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La colline a des yeux 2 (The hills have eyes, part II) – Wes Craven – 1987

29. La colline a des yeux 2 - The hills have eyes, part II - Wes Craven - 1987Nanar aveugle.

   2.5   Tandis qu’il a fait plusieurs mauvais films, Wes Craven n’en a ouvertement renié qu’un seul, celui-ci. Je savais donc dans quoi je mettais les pieds, enfin les yeux, mais j’étais curieux malgré tout, d’abord car j’aime beaucoup le premier volet, d’autre part car j’avais vu tout Craven, excepté celui-ci et My soul to take, mieux réputé, que je me garde pour la fin.

     En effet c’est un très mauvais film. Mal écrit, mal joué, mal monté, mis en scène sans envergure et doté très souvent de répliques complètement déplacées. Un ratage qui remonte à sa fabrication, puisque le tournage est stoppé pour raison budgétaire puis la post prod reprise après la sortie des Griffes de la nuit, en ajoutant des scènes de flashbacks – dont un du point de vue du chien, si si – reprises du premier film – pour tenir sur une heure et demie.

     Cette fois, une bande de jeunes plus décérébrés les uns que les autres, filent vers un course de motocross à l’autre bout du désert Californien et comme ils ont oublié le changement d’heure, ils prennent le raccourci par les rochers et collines. La suite n’a d’intérêt que dans leurs disparitions respectives car évidemment ils se séparent en permanence en ne faisant que des choix incohérents. Si encore les jeunes américains étaient les seuls à être incroyablement débiles mais même pas, tant les créatures des collines (et ça se limite à deux, cette fois) sont tout aussi risibles.

     On sauvera le personnage de la jeune femme aveugle – qui a l’ouïe fine uniquement quand le scénario l’exige – car elle offre la seule scène intéressante du film, où elle avance à tâtons dans une baraque abandonnée et découvre un à un, en touchant leurs visages, les cadavres de ses amis. C’est tout. Peut-être Craven aimait il le chef d’œuvre de Fleischer, Terreur aveugle ? Quoiqu’il en soit, c’est maigre.

Red Eye – Wes Craven – 2005

31Thriller, mode d’emploi.

   6.0   Après s’être embourbé financièrement dans son projet Cursed, Wes Craven choisira, pour remplir un peu les caisses, de faire son petit thriller tout public, ce qu’il n’avait finalement jamais fait, lui qui aura surtout sévit dans le registre horrifique. Ce qui fascine dans Red Eye c’est de voir combien la « grande histoire » n’intéresse pas Craven. Le générique s’ouvre pourtant sur un transport mystérieux de caisse à poissons mais il faudra attendre le dernier quart du film pour comprendre son utilité. Entre temps l’auteur colle aux basques de son héroïne (Rachel McAdams) dans l’aéroport puis dans l’avion, sur le point de rejoindre son père à Atlanta, après les funérailles de sa grand-mère et sa rencontre avec un inconnu à priori sympathique qui sera son voisin de siège. Et tout le film joue sur une manipulation de ce dernier visant à obtenir une action de sa proie (Elle doit appeler l’hôtel de luxe pour lequel elle est hôtesse d’accueil, pour faire changer de chambre une personnalité importante) aussi minuscule dans l’organisation de l’attentat, qu’elle est primordiale. Mais pareil, on ne saisit pas trop les tenants et aboutissants tout de suite. La rencontre entre Lisa et Jack prenant tous les atours d’un embryon de rom com, leurre parfait, tout en sourires, doux regards et blagounettes flatteuses pour faire monter la sauce. L’action de grande ampleur (L’assassinat du secrétaire d’Etat à la défense) restera hors champ puisqu’il s’agira uniquement de suivre l’un des terroristes d’une organisation qui sera, elle, hors champ aussi. Avec sa belle gueule de premier, Cillian Murphy (Qui venait de jouer chez Boyle et jouera ensuite chez Loach) campe bien le personnage. Pas de bol, il est tombé sur une Rachel qui ne plaisante pas pour contrarier ses plans : Message dans un livre ou sur le miroir des chiottes ici, avant de lui enfoncer un stylo dans la trachée et de se défendre plus loin avec une batte. Et c’est donc elle toute seule comme une grande et pourtant loin, qui va sauver la cible politique. James Bond n’a qu’à bien se tenir. Du haut de ses 1h21 générique compris, Red Eye se regarde sans déplaisir, on ne voit pas le temps passer. La tension crescendo tant convoitée fonctionne, s’essouffle un peu dans son mécanique dernier tiers, construit pour nous emmener vers une banale résolution. On retiendra surtout la longue séquence dans l’avion. Craven qui n’a jamais été aussi à l’aise pour créer ses pics de suspense que dans les espaces clos et resserrés (Les chambres dans Les griffes de la nuit, la maison du Sous sol de la peur, la voiture dans Scream 2) s’en donne à cœur joie dans cet avion et même souvent au sein de cette rangée de sièges. Chouette film du dimanche soir.

Cursed – Wes Craven – 2005

15289123_10154184684937106_3979295044452260125_oLe bal des maudits.

   4.5   C’est moins mauvais que dans le maigre souvenir que j’en avais gardé. Craven renoue avec sa veine (télé)films mineurs qui ornaient sa brinquebalante filmographie durant les années 80, de La ferme de la terreur à Shocker, séries B sans grandes aspérités qu’il vient traduire dans une production plus confortable ici, en lorgnant du côté du sous-genre archi rebattu (Dante et Landis, pour ne citer que les plus émérites, ont fait le leur en 1981) du film de loup-garou.

     On ne retiendra pas grand-chose d’un scénario cousu de fil blanc tant Cursed est surtout prétexte à travailler la matière, les plaies, les corps mutilés : Craven ne lésine en effet pas à montrer les monstres et les transformations – Effets spéciaux en rafale et pas toujours hyper inspirés – et à mélanger le gore (La mort de Shannon Elizabeth, notamment) et l’humour teen-movie avec une certaine dextérité. Jesse Eisenberg y fait d’ailleurs ses gammes et apporte ce qu’il apportera bientôt à d’autres séries B type Zombieland ou American Ultra.

     Si l’auteur était alors plus à l’aise financièrement (Merci Scream) le film fit un four colossal. Car il est mal branlé. Attachant mais vraiment mal branlé. C’est un fourre-tout à rebondissements low-cost où les personnages n’ont aucune épaisseur, où les situations sont téléphonées. Le fait est que le script fut charcuté pendant le tournage, le casting modifié à la toute dernière minute et cela s’en ressent.

     Reste quelques instants intéressants comme la pièce de miroirs (façon La dame de Shanghai) et la lugubre forêt qui voit la première apparition du loup. Mais dès qu’on est dans l’affrontement, entre jeunes (dans un gymnase) ou entre loup-garou, la standardisation s’empare à nouveau de la réalisation, comme si le simple affrontement suffisait à s’effacer derrière lui, à combler tout mangeur de popcorn. Pas désagréable, donc, mais on a connu Craven nettement plus inspiré, cela va de soi.

Scream 3 – Wes Craven – 2000

coloriage-vice-versa-13819Return to Woodsboro.

   8.0   Ce troisième opus surfe constamment sur le principe du no rules déployé par Randy (tué dans Scream 2) par l’intermédiaire d’une cassette testament dans laquelle il explique que si un troisième volet ne prend pas l’apparence d’une suite quelconque, comme une nouvelle manière de concevoir les meurtres, c’est qu’il existe pour faire table rase des précédents, revenir aux origines, citant Le retour du Jedi ou Le Parrain. Oubliez vos certitudes quant aux dénouements des premiers Scream, celui-ci révèlera enfin le vrai mystère autour de la mort de Maureen Prescott, mère de Sidney, et de tous les meurtres que cela a engendré à Woodsboro, c’est ce que semble nous dire Randy et donc Scream 3. Jamais une mise en abyme du cinéma bis (pas même dans Scream 2, déjà bien gratiné) à travers de multiples moyens n’avait été aussi importante.

     Ainsi, il y a déjà quelque chose de formidable dans cette suite, c’est l’utilisation du film dans le film, que Scream 2 avait déjà commencé à proposer. Quand le spectateur voyait Scream 2, les spectateurs dans le film voyaient Stab, soit la parfaite adaptation des meurtres perpétués à Woodsboro, donc exactement ce que l’on a vu dans Scream. Il était d’ailleurs passionnant de revoir certaines séquences que l’on avait déjà vues dans le vrai Scream, tournées avec des acteurs évidemment différents. Scream 3 aurait pu rester dans cette voie, laborieusement : Quand dans la scène d’ouverture, Cotton Weary rentre chez lui, secoué par le tueur qui avoue y être, il se faufile à fond la caisse entre les files de véhicules et l’on peut distinguer un bus arborant l’affiche de Stab 2, on se dit alors que l’on retrouve une logique similaire au précédent. Pourtant il va bien plus loin. Pas de Stab 2, il a déjà eu lieu, on n’en verra pas la couleur (Si ce n’est donc cette pub pour sa probable sortie DVD)  mais l’on se doute qu’il reprend sensiblement la tragédie de Scream 2, seconde salve de meurtres à Woodsboro, revendiquée entre autres par cette fausse journaliste, qui vengeait la mort du tueur du premier volet, à savoir Billy Loomis, son propre fils.

     Et bien non, Dans Scream 3 on est déjà en train de tourner l’opus suivant : Une affiche apparaît sur la devanture du studio de tournage : Stab 3, Now in production. La franchise Scream s’est trouvé un nouvel élan puisque sur quoi s’appuyait la franchise Stab dans le film, à savoir ce que nous spectateur avions déjà eu le droit de voir, a totalement disparu, étant donné que la franchise Stab a devancé la franchise Scream. C’est déjà très fort. Mais ce n’est pas tout : Il se trouve que les véritables meurtres de ce Scream 3 reprennent l’ordre exact du scénario de celui de Stab 3. On est donc dans un processus inversé : C’est la réalité qui imite la fiction. Au début ça se tient, on croit que le tueur et donc le film va bêtement se caler sur un précis de scénario, puis ça semble dérailler petit à petit, tandis que le meurtrier le réécrit lui-même, ici durant un coup de téléphone, là par fax, tout en disséminant d’étranges photos de Maureen Prescott aux côtés de chacune de ses victimes. Du coup, le film semble évoluer en permanence, se construire tout seul. Je suis bien obligé de rendre compte de l’identité du meurtrier de ce troisième volet pour poursuivre mon analyse, meurtrier cette fois seul, bonne idée du film, qui s’échappe un peu d’un carcan obligatoire que l’on aurait pu craindre.

     Le meurtrier c’est Roman (nul besoin d’expliquer pourquoi pour l’instant), le réalisateur de Stab 3. Là ça devient génial, puisque non seulement il s’agit de faire réécrire le scénario de Scream 3 par celui qui écrit et met en scène celui de Stab 3, mais aussi parce que le double lieu dans lequel se déroule le film n’est autre que le studio, que Roman connaît par cœur étant donné que c’est celui de son film, et sa propre maison – la fin du film. Alors en effet, le tueur semble connaître chaque lieu sur le bout des doigts. Une fois le pot aux roses découvert les invraisemblances s’effacent. Et quelle idée lumineuse d’avoir reproduit le décor de Woodsboro ! Il y a toute la partie concernant Sidney, un peu mélancolique quant à l’idée de retrouver ces lieux qu’elle reconnaît si bien, investissant à nouveau sa chambre, construite exactement de la même manière, dans laquelle elle se souvient de certains moments délicieux passés avec Billy. C’est formidable d’avoir conçu les plans de cette façon là, et d’en avoir supprimé des pièces, sans doute inutiles pour le film dans le film. Ainsi, quand Sidney (alors poursuivi par le tueur, exactement de la même manière que dans Scream, dans la même maison, en carton cette fois) ouvre une porte, imaginant tomber sur telle ou telle pièce, c’est le vide qu’elle obtient, une porte qui ne mène sur rien. Le décor est devenu réel, pire il a remplacé la réalité, elle-même devenue obsolète.

     Prouesse supplémentaire de ce Scream 3 : les personnages. Les réels et les virtuels. La vraie Sidney face à la fausse Sidney. Gale Weathers face à l’actrice qui joue Gale Weathers etc… Les personnages sont doubles. Ils l’étaient déjà dans Scream 2 mais seulement au cinéma ou à la télé, les vrais personnages n’avaient pas de contact avec les faux. Ça commence d’ailleurs très fort à ce niveau là, où dès la première séquence sur le plateau de Stab 3, on entend les acteurs de nos personnages de Scream, se moquer des conditions de tournage et revendiquer les volontés de David Schwimmer et Tori Spelling (rappelons que Sidney disait dans le premier volet qu’avec la chance qu’elle avait, si on faisait un film sur elle, à son grand désarroi on prendrait Tori Spelling) d’avoir eu la bonne idée de ne pas rempiler. Le plus fort de Scream 3 c’est que justement il va s’agir aux survivants de la double tragédie de Woodsboro (Sid, Gale, Dewey) de tenter d’échapper à nouveau à la traque du tueur, aux côtés des acteurs jouant leur propre rôle dans les films relatant la tragédie de Woodsboro. Aucun des acteurs ne s’en sortira, comme si Wes Craven voulait montrer la fragilité de l’image, tandis que les modèles s’en sortiront une troisième fois.

     A de nombreux instants nous aurons droit à ces petites scènes croustillantes qui font la marque de fabrique de la franchise depuis ses débuts, à savoir la référence, le téléphone, la bonne humeur, le gadget, le teen-movie, le trash. Quand le deuxième personnage s’apprête à mourir, elle répète son texte (de son personnage qui va mourir) et se plaint qu’une scène sous la douche soit dépassée, citant Hitchcock mais confondant Psycho avec Vertigo. Prenons aussi la séquence des deux flics qui se mettent à baliser quant à leur destin concernant l’enquête sur les nouveaux meurtres, en évoquant la fragilité récurrente du flic dans les thriller/slasher movie citant Seven ou Le silence des agneaux, tout en rappelant à son collègue que l’un des flics enquêtant dans le scénario de Stab 3 ne s’en sort pas. Tout est affaire de référence, on cite à foison. Il y a aussi Carrie Fisher qui prétend être un sosie de Princesse Léia qui aurait été choisie par Lucas sur gâteries. Bref on s’amuse. Wes Craven semble aussi vouloir creuser l’idée du téléphone à son paroxysme étant donné que l’on découvre Sidney dans son travail, à savoir un SOS femmes en détresse qu’elle effectue à domicile par téléphone. Un comble ! Reculée en pleine campagne elle semble à l’abri de tout jusqu’au jour où le nouveau tueur lui refait le coup habituel de la voix menaçante. En parlant de voix, le gadget vocal est à l’honneur dans ce troisième opus. S’il était simple et monocorde dans les deux premiers Scream, servant uniquement à brouiller le son d’une voix, il a maintenant évolué, pouvant imiter celle de certains des personnages. C’est ainsi que Sidney se retrouvera un moment donné face à sa propre voix, ou bien, et c’est là que le procédé gagne tout son intérêt, la fausse voix de Sidney annoncera à Gale que Sidney la rejoindra à tel endroit à tel moment. En plus de faire face à leur double, les personnages doivent faire face à leur triple.

     La mise en abyme est à un tel paroxysme évidemment lorsque l’on apprend que le tueur et le metteur en scène du film dans le film ne font qu’un. Craven et Roman ne font qu’un. Ils sont les manipulateurs du spectacle pour l’un, du carnage pour l’autre. Mais comme dans les autres Scream il y a un mobile. On ne tue plus pour tuer, enfin plus vraiment, la mode Jason, Leatherface, Freddy est has-been. On croyait durant quelques secondes du premier volet que non, quand Billy rappelait à Sid l’inutilité d’en avoir, citant Norman Bates et Hannibal Lecter. Pourtant il y avait bien vengeance. Celle d’un garçon abandonné par sa mère parce que son père la trompait avec la mère de Sid. Vengeance remise au goût du jour dans l’épisode suivant qui voyait le retour de la mère de Billy pour venger à la fois l’adultère de son mari et la mort de son fils. Le mobile ici se décentre assez nettement de Billy (pourtant retrouvé dans une séquence forte où Sidney se rappelle de lui, prouvant que l’amour qu’elle lui portait était au-dessus de tout) tout en le travaillant encore davantage, le remettant même en question. Roman est en réalité le frère de Sidney. Un frère qu’elle n’a jamais connu puisque lui a été abandonné. Scream n’est qu’histoire de tromperie et d’abandon. Les traumatismes familiaux. Là où ce troisième volet réalise un tour de force c’est dans sa révélation finale puisque l’on apprend que Roman avait enquêté sur l’adultère de Maureen Prescott, sa mère, qu’il prouve à Sidney aux moyens de photos, de films cachés qu’il a lui-même réalisés. Il s’était en fait servi de Billy, qui s’était lui-même trouvé comme acolyte le frêle Stuart, pour matérialiser sa vengeance, pour ne pas avoir à se salir les mains en fin de compte, car, conclut-il « je suis metteur en scène ». Peut-on faire à la fois plus intelligent, en tant qu’écriture de scénario de slasher j’entends bien, et jubilatoire ? Franchement je ne crois pas.

     On pourra toujours trouvé tous les défauts possibles à ce Scream 3, autant qu’il y en avait dans le deuxième volet, essentiellement dans la dynamique entre chaque scène, le manque d’appétit de la séquence (ce qui rendait chef d’oeuvresque le premier Scream, ne serait-ce qu’avec la scène initiale et la scène de la soirée finale) et l’impression laissée par chaque scène gore, étant donné que l’intérêt est désormais bien moindre. Les meurtres sont de plus en plus bâclés, on sent que la théorie a remporté son combat contre le slasher. Elles sont loin les scènes cultes comme Tatum dans la chatière, le meurtre de Casey vécu en direct par les parents via le téléphone et le sketch final cultissime entre Billy et Stuart, obligés de s’amocher pour pouvoir passer pour des victimes chanceuses. Sans compter la masse de rebondissements et la drôlerie mode teen-movie qui se dégageait de tout ça, qu’elle vienne de Stuart, véritable trublion déjanté, langue pendante et yeux révulsés, qui n’hésitait pas à enfreindre les fameuses règles pour ne pas mourir en lâchant un « Je reviens tout de suite » prohibé au moment d’aller chercher une bière à la cave, ou de Randy, grand spécialiste de cinéma bis, capable de sentir chaque rebondissement, geek furieusement glauque que la réalité ne peut atteindre. Ces personnages que j’aimais tant n’existent plus. Wes Craven peine à en faire exister de nouveaux. C’est la seule limite à mon sens de ces suites qui se dégustent avant tout en tant qu’objets théoriques.

La musique de mon coeur (Music of the Heart) – Wes Craven – 2000

14525024_10154026347087106_9052776637957028329_oSortez les violons !

   4.0   Décidément, Wes Craven aura tenté des choses. Après la comédie vampirique et vouons-le, catastrophique, le voilà à la tête d’un projet de chronique écolière à Harlem, tendance guimauve. Ces deux films ont en commun d’exister pour leur interprète central : C’était Eddy Murphy dans l’un, c’est ici Meryl Streep, dans un rôle taillé pour les Oscar (Il lui valu une nomination) puisqu’elle y incarne une bourgeoise abandonnée par son mari, qui décide d’enseigner le violon dans l’école d’un quartier difficile de New York. Histoire d’en remettre une couche sur la corde sensible, le film est tiré de l’histoire vraie de Roberta Guaspari. Bref, on ne voit pas trop ce qui a séduit l’auteur de L’emprise des ténèbres là-dedans, d’autant qu’il tourne ça entre deux Scream. Toujours est-il que La musique de mon cœur, aussi guimauve qu’il soit, n’est jamais désagréable, il déroule son petit programme tout à fait impersonnel (Mise en scène on ne peut plus transparente) sans tomber dans le ridicule – Et l’on sait maintenant combien Craven pouvait aussi y basculer. Mieux, le film est scindé en deux parties et la scission au mi-temps (exactement) est une ellipse de dix ans. La première raconte donc la renaissance d’une femme et du cours de violon dans le programme scolaire. La seconde le combat contre les décisions institutionnelles de supprimer les financements de ce même cours, jugé coûteux et superflu. Au début, les enfants prennent les violons pour imiter des mitraillettes. A la fin, ils jouent au Carnegie Hall, sages comme des images. On est dans une merveille de caricature pour ménagères, le travail, l’amour et la transmission tout ça, et le film est noyé sous les bons sentiments, indigestes à tout point de vue (Des gosses et des violons, purée…) accompagnés en permanence par des plages musicales bien illustratives. Mais c’est mignon, avec beaucoup d’indulgence.

Scream 2 – Wes Craven – 1998

14522997_10154010275312106_8916529979523915678_nLe bal des maudits.

   6.5   Tout le monde est suspect. C’est la devise de la franchise. Et si l’on prenait un malin plaisir dans le premier opus à tenter de débusquer le tueur au masque blanc, cette excitation a presque totalement disparu ici. On connait dorénavant la musique et le film joue tellement avec son statut de suite qu’il s’avère peu passionnant niveau effet de surprises, à l’égard du premier, mais son enjeu est ailleurs.

     Il s’agit moins de réenclencher la dynamique traumatique et la sordidité d’une histoire sur deux temporalités que d’y injecter de nouvelles règles, tout en enfonçant le clou de la démarche théorique à l’extrême. Avec Scream, Wes Craven poussait déjà son procédé assez loin, là il l’explose littéralement. Scream 2 devient un slasher parodique, mais un slasher parodique qui tient la route en tant que film d’horreur. Un objet de fascination dans chacun de ses enchainements, jouant in fine davantage avec le rire qu’avec la peur.

     Car c’est bien dans les dialogues que cette suite prend du galon. On y voit des étudiants en cinéma déblatérer sur les bienfaits et méfaits des suites, citant tout un pan des films cultes américains. Et les personnages ont vite conscience qu’ils sont eux-mêmes plongés dans une suite. Il faut donc prendre en considération les nouvelles règles que celle-ci impose : Davantage de cadavres et de sang, meurtres plus élaborés et table rase du petit ami psychotique. Craven, par Randy, nous offre la progression de son nouveau jeu de massacre. D’ailleurs, les nouveaux personnages (Mickey, Hallie et Derek) sont de (pâles) copies de Randy, Tatum et Billy.

     Le film s’ouvre par une séquence au cinéma. On y voit un couple à la première de Stab, film relatant des faits exacts de la tragédie de Woodsboro, soit toute l’histoire du premier Scream. Lui trouve que les films d’horreur sont de parfaits préliminaires, elle ne supporte pas que le genre exclu systématiquement les afro-américains. On verra quelques extraits de ce film dans le film, Craven n’ayant modifié que les acteurs, autrement chaque plan est une quasi copie de son propre vrai film. Réflexion donc sur la suite, son caractère mercantile comme la destruction des codes mis en place, Craven réalisant en parallèle une suite plus fade (mais plus chargée théoriquement) allant jusqu’à enfiler du kitch à outrance ici dans les retrouvailles entre Gale et Dewey (accompagnées à plusieurs reprises par le morceau de Broken Arrow) ou là quand le petit ami rejoue la chansonnette de Tom Cruise dans Top Gun.

     Les survivants du massacre perpétués par nos deux compères, Billy et Stuart – c’était la grande surprise de Scream, deux tueurs qui se relayaient – sont convoqués dans ce nouveau terrain miné sous forme de jeu de piste – les noms et prénoms des victimes correspondent à ceux du premier, procédé ridicule et vite oublié, qui aurait eu sa place dans la franchise Scary movie – dans la partie School of film du campus. Si Sidney joue Cassandre au théâtre, Randy et les autres sont en cours de théorie de cinéma, débattant sur les suites au cinéma. Craven se moque. Il accepte que son Scream 2 ne soit plus qu’un produit marchant, aux allures du Stab qui s’y joue dedans. Sidney avait prévenu : Avec sa chance, si un film sortait sur le massacre de Woodsboro, son personnage serait campé par Tori Spelling. Sidney remets une mandale à Gale quand elle lui demande une interview avec Cotton Weary, innocenté depuis les faits ; Et on y réentend même le morceau de Nick Cave & The Bad Seeds, c’est dire à quel point Craven joue avec cette idée de recyclage.

     On retrouve dans Scream 2 ce qui faisait le relent giallesque du premier : l’impossibilité pour la victime de s’en sortir, chaque fois prisonnière d’une situation inextricable (Casey, Tatum puis Randy) ;  C’est le tueur qui semble chanceux, à qui tout sourit. Ainsi lors de la première séquence, directement en miroir à celle du premier Scream, le garçon se fait poignarder dans les toilettes du cinéma et le tueur peut se dissimuler dans la foule puisque c’est la première du film et que tous sont munis d’un masque – L’aliénation mercantile, une fois de plus. Il enfile la veste en cuir de sa victime et s’en va s’asseoir à côté de sa petite amie, prise dans les soubresauts du film qui voit Casey Baker se faire poursuivre puis trucider (sensiblement de la même manière que dans le vrai Scream) avant qu’elle ne se fasse poignarder à son tour devant une salle hilare, trop prise par le film pour y faire attention.

     Plus tard, c’est cette jeune étudiante en ciné, que l’on voit discuter un peu plus tôt sur le sujet des suites, les réduisant à de simples pâles copies, Campée par Sarah Michelle Gellar qui passe par le balcon après avoir été poignardé, parce qu’elle était condamnée à garder une baraque pendant que tous sont à une fête : Toujours cette impuissance et cette solitude inexorable, héritée du Halloween, de Carpenter.

     Plus tard encore et c’est là d’autant plus flagrant, Dewey (survivant improbable de Woodsboro) se trouve derrière une vitre de plexiglas et tente d’appeler Gale Weathers, la journaliste arriviste toujours dans la course. Il est alors massacré sous les yeux de la jeune femme, dont on n’entend guère les cris masqués par ce nouvel obstacle. Dans Scream, tout est en faveur du tueur. C’est lui seulement qui se met en difficulté, et chaque fois parce qu’il est divisé en deux. C’est quand le masque disparait qu’il court à sa perte. C’est assez fascinant. Pourtant, Dewey s’en sortira encore – Survivant éternel de Woodsboro. Le film s’amuse aussi beaucoup avec les règles bouffonnes qui font survivre les personnages essentiels. Et les scènes climax se déroulent dans une salle d’enregistrement puis dans une salle de répétition. Il y a aussi une séquence plus classique dans une bagnole, bien torchée certes mais purement gratuite, qui rejoue une nouvelle fois celle du premier Scream. On est dans l’imitation pure ; Et puisque l’on sait que les couples de tueurs peuvent se mutiler pour faire croire à leur innocence, la blessure du petit ami ne le mets pas hors-jeu pour autant et le pousse souvent à être le coupable idéal.

     Finalement, Scream 2 est un film improbable dès sa première scène et la sortie en salle d’un film qui relate exactement la tragédie de Scream, personne ne laisserait faire une chose pareille. Tout comme sa fin avec la révélation du vrai tueur, du vrai mobile. On n’y croit pas une seule seconde (Même si la vengeance de la mère pourrait faire un écho inversé à Vendredi 13, puisque Jason suivaient ensuite les traces de sa mère) comme on ne croit pas non plus aux nouveaux personnages, sinon qu’ils sont uniquement là pour servir de victimes ou bourreaux. Les jump scares à outrance, les suspects qui pullulent. C’est vraiment pour les afficionados tant les effets de surprise se font rares. Mais encore une fois ce n’est pas ce qui m’intéresse dans Scream 2. Craven s’amuse et nous aussi.

Scream – Wes Craven – 1997

Drew Barrymore in Wes Craven's "Scream"Profondo rosso.

   10.0   1er septembre 2015.

     Ce dimanche, Wes Craven a tiré sa révérence. L’occasion pour moi de revenir sur son film le plus passionnant, puissant, jouissif, choquant, méta, que je considère d’une part comme son meilleur (haut la main) mais aussi comme l’un de mes films préférés, depuis toujours ou presque. Wes Craven qui meurt c’est une part de mon adolescence qui s’en va. Vu Scream j’avais douze ans. Je découvrais Drew Barrymore, adulte, après l’avoir vu en boucle, petite, dans E.T. L’extraterrestre. Un gros choc. C’est la première fois que j’écrivais sur un film (Je vous fais grâce de mes bafouilles d’époque) c’est dire si ça m’a chamboulé. Le plus fort étant que l’effet ne s’est pas dissipé. Au contraire.

     Wes Craven, abonné du genre, mais cantonné très souvent aux produits de seconde zone nous propose avec Scream une réappropriation du cinéma d’horreur, tout en lui redorant le blason (en totale voie de disparition durant ces années 90) et surtout avec du nouveau, c’est évident : Faire un teen-survival-movie avec conscience des conventions du slasher, un meurtrier connu de tous dissimulant son identité derrière ce masque, un film ultra ludique, aussi drôle que flippant (la première scène est un chef d’œuvre à elle toute seule) qui cite un pan du cinéma de genre (de Psychose à L’exorciste, de Halloween à Carrie, de Vendredi 13 à Hurlements…) avec beaucoup d’intelligence, de maestria et d’admiration.

     Nombreux sont ceux qui l’ont étiquetés comme une simple parodie de slashers, à tort bien entendu (auquel cas c’eut été raté) puisqu’il en est l’exact contraire, se réappropriant ses pères (Argento, Carpenter et consorts) tout en en modifiant les facettes. Scream a dix milles facettes, il navigue ici et là, il ne se contente de rien, il cherche, il grappille ce que tout aficionado peine à obtenir devant ces films à l’accoutumée. Indispensable pour les fans dans un premier temps donc. Et Scream c’est aussi un masque. Sordide, terrifiant, inoubliable. Tiré du Cri d’Edward Munch. C’est aussi une ribambelle de scènes cultes où l’on cite à foison. Absolument jubilatoire, en permanence, bien que si l’on découpe un peu, il est évident que deux séquences sont au-dessus d’un lot, déjà bien garni :

     – La scène d’entrée en matière. Tout se passe au téléphone. Un homme pose des questions à une femme. Elle ne cesse de raccrocher. Il ne cesse de la rappeler. La situation dégénère. Et on s’achemine progressivement vers l’un des (déjà doubles) meurtres les plus éprouvants de l’histoire du cinéma, où Craven, comme son compère Argento, utilise des sonorités aussi étouffantes que jouissives : Le téléphone qui sonne, le tonnerre qui gronde, cette voix d’homme charmante puis tétanisante, le climat enfumé dû au pop-corn trop grillé, le bruit exagéré des couteaux… le corps sans vie du boy-friend qui perd la vie parce que Casey a répondu à côté d’une question cinéma… Les parents qui débarquent, et les cris de cette mère qui hurle, entendant la voix de sa fille pré mortem au bout du fil, ayant décroché l’autre combiné… Une mécanique d’orfèvre.

     – Et la séquence finale dont je tairais le dénouement bien entendu, qui occupe la moitié du film. Une soirée entre amis. Beaucoup de monde. Puis petit comité distendu (la majorité des présents ayant préféré aller voir le proviseur de leur lycée pendu au but du terrain de football). Bières à gogo, Halloween à la téloche. Un meurtre dans un garage. Un meurtrier dans la maison. Effet cluedo oblige, l’étau se resserre. C’est lui ? Ah non. C’est elle ? Mince, non plus. Je mets au défi quiconque de deviner le dénouement final, ce serait comme prévoir la fin de Sixième sens ou de Usual suspects.

     Et la grande originalité de Scream c’est sa dimension théorique, toute la réflexion méta sur la notion de suite. La suite est continuellement envisagée soit de manière diégétique soit imaginaire. Scream en un sens est déjà la suite d’un film d’horreur qui n’existe pas, celui du meurtre de la mère de Sidney un an avant les faits contés dans Scream, qui plane en permanence au-dessus du récit. La suite peut-être perçue en tant qu’adaptation, en tant que mise en scène de la réalité, ce fameux tiré de faits réels qui est le paradigme de Hollywood. La suite plane sur le film aussi parce que les personnages se croient dans un film. « Il faut que le public ait une suite » répète l’un des personnages à la fin, en référence au meurtre de Maureen Prescott. On verra dans le quatrième volet que la fiction dans la fiction aura largement dépassé la réalité dans la fiction puisque le nombre de Stab (saga relatant les faits de Scream au sein de Scream) finira par dépasser le nombre de Scream. Tu me suis ? Et puis il y a aussi tout un jeu génial autour de la virginité. Thème souvent central dans le slasher (on pourrait revenir au récent et sublime film de David Robert Mitchell, It Follows).

     Spoiler Alert /// On peut considérer dans le final que Billy et Stuart sont deux entités qui se nourrissent et s’annulent. Comme un scénariste et un metteur en scène. Il y aura toujours dans Scream cette dualité. On en revient à cette question éminemment hitchcockienne : Comment construire un film, comment construire un meurtre ? Le film poursuit sa réflexion à l’intérieur même du récit, les personnages ne cessant de se référer au cinéma, d’horreur essentiellement. Ainsi, lorsque Randy cite que dans tout slasher tout le monde est potentiellement suspect, Scream exploite à son tour cette théorie, du père de Sidney introuvable aux chaussures noires de l’inspecteur. Durant la soirée finale chez Stuart, qui fait office d’ultime terrain de carnage et de mise en scène du carnage – Inutile de rappeler chez qui l’on se trouve, pour faire le lien – le film est déjà dans le film, par l’entreprise d’une projection du Halloween, de Carpenter, en fin de soirée, durant lequel il est fait état des règles de survie dans les films d’horreur. Mais aussi par la caméra espionne de la journaliste, Gale Weather, qui aura toutefois un léger différé de retransmission. Halloween en permanence sur l’écran se cale souvent sur les faits de Scream, le meurtre dans la cuisine, Jamie Lee Curtis tombant dans les escaliers, Myers dans la penderie. On apprend donc grâce à Randy, que Jamie Lee montrera la première fois sa poitrine dans Trading places, en 1983. Que le tueur revient toujours pour un dernier frisson. Entre autres pépites aussi drôles que terrifiantes.

     Personnellement je trouve que Scream, prit à part, dans le genre qui le concerne, est un pur chef d’œuvre. Je l’ai vu des dizaines de fois et la jubilation qu’il me procure reste intacte.

Le 23 septembre 2016.

     Je revois Scream un an quasi jour pour jour après l’avoir redécouvert suite au décès de son auteur. Je le revois comme je le revoyais régulièrement il y a quinze ans, avec le même élan de réjouissance, une fascination toujours évolutive, l’impression que dans chaque séquence/action/parole se cache une idée, une inspiration, un détournement des codes, une volonté de tout foutre en l’air.

     Craven pousse le curseur du méta-film à son paroxysme. Ainsi lorsque Sidney avoue détester les films d’horreur car, dit-elle « Ils se ressemblent tous, il y a toujours une nana bien roulée qui monte l’escalier plutôt que de sortir par la porte d’entrée » c’est exactement ce qu’elle fera dans la minute suivante, le tueur à ses trousses, puisque le loquet de sa porte fermé l’oblige à monter se réfugier dans sa chambre. Il y a même un instant génial où Billy est arrêté et on ne sait pas bien s’il est ou non le coupable, tout l’incrimine mais c’est trop simple et c’est le shérif qui va nous donner la réponse – Il s’adresse à nous plus qu’au commissariat – en lâchant un « Let’s get back to work » histoire de signaler qu’on est loin, bien loin de la résolution. Plus tard c’est Randy qui avoue à Billy que s’ils se trouvaient dans un film d’horreur, sa passion pour le genre en ferait automatiquement l’un des principaux suspects. Quand dans le dernier acte, Billy compare la situation de Sidney à celle de Jodie Foster dans Le silence des agneaux, elle lui répond qu’ils ne sont pas dans un film ce à quoi Billy réplique : « Sure it is, Sid. It’s all a movie. It’s all one great big movie. ». C’est vertigineux d’auto-analyse permanente.

     Pourtant, Scream se développe aussi dans sa propre bulle de réalité, dans le récit qu’il s’est construit et approprié, il ne joue pas uniquement sur sa dimension théorique. L’apparition traumatique est à propos traitée avec minutie. On creuse le vernis du rêve américain dès la première séquence avec Casey dans la maison bourgeoise de ses parents, puis avec Sidney dans le souvenir du drame, puis dans le mobile final du tueur. Le background est tellement imposant (Et c’est une première dans un film de Craven) qu’on aurait aisément pu créer, avant ou après, un Scream 0 avec les mêmes personnages, l’histoire de Maureen, la mère de Sidney, Cotton Weary etc. C’est tout à l’honneur de Craven d’avoir gardé ça hors champ ou uniquement comme toile de fond à Scream, invisible. Mais c’était possible, largement.

     Et le jeu se poursuit, dans le drame comme dans la comédie. Il s’agit pour Craven de faire exploser sa bulle de confort, comme Argento faisait exploser la sienne dans Profondo rosso. Un moment donné le tueur semble partout. « Everybody is suspect » avait prévenu Randy. Chacun endosse le masque, maladroitement (Dewey) ou pour rire (Les jeunes du lycée) accentuant cet état de suspicion générale, de perdition totale dans laquelle on se trouve. On a aussi rarement autant ouvert des portes et des placards. Rarement autant sursauté – Un moment, le proviseur enfile le masque, juste pour voir, puis tombe sur son reflet dans le miroir et sursaute à son tour. C’est aussi ça Scream, se jouer des conventions oui, mais jouer beaucoup avec. Où la crainte du moindre coup de téléphone côtoie sans cesse une réflexion sur la représentation et l’idée qu’on se fait du mélange réalité/fiction.

     Maintenant que j’ai vu Friends je peux en parler : Je ne l’ai pas vécu ainsi à l’époque mais ça devait être fort de voir Courteney Cox faire une pause dans son rôle de Monica Geller (On est à la mi-Friends, en gros) pour interpréter ce rôle aussi ingrat que génial de Gale Weathers. Cette journaliste qui veut des meurtres pour alimenter les recettes générées par son bouquin. Elle prend des baffes, se fait insulter. Elle innocente Cotton quand Sidney le rend coupable. Elle tombe sous le charme de Dewey, le frère de la meilleure amie de Sidney. Et c’est elle qui devient un instrument de mise en scène dans la deuxième moitié lorsqu’elle installe une petite caméra dans la maison, dont Craven utilisera régulièrement l’enregistrement. En fin de compte, si l’on enlève Sidney, Gale est Le personnage de cette tétralogie. Ingrat mais ambivalent.

     La grande force du film c’est d’arriver à être à la fois hyper vivant ludique, tout en étant cruel et cauchemardesque, ce que la bande originale signée Marco Beltrami parvient magistralement à offrir en voguant d’une plage anxiogène et flottante (Les morceaux A cruel world ou Trouble in Woodsboro, magnifiques) vers des mouvements plus sensuels et hypnotiques (NC-17, tout en douceur suspecte). On joue autant avec les tiroirs du récit qu’on ne vibre aux côtés des personnages, tous géniaux car c’est aussi un formidable film de campus, tragique et opératique. Dans lequel on est moins dans l’établissement qu’aux abords. Dans lequel les couloirs d’école sont remplacés par d’immenses baraques bourgeoises.

     Pourtant on revient souvent sur Scream pour sa dimension réflexive, puisqu’en un sens c’est lui qui a tout réinventé. Avec notamment ces fameuses règles de Randy pour rester en vie dans un film d’horreur ; Lorsqu’il lance la première, à savoir « No sex » on vient juste de quitter Sidney et Billy sur le point de faire l’amour – Et comme pour Jamie Lee on ne verra pas non plus la poitrine de Neve Campbell. Quand Randy se réveille de son coma il dit qu’il n’a jamais autant été ravi d’être encore vierge, sans quoi il serait mort. La virginité. Clin d’œil à Nightmare on elm street, évidemment. Autant qu’au Halloween, de Carpenter. Boucle bouclée. Chef d’œuvre.

Un vampire à Brooklyn (Vampire in Brooklyn) – Wes Craven – 1996

12604704_10153424564902106_8851299881680289900_oNosferatu, le pire.

   2.0   Le film repose à la fois sur une curieuse association et sur leur immense malentendu. Wes Craven et Eddie Murphy. C’est l’huile et l’eau, à priori. Le premier voulait sortir du genre horrifique auquel il a été cantonné, jusqu’à son dernier Freddy qui semblait crier dans chaque plan qu’il en avait marre. Le second souhaitait soudainement évoluer dans un genre différent et espérait au contact de la trempe de l’auteur de People under the stairs, pouvoir offrir des talents autres que son comique façon Le flic de Beverly Hills. C’est d’autant plus amusant de constater que dans la foulée d’Un vampire à Brooklyn, Eddie Murphy tournera Professeur Foldingue et Docteur Dolittle. Cqfd.

     Je ne suis pas un grand connaisseur de la blaxpoitation mais j’imagine que les référents sont à chercher du côté de Blacula et consorts. Sauf que le film de Craven (enfin à ce stade, on serait tenté de dire qu’il est d’Eddie Murphy tant il est l’instigateur de tout) est bien trop terne (une pauvreté mise en scénique encore plus hallucinante que dans certains de ses téléfilms) et sage et s’il ose, son dérapage fait tâche au sein du reste à l’image de la scène de sermon improvisé  à l’humour bien lourdingue où le vampire dans la peau du prêtre vante les mérites du Mal et du Sexe à un public approuvant sans broncher. Ridicule. Reste la transformation de son petit chauffeur/esclave, enfin sa dissolution. Le mec perd une oreille, une main, un oeil et semble bientôt sorti d’un film de Romero mais garde la pêche malgré tout. C’est le running gag du film, assez réjouissant à condition d’être indulgent.

     Je pensais qu’il serait difficile à Craven de tomber aussi bas qu’il le fut pour La créature du marais. Et pourtant. Un vampire à Brooklyn est risible à tout point de vue. Eddie Murphy y est en totale roue libre, forcément. La voix off omniprésente donne envie de filer en courant. Et hormis une scène de cauchemar (encore heureux, on est dans un film de Craven) il n’y a aucune idée de mise en scène. Tout est moche, programmatique, avec des incrustations de Série Z. Je sais que Craven avait besoin de se refaire une santé financière mais là il me fait vraiment de la peine. La bonne nouvelle dans tout ça : Je suis arrivé à Scream. Je jubile.

Freddy sort de la nuit (New Nightmare) – Wes Craven – 1995

31.-freddy-sort-de-la-nuit-new-nightmare-wes-craven-1995-1024x576Le coup de grâce.

   6.5   Contrairement à ses compères de l’horreur (Carpenter et Romero) plus formalistes que lui, Craven aura souvent investi un cadre plus domestique et une structure plastique plus banale et c’est dans ce septième opus de Freddy, mais seulement le second qu’il réalise (bien qu’il ait son importance dans le troisième épisode) qu’il trouve l’apogée de son style entrant dans la trivialité quotidienne de ceux qui ont nourri Freddy et plus particulièrement le premier volet. Comme s’il voulait s’extirper de Freddy à tout prix, Craven en fait une mise en abyme totale, à la manière d’un faux documentaire. Ainsi, Freddy est devenu Robert Englund ; Et Nancy, Heather Langenkamp. Les acteurs qui les jouent. C’est dans cet apparent miroir de la réalité (Wes Craven jouant aussi son propre rôle) que le cinéaste va donner le coup de grâce à une franchise dont ce serait de la complimenter que de simplement dire qu’elle s’essoufflait.

     Craven brise d’un claquement de doigts ou presque ce qui faisait le sel des innombrables suites. Et nous épargne la possibilité qu’un nouveau tâcheron reprenne le flambeau. Il y a cette introduction qui semble reprendre une trame classique déjà croisée auparavant. Mais c’est un leurre. Le gant mécanique puis la main de Freddy dont on aperçoit aussi le pull rayé, appartiennent en réalité à un technicien dans le tournage d’une suite, qui n’en sera pas une puisque ce n’était qu’un rêve. Celui de Heather Langenkamp, dont la vie ne se résume désormais qu’à une multitude d’interviews, durant lesquelles les journalistes lui demandent inlassablement si oui ou non Krueger est mort. Plus tard, sur un plateau télévisé, on lui fera la surprise d’être accompagné par Robert Englund, venu dans son personnage, déguisé et maquillé. Plus tard encore, elle rend visite au producteur Bob Shaye à la New Line, qui lui fait part d’une volonté secrète de Craven : Faire un dernier Freddy. Elle finit alors par croiser Wes Craven, qui lui avoue faire des cauchemars (les mêmes que les siens ?) le poussant à briser définitivement le mythe qu’il a créé.

     Intitulé New Nightmare voire Wes Craven’s New Nightmare, le film fera un bide. Mais Craven n’a jamais évolué comme les autres : Entre deux réussites sauvages et baroques, que sont L’emprise des ténèbres et Le sous-sol de la peur, il pondait Shocker. Rien de bien étonnant alors que de le voir revenir aux sources sans pour autant s’en satisfaire et suivre son processus purement mercantile. Il va donc créer ce retour torturé, vertigineux, qui sera la matrice méta de sa filmo à venir, qui deviendra comme chacun sait, sa plus grosse réussite au box-office. Freddy septième du nom est donc sa première véritable incursion dans le méta-film, terrain de jeu qu’il perpétuera jusqu’à plus soif dans sa saga Scream, sur quatre étages. Mais l’idée est essentiellement d’enterrer l’édifice. On oublie alors l’ambiance cartoon qui irriguait la plupart des suites (pour le meilleur (le 3) et pour le pire (le 6)) ainsi que les bavardages et blagues salaces d’un Freddy devenu beauf, et même dans la foulée les allées et venues rébarbatives rêve/réalité. Cette fois, Freddy Krueger s’invite dans le monde réel. Le titre français est par ailleurs très beau : Freddy sort de la nuit, double signification puisqu’il renait de ses cendres (Des suites toutes plus insipides à mesure) tout en réactivant son mythe en plein jour.

     Et si Krueger réapparait (alors que tout le monde le croyait bel et bien carbonisé à jamais) c’est parce qu’il est guidé par la plume d’un Craven himself en train d’écrire le script du cauchemar éveillé d’Heather Langenkamp. Craven boucle la boucle. Il fait sa propre critique de la saga, jusqu’alors uniquement guidée par des fins commerciales. Et aurait pu en faire son chef d’œuvre s’il ne s’enlisait pas ci et là dans un décorum superficiel et une esthétique volontiers foutraque (La séquence ratée de l’autoroute) jusqu’à un final relativement décevant. Craven avait retrouvé ses couilles. Mais pas au point de faire un truc aussi beau que son Nightmare on Elm Street, aussi sale que La dernière maison sur la gauche et aussi fascinant que son premier Scream.

Le sous-sol de la peur (The People Under The Stairs) – Wes Craven – 1992

le-sous-sol-de-la-peur-1991-9576-1451447238Fool’s gold.

   7.0   Après un aparté nanar avec le dispensable Shocker, Craven expérimente un nouveau terrain de jeu : Une maison pavillonnaire. Rien de neuf à priori, quoique. Ce n’est pas une maison dans une campagne reculée où un couple mettaient en pièces leurs assaillants dans La dernière maison sur la gauche. Ni celle, bourgeoise, qui servira de fête et jeu de massacre quelques années plus tard dans Scream. La maison de The people under the stairs (bannissez-moi ce titre français qui ôte la portée symbolique de l’original) semble hantée ou tout droit sortie d’un conte fantastique.

     Un couple maléfique, qui sont en fait frère et soeur, élèvent une fille à la dure (l’adolescente n’a jamais mis le nez dehors) dans une demeure barricadée de toute part, renfermant des créatures dans sa cave et ses murs. Petits monstres gueulards (si on ne leur a pas coupé la langue) qui sont de jeunes garçons mis au rebut car désobéissants avec lesquels secrètement, Alice, entretient une relation privilégiée : Elle leur fabrique des poupées, leur donne à manger par les évacuations et les suit parfois dans leurs échappées à travers les cloisons labyrinthiques.

     Avant cela, le récit s’ancre à l’extérieur de cette baraque de cinglés, dans des quartiers Noirs insalubres de Los Angeles, dans lesquels les plus démunis, qui ne parviennent pas à payer leurs loyers, sont expulsés sur le champ par un propriétaire mystérieux dont on apprend bientôt où il crèche : Une maison à l’intérieure de laquelle personne n’est dit-on jamais entré. Expérience de cambriolage que vont faire Fool, Leroy (Ving Rhames) et Spenser en forçant les portes de la demeure (pour y trouver de l’or) avant de ne plus pouvoir en sortir et se faire liquider grassement par des hôtes récalcitrants. tous sauf Fool, forcément, qui fera bientôt la connaissance d’Alice. Et des autres.

     Il faut voir Everett McGill et Wendie Robie, curieusement échappés de Twin Peaks (ils y campaient les Hurley) reprendre un couple de psychopathes, racistes et cannibales, sadomaso et hystérique, qui s’appelle mutuellement Man/Woman, pousser des cris improbables, flinguer leurs cloisons à la carabine, danser et/ou pousser la chansonnette chaque fois qu’ils atteignent leur cible. C’est à la fois complètement délirant (le film est très drôle) autant que terrifiant dans la mesure où l’on ne sait jamais jusqu’où Craven va aller – Et le passif du cinéaste y fait beaucoup.

     Je l’avais découvert il y a longtemps mais je n’en avais rien gardé sinon cette ambiance very 80 avec sa musique lourdingue et omniprésente et l’excès burlesque qui irrigue à peu près chaque séquence. Mais c’est un chouette film. Qui gratte le vernis de la bourgeoise Américaine, entre ségrégation raciale et relents pédophiles. Ce n’est sans doute pas aussi inventif et fou que L’emprise des ténèbres mais il y a vraiment un désir d’investir un lieu et de s’en accaparer l’espace impossible (des aérations qui débouchent sur des couloirs, des pièges et trappes à n’en plus finir, des cuves de cadavres) façon chasse au trésor bien gore et macabre.

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