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Une vie humble (Smirennaya zhizn) – Aleksandr Sokurov – 1997

51Coma.     

   6.5   Le titre ne ment pas, c’est bien une vie humble que film Sokurov, pour du cinéma qui l’est tout autant. Petit village dans les montagnes japonaises, dans une vieille maison isolée où le cinéaste, tel un conteur, filme une dame âgée, solitaire, la découvrant en train de coudre des kimonos, cuisiner, manger, se coiffer et pour finir réciter une prière à la solitude. De temps en temps, la voix off, qui est celle du réalisateur, vient annoter quelques sentiments, les siens durant ce voyage et la découverte de cette culture traditionnelle. Accompagnée comme c’est toujours le cas chez le cinéaste russe par des images sublimes, poétiques, naturelles, constamment en mouvement, qu’il s’agisse de s’attarder sur le crépitement d’un feu, un vent violent ou lointain ou sur les déplacements des corps humains, cette œuvre, qu’il faut regarder dans un état proche du coma, distille une atmosphère des plus agréable à défaut d’être bouleversante.

Elégie orientale (Vostochnaja elegija) – Aleksandr Sokurov – 1996

Elégie orientale (Vostochnaja elegija) - Aleksandr Sokurov - 1996 dans Aleksandr Sokurov fscje-300x225Dans la brume.

   7.0   Le film défile derrière une épaisse brume, comme s’il s’agissait de lointains souvenirs ou d’un rêve qu’il est difficile de se rappeler. Le narrateur tente de raccrocher ses mots à ce qu’il voit, ce qu’il rêve, ce qu’il se souvient, d’abord d’après la géographie, évoquant son errance dans les lieux, son entrée silencieuse et en apesanteur dans cette nouvelle culture, puis en se penchant sur les témoignages de différentes personnes, sur des évènements du passé, réels ou mythologiques. Enorme travail sur l’image et l’ambiance sonore, tentant de reproduire un état proche de la méditation.

Miel (Bal) – Semih Kaplanoglu – 2010

Miel (Bal) - Semih Kaplanoglu - 2010 dans Semih Kaplanoglu

L’esprit de la ruche.

     5.5   Avant la séance le projectionniste m’a défendu d’aller voir le dernier Lelouch en appuyant ses arguments sur l’affiche, qu’il jugeait très représentative du film. Je n’étais pas spécialement motivé de toute façon, ce sera selon le temps et les films qui me restent à voir. Je prenais alors une place pour Miel, ce film turc auréolé d’un ours d’or à Berlin, qui lui séduisait autant par son affiche que par son titre. Le projectionniste me dit que c’est un film très beau, très contemplatif, que ça devrait donc me plaire. Raté ! Enfin, raté, c’est un grand mot. C’est justement parce que je le trouve trop propre, trop joli, hyper cadré, très calculé en fin de compte qu’il ne m’embarque pas. Je ne sais pas si c’est un film poseur, mais j’ai le sentiment d’un cinéaste qui fait du plan plutôt qu’il ne raconte. Sa caméra est posée ici, puis là, parfois à bon escient – derrière un feuillage alors que le jeune garçon s’en approche, comme pour voir ce qu’il va voir avant qu’il ne le voit – parfois inutilement – les multiples plans à travers le bocal, comme pour insister sur l’effet Graal aux yeux du petit garçon, ou encore ce plan sur le doigt qui se lève et tout le flou autour. C’est un film qui ne vit pas vraiment, tout m’apparaît tellement cadenassé que je vois le travail et non le fruit de ce travail. Il y a deux séquences néanmoins réussies, au point d’entrer dans mes séquences préférées de l’année, au point d’améliorer considérablement le film à mes yeux, pendant la projection comme maintenant, car j’y pense beaucoup. C’est la scène de la recherche sur cette colline, qui sort complètement de ces plans très cadrés, c’est une scène qui prouve que le cinéaste filme incroyablement bien le groupe et quand sa caméra se fait plus mobile, insuffle de la vie à tout ça et une dramaturgie forte. C’est la scène du sceau d’eau où la lune s’y reflète, parce qu’à cet instant je vois un garçon qui découvre les choses de l’univers – ce que tend à être le film en son entier, mais de façon maladroite – et c’est une scène obscure avec comme seule lumière ce petit cercle lunaire que le garçon tente d’attraper, avant de le laisser se reformer lentement dans son reflet. Je suis déçu car j’attendais énormément de ce film. Déception relative évidemment, ne serait-ce que concernant le travail sonore, que j’ai trouvé magnifique, le temps que prend le cinéaste pour apprivoiser cet enfant et le drame qui se dessine autour de lui. Il m’a manqué quelque chose. Ce que j’ai dit précédemment mais aussi la surprise. Tsaï Ming-Liang qui travaille lui aussi beaucoup sur du plan fixe narratif arrive à faire vivre ses plans, en les étirant un maximum ou alors en allant y débusquer des envolées incroyables. Ce n’est pas l’effet que ça me fait ici, ou alors très rarement. J’aurais cependant très bien pu citer la fin du film dans les séquences réussies, car elle est vraiment magnifique.

Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu (You will meet a tall dark stranger) – Woody Allen – 2010

Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu (You will meet a tall dark stranger) - Woody Allen - 2010 dans Woody Allen .vous-allez-rencontrer-un-bel-et-sombre-inconnu-naomi-watts_m

Mais si l’amour.     

   5.5   S’il a perdu sa veine incisive Woody Allen n’en a pour autant pas perdu son ludisme, sa capacité à tisser ses histoires autour de ses personnages. C’était déjà le cas avec Scoop, drôle et attachant. Mais dans ses petites histoires à l’intérieur de la grande, Woody réussit étrangement mieux tout ce qui tourne autour de ces quarantenaires (Naomi Watts, Josh Broslin, Antonio Banderas) moins les autres. J’ai une impression de vieillot à chaque apparition d’Anthony Hopkins, avec sa prostituée écervelée, une impression de film en pantoufle. C’est mignon, un peu mordant parfois, mais tellement anecdotique. Quant à l’ex-femme, la mère du film en somme, tous ces élans spirituels sont tellement appuyés qu’ils lassent. En revanche dès que Woody se penche sur ce couple en crise, parce qu’il n’arrive pas à finaliser son livre et qu’il tombe sous le charme de sa belle voisine, parce qu’elle voudrait fonder une famille, ouvrir sa propre galerie et tombe sous le charme de son supérieur, le film devient beau, touchant et fonctionne très bien. Ce n’est pas un Woody Allen qui me marquera, comme souvent de toute façon. Disons qu’il se situe entre Vicky Cristina Barcelona et Scoop. Un peu mieux que le premier, un peu moins bien que le second. On y pense un peu après coup mais on oublie assez vite.

The American – Anton Corbijn – 2010

The American - Anton Corbijn - 2010 dans Anton Corbijn slideshow_1001652552_2010_the_american_0201Mister Butterfly.

     7.5   Ce n’est pas un polar sur un tueur à gages à la mode Jason Bourne (trilogie que j’aime bien cependant) on est plus dans le registre de l’homme solitaire et seul, pris dans un espace façon Melville. On pense assez au Samouraï, peu au niveau du récit – avant tout centré ici sur la préretraite d’un tueur – davantage au niveau formel, quand la lenteur épouse le quotidien du personnage. Quand on voyait Delon chercher la bonne clé dans un trousseau qui en comptait des dizaines, et cela, Melville prenait le temps de le filmer, presque en temps réel, ici il est récurrent de voir Clooney s’occuper d’un fusil, effectuer des réglages, l’assembler scrupuleusement pièce par pièce, afin que l’objet soit prêt pour un exécuteur. Avant cela, lorsque sa couverture est grillée, dans le fin fond de la Suède, où il est obligé de se séparer en plus de ses assaillants, de la femme avec qui il prenait congé, parce qu’elle découvrait son identité (ou parce qu’il la pensait inquisitrice de tout ça, possibilité peu probable mais non négligeable) l’Américain, car c’est principalement comme ça qu’il sera appelé ou parfois Jack, parfois Edward aussi, prendra le train pour l’Italie, la région des Abruzzes, pour se faire tout petit et attendre son prochain contrat. Et Anton Corbijn (le génial réalisateur de Control, son premier long métrage, qui succédait à de nombreux clips), avec minutie, filme le quotidien de cet homme. Dans la plus banale illustration : musculation matinale, divers repas, virées chez les prostituées, échanges avec le prêtre du quartier, quelques cafés pris ci et là, que Corbijn accompagne du plus profond silence. C’est un film silencieux, dont certains passages rappellent le cinéma de Léone, cité clairement le temps d’une scène où l’on passe Il était une fois dans l’Ouest dans un bar. Mais aussi dans sa représentation Melvilienne : Rapidement appelé pour un nouveau coup dont il n’en sera pas le finisseur, l’Américain se doit donc de préparer une arme pour une collègue. Tout est précis, minutieux, millimétré, incompréhensible aussi lorsque les deux tueurs échangent un jargon du métier qui nous arrive comme charabia, et surtout ancré dans une unité temporelle de façon à ce que l’on éprouve comme l’Américain. En ce sens The American ressemblerait plus à Policier adjectif, autre film vu cette année, sur le quotidien répétitif, solitaire et en temps réel, qu’à n’importe quel film (américain) sur le même sujet. Ou alors à The limits of control, sorti l’an dernier, plus classique cependant que le Jarmusch qui était solaire, ambiant drôle et très radical. Il y a deux scènes que j’aurai enlevées : une scène de bar, lorsque l’Américain observe l’homme qui le poursuit,  je n’aurai rien enlevé de la scène à proprement parler, je l’aurai simplement épuré en enlevant la chanson Tu vuo’ fa’ l’Americano, d’une part je n’en vois pas l’intérêt, si ce n’est comme clin d’œil second degré qui dénote avec le reste du film. J’aurai supprimé aussi les échanges entre le patron et la tueuse, en gros tout ce qui se passe dans le dos de Clooney, dans les toutes dernières scènes du film. Je préfère nettement quand je n’ai aucune avance sur lui. Finalement, la fin montrera qu’il en savait plus qu’on l’imaginait, mais c’est cette sensation que je trouvais remarquable, puisque de toute façon il ne s’agit que d’un film sur les inquiétudes, l’incapacité à se détacher de son passé. Car The American c’est avant tout un film sur l’homme vieillisant – George Clooney toujours beau (peut-être même encore plus que d’habitude) laisse apparaître un visage souvent fatigué, poil grisonnant, renforcé par les interventions de son patron qui lui dit constamment qu’il se ramollit – et sur le désir impossible de tirer un trait sur des choses du passé. C’est aussi ce que cherche Clara, la prostituée avec laquelle il passé le plus clair de son temps (hors travail) et dont il tombe amoureux. Un homme qui reste et restera éternellement seul, c’est ce qu’il serait condamné à être s’il faisait un autre job. Là, il est condamné à la solitude mais surtout à une inquiétude permanente, incapable de faire entièrement confiance en qui que ce soit, incapable de dormir à poings fermés (Et cette tension est bien rendue, elle est présente tout au long du film). Ce qu’il fait le mieux c’est appréhender le monde, calculer son entourage, et dégainer le plus vite possible dans toutes les situations. En retraite, l’Américain n’est alors plus de ce monde, d’une part car il est inutile, aussi parce qu’il représente un danger. Il ne lui reste plus qu’à éviter de disparaître. Il devient papillon le temps d’un envol (des moments de grâce avec Clara) mais ne pourra résister longtemps à cette transformation éphémère.

Massacre à la tronçonneuse (The Texas Chain Saw Massacre) – Tobe Hooper – 1974

texas_chainsaw_massacre_1_lc_03Une nuit en enfer

     9.5   Comme souvent aujourd’hui ça commence en road-movie, une bande d’amis sillonne les routes avec leur minibus, discutent de signes du zodiaque, de cimetières profanés, de vieux abattoirs, de tout et de rien, et tentent de rejoindre la maison de famille abandonnée de deux d’entre eux, un garçon en chaise roulante et sa sœur, accompagnée. On est dans les grands espaces désertiques texans, à l’ambiance singulière que la chaleur vient alourdir. Ils prendront alors un type en stop. Mauvaise pioche ! Le type est un cinglé, fasciné par les couteaux, il n’hésite pas à se taillader la main devant eux, puis à leur demander s’ils peuvent le déposer chez lui. Voyant le groupe refuser sa demande, il décide de faire une entaille au bras du garçon handicapé puis de se tirer du minibus en y laissant un peu de son sang sur les portières. Plus tard, le groupe enfin à destination, s’éparpillera en forêt de façon à trouver de l’essence, un point d’eau ou simplement à passer du bon temps. Lorsque l’un d’eux, un peu trop curieux, fait irruption chez un autochtone, dans une maison d’apparence abandonnée, il tombe nez à nez avec un fou masqué, une masse dans une main, une tronçonneuse dans l’autre, qui le massacre sans pitié. C’est le début du carnage.

     Là où Massacre à la tronçonneuse m’a surpris c’est dans ce parti pris de faire un survival avec seulement cinq victimes – le film dit se baser sur une histoire vraie, juste pour en jeter d’entrée. Je m’attendais à quelque chose de beaucoup plus large, avec un tueur en ville, façon Halloween. Il y a donc ces cinq citoyens américains auxquels on ajoute cette espèce d’auto-stoppeur fou qui se révèle être le frère de LeatherFace, l’homme à la tronçonneuse. Puis il y a aussi un autre homme, celui de la station essence (sans essence) au début du film, qui semble aussi être l’un des frères. On fera aussi la connaissance du grand-père, limite zombie. Si quatre personnages sont très vite massacrés – j’étais choqué par la brièveté des exécutions – une fille résiste et c’est avec elle que le film devient survival génial, entre course effrénée dans les bois et scènes de tortures délirantes. Déjà en tant qu’horreur pure on n’avait en effet pas fait mieux. Rappelons que l’on est en 1974. La dernière demi-heure du film est un truc de malade ! Mais surtout, Massacre à la tronçonneuse a un atout des plus dément : c’est son ambiance sonore, souvent abstraite, des sons stridents sortis de nulle part, des crissements, des cris, des grognements. On n’est pas loin d’un trip psychédélique à la fin dans la maison, avec ces couleurs vives, l’œil puis les lèvres de la jeune femme qui n’en finit plus de crier, les hôtes complètement barjes, qui n’en finissent plus de se marrer. C’est hyper malsain. Le film se termine sans épilogue, rien, dans l’action, une fille qui rit, le visage maculé de sang, un homme qui crie, comme un enfant qu’on prive de son jouet, tronçonneuse levée vers le ciel jaunâtre d’une aube salvatrice excepté pour lui.

Rosetta – Luc & Jean-Pierre Dardenne – 1999

Rosetta - Luc & Jean-Pierre Dardenne - 1999 dans Luc & Jean-Pierre Dardenne rosetta_2La vie moderne.    

   7.0   Il y a quelque chose d’accablant, à première vue, dans ce film des frères Dardenne, on croirait la pauvre Rosetta tout droit sortie d’un film de Lars VonTrier. En fait le miracle naît de cette rencontre avec ce garçon, vendeur de gaufres.

     Rosetta rêve d’avoir un travail normal et à chaque fois qu’elle en tient un, il lui échappe, pas parce qu’elle fait mal son travail mais parce qu’on n’a plus besoin d’elle. Ainsi le film démarre sur les chapeaux de roues, Rosetta marchant pas décidé dans les couloirs d’une usine avant une altercation avec son supérieur qui lui dira simplement que sa période d’essai est terminée. Plus tard c’est dans la boulangerie de cet homme que le problème se réitèrera. Rosetta lorgne alors sur ce garçon, sensiblement du même âge qu’elle. Elle aimerait tellement être à sa place. Pourtant le garçon semble être amoureux. Le temps d’un repas il se passera un truc très fort qui permet au film de prendre un autre chemin, de toucher à une grâce inespérée. Une simple danse voire un simple silence. Rosetta qui ne savait pas aimer est perturbée, elle ne connaît pas ce sentiment. Plus tard elle dénoncera le garçon qui s’était confié à elle, lui montrant qu’il emportait et vendait quelques gaufres à son compte. Rosetta enfile alors le tablier à sa place. Sincèrement, s’il n’y avait pas eu cette scène à deux, complètement détachée du reste, parce que lumineuse, presque improbable, la suite m’aurait probablement révulsé. Ça aurait sans doute été de trop. Probablement ce que j’ai ressenti dans leur dernier, Le silence de Lorna, qui je trouve, ne touche à rien de fabuleux, de divin comme dans leurs autres films.

     Les frères Dardenne ne lâchent jamais leur personnage féminin, pas une seule seconde. Par immersion totale, on suit les périples de la jeune fille confrontée à la dureté de la vie active. Et Rosetta a beau être jeune et forte, pleine de ressources et d’abnégation, en fin de film elle tombera – la trop lourde bouteille de gaz a raison d’elle. C’est ce garçon, pourtant trahi, mais finalement amoureux par-dessus tout qui la relèvera. Fin magnifique, comme très souvent chez les cinéastes belges.

Cindy, the doll is mine – Bertrand Bonello – 2005

Cindy, the doll is mine - Bertrand Bonello - 2005 dans Bertrand Bonello 18438304

Rear screen projections. 

   7.5   Réflexion sur la création artistique et son pouvoir émotionnel, sur le créateur et son modèle. Film d’une quinzaine de minutes intégralement en champ/contre-champ. Asia Argento est une photographe brune, cheveux courts, qui paraît rechercher une émotion imprécise. Asia Argento est aussi son modèle, longue chevelure blonde, au style emprunté aux années 50. D’un côté une fille qui donne des directives, cherche des postures, un cadre, un regard, d’un autre une fille qui obéit à ses directives. C’est la matière même du photographiant face au photographié. Puis il faudra que le modèle pleure, de façon à maculer ses joues de mascaras. Les larmes ne couleront pas, il faudra l’aide d’une ambiance musicale. A travers le modèle désormais en larmes, le créateur se met lui aussi à pleurer. Comme s’il avait projeté ses propres émotions dans ce corps miroir. N’est-ce pas une sorte de fondement de la direction d’acteur ? Sauf qu’ici nous le voyons faire, à travers deux visages qui semblent bientôt n’en faire qu’un seul. Cindy ce pourrait être le nom de cette fille, si le film ne s’inspirait pas ouvertement du travail de Cindy Sherman, la photographe. The doll is mine c’est le nom de la chanson, interprétée par Blonde Redhead, qui fera naître les larmes. Il y a quelque chose de somptueux dans cette représentation théorique : C’est que justement elle vit, nous procure des sensations, et simplement en montrant deux visages, ou du moins le visage d’une femme photographe et la projection de son idée. Le fait de prendre la même actrice pour incarner ce double rôle est quelque chose de miraculeux. C’est l’avènement du créateur et de ses modèles (et non ses acteurs) au sens où l’entendait Bresson.

      Mais ce n’est pas un film qui s’explique, je ne pense pas. Il faut simplement se laisser guider par ses émotions, il n’y a que ça de vrai. Par le silence. Par la musique. Par des mots. Des larmes. Des choses. Par choses j’entends tout ce qui accompagne cette image épurée. Il ne faut pas oublier que l’on est en décor unique durant tout le film, un appartement pour une séance photo, d’une grande complexité dans sa simplicité, un peu comme celui du photographe dans Blow up. Et il y a ces objets qui accompagnent cette séance photo, les poupées dans un premier temps, qui apparaissent dans le premier plan, des poupées plutôt laides, imbriquées les unes dans les autres, comme mortes, c’est déjà quelque chose de terrifiant. La poupée reviendra plus tard dans les bras de la blonde, faisant mine de l’allaiter. L’image est plus douce, plus lumineuse, pourtant c’est à cet instant que la brune demande à son modèle de pleurer, comme si une forme de douleur la rattrapait au galop, à l’image de l’utilisation musicale qui s’ensuit. C’est la violence de la création artistique qui est montrée. Une souffrance muette. Quand la blonde aura réussi à pleurer, elle réussira par la même occasion à faire pleurer la brune. Le faux ou la copie fera pleurer le vrai ou l’original. Ou l’inverse. C’est assez magnifique. Mais le plus beau c’est que l’on peut se raconter sa propre histoire. Libre à nous d’interpréter ce besoin des larmes, ce modèle à la vertical puis très vite mis à l’horizontal, la présence du téléphone, ce curieux bandage autour de son poignet, la tenue vestimentaire, le choix de la couleur des cheveux. Tout est à la fois dans le film et hors du film. Voilà, ça dure à peine quinze minutes et c’est un truc hyper fort, qui semble un peu dialoguer avec The brown bunny. Si Vincent Gallo n’est pas là je ne suis pourtant pas près d’oublier ce regard si rempli de tristesse, si affecté de la belle et double Asia.

Biutiful – Alejandro Gonzalez Iñarritu – 2010

Biutiful - Alejandro Gonzalez Iñarritu - 2010 dans Alejandro Gonzalez Inarritu Biutiful2

Ugly.    

   1.5   Je me suis rendu compte de quelque chose durant la projection : Le cinéma d’Inarritu, lorsqu’il n’a plus Arriaga à ses côtés ni son monteur fou, n’a plus grand intérêt. J’ai beaucoup aimé 21 grammes, et je pense que je l’aimerai toujours aujourd’hui. Dans ce montage déstructuré tout me plaisait, les émotions se décuplaient et même si je le voyais davantage comme un exercice de style cette histoire d’accident et ses répercussions sur trois personnages me prenait vraiment aux tripes. Amores perros, précédemment, était un film brillant mais antipathique. Babel était déjà sur la corde raide. Biutiful est un film absolument insupportable. Déjà par son titre. Puis par sa croyance suffisante en son cinéma, comme si le cinéaste se sentait maintenant intouchable, qu’il pouvait se saisir de n’importe quel mélo, le transformer à tout va, lui insuffler des éléments nouveaux (un petit côté fantastique, mais qui finalement ne l’est pas, avec Inarritu il faut que tout paraisse vrai) et même y injecter des acteurs. 21 grammes était déjà un film d’acteurs, le cinéaste croyait en leurs interactions, il avait raison. Conscient de son talent, Inarritu s’est dit qu’il n’avait plus besoin de tout ça, que Javier Bardem, l’acteur du moment, allait suffire. Acteur américain, mais espagnol. Et hop, Inarritu, comme pour se détacher de tous ces gros benêts amerloques tourne désormais en Espagne, après avoir tourné aux quatre coins du monde avec Babel. Son film n’est que boursouflures. Comme le dernier Vinterberg. Sauf que ce dernier touchait un peu, il y avait comme une sobriété Loachienne dedans. Et pour en arriver à parler de sobriété Loachienne c’est dire à quel point ce Biutiful est hautement insupportable. Je voulais sortir plusieurs fois, mais j’étais curieux, aussi parce que je n’ai jamais rien eu contre le cinéaste mexicain. Mais là, cette prétention, cette suffisance m’ont sauté aux yeux, et dès le début du film. A l’époque de Babel je me souviens encore d’une salle très peu remplie, un cinéma qui n’avait pas encore trouvé son public. Je suis rentré cette fois-ci dans une salle archi comble, pour voir un mélo insignifiant de presque 2h30. Inarritu a donc touché son public, mission accomplie, il en fera encore dix des films comme celui-ci. Reste une certaine maîtrise de mise en scène, notamment lors d’une scène en boite de nuit ou encore quelques envolées vers le ciel de Barcelone mais globalement ce cinéma là n’est plus pour moi. Ce cinéma envahit par des notes de musiques (toujours la même depuis Amores perros) qui sonnent comme des coups de boutoirs. Ce cinéma qui ne laisse aucune lumière y transparaître. Ce cinéma qui se plaît à voir souffrir et pleurer ses personnages. Nombreux sont ceux qui parlent dans la presse de l’abandon du cinéma puzzle pour Inarritu. Mais finalement il fuit encore la linéarité et comme pour s’auto parodier, son début et sa fin sont les mêmes, prises sous un angle différent. Inarritu n’aura donc jamais la décence de faire simple.

Beau travail – Claire Denis – 2000

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Le petit soldat.    

   10.0   Chez lui, à Marseille, un homme se souvient du temps passé en tant qu’adjudant dans la légion étrangère à Djibouti, de ce quotidien si bien huilé, ordonné avant qu’un élément vienne perturber la machine.

     C’est un peloton de la légion perdu en plein désert africain, comme abandonné. Une vingtaine de jeunes recrues partage leur temps entre l’entraînement sportif, les simulations de combat, la lessive, le repassage, la cuisine, la garde et quelques sorties dans les bars de la ville. La routine, dira l’adjudant. Mais nous voyons tout cela comme porté par un envoûtement permanent, le film commence sur une très belle séquence dansante, puis se poursuit par les ballets de corps de légionnaires dans le climat aride et ce sable qui voltige en permanence rendant l’expérience limite cosmique. C’est comme un doux voyage, alors que ce pourrait être extrêmement violent.

     La preuve durant certaines scènes d’entraînement où la cinéaste filment les corps dans les obstacles, qui sautent, rampent, s’agrippent, mais nous ne voyons rien de ces parcours, les plans sont fixes, chaque légionnaire passe alors sous nos yeux, on dirait vraiment un ballet de gymnastes. Les dialogues sont déjà très rares, dans ce genre de séquence aérienne ils n’existent plus, tout passe par l’expression corporelle. Dans une scène similaire on découvre le camp encerclé par le sable à perte de vue, depuis un bateau qui traverserait le fleuve, pendant que chaque homme s’adonne à l’une de leurs responsabilités quotidiennes.

     Il y a aussi la voix de l’adjudant Galoup dans Beau travail, parcimonieuse, si discrète, sous forme de voix-off. Elle accompagne certaines images, parfois elle ne concerne pas ce que l’on voit. Cette voix ce sont comme des pensées, réfléchies, une recherche dans la mémoire, avec beaucoup de recul sur ce passé. L’ex-adjudant semble dire qu’il vivait durant cette période de sa vie, qu’il a perdu ce goût là aujourd’hui. La légion c’était sa vie, ce qui faisait son personnage. C’était un jeu aussi. Un perpétuel concours d’admiration réciproque avec son commandant, un respect mutuel éternel avec sa légion. C’est l’histoire d’un homme perdu, qui a donné toute sa vie à une situation qui lui a échappé, à un schéma de vie qu’il vivait comme s’il rêvait. Sur la forme, étant donné que l’on est véhiculé par les souvenirs d’un homme, il y a parfois des discontinuités, des déstructurations, comme des éléments racontés comme ils viennent, à la volée. Du coup, dès la première séquence de danse, on peut sentir un premier affrontement du regard entre l’adjudant et son légionnaire.

     Car c’est aussi une affaire de jalousie. C’est une nouvelle recrue, Gilles Sentain, qui devient la cause de sa perte. Cette admiration générale centrée sur ce garçon, légionnaire parfait, héroïque à ses heures, toujours disponible. Galoup souffrira beaucoup de cette nouvelle grande présence qui lui fait de l’ombre, principalement auprès du commandant, dont il ne voit là qu’infidélité. Il y a quelque chose d’Apocalypse now là-dedans. Rappelons que le film de Coppola n’est qu’illusion et désillusion sur la fascination d’un homme pour un autre, d’un homme pour une figure emblématique. Le rôle du colonel Kurtz pourrait alors avoir échoué au commandant dans Beau travail, jusque dans leur aspect physique, tellement proche. Et puis il y a un travail similaire sur l’apprivoisement des corps dans un lieu singulier (le long d’un fleuve pour l’un, le désert pour l’autre) et source de folies, de sentiments à leur paroxysme renforcés par l’étrangeté des lieux.

     Dans cette façon de travailler les corps, de les rendre si magnétiques (à l’image de cette séquence musicale où les recrues doivent effectuer une accolade intense musculairement) il y a comme une poussée maximale de l’admiration de l’autre qui amènerait ici à des pulsions homosexuelles refoulées, et symboliserait ce triangle Commandant/Adjudant/Légionnaire comme un amour impossible. Je crois qu’il n’est pas exclu d’y avoir songé, tant les sentiments sont justement décuplés par l’isolation du lieu et par l’entière proximité jour et nuit entre chacun de ces hommes, abandonné dans une immensité dans leur état primitif. Claire Denis filme l’éclosion d’un amour et tout ce que cela engendre, dans la plus pudique de sa représentation.

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