Les fantastiques années 10.
8.0 Des séries estampillées David Simon, il y en a eu quelques-unes : parfois denses (The Wire, Treme) parfois brèves (Show me a hero, The deuce), différentes les unes des autres (ne serait-ce que dans leur encrage géographique : Baltimore, La Nouvelle-Orléans, Yonkers, New York) mais chaque fois elles sont très marquées par la personnalité « journalistique » de leur showrunner et (co)créateur.
Cette fois, Simon revient aux sources – Rappelons qu’il a jadis travaillé au Baltimore Sun puis qu’il a écrit un ouvrage qui servira à l’élaboration de The Wire. Avec We own this city, il s’agit aussi bien de revenir à Baltimore et d’en tracer les contours socio-politiques de ces quinze dernières années (comme un prolongement de The Wire) que de partir d’un véritable fait divers, brulant et fondateur, à savoir la mort de Freddie Gray, tué par des policiers lors de son arrestation en Avril 2015 et les violentes émeutes qui suivirent.
Nous n’en verrons pas d’images, mais ces six épisodes graviteront autour, avant comme après. L’évocation de son nom résonne partout. La série s’inspire là aussi d’un ouvrage, celui d’un autre journaliste du Baltimore Sun, Justin Fenton, qui publia La ville nous appartient. Le générique de We own this city annonce déjà brillamment le programme : des clichés en noir et blanc de Baltimore, entrecoupés de vidéos d’interventions policières, d’images de manifestations et vidéos de déclarations variées (que l’on retrouvera pour certaines au sein de la fiction) préparent l’aspect choral cher à Simon, l’enchâssement institutionnel et sa volonté de reconstitution.
En relatant les prémisses, le procès mais aussi les actions délictueuses et criminelles de la « Gun Trace Task Force » (un groupe de police crée pour lutter contre la montée de la criminalité) la série sera au plus près de chacun d’eux, et en grande partie de son acteur principal, moteur de la corruption généralisée, le sergent Wayne Jenkins (Immense Jon Bernthal, qui m’avait pourtant toujours semblé mauvais acteur) qui multiplie perquises illégales, vols et extorsion en tout genre, en toute impunité avant l’enquête monstre qui le condamna lui (à 25 ans de taule) et nombreux de ses collègues complices.
Mais évidemment, comme toujours dans les récits de Simon, il ne s’agit pas seulement de faire le portrait d’un homme, d’un groupe ou d’une brigade, mais bien celui d’une ville (sinon d’un pays) offrant un tableau dense et complexe (le premier épisode est vraiment pas évident à appréhender) : Une enquête de la police du comté de Harford croise alors celle de la division des droits civiques du Département de la Justice mais aussi nombreuses des interventions opérées par Jenkins et son équipe. Et à travers ces deux enquêtes qui s’enchâssent, se frôlent, ces personnages qui vont et viennent, la série fait finalement le portrait d’une ville à l’agonie, rouage d’une société malade qui érige sa machine judiciaire contre les populations les plus pauvres et donc en majorité noires. Sans parler de cette idée de corruption globale qui explosera dans cet épilogue d’une noirceur absolue.
Et en suivant majoritairement ce sergent aussi beauf que purement fonctionnel, qui niera chacun de ces agissements jusqu’au bout, mais aussi ses collègues qui n’hésitent pas à le balancer avec une insolente désinvolture, la série fait aussi le portrait d’un déni de la violence provoqué par le pouvoir de l’insigne. Les regards de chacun lors de leur procès ne racontent rien de plus qu’une totale incompréhension : Ils se sentaient soit intouchables soit intouchables et tout à fait dans leur droit (Fascinante scène où Jenkins ne peut accepter qu’on le traite de flic pourri) comme si la ville leur appartenait.
Six épisodes, six heures, d’une limpidité, d’une intelligence et d’une puissance folle. Dans la lignée de The Wire, donc. Archi conseillé.