Archives pour la catégorie Xavier Beauvois

Albatros – Xavier Beauvois – 2021

18. Albatros - Xavier Beauvois - 2021La mort en son jardin.

   7.5   Le huitième film de Xavier Beauvois s’ouvre sur deux séquences distinctes, paradoxales, qui dépeignent pourtant l’atmosphère du film en son entier. La première se déroule dans une maison, le temps d’un gâteau d’anniversaire où Laurent, par l’intermédiaire d’une alliance cachée comme on le ferait d’une fève dans une galette, demande la main de sa compagne, Julie. La seconde se déroule le long d’une paroi rocheuse de la plage d’Etretat : De jeunes mariés sont photographiés devant la majesté du paysage quand soudain un homme s’écrase à leurs pieds, il vient de sauter de la falaise.

     Ce qui anime Beauvois ici et avant Albatros, dans Le petit lieutenant, c’est l’idée de la rupture, du glissement, qui fait basculer la tonalité dans une autre. A l’instar de cette étrange ouverture, le film va opérer une cassure nette en son mitan. Tout d’abord, il s’agit de suivre le quotidien d’un policier de la ville d’Etretat : Gérer les débordements d’un poivrot (curieux que Beauvois se mette dans ce rôle-là d’ailleurs), un jeune en scooter qui roule sans casque, un cas d’inceste, une opération de déminage sur la plage, la colère d’un agriculteur. Une routine qu’il accepte, dans laquelle il excelle et se sent bien, même si elle empiète parfois sur son intimité.

     En effet, bientôt cette routine se grippe. Laurent (Jérémie Rénier, parfait dans ce rôle taillé sur mesure) est contrarié par les déboires qu’un ami agriculteur a avec un inspecteur agricole. Il s’en mêle de beaucoup trop près, tente de le résonner puis de le sauver. Et récolte finalement tout l’opposé de ce qu’il espérait : Une bavure qui brise l’élan héroïque et droit qui le caractérise. On est en plein cœur du film et le drame est tel, pour Laurent, qu’il impacte tout le film, comme il impactait complètement celui du Petit lieutenant, dont le cœur battait au rythme de celui du personnage campé par Nathalie Baye.

     A cette nomenclature quotidienne parfaitement documentée, se succède un film, un scénario, un personnage en totale évaporation. Comme si d’un coup, lui qui semblait être un monument de droiture, incarnait soudainement les personnages qu’on venait de croiser « de l’autre côté » jusqu’alors. Il s’évapore au sein même de sa cellule familiale. Et disparait dans sa solitude, sa culpabilité et une autre obsession, loin de ses terres. Et si l’Albatros qui donne son titre au film est d’abord incarnée par la maquette d’un trois-mâts qu’il récupère en début de film chez sa grand-mère, c’est bien de Laurent dont il s’agit vite, dans ce titre, cet oiseau, ce voilier dont l’envergure ne parvient plus à s’incarner au sein de la société, qu’il doit quitter afin de renaître.

     Albatros a ceci de troublant, infiniment personnel et inédit chez Beauvois, qu’il met en scène sa propre femme, Marie-Julie Maille, qui est par ailleurs sa monteuse. Mais aussi leur fille, Madeleine Beauvois. On y retrouve aussi toute l’imagerie chrétienne qui se déploie si souvent dans son cinéma, cette idée d’un personnage en souffrance qui ne se relève pas de la dimension absurde du monde. Il filme ici les gendarmes d’une commune normande comme il filmait les femmes des poilus dans Les gardiennes ou les moines dans Des hommes et des dieux. Personnages magnifiques, comme toujours, qui sont le cœur du récit. De leur évaporation à leur résurrection.  

Le petit lieutenant – Xavier Beauvois – 2005

2-1024x560Le fils.

     9.0   Une affaire de glissement : S’il est bien fait, c’est l’une des plus belles choses au cinéma. Le petit lieutenant en question est joué par Jalil Laspert, jeune, ambitieux, fougueux et un excès de zèle qui vient continuellement trahir un manque de lucidité, une volonté de paraître au-dessus, une mauvaise volonté. C’est aussi bien une virée en bagnole avec gyrophare inutile, Antoine est alors maître de la ville, maître du monde. Ou encore le plaisir de se voir avec une arme à feu, façon Travis Bicke dans Taxi Driver. Peut-être qu’il s’agit juste d’un besoin d’appartenance ou de reconnaissance, cette sensation si nouvelle pour lui quand il est entouré de ses collègues et éméchés dans le bar du coin. Apogée adulescent atteint lors d’une discussion avec sa femme (même le mot femme ne lui convient pas, on ne peut y croire) qui tente de comprendre la raison de ce départ soudain vers la capitale, alors qu’elle est au Havre, dans une galère similaire à la sienne.

     Xavier Beauvois a su obtenir quelque chose de saisissant dans les rapports qu’entretient Antoine avec son entourage, et c’est avec le commandant Vaudieu, jouée par Nathalie Baye, qu’il élève son film vers une dimension forte, souterraine, qui éclate peu à peu littéralement. Ce glissement se situe ici. Dans la capacité à s’intéresser à ce personnage féminin, à l’associer à ce petit lieutenant, sans qu’il n’y ait de rapports intimes entre les deux. On en restera au stade de relations de collègues. L’un portant une certaine admiration distante pour sa supérieure, à qui il obéit au doigt et à l’œil. L’autre percevant en ce garçon le fantôme de son fils défunt de la méningite à l’âge de sept ans. « Il aurait l’âge de mon petit lieutenant », dit-elle un moment à cet homme, que l’on sait juge, que l’on imagine être son ancien mari ou amant. Femme rongée par l’alcoolisme qui s’en sort parce qu’elle aime son métier, mais que l’on sent fragile, prête à replonger, qu’elle soit accoudée au comptoir avec seulement du tonic, ayant abandonné son gin il y a deux ans ou simplement à une terrasse chez elle, surplombant Paris. L’alcool est sans doute la tentation la plus difficile à oublier, il est partout. Devant nous, en nous.

     Beauvois filme aussi bien ces deux âmes solitaires, l’un dans son ascension aveugle, l’autre dans une survie stagnante, qu’il filme le quotidien de cette police judiciaire, entre arrestations, planques, entraînement de tir, interrogatoires, découverte d’un corps, autopsie, course poursuite comme il filme tout aussi bien, et dans la majorité du temps ces moments où il ne se passe absolument rien, une discussion banale autour d’un café ou l’attente en général. C’est lorsqu’une virée tourne mal que le film de Xavier Beauvois change de cap. Enfin pas vraiment. Il continue de cerner ce quotidien, de toujours s’intéresser à cette enquête autour de ces deux clochards retrouvés mort au couteau dans le canal Saint-Martin. Et en parallèle ce petit lieutenant, gravement blessé qui se meurt. Cette femme qui perd comme un second enfant. Ce souvenir à jamais gravé qui refait surface, qui ne fait qu’appeler cette tentation à laquelle elle échappe depuis un moment. Xavier Beauvois filme ça avec classe, sobriété, sans musique, sans flash-back, tout est là sous nos yeux, dans les regards des personnages, leurs silences, leurs attentes, une tristesse dans chaque instant comme quelque chose d’inéluctable, une marche sur une plage, un regard qui se perd puis vient fixer la caméra. Un regard qui n’accuse pas, simplement un regard de dépit, de renoncement. Ou peut-être le contraire, un regard coupable qui dit qu’il fallait sans doute passer par-là pour rebondir.

Des hommes et des dieux – Xavier Beauvois – 2010

Des hommes et des dieux - Xavier Beauvois - 2010 dans Cesar du meilleur film

Pas de repos pour les braves.     

   5.5   C’est de l’histoire récente à zone d’ombres et c’est sans doute pour cela qu’elle est cinématographiquement adaptable, pour sa part de mystère qui l’accompagne, car le cinéma n’est-il pas fait pour en parler, le transmettre plutôt que pour le percer ? Xavier Beauvois ne s’intéresse donc pas tant aux faits qui ont engendré la mort de ces moines à Tibhirine qu’à de minutieux portraits de personnages. Filmer leur quotidien, c’est l’objectif premier du cinéaste ; est-ce réussi ? C’est une autre affaire. Pendant la prière, durant leurs repas, leurs activités respectives (le jardin, le bois, le miel, le courrier, les soins…) nous les accompagnons dans leur solitude, leur silence d’ailleurs plutôt en groupe qu’individuellement. Les échanges oraux sont rares, comme employés à bon escient, entre un médecin et ses patients, avec des dirigeants musulmans, mais principalement entre eux, autour d’une table, une fois qu’il est question de quitter ou non le monastère à cause de la présence de terroristes dans la région. Beauvois filme très bien ses interprètes, car c’est vraiment ce que je craignais le plus, que l’on voit du jeu d’acteur, que l’on voit Wilson et Lonsdale, et non deux moines. Leur transparence est d’autant plus réussi que le cinéaste filme chacun des huit moines à temps quasi égal, laisse s’exprimer chacun, les filmer de la même manière dans le groupe, que durant leurs tâches quotidiennes individuelles. Et quand l’heure approche – car il n’est question que de mort, d’une part car l’histoire est déjà écrite, mais aussi parce que tout est construit de manière à y sentir la mort très proche – le cinéaste installe une tension invisible, par la présence des terroristes (reviendront, reviendront pas ?) mais aussi celle de l’armée (le délicat échange autour de la mort d’un terroriste, le moins délicat boucan de leur hélicoptère au-dessus du monastère, les moines en pleine prière). Il manque un ton plus personnel dans le traitement de tout cela, par la mise en scène j’entends, il manque à Des hommes et des dieux une retranscription plus radicale par instants, ou plus comme une captation du réel à d’autres. Il y a une séquence que je trouve particulièrement fabuleuse c’est la cérémonie de la circoncision dans le village d’à côté, c’est cette façon de filmer qui me plait d’une part, d’y perdre les moines dans la foule, de ne rien expliquer de ce que l’on voit, et ce détachement d’autre part car la séquence n’a d’autres vertus que de montrer un quotidien, son prolongement, et non une menace, ou la représentation quelconque d’une menace, comme il est très souvent question dans le film. J’ai l’impression que Beauvois est partagé entre rendre un produit sensationnel tout en restant sobre (la scène du Lac des Cygnes en est le plus bel exemple – on est partagé entre la bonne idée de capter des visages et la moins bonne de forcer notre émotion – ou celle des deux interventions terroristes) et quelque chose de plus aérien, lyrique, moins impersonnel (je pense à deux séquences superbes d’une voiture et ses moines traversant une route attaquée, puis s’engouffrant dans un paysage flamboyant, dévoré par les montagnes et une aube ensoleillée accueillante, ou cette magnifique dernière séquence de moines marchant inéluctablement vers la mort, le blanc de la neige effaçant peu à peu leurs silhouettes). Des hommes et des dieux est loin d’être parfait, et il n’offre pas vraiment plus que ce qu’il a à raconter, mais malgré tout, il me touche énormément car il atteint parfois une forme de justesse, de sobriété qui me plaisent. Et encore une fois, j’ai vu des moines à l’écran, et à mon sens c’est la plus grande réussite du film. Et je ne parle pas de la photo du film en plus, très belle, très soignée, et de ses plans simples, beaux lorsqu’ils durent un peu.


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