L’appel de la forêt.
6.5 Je lui ferai globalement les mêmes reproches qu’aux Combattants (2014) ou à sa série, Ad Vitam (2018) : à trop vouloir faire de l’hybride, du mélange des genres, les tons, être radical mais faire jouer des stars, le film se rate un peu ci et là. Il a tout du beau film populaire, dans le noble sens du terme, à savoir avec une patte d’auteur, une vision, comme on peut aussi en trouver aux Etats-Unis avec Spielberg ou en Corée, chez Bong Joon-ho, pour ratisser large. Il y a l’idée de générosité, de spectacle. Et pourtant il y a aussi une tendance à l’intime, voire en sourdine, à l’expérimentation. La séquence dans la forêt c’est Tropical Malady, d’Apichatpong Weerasethakul. Mais ça ne va jamais si loin. Ça retombe, ça reprend vite les rails. A cet instant, j’ai rêvé d’un glissement pur, du cinéma de scénario vers celui de sensations.
J’espérais qu’il m’emmènerait plus loin, je crois, qu’il serait au moins aussi fort que sa promesse initiale. J’adore l’idée d’ouvrir le film sur une traditionnelle scène d’irruption fantastique dans le réel – un peu comme dans n’importe quel film de zombies – au sein d’un embouteillage, tout en le détournant brillamment des codes puisque cette irruption a déjà eu lieu, pour les personnages. C’est une scène inaugurale très maline. Du Shyamalan dans le texte. L’astuce c’est d’offrir la surprise au spectateur qu’elle n’est pas une surprise pour les personnages. Et le film en regorge de promesses comme celle-ci : Son glissement vers la forêt (magnifiquement filmée par ailleurs) est superbe.
Il y a de belles idées. Une vraie humilité dans le projet, loin des boursouflures à l’américaine ou d’un hybride entre organique et naturaliste comme peuvent l’être les très beaux La nuée ou Grave, par exemple. Ce monde qui mute et la cellule familiale décomposée n’est pas sans évoquer La guerre des mondes. La bande originale d’Andrea Lazlo de Simone, qui apporte là aussi une tonalité douce au film, plus légère que son propos, plus flottante aussi. Et malgré la gravité qui l’habite, aussi bien sociétale que familiale, le film est parsemé de touches d’humour assez justes, comme pour le réancrer dans le réel, un peu ce que Thomas Cailley faisait déjà dans Les combattants, dans le peu de (bons) souvenirs que j’en ai gardés.
Mais il y a aussi beaucoup trop de trous d’air. Un manque d’incarnation, notamment dans la transformation du personnage. On sent que Cailley n’ose clairement pas y aller. Un crescendo un peu trop canalisé, aussi. Sans doute pour ne pas ternir un genre ou un autre, et en préserver le savant mélange. Problème identique au sein des personnage secondaires, qui n’existent pas vraiment non plus. Adèle Exarchopoulos ne sert malheureusement pas à grand-chose, alors que c’est la plus grande actrice française aujourd’hui : récemment il suffit de (re)voir Rien à foutre, ou les meilleurs moments de Je verrai toujours vos visages, pour s’en persuader.
Quant à la trajectoire du personnage de Paul Kircher, elle évoque énormément celui de River Phoenix, dans A bout de course, le plus beau film de Lumet, et l’un des plus beaux films du monde, ni plus ni moins. Evidemment ça l’écrase beaucoup. Car plus j’y repense plus je me dis que c’est un peu raté, au fond, ce récit, cette transformation, le lien avec la mère. Le film m’a peu ému, en définitive. Or il contient tout – ne serait-ce que dans les références qu’il convoque – de ce qui devrait me terrasser. J’en sors séduit, mais jamais ému, à l’exception d’une scène, très belle mais plus forcée, sur la chanson de Pierre Bachelet. Donc à l’image de ses personnages (le garçon et les humains déjà transformés sont intéressants, les autres nettement moins) il manque une certaine homogénéité à mon goût. Mais je suis toutefois ravi de revoir Thomas Cailley à l’œuvre. Et au cinéma. D’autant que ce fut une belle séance avec ma maman.