Archives pour la catégorie William Friedkin

La nurse (The guardian) – William Friedkin – 1990

17. La nurse - The guardian - William Friedkin - 1990L’arbre aux gros sabots.

   4.5   Autant on imagine sans mal la promotion du film jouer sur un éventuel rapprochement avec L’exorciste – Après tout, Friedkin y retrouve son inspiration surnaturelle et horrifique, le druidisme y supplantant l’exorcisme – autant il est plus difficile de croire que l’auteur de Sorcerer soit réellement passionné par ce nouveau projet dans lequel il se lance alors qu’il est au creux de la vague, tant tout dedans semble traité par-dessus la jambe, bâclé du point de vue de la dynamique du récit, télévisuel dans l’image.

     Néanmoins, La nurse garde un certain cachet de Série B plutôt savoureux dans la mesure où l’on retrouve des visions chères à Friedkin, des choses plus rugueuses que dans n’importe quel autre produit du genre, d’autant qu’il sait faire grimper la tension, faire éclater ses effets gores et utiliser les acteurs adéquats : Jenny Seagrove, qui incarne Camilla, la nounou bizarre, est à la fois très douce et flippante, charmante et diabolique. Avec ce gros 7 sur l’échelle de Barbara Steele, elle apporte pile ce qu’il faut à ce personnage.

     Ceci étant, par son histoire, le film souffre beaucoup de la comparaison avec La main sur le berceau, de Curtis Hanson, qui sortira deux ans plus tard et qui fera, contrairement au film de Friedkin, un petit carton, prouvant que le fantastique n’allait plus vraiment régner durant les années 90 : Il fallait désormais laisser la place à des réalisations plus classiques et à un réalisme domestique plus sulfureux, apporté entre autre par l’éminent Basic Instinct.

     Un élément fort restera, malgré tout : Cet arbre maléfique, qui aussi cheap soit-il dès l’instant qu’il est en mouvement, dégage une vraie singularité esthétique, avec ses visages d’enfants gravés dans son écorce. Par ailleurs, lors d’une scène en forêt, par sa colorimétrie étrange, le malaise qu’elle crée, le film fait revivre le spectre de La dernière maison sur la gauche. Ça n’ira jamais aussi loin, malheureusement et en l’état, La nurse évoque plutôt La ferme de la terreur, pour rester chez Wes Craven. Pas un nanar mais pas loin.

Police fédérale Los Angeles (To Live and Die in L.A.) – William Friedkin – 1986

02. Police fédérale Los Angeles - To Live and Die in L.A. - William Friedkin - 1986Connexion distordue. 

   8.5   Le polar chez Friedkin est une science de l’absurde. Il n’est jamais fait d’affrontements communs, il n’y a rien ni personne vers quoi/qui ont peut vraiment se rattacher, pas de démarche héroïque loyale ni de soudains revirements humains, les personnages se croisent dans un désespoir ambiant mêlé et partagent un temps avant que ça ne disparaisse, avant que le lien finisse par se diluer dans le dédale absurde de l’existence. En ce sens, le titre original correspond davantage à la démarche voulue par le cinéaste. Vivre et mourir. C’est une boucle. Une place n’est jamais libre, on vous remplace toujours. Un flic meurt en début de film (par excès de zèle et fierté du bon coup solo avant la retraite) et il est remplacé par un autre, plus jeune. Il n’existe plus, il relève déjà du passé.

     Il n’y a d’ailleurs aucune cérémonie funéraire dans le film de Friedkin comme s’il voulait accentuer cet effet de dissolution. Un autre flic meurt en fin de film et cette femme indic qu’il ne lâchait pas, sous peine de lui sucrer sa conditionnelle, se retrouve sous le joug d’un autre, le nouveau, le coéquipier. On monnaye des vies (l’idée de remplacer, d’échanger, inéluctablement) comme on monnaye des billets. Peu de sentiments bon marché ou bien ils sont éphémères. Pas non plus de place aux remords. Adieu les duos de flics habituels, ceux-ci ne semblent jamais attachés les uns aux autres – ça  m’a un peu rappelé les voyous et les flics de Heat, ces personnages soudés mais sans attache, qui vivent en sachant qu’ils peuvent se séparer de tout la seconde suivante et notamment ce flic qui admet vivre parmi les morts qu’ils rencontrent, les voyous qu’il traque.

     Après une entrée en matière qui laisse présager le contraire (ils piègent tous deux un terroriste) le film sépare aussitôt son duo, littéralement, par un saut à l’élastique (tout ne tient qu’à un fil) qui sonne comme une esquisse (d’abord anodine : Un pari réussi) puis très vite en tuant l’acolyte, froidement. Les personnages sont éternellement seuls, engloutis par la ville et quand ils se côtoient ce n’est jamais mieux que provisoire, comme une affaire qui succède à une autre, un voyou qui en remplace un autre. C’est un Los Angeles qui est sale. C’est comme si les palmiers du générique d’introduction avaient été calcinés. Comme si les rues, les routes, les métros (de French Connection) s’étaient transformés en terrain vague géant.

     Si le film fit un four public et critique en son temps c’est probablement parce que tout est bâtard en lui – Un peu dans la continuité de ce que Friedkin avait offert avec Sorcerer. Il est à l’image des quatre personnages masculins centraux : Hart, Chance, Master, Vukovich. C’est comme si chacun d’eux fuyait sa condition de personnage de fiction, en permanence. Hart en mourant prématurément, refusant ainsi de jouer le rôle du good cop en duo avec Chance, puisque le début, dans sa mouvance 80’s très marquée et sous ses allures de Miami Vice (la série de Michael Mann) annonce clairement L’arme fatale, avec le traditionnel mantra de Roger Murtaugh « Too old for this shit » scandé ici une fois la mission inaugurale accomplie, comme dans l’une de ces feel good comédies policières qui verra bientôt son heure de gloire avec les aventures de John McClane. Friedkin dynamite la construction attendue : Jamais le buddy movie n’existera.

     Master, lui, a en apparence tout du parfait méchant, dans sa façon sans scrupule de tuer, d’autant que les traits de Willem Dafoe s’y prêtent convenablement. Il est pourtant en décalage absolu avec l’idée qu’on se fait d’un méchant, on s’attache à lui, non pas qu’il soit hyper charismatique, mais on s’attache à sa mélancolie, sa folie, sa bizarrerie, sa figure artistique un brin grossière pourtant retranchée derrière une mécanique commune : Il semble être animé d’une même passion pour la création de ses toiles autant que pour celle de ses faux billets. Le tout rendu fascinant dans sa façon de se déplacer, de rire, de planer. Il y a quelque chose d’une figure publicitaire du méchant, produit Reaganien en puissance, mais une figure ratée qui ressemblerait presque parfois à Roy Batty, de Blade Runner. Il a cette poésie suicidaire, qu’on retrouve souvent dans le cinéma de Friedkin.

     Il y a aussi Chance, qui lui semble uniquement motivé par son désir de vengeance. C’est drôle car c’est censé être le héros, celui qu’on voit plus que les autres, mais jamais nous ne verrons le bon flic esquissé dans la première scène ni vraiment la pourriture un peu vulgaire esquissée dans les scènes de lit partagées avec son indic. Et enfin il y a Vukovich. Lui c’est particulier puisqu’il arrive après, son entrée est décalée dans le récit. Et quand il prend une vraie place, il est l’éternel remplacent. D’une part de Hart. Bientôt de Chance. On conviendra que c’est une façon un peu étrange, pour ne pas dire complètement casse-gueule, de nous convier à un destin de personnages.

     C’est la limite du film à mon sens et non un défaut. C’est que sa kyrielle de personnages me touche moins que ceux d’un Sorcerer. J’ai besoin de chialer quand ils crèvent, comme lorsque le camion de Cremer et Amidou part en fumée. J’ai besoin de ne cesser de penser à aux quand ils disparaissent du cadre comme lorsque Hackman et Scheider disparaissent dans le fond de l’entrepôt désaffecté sur un coup de feu mystérieux à jamais inexpliqué. Quand on quitte Police fédérale Los Angeles il y a cette rigidité qui domine, liée à la faible générosité romanesque des personnages pour leur condition de personnage. Ils sont comme déjà morts avant de l’être. Et ils sont interchangeables. Puisque Chance est devenu Vukovich et qu’en fin de compte on n’y voit que du feu.

     Bon ça reste une tuerie absolue hein mais c’est le petit bémol qui fait que je ne le place pas au même niveau que Sorcerer ou French Connection. D’ailleurs ce n’était que la deuxième fois que je le voyais, ce n’est pas un hasard. Malgré tout, To live and die in L.A. reste un polar ahurissant, nerveux, poussiéreux dans la lignée de French Connection. Un truc que personne n’a réussi à faire sinon Friedkin, un truc qu’on pourra toujours (mal) imiter mais jamais égaler. Un truc qui s’en va de façon très bizarre. C’est à la fois terrible et anodin. Mais le film est toujours sur cette corde raide, partagé entre une violence sèche et une ambiance cool, à l’image de ce schéma initial convenu très vite dynamité par la construction, la mise en scène et les choix scénaristiques ; à l’image de cette bande sonore endiablée, ancrée 80′s qui offre un style un peu désuet au film sans lui enlever de sa force.

     Même la fin, qui sur le papier n’est autre que la fin logique, prend un autre sens. C’est l’anti-glamour façon Friedkin. Le flic, assommé, devrait périr dans les flammes mais finit par liquider le faussaire en lui vidant son chargeur dessus. Un chargeur dans lequel il doit y avoir deux, trois balles tout au plus. On nous enlève même la jouissance finale de la destruction. Et surtout, la violence de la toute fin annihile cette fin adéquate, glauque, où l’on ne parle plus des morts, ils ont disparus, un autre relais se lance, relais éternel de manigances des vivants au détriment de ceux qui sont tombés. Tout est absurde. Tout est à l’image de cette course-poursuite incroyable aux trois-quarts (sommet du film et sommet du cinéma d’action tout court) où des flics poursuivent/sont poursuivis par des flics, sans le savoir.

L’exorciste (The exorcist) – William Friedkin – 1974

L'exorciste (The exorcist) - William Friedkin - 1974 dans William Friedkin l-exorcisteDémon domestique.

   7.5   Je n’en gardais pour ainsi dire aucun souvenir hormis ces quelques séquences qui en bon standards de terreur ont traversé le temps, les écrans et les souvenirs comme des flashs. En fait, dans sa mécanique et sa construction, même dans son tempo, le film est à peu près tout le contraire de ce à quoi on l’a catalogué. Il s’agit moins de produire de la peur que de la sidération. Moins de scruter le spectacle (gore) que le drame (intime). Il est à l’image de la transformation de Regan : On en voit les secousses mais rarement les séismes. C’est d’autant plus glaçant de jouer sur ce crescendo (jusqu’à son déploiement écœurant : râles, blasphèmes, vomi et crucifix) qui n’a d’autre but que de déplacer le film, le sortir de ses écrous, lui changer de ton, l’enfermer dans une chambre froide. Friedkin avait un culot et une foi dingue dans le cinéma à cette époque : Max Von Sydow qui joue l’exorciste, est sacrifié hors-champ, brutalement. Avant cela, il y a la longue séquence introductive en Irak, mystérieuse. Et il faut bien 45 minutes avant de voir les premières crises de Regan. Et la mère qui n’est plus que le fantôme d’une mère ensuite, hallucinante dans sa retenue et son effacement. Sans compter qu’il n’y a quasi pas de musique alors que je m’attendais à entendre le célèbre morceau en permanence. Le film m’aura vraiment surpris en continu, alors qu’il me semblait assez loin du Friedkin de French Connection et Sorcerer que j’adore. En fait c’est exactement le même. Un vrai sorcier, capable d’aller capter l’inexplicable et la possession, le diable dans l’apprentissage sexuel d’une adolescente, les tourments religieux d’un prêtre en pleine crise de foi, à travers une mise en scène inventive, anxiogène et cauchemardesque jamais vu jusqu’alors.

Jade – William Friedkin – 1995

Jade – William Friedkin - 1995 dans William Friedkin Jade+movieThe mask and mirror.

   3.5   Thriller sulfureux dans la lignée de Basic Insctinct et Sliver (ces trois scénars sont écrits par le même gars) qui ressemble malheureusement plus au second qu’au très beau et vénéneux film de Paul Verhoeven. C’est un film paresseux et sans grand intérêt fait par un Friedkin un peu paumé qui tente de réactiver de sa superbe en lorgnant du côté de Cruising (ambiance SM) et French connection (la grosse course poursuite de bagnoles à mi-chemin) mais tout parait raté, impersonnel, comme s’il n’avait plus cœur à l’ouvrage. Sauvons de cette médiocrité globale une ouverture prometteuse avec ce meurtre hors-champ accompagné du torride score de Loreena McKennitt et cette pluie de masques qui habite ce plan-séquence vide et glaçant ; Ainsi qu’un meurtre bien sauvage dans la rue, un peu plus tard. Quant à ce que le film raconte de ces flics et criminels réversibles, tout est bien trop poussif et grossier pour dégager un semblant de subversif qui avait toujours irrigué l’imagination Friedkinienne.

Sorcerer – William Friedkin – 1978

19_-le-convoi-de-la-peur-sorcerer-william-friedkin-1978Ensorcelés.

   10.0   Février 2013.

     Il est certain que ce n’est pas le film qui me fera aimer Star Wars. Je n’ai jamais eu de grande estime pour la saga culte alors quand j’apprends que les deux films sont sortis en même temps en salle aux Etats-Unis (le Lucas débarquant sur les écrans français quatre mois plus tard, tandis que les fans de Friedkin devaient en attendre dix-huit) et qu’évidemment l’un a dévoré l’autre, et par la même occasion orienté un virage hollywoodien, celui que l’on connaît aujourd’hui, enterrant ces productions folles et audacieuses, je suis profondément malheureux. Sorcerer était un cinéma qu’on ne faisait pas et c’est un cinéma qu’on ne fera plus. Un cinéma de genre, sans genre. Ovni unique, désabusé, déconstruit, brut, sale, dépourvu de coquetterie et de schéma narratif ordonnancé et systématique. En l’état, le seul film qui s’en rapproche un peu, dans la respiration, je pense que c’est The thing de Carpenter. C’est sans doute les deux plus beaux films de genre de tous les temps, en fin de compte.

     On a parfaitement en mémoire le film de Clouzot, dont le film de Friedkin en est le remake ou plutôt il est une nouvelle adaptation du roman d’Arnaud comme Le salaire de la peur l’était vingt-cinq ans avant lui. Sorcerer est forcément moins haletant puisque l’on connaît déjà les rouages, ce qui lui permet de surprendre ailleurs, dans sa qualité de mise en scène notamment, usant d’un dispositif aussi bien emprunté au cinéma d’espionnage qu’à ceux des films d’aventures ou d’action. Friedkin désamorce un peu tout. Il ouvre des pistes et les referme, déplaçant l’épure de l’opus de Clouzot. Il la déplace mais ne l’enterre pas. Quand ce dernier optait pour la sécheresse du suspense, accentuant les séquences de moments délicats de façon à ce qu’elles deviennent des sommets du genre (virage sur le bois pourri, la traversée de la boue, l’explosion du rocher) Friedkin préfère créer une ambiance étrange, à la lisière du fantastique, en variant les angles et en ayant recours à la musique ensorcelante de Tangerine Dream, créant un voyage vers l’enfer, dont on ne sait jamais temporellement où nous nous situons, supplantant le jour à la nuit, les roches vallonnées à une immense jungle luxuriante, le soleil brûlant à une pluie cordée. On gardera bien entendu en mémoire la fameuse scène du pont suspendu mais pas nécessairement pour les mêmes raisons qu’on est marqué par une scène similaire dans Le salaire de la peur. Friedkin crée moins l’essence du suspense qu’il ne produit de la folie. On ne se cramponne plus aux accoudoirs du canapé, on est ballotté par les éléments, au gré des rapides et du vent, entre boues et poussières.

     C’est vrai, le film de Clouzot semble bien propre comparé à la rudesse du Friedkin, dont on a l’impression d’en sortir crotté. Le film de Friedkin est une version crasseuse du classique de Clouzot. On y transpire, on y dégouline de flotte, on y piétine dans la boue. Et les camions sont magnifiques, machines diaboliques transportant en elles déjà cette saleté et cette violence, monstres sur roues rappelant inévitablement celui du Duel de Spielberg. La couleur offre une immersion plus forte, accentuant les contrastes, elle permet surtout de mettre en valeur cet espace, entre longs chemins sableux et forêt menaçante, ce qui manquait un peu dans Le salaire de la peur, Clouzot préférant régulièrement cadrer dans la cabine des véhicules plutôt que de les montrer se faire dévorer par le paysage. En ce sens, le titre original est bien plus proche de l’atmosphère que le film renvoie comparé à ce banal titre français calqué sur la seule dimension de remake comme s’il était impossible, en France, de se séparer de ses réussites. Les deux films adaptent le même récit, cela suffit à en faire des œuvres relativement proches, au moins au niveau de l’histoire, inutile de les accoler comme si le Friedkin dépendait du Clouzot. Enfin qu’importe, on peut aussi penser à une stratégie commerciale, une stratégie de repli, tant Sorcerer fut un naufrage lors de sa sortie outre-atlantique.

     La seule chose que je pouvais reprocher au film de Henri-Georges Clouzot, c’était sa mise en place, archi statique, qui n’avait pour but que de nous faire apprivoiser les personnages, sans pour autant les rendre trop aimables. Bien que par moments un peu longuets dans les enchaînements ronflants de cette première heure, qui existe pour savourer le rythme entêtant de ce qui suivra, on peut le considérer comme légitime pour considérer cette aventure et ces quatre destins à part entière. On ne peut néanmoins s’empêcher de préférer se retrouver dans le camion de Montand et Vanel dont les personnalités sont beaucoup plus développées. Le suspense fonctionne aussi énormément grâce à cela. Ici, l’existence de cette séquence d’exposition en quatre mouvements (et en plusieurs langues) et l’absence de séduction lors de l’approche des personnages en Colombie, place le spectateur dans une curieuse posture : il n’a guère idée de l’identité du dernier survivant comme c’était le cas dans le film de Clouzot qui centrait le récit sur Yves Montand. Inutile de centrer quoi que ce soit d’ailleurs, c’était Montand, c’était déjà un centre à lui seul. Sorcerer s’affranchit d’élément central et l’absence d’une grosse star est finalement une aubaine. Steve Mc Queen, initialement pressenti, aurait nettement perturbé l’équilibre.

     Dans Sorcerer, tout est différent. Le film ne démarre pas dans un bidonville sud américain, mais aux quatre coins du monde, puisqu’il met en exergue ces quatre destins et donne une introduction pour chacun avant de les lier dans le village perdu puis lors du voyage suicidaire. Nilo, un tueur à gages, dont on ne sait rien et dont on ne saura rien. La fascination pour ce personnage existe justement parce que l’on apprendra absolument rien de lui, homme de l’ombre, qui déambule tel un tueur, partout où il se trouve. Kassem, terroriste palestinien, qui échappe de peu à une rafle de Tsahal. Scanlon, petit truand persécuté par la Mafia, dont le dernier braquage se solde par un accident de voiture. Monzon, un banquier probablement en pleine faillite frauduleuse, qui échappe aux balles. Tous s’en sortent, tous fuient leur réalité pour s’enfoncer et se cacher au fin fond d’une Colombie démunie et se retrouvent par coïncidence embarqués dans une aventure dangereuse consistant à transporter par les routes – un hélicoptère ne supporterait pas le voyage – des explosifs piteusement conservés à tel point que le moindre choc pourrait tout faire péter. La nitroglycérine était belle dans Le salaire de la peur, bien disposée dans des bidons d’acier. Elle prend, dans Sorcerer, l’aspect de vieilles caisses remplies de bâtons de dynamite qui suintent le liquide explosif. La crasse s’infiltre absolument partout.

     Si l’on apprend un peu des personnages dans cette introduction en étoile, Friedkin n’en fait jamais des héros, ils resteront des petites ou des grandes frappes, éternels salopards qui échappent d’abord à la mort pour mieux y plonger ensuite, comme ensorcelés, de façon aussi expéditive qu’absurde. Monzon et Kassem auraient pu succomber à des attentats, ils disparaîtront dans l’explosion de leur camion à cause d’une cruelle crevaison. Clouzot n’expliquait rien de cette explosion, seule restait une détonation, un nuage de fumée et un morceau de route sinistrée. C’était une scène magnifique, entièrement vécue du point de vue du second camion. Friedkin en tire autre chose, montrant l’accident, dans un instant particulièrement suspendu de manière à renforcer le caractère absurde d’un destin qui s’acharne, alors que nos loustics venaient de franchir un pont instable et apparemment infranchissable. Aussi, Lino assassine froidement un homme et se fera assassiner froidement par des pilleurs sur les chemins caillouteux laissant Scanlon, seul héritier du butin, dont il ne profitera guère puisque dans une ultime séquence, les mafieux à ses trousses au début le retrouvent dans le village où il offrait une danse à une femme avant de s’envoler en avion. Les personnages meurent comme ils auraient préalablement dû mourir, en somme. Le totem à l’ouverture évoque d’emblée une dimension satanique, que le titre, glissant au travers de l’écran, confirme aussitôt. Le destin leur accordait un répit, transformé en purgatoire via ce voyage initiatique où d’initiation il ne leur reste que le voyage vers la mort.

     Chez Clouzot il y avait de la sympathie forcée pour les personnages et une solidarité exemplaire. Ils voyageaient à quatre. Ici ils sont quatre mais voyagent seuls. Un moment donné Scanlon évoque l’éventuel échec du second camion, se réjouissant de toucher deux fois la prime. Et c’est cette façon de mettre en scène ces quatre destins qui transcendent leur aventure. Etres égarés plongés dans un chaos encore plus grand que celui auquel ils faisaient face jusqu’à maintenant. Les personnages n’ont plus de repères. Where am I going ? répète Scanlon. Et le spectateur n’a plus de repère non plus. Le film ne ressemble à rien de déjà vu. Il y a une espèce d’adéquation parfaite qui se crée, le vertige absolu.

Juin 2015.

     Revu cette merveille pour la première fois sur grand écran et dans sa (SUBLIME) version restaurée. Et cerise sur le gâteau, avec la présentation de JB Thoret, qui en a parlé pendant deux heures. Evidemment c’était passionnant. Evidemment je n’ai pas vu passer la soirée. Evidemment j’ai presque déjà envie de revoir ce film maudit, sorti de nulle part, trop tard qui fut balayé cruellement par la mentalité 80′s en devenir… C’est triste et beau de se dire que ça n’aurait jamais dû exister (en tout cas pas comme ça, en République Dominicaine, avec ces acteurs là…) mais que c’est là, que ça fait partie du patrimoine, que c’est le genre de film que l’on ne fera plus jamais.

French connection – William Friedkin – 1972

French connection - William Friedkin - 1972 dans * 100 1349815057_2Welcome to New York.

   10.0   Plus je le vois plus il me sidère. A tel point que je le considère aujourd’hui après ce nouveau visionnage, dans un blu ray extrêmement granuleux accentuant la saleté qui transpire littéralement tout le film, comme un chef d’œuvre absolu, quasi sans parole, tout en filatures et poursuites. Un sommet du genre. Un polar urbain parfait. J’avais en mémoire surtout quelques scènes d’anthologie (métro, voiture sous les rails, hangar) mais en fait tout le film est sur le même tempo, effréné, anxiogène.

     On est en 1972. French Connection est un film de son époque – Quand Sorcerer semble lui être hors du temps. Deux flics hallucinés – Finis les policiers tous lisses et sages, place à Jimmy « Popeye » Doyle, véritable brute dopé à l’adrénaline, ripou déterminé, violent, abusif et raciste – ont décidés de faire la peau aux trafiquants de Brooklyn dont la dope envahit les rues et remontent petit à petit jusqu’au numéro un mafieux français, Charnier (Fernando Rey) qui permet l’échange entre Marseille et New York. Le film est plus ou moins tiré de faits réels où en 1962 la brigade des stups avait mis la main sur un important trafic avec la France et 50kg de poudre cachée dans les bas de caisse d’une voiture.

     Au moyen d’une mise en scène nerveuse et réaliste (caméra à l’épaule non-stop) Friedkin insuffle à ce polar à priori banal, un rythme qui lui est propre. On n’entrera jamais dans la dimension personnelle des deux poulets, French Connection choisit de montrer les gestes, rien de plus. La filature très souvent en attente, où Gene Hackman semble perdre la sensation de ses orteils dans les rues New-Yorkaises, transis de froid. La filature du trottoir opposé, récurrente ici, dont l’une qui aboutira à une séquence d’anthologie dans le métro. Et en tout début de film une poursuite à pied, effrénée, dans les rues de Harlem qui aboutira à un lynchage total dans un terrain vague par deux flics absolument prêt à tout.

     La fameuse séquence de French Connection c’est celle-ci : Le trafiquant est dans le train, il braque le conducteur pour ne pas qu’il s’arrête à la prochaine station ; Gene Hackman est dans une voiture sous les rails et poursuit sa proie à une vitesse inconsciente, les mimiques sont exagérées illustrant toute sa folie vengeresse, son appétit de violence et d’adrénaline plus que de respect de la justice. L’un des trucs les plus dingues que j’ai pu voir sur un écran. Dix minutes de tension pure aussi limpides qu’aliénées.

     Et une autre séquence formidable encore (James Gray s’en est probablement beaucoup inspiré pour We own the night) après l’échange de la drogue dans un hangar, sous un pont. On est à la toute fin du film, la tension est palpable, le climat a encore gagné en obscurité, c’est pesant. Dans le Gray c’était Joaquin Phoenix, dans le Friedkin c’était Gene Hackman et Roy Scheider. Dans l’un les roseaux, dans l’autre un labyrinthe obscur de ruines, de saletés où les flics là aussi, sont prêt à s’entretuer.

     Friedkin ira jusqu’à engager comme conseillers les flics de la véritable affaire. Un réalisme qui passe inéluctablement par son plus fidèle représentant : la présence de vrais décors. Ainsi le cinéaste tourne tout dehors, entre New York et Marseille et tout en lumière naturelle. C’est l’hiver, c’est brumeux, sale, triste. Il fallait rendre compte de cela. Parti pris renforcé par le choix de filmer majoritairement à l’épaule, où tout sera dynamisé au montage, afin de crée une sorte de réel absolu, proche du docu d’investigation.

     French Connection est un polar incroyable, haletant, idéal, réalisé par un spécialiste du cinéma de genre – partagé entre le fantastique (L’exorciste) et l’action movies. C’est un film tout en ambiguïté et en absurdité. A l’image de l’œuvre entière du cinéaste. La quasi absence musicale accentue ce trouble et cette angoisse qui contamine chaque séquence d’un film construit sur les accalmies et les soubresauts, n’hésitant pas expérimenter leurs extrêmes retranchements, soit varier entre un déroutant statisme et une nervosité de mouvement jamais vu.

Traqué (The Hunted) – William Friedkin – 2003

Traqué (The Hunted) - William Friedkin - 2003 dans William Friedkin p3

En forêt.

   6.7   Rarement un film d’action ne m’avait paru aussi radical. Pourtant, excepté la première séquence, où l’on est plongé en plein Kosovo dévasté, les gun-shot sont utilisés avec parcimonie. Là où Traqué devient l’étalon du genre c’est dans son approche naturelle de l’angoisse, de l’attente, de l’observation. La musique est parfois utilisée pour faire monter la pression mais souvent ce sera le bruit de l’action qui la guidera, qui nous guidera, dans cet univers violent où les sens sont convoqués, trop pour le simple humain. La séquence finale devant la cascade est un monument d’action « face to face » sublime. Donc déjà en terme de film d’action, Traqué est largement réussi puisqu’il est sans temps morts, il s’affranchit entièrement de ce qui fait foirer un film de ce genre 99 fois sur 100, comme les sentiments, la vie personnelle, l’humour décalé (ce n’est pas toujours un mal, Die Hard en est la preuve, mais ici ce n’aurait pas été judicieux), l’abondance d’effets et de coups improbables. Et il y a quelque chose à laquelle je ne m’attendais pas. Le film de Friedkin, outre le fait d’être dotée d’une mise en scène habile, comme c’est souvent le cas chez le bonhomme, parle aussi de la guerre, des méfaits du conditionnement, et replace l’homme à un état animal où l’homme civilisé (représenté ici par les agents, qui tombent comme des mouches) n’est plus rien, où alors simplement réduits à l’état de spectateur. L’histoire se jouera donc entre ces deux hommes, une sorte de combat père/fils (l’un ayant entraîné l’autre à traquer, à tuer), en milieu ouvert, un combat aux poings et au couteau bien entendu. On ne peut même pas qualifier ce retour à l’état animal de réducteur puisqu’il montre l’humain faible, doté d’aucun pouvoir quand il est en jungle. Il y a un retournement des valeurs, ou plutôt de la puissance. L’animal/Le loup/Bénicio del Toro semble intouchable, guidé par ses instincts, commandés par la nature, et dans son milieu, seule une personne pourra l’affronter, l’homme/l’animal qui l’a crée. Tommy Lee Jones, cheveux grisonnants, barbe à la Abraham, a rajeunit de dix ans, il est épatant. Bénicio del Toro, méconnaissable, « louifié » est hallucinant en Rambo meet Colonel Kurtz.


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