Des négociations et des hommes.
7.5 Tobias Lindholm s’est un peu débarrassé des lourdeurs qui irriguaient son premier essai en tant que réalisateur (R, déjà avec Pilou Asbæk) même si déjà c’était un film qui impressionnait par sa maitrise justement car c’était moins un film de scénariste (Ce qu’il est à la base, pour ceux de Thomas Vinterberg ou la série Borgen) que celui d’un créateur d’ambiance et d’espace qui se cherche, propose des idées de mise en scène, tout en préservant l’âpreté générale de son dispositif. Il y avait du Hunger dans ce film, mais on sait ce qu’est devenu son auteur depuis, c’est un jeu dangereux.
En plein océan indien, l’équipage d’un cargo danois est pris en otage par des pirates somaliens qui exigent bientôt une rançon de quinze millions de dollars. Parmi les sept hommes à bord, le récit s’intéresse principalement à Mikkel, cuisinier du navire, marié et père d’une petite fille. Les jours défilent et l’équipage, enfermé dans une cabine minuscule qu’ils utilisent pour dormir mais aussi pour faire leurs besoins, est de plus en plus affaibli et sans nouvelles de l’extérieur ni d’un éventuel échange entre leur compagnie maritime et leurs ravisseurs armés.
On croit d’abord voir Capitaine Philips en moins bien tant Lindholm copie le filmage d’un Greengrass, caméra à l’épaule façon reportage en immersion dans un cargo piraté au large de Mumbai. Mais bientôt, voilà que le cinéaste danois ose insérer des séquences de négociations en pleine cellule de crise : Un bureau, un tableau blanc, un graphique en barres et des hommes en costume (PDG, actionnaires, avocat, conseillers etc…) qui tentent d’établir une connexion d’abord, trouver un accord ensuite avec ceux qui ont intercepté leur navire. On pense qu’il sera question d’une scène qui agit en contrepoint mais pas du tout : Le film ne cessera alors de naviguer entre ces deux lieux antinomiques.
Le montage alterné est d’abord un peu lourdingue, il met du temps à se mettre en place, à trouver ses marques, à moins que ce soit nous, qui acceptons douloureusement cette donne inattendue. Et puis on passe souvent trop rapidement du bureau au bateau, du bateau au bureau. Mais à mesure Lindholm trouve un bel équilibre, en suivant principalement Mikkel, le cuisinier plongé en pleine prise d’otages et Peter, l’armateur qui entreprend de gérer lui-même les négociations. Surtout, il parvient à créer autant d’attente, de hors-champ que de tension, aussi bien d’un côté comme de l’autre. L’ellipse aussi a son importance, surtout il faut qu’elle se ressente et là-dessus il me semble que Lindholm parvient bien à retranscrire le temps qui s’écoule au sein du cargo et celui qui semble arrêté au le siège de la société.
Deux huis clos se répondent. En effet, si l’on ne voit pas la mer dans l’un – à l’exception d’une sortie providentielle, exceptionnelle – on ne voit pas la ville dans l’autre. D’un côté ce sont des cabines de bateau, sales, sombres, exiguës. Les plans sont longs et mobiles, on y ressent la moiteur, on y sent presque la sueur, la pisse et la peur. De l’autre une pièce de bureau, monochrome, aseptisée. Les plans sont moyens, saccadés, on ne ressent pas grand-chose ici sinon un mélange d’eau de toilette.
Le hors-champ est le vrai sujet du film. Que se passe-t-il dans cette cellule de crise ? Si nous assistons à chacune des tractations, ce n’est évidemment pas le cas de l’équipage ni de leurs familles, qui ne sont au courant de rien ou presque rien, étant donné qu’il n’y a pas de retranscription ni de couverture médiatique. Le hors-champ c’est aussi celui des pirates, que l’on ne voit jamais entre eux, contrairement au film de Paul Greengrass. Lindholm parvient à les humaniser – en les filmant avec l’équipage – sans les filmer, c’est très fort. Il restera camper sur sa position initiale : filmer Mikkel & Peter.
Le film m’a aussi beaucoup impressionné par son interprétation. Tous sont exceptionnels. Pirates, personnel de l’équipage et membres de la compagnie maritime. Tous. Mais s’il fallait n’en retenir qu’un, on choisirait sans mal celui qui joue le cuisinier, Pilou Asbæk, cet acteur bien meilleur que lorsqu’il jouera plus tard Euron Greyjoy. En regardant Game of thrones, je me suis souvent demandé à qui il me faisait penser. J’ai trouvé devant Hijacking : C’est une fusion entre Michael Shannon (Take shelter) et Joshua Jackson (The affair). Et c’est tellement évident quand j’y repense. Il a une vraie gueule.
Hijacking est une excellente surprise. Un film qui colle au réel, un film très physique, oppressant, qui parvient aussi à être très documenté, sans toutefois s’acharner à rétablir un fait réel. Le film s’intéresse moins à ses nœuds spectaculaires qu’à ses personnages. Ainsi le coup de feu se vit avec l’interlocuteur au téléphone. L’arrivée des pirates fondue dans une ellipse. Mais ce qui fascine tant, ce qui agace tant à mesure que l’on comprend que les enjeux dépassent le simple fait de porter secours à des hommes, c’est de voir la vie de sept personnes entièrement remise aux discussions de ceux qui manipulent des chiffres et se satisfont (ou pas) de telles ou telles négociations. Et même si le patron est un beau personnage, qui s’humanise énormément au fil de l’histoire, le film montre bien que le traumatisme final n’est pas le même pour tout le monde.