeux mais un ennui que ses habitants aiment tellement qu’ils le cultivent.

     Mais en fin de compte, Rambo c’est autant un survival qu’un film de guerre. Un film très sombre qui montre la frontière énorme entre ceux qu’on a forcé à faire la guerre et ceux qui refuse de la voir. Très sombre car très brutal, aussi : Dès l’instant qu’il échappe aux policiers de Hope, John Rambo se voir traqué, à travers bois, falaise, rivière et grotte. Son ennemi ce sont ses propres démons nés des horreurs et tortures qu’il a traversées au Vietnam, et ce sont les autorités d’un patelin de l’Etat de Washington qui vont les réactiver. C’est le parcours d’un étranger, d’un héros de guerre (dressé pour tuer) devenu monstre, orphelin des siens, véritable icone à la Frankenstein, que l’on va faire chier comme s’il était une bête de foire.

     La première séquence du film ouvre d’emblée sur une douce cruauté : Alors qu’il marche le pas déterminé, la mine plutôt optimiste (il vient retrouver un copain) – sous la musique accueillante de Jerry Goldsmith, qui fera un travail magnifique (mais très différent de ces premières minutes) sur le film tout entier – John Rambo vient rendre visite à celui qui comme lui, fut survivant de leur section. Il y apprend que son ami du Vietnam est depuis décédé d’un cancer, rongé par ce qu’on appelle l’agent orange. Il n’a plus qu’à repartir, errer. Vagabonder. C’est là-dessus que la police locale, zélée, va lui passer les bracelets : Pour vagabondage.

     Auparavant il allait pour traverser Hope, ce village de l’Etat de Washington. « Welcome to Hope » voit-on sur une pancarte surplombant la seule route pour y entrer. Mais aussi « Gateway to Hollydayland » Tout un programme. Et de fausses promesses : d’un pays recroquevillé sur lui-même, désireux de ne pas voir le monde et encore moins le monstre qu’il a engendré, le fiasco qu’il a généré : Quarante ans plus tard, les mêmes auront voté pour l’élection de Trump, à n’en pas douter. Ce qui frappe d’un point de vue formel c’est la tenue très Nouvel Hollywood. On est encore loin de l’esthétique 80’s dans laquelle les suites se vautreront grassement. Et plus étrangement, c’est un film proche du surwestern comme il s’en faisait dans les années 50, avec sa dimension politique, sociologique, son héros solitaire, tourmenté. Ça ressemble à un personnage des années 70 perdu dans un film des années 50.

     Afin de faire éclater sa colère, John Rambo finit par détruire ce qui lui a été refusé : Cette province et tout le système consumériste de l’Amérique qu’elle érige sans scrupules, par confort et goût de l’ennui, de la station essence au magasin de jouets, en passant par la boutique d’armes à feu. Il n’est pas étonnant de voir à plusieurs reprises une enseigne publicitaire pour Coca Cola, qui sera bientôt engloutie par les flammes. On est donc loin d’un film vantant le triomphalisme de l’Amérique de Reagan. Il y a les flics pourris qui cherchent Rambo, donc le trouvent. Et ceux, plus en retrait ou plus justes – comme celui campé par le jeune David Caruso – qui le prennent pour un dingue et aussi bien avant qu’après avoir pris conscience de son statut de béret vert vétéran.

     Dès son arrestation, les souvenirs de Rambo se superposent à ce qu’il vit dans ce commissariat. Les barreaux à une fenêtre lui évoquent la grille qui le séparait du ciel dans le trou au sein duquel il recevait pisse et merde sur la tronche. La lame d’un rasoir d’un adjoint du shérif le renvoie à ses mutilations au poignard d’un soldat. Autrement dit, l’horreur du Vietnam se retrouve à Hope, pour John Rambo. Et lorsqu’il s’échappe et attire ses poursuivants en forêt, il est sur son terrain, dans son élément. Les flashs traumatiques ont disparu, le voilà replongé dans le corps de celui qui survivait dans la jungle. « In town you’re the law, out here it’s me. »

     La scène finale, nocturne, lorsque la ville prend littéralement feu de partout, voit Rambo retranché dans le commissariat aux côtés de son mentor (qui vient le canaliser) et du shérif local (qu’il venait liquider), prêt à libérer sa tristesse (après avoir fait éclater sa colère) dans un monologue terrible, qui le voit évoquer le souvenir de la mort de son ami suite à l’explosion d’une boite piégée dans un bar de Saigon, avant de virer dans les aigus et d’éclater en sanglots. Un gosse se cachait sous la machine de guerre. Stallone y est incroyable. Cette fin est l’un des trucs les plus déchirants que j’ai pu voir quand j’étais gamin. L’effet ne s’est pas estompé.

     A cet instant, c’est littéralement un enfant qui recherche la compréhension de son père. « They drew first blood, not me. They drew first blood » lui disait-il par talkie-walkie un peu plus tôt. En somme, Trautmann est la seule famille qui lui reste. Aussi, bien qu’il eut été préférable de tuer Rambo comme c’est parait-il le cas dans le livre, afin de nous épargner toutes ces suites obscènes – Exception faite du quatrième volet, que je n’aime pas beaucoup tant il découle moins de First blood que des autres, mais qui a pour lui une brutalité, une sécheresse, une sauvagerie assez saisissante – il est quasi impossible de tuer l’enfant qu’il est redevenu, c’eut été trop terrible. Kotcheff le tue à sa manière : Le mercenaire n’existe plus, à travers ces larmes, ces mots, cette posture entre l’abandon et la quête de rédemption, qu’il approche pour achever sa mutation.

     C’est un personnage infiniment tragique, Rambo, qui n’est pas mort dans la forêt vietnamienne donc qui est pourchassé, ironie cruelle du sort, dans celle de l’Etat de Washington, quelques années plus tard. First blood (Finalement ce titre lui sied mieux, ne faisant pas entrer le film dans cette franchise musclé et reaganienne imposée par les deux suivants) fait état de l’après Vietnam, ou comme dans la dernière partie du Voyage au bout de l’enfer, de Cimino, du retour au pays des soldats. Et ce n’est pas beau à voir.

Réveil dans la terreur (Wake in fright) – Ted Kotcheff – 1971

07. Réveil dans la terreur - Wake in fright - Ted Kotcheff - 1971Errance au bout de l’enfer.

   8.0   Le film s’ouvre à peine que la violence se loge déjà dans le moindre recoin d’absurdité. D’abord dans ce plan circulaire dévoilant une ligne de chemin de fer et un désert ocre à perte de vue d’où s’échappent quelques bicoques de bois. Puis dans ce bruit d’horloge qu’on  entend plus que distinctement dans la salle de classe, avant la sonnerie qui marque le départ en vacances. Puis quelques instants plus tard, dans le « shut up » du barman qui vient interrompre la douce mélodie de John Scott. On n’est pas encore dans les tréfonds de l’Outback mais on y glisse progressivement.

     Wake in fright, film rêvé, réalisé en 1971, annonce, pour rester dans le bush australien, aussi bien Walkabout, de Nicolas Roeg que Mad Max, de George Miller, et plus largement, Délivrance de John Boorman, Chiens de paille, de Sam Peckinpah, Cockfighter de Monte Hellman, La dernière maison sur la gauche, de Wes Craven voire même le plus récent Wolf Creek, de Greg McLean. Ce qui frappe en premier lieu devant la découverte de ce film, c’est que tout s’inspire de Wake in fright mais rien ne le devance, sinon le plus urbain Wanda, de Barbara Loden. Jamais nous n’avions vu le bush filmé de la sorte. Jamais nous n’avions pensé tutoyer à ce point ses enfers. Jusqu’à virer au film d’horreur en lui faisant respirer le reportage ethnographique – confirmé par le panneau final – à la Jean Rouch, quand il fait La chasse au lion à l’arc.

     Avant de s’intéresser à la guerre du Vietnam par le prisme d’un vétéran traumatisé, montagne de muscle qui détruit tout avant d’éclater en larmes, Ted Kotcheff avait peint ce pur cauchemar, qui restera quarante années invisible, dans lequel il nous embarque – à renfort de cris et bourre-pif – aux crochets d’un instituteur de campagne qui lors de son voyage vers Sydney pour ses congés, va se transformer au gré de rencontres diverses avec les autochtones qui ne vivent que pour la chasse, la biture et la baston, en vagabond accroc au jeu et à la bière, avant de se révéler tueur de kangourous.

     C’est un voyage. Les vacances de noël les plus perturbantes, brulantes, poussiéreuses, ivres, asphyxiantes, qu’on peut voir sur un écran. Un voyage entre le trou du cul du monde et Sydney, mais qui très vite, stagne dans une ville minière nommée Bundayabba. On dirait une farce. A moins que ce soit le nom d’un monstre. Toujours est-il qu’il semble impossible de s’en échapper : La temporalité nous échappe, la géographie est impalpable. Lorsque vers la fin, John récupère sa valise dans un tripot, il dit qu’il l’a oublié la veille mais ne sait plus très bien si ce n’était pas la semaine dernière ou dans une autre vie. C’est une plongée qui va plus loin qu’une simple plongée objective : Il y a une fascination pour cet enfer, pour sa sauvagerie, qui en fait un film aussi génial qu’il peut être malaisant.


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