Archives pour la catégorie Wang Bing

À la folie (Feng ai) – Wang Bing – 2015

24Les fous normaux.

   9.0   Un hôpital psychiatrique du sud-ouest de la Chine. Une poignée d’hommes enfermés, confinés dans une espace de liberté restreinte. Il y a ceux qui semblent dialoguer avec la caméra, y trouvent une oreille, un ami ou ceux qui se donnent en spectacle. D’autres se font plus discrets, pudiques parfois, recroquevillés dans leurs rituels incompréhensibles, chassant les mouches ou s’aspergeant d’eau froide. D’autres attendent, se retirent, s’échappent. Pour certains, la caméra semble ne plus exister – fruit d’une cohabitation longue, confidentielle qui prit effet sur une durée de trois mois. Chacun nous est présenté délicatement, lentement, avec un nom et une durée d’internement, qui ne vient pas chapitrer une folie mais au contraire parachever une rencontre. Un nom et une durée, les deux dernières constantes qui leur reste au sein d’un monde qui les a rejetés. Des malades comme des condamnés à mort. Cinquante personnes, tour à tour héros et figurant, se croisant entre chambres et coursive, murs blancs, épais, sans fenêtre et une ouverture grillagée donnant vue sur un monde miroir : L’étage du dessous, la folie des femmes. Espace violent duquel émerge de la tendresse, de la douceur – aussi dû aux médicaments qui les assomment – et des accolades, des caresses. Car le désir sexuel aussi a sa place, ici dans une drague impossible ou là dans une étreinte chaleureuse entre hommes. Wang Bing offre un temps et un espace à chacun de ses sujets, qu’ils dorment, courent, pissent, se cachent ou se montrent, parlent ou se taisent. Un garçon écrit sur ses jambes comme on ferait des tatouages. Un autre fait le tour de la coursive en courant comme on sort faire un footing autour d’un lac. Ils n’ont de fou que la représentation spatiale qu’on leur offre, l’impudeur qui leur est souscrit, l’ennui qui les poursuit. Il y a un vrai jeu de rôle qui se met en place aussi avec ceux qui ont toute leur tête : Ce moment délicieux où un garçon doit se déshabiller pour donner ses vêtements sales – Le tout devant une caméra et de nombreux autres internés. Ça tourne au film porno, s’amuse-t-il en s’adressant à l’objectif. C’est drôle et terrible à la fois, la vision de cette nudité, rempart brisé. Plus douloureusement encore, le film parvient à entretenir un semblant de confidence avec ceux qui se plaignent d’être devenu fou depuis qu’on les a enfermés. C’est aussi ce qui différencie chacun ici : la conscience d’être dans un asile, pour une durée indéterminée – Certains viennent d’arriver, d’autres sont là depuis vingt ans. Un carton final explique que si certains de ces hommes sont véritablement dangereux, la plupart furent internés de force par leur famille ou par la justice, pour vagabondage et autre délits minuscules. De cette immersion entre murs et grilles, Wang Bing parvient à saisir une respiration, plutôt un étouffement. Oui, c’est d’abord étouffant, suffocant. Puis ça devient une atmosphère de proximité, de complicité, c’est aussi l’histoire du tournage qui est racontée : le rapprochement entre l’artiste libre et le malade cloitré. Le lieu a quelque chose de très trouble dans sa spatialité, semble différent qu’il soit saisi de jour ou de nuit. Une affaire de lumière. Une affaire sonore, aussi. Difficile de quitter cette ambiance de cris, de rires, de pleurs qui se répondent en écho. Ce qui frappe c’est le peu d’apparitions de soignants, qui sont hors champ comme on le ferait pour les parents dans certains teen movie américains. Ils sont là pour injecter ces fameuses piqures – double dose, parfois, qui en font des zombies – ou distribuer des médicaments. Puis ils disparaissent, s’évaporent. On ne les voit jamais se dérober. Le film s’intéresse moins au fonctionnement systémique de l’hôpital qu’à la survie de ses hôtes, sorte de solitudes collective perdue dans une topographie écrasante. Planent alors quelques trouées étonnantes : L’entrevue téléphone à la grille c’est extraordinaire ; Le footing, véritable cri de liberté éphémère ; Ce plan interminablement sublime sur ce garçon amnésique qui répète ses gestes à l’infini. La plupart d’entre eux n’ont pas de famille, soit aucune possibilité de sortir, même provisoirement. L’un d’eux si, pourtant, le temps d’une permission inattendue, séquence détachée, dehors, où l’homme est accueilli chez ses parents, mais semble ne plus être chez lui, aussi enfermé qu’au sein d’une coursive barricadée. Il est notre porte de sortie mais on est presque soulagé de revenir dans l’asile. Parce que le cinéma de Wang Bing ne trouve de salut sublime que dans le microcosme : Trois soeurs d’une montagne du Yunnan ou cinquante fous d’un hôpital psychiatrique du Yunnan. Il s’agit moins de créer une politique hors champ qu’un espace de folie intime qui n’a de marginal que sa domesticité. A la folie devient en effet peu à peu une somme de gestes, intimes, désespérés, surréalistes ; Une vibration de la Chine actuelle contenue dans quelques cellules délabrées, une grille terrifiante, une coursive infinie.

Le fossé (Jiabiangou) – Wang Bing – 2012

Le fossé (Jiabiangou) - Wang Bing - 2012 dans Wang Bing Wang-Bing

Le désert rouge.

   5.0   Je ne connais pas encore les travaux exclusivement documentaires du cinéaste, je ne m’en tiens donc qu’à deux films docu-fiction, ou pour être plus exhaustif, deux films de reconstitutions libres, le court-métrage Brutality factory et donc ce long-métrage : Le fossé. Si Wang Bing me passionne en cinéaste de l’espace et cinéaste de l’organique, de la terre, du mouvement je reste néanmoins circonspect par son utilisation fictionnelle et l’utilisation de ses acteurs, en permanence dans une emphase théâtrale de la souffrance afin de cueillir l’empathie forcée d’un spectateur forcément désarçonné. Hormis quelque grossissement de trait pour la fiction, la première partie du film est une merveille de plongée en enfer, d’ambiance rocheuse, d’odeurs ocres et de perspectives de cadres assez hallucinantes, entre exiguïté claustrophobique de ces grottes/dortoirs souterrains et ce désert sans fin avec cette ligne d’horizon, constamment sable/ciel, qui ne cesse de sectionner l’écran en deux. La partie suivante, qui se concentre sur un homme qui envoie une lettre à sa femme avant qu’elle ne vienne lui rendre visite huit jours après sa mort, exige un calme impossible tant l’actrice exagère la situation dramatique, amenée à chercher le corps de son mari dans un cimetière sans stèles, dans le vent et la nuit. C’est sans doute trop pour moi, ou mal filmé. Je pense que Wang Bing est le cinéaste de l’errance dans la reconstitution historique, des tragédies, des bouleversements du paysage, un peu à la manière d’un Jia Zhang-Ke, la parole en moins. L’originalité contextuelle disparaît peu à peu au profit de la force dramatique de son récit, radicalité devient romanesque, Wang Bing se laisse submerger par le facteur souffrance, cette propension à montrer alors qu’il peut raconter la même chose en passant outre. Ça restera quoi qu’il en soit un film désertique d’une violence accablante.


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silencio


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