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Une séparation (Jodaeiye Nader az Simin) – Asghar Farhadi – 2011

une-separation-jodaeiye-nader-az-simin-nader-and-simin-a-separation-08-06-4-gLe secret derrière la porte.    

   6.0   Je n’ai pas retrouvé l’utilisation de l’espace qu’il y avait dans A propos d’Elly, cette impression que le cadre était trop grand pour les personnages. Ici, la faute à des choix de lieux assez étroits, le cadrage est soit plus approximatif soit systématiquement en réponse au précédent. Ça ne déborde pas du cadre et c’est beaucoup trop découpé à mon goût, frénétique et moins par le mouvement que par la parole.

     A propos d’Elly était un film quasi irréprochable, dans sa manière de tracer ces chemins de vie, d’apprivoiser les personnages, de les rentrer en collision dans un premier temps par le lieu, puis par la disparition. Il y avait pas mal de L’avventura là-dedans. Et puis il y avait cette fin, sinon explicative, qui libérait le mystère de cette disparition, l’éternel interrogation concernant la mort ou la fugue. C’était raté. Je me souviens m’être dit que j’attendrais énormément Farhadi au tournant – tout de même, un film qui m’avait pris autant aux tripes, il n’y en avait pas des masses cette année-là – avec une inquiétude liée à cette fin qui racontait beaucoup du cinéaste en fin de compte.

     Mes craintes se sont réveillées vers la fin de Une séparation. Une fin ou plutôt la révélation d’un plan caché qui me déçoit beaucoup. Et ce n’est pas tant le fait que l’on me cache une partie du récit qui me gêne, mais que l’on me cache un plan que j’aurai dû voir, une scène que l’on a coupé une heure plus tôt pour retarder l’émotion, l’effet de surprise. Le film tend alors vers l’effet de surprise, l’effet onde de choc où l’on se dit que le cinéaste nous a bien piégé, sauf que ce n’est pas du tout ce que j’ai envie de ressentir devant un film comme celui-ci, qui doit investir sa force dans le présent, ses joutes verbales, ces multiples drames qui se jouent ou qui sont joués, faire réfléchir ses personnages sur une échappatoire. En fait, le problème c’est que la révélation est trop importante. Dans Hors jeu de Jafar Panahi on apprend à la toute fin du film pourquoi cette jeune femme était venue voir ce match de football. Mais cette question est passée au second plan, on l’apprend au moment où l’on a reçu davantage, qu’elle ne change pas l’issue du film, elle le rend seulement un peu plus bouleversant. C’était devenu, grâce au déroulement du film, tout à fait secondaire. Dans Une séparation, cet élément essentiel est caché dans le but de l’affubler en coup de théâtre, c’est dommage.

     Hormis ce détail un peu trop essentiel pour que le film en son entier me le fasse oublier, j’ai trouvé ça extrêmement éprouvant et d’une force incroyable. C’est peut-être même son côté confiné dans l’espace qui me fait cet effet là, mais chaque mot semble avoir une puissance telle que ça en fait l’un des films les plus physiques et violents vu cette année. J’en suis sorti comme de sur un ring.

Hitcher (The hitcher) – Robert Harmon – 1986

hitcher-1986-01-gDon’t stop.    

   6.0   C’est une petite déception comparée à ce que j’en avais comme souvenir. Je me rappelais d’un film beaucoup plus radical –s’il l’est dans le choix d’épurer l’espace, les personnages, la psychologie, il reste bien trop structuré et attendu – mais surtout plus atmosphérique et cruel. Bien que la première séquence du film soit une bonne entrée en matière – la prise en stop – la suite se poursuit selon un schéma très mécanique. En fait on est tellement surpris de revoir Rutger Hauer dans la voiture où se trouvent les enfants, seconde séquence du film, que plus rien n’est surprenant par la suite. Pire, l’utilisation outrancière de l’ellipse est d’une part mal choisie mais d’autre part enlève toute vraisemblance à ce jeu du chat et de la souris, beaucoup plus efficace dans Duel par exemple, film vers lequel il tend à ressembler. Dès l’instant qu’un troisième personnage (Jennifer Jason Leigh) et les flics entrent en jeu c’est un peu mieux car le film ne se contente plus de reproduire ce que l’on connaît déjà, le face à face entre les deux hommes devient plus mystique, entre mise à l’épreuve d’un côté et fascination/transformation de l’autre. Rutger Hauer reste dément en auto-stoppeur psychopathe. Et même si elle aurait mérité, cinématographiquement, un meilleur traitement, j’aime assez l’ambiance du film, désertique, à la Mad Max, avec ces routes sans fin qui traversent des étendues de sables, lieux indépendants, béants, violents, presque sans âme, paysages uniquement modifiés par les aléas du vent, où il est impossible de faire confiance en qui que ce soit.

Double messieurs – Jean-François Stévenin – 1986

35.10L’équipée sauvage.

     8.0   Il me semble que c’est dans la première scène du film – celle qui suit le titre, après un défile d’images insituables – que l’on découvre ce personnage, joué par Stévenin lui-même, dans un avion, fortement attiré par un livre, qu’il surprend sur la table du siège d’à côté, que les légères secousses font glisser avant de le faire tomber au sol. Lorsqu’il le ramasse, il se passe quelque chose d’étrange, comme si les perturbations s’intensifiaient. Tout cela n’est pas vrai, c’est le choc qu’il a reçu en découvrant ce livre qui l’est. Sauf que l’on ne sait pas quel est ni d’où vient ce choc. Double messieurs aura cette faculté d’un bout à l’autre à créer des situations, les étoffer plus tard, les abandonner, en tout cas cette faculté à toujours se reconstruire, par le récit, comme par l’absurde voire le rien. A l’instar des premières images du film, dans un format scope miniaturisé, comme s’il s’agissait d’un film retrouvé, une archive de famille, où s’imbriquent des vues, une maison, un groupe d’adolescents, le plan d’une colo, une sensation de vitesse qui laisse penser à un voyage scolaire, le film de Jean-François Stévenin tendra vers le film montage. Difficile de s’y accrocher dans les premiers temps, un peu comme chez Godard, où l’on a parfois cette impression de devoir prendre un train en marche, puis le film devient intriguant puis passionnant dans sa manière de passer nonchalamment d’une donnée à une autre. Un homme qui en recherche un autre. Une histoire qui remonterait à une colonie de vacances d’il y a vingt-cinq ans. Deux inséparables et un troisième larron qui encaissait les coups. Au tout début du film, le frère de Léo puis l’Ouragan, personnage joué par Jean-Paul Bonnaire, semblent répéter à François la bêtise qu’ils ont fait cet été là. On se croirait presque chez Lynch. Sauf que chez Stévenin tout ne tourne pas autour d’un événement, qui n’aura finalement que peu d’importance, privilégiant l’avancement, le changement, partir de quelque chose, arriver autre part. Un film fou. Fou comme Yves Afonso. Entre agacement et émerveillement, le personnage qu’il campe, plein de tics, de paroles débitées à cent à l’heure, prendra peu à peu le pas sur l’histoire, empruntant le rôle phare à Stévenin lui-même, avant que plus tard il ne se le fasse voler à son tour. Le film se déconstruit puis se reconstruit autrement. Les deux zigotos retrouveront la maison de ce troisième homme, qui restera off pendant tout le film, et lui kidnapperont sa femme, jouée par Carole Bouquet (sublime). Vague histoire mafieuse dans laquelle ils réussiront à se dépêtrer (le centre du film, aussi son point le plus faible, plus statique, comme s’il cherchait à savoir où il voulait aller) puis tous trois partiront vers ces montagnes, l’objectif du retour vers l’enfance clairement réaffiché. En fait c’est probablement ce que j’aime le plus dans ce film, cette manière qu’il a de courir – le film reste une fuite avant tout – vers l’enfance, vers le passé, vers quelque chose de révolu, qui est à peine dans le souvenir, uniquement à revivre – ou à vivre, puisque le personnage féminin ignore véritablement les liens qui existent entre ces deux types et son mari. C’est ce qui le distingue de Maine Océan, film de Rozier sorti la même année (Avec Afonso génial déjà) où le voyage apparaissait systématiquement comme une parenthèse, mais dont on savait l’Habitude prête à réinvestir les personnages. La fuite rêvée puis le retour au vrai, Rozier ne montrant évidemment jamais ce retour au vrai, ou seulement par un nouveau voyage, une nouvelle marche en avant, qui voyait à la fin du film Bernard Menez tenter de rejoindre une route par les sables. Chez Stévenin, la réalité n’existe plus. Elle a existé, à l’inverse de chez un Blier. On peut imaginer que François filait une parfaite petite vie de famille. Et l’on sait que Léo était devenu doublure cascadeur. Mais que tout cela allait éclater. Qu’il n’y aurait plus jamais de réalité. Pour terminer dans les roches neigeuses, où le film s’ouvre, non pas vers une nostalgie souterraine ou une quête rédemptrice attendue, mais vers quelque chose de plus poétique, en faisant naître un amour improbable et en se débarrassant progressivement de son personnage moteur. En fait c’est comme si nous étions retombés en enfance. Tout comme les personnages, mus par un instinct enfantin qui leur fait perdre tout raccrochage possible au réel. Le film glisse donc à plusieurs reprises selon ce point de vue là, cette idée que l’on peut avoir un âge différent dans une même journée – expression employée par Frédéric Bonnaud dans une séquence analysée sur le dvd du film. A l’image de Léo, véritable trublion pendant la moitié du film, parfois incompréhensible, souvent hilarant, image évidente de l’enfance, ne serait-ce que par son travail (doublure de Jean-Paul Belmondo) que dans le mouvement qu’occasionne sa gestuelle si singulière, qui devient, justement à l’approche des montagnes, un corps fatigué, en plein épuisement (la scène de la camionnette) en train, mine de rien, de passer le relais. Laissé de côté pour que la relation d’à côté s’envole littéralement. Double messieurs et bien plus encore.

Damnation (Karhozat) – Béla Tarr – 1987

Damnation (Karhozat) - Béla Tarr - 1987 dans Béla Tarr 18413170

Errance dans un temps suspendu.     

   8.0   Dans le cinéma de Béla Tarr les éléments sont aussi des personnages à part entière, influençant l’homme ou comme vecteur/aimant des corps. Le lieu est resserré dans Damnation, sans doute même davantage que dans ses autres films qui suivront. Pluies et brouillard envahissent l’écran, enfermant définitivement ces corps errants dans le paysage, dans leur solitude. Le temps accordé (et généralement via un plan-séquence unique) reste la particularité du cinéaste hongrois, cherchant à saturer la répétition, la solitude, déformant toute structure temporelle de cinéma afin d’accepter la plongée hypnotique d’un chevauchement personnage/spectateur dans une sorte d’ambiance lugubre. Dans le premier plan du film, il s’agit d’observer le ballai incessant d’une remontée mécanique, bennes de téléphérique industriel, montantes, descendantes, se croisant, laissant chacune le bruit d’un roulement de ferrailles à leur bref passage aux pylônes. Mais il y a toujours à observer dans les plans chez Béla Tarr. La profondeur, l’espace, un léger changement lumineux, une silhouette au loin, le relief du terrain et puis mine de rien ce ballai mécanique devient quelque chose de très troublant, on se met à imaginer sa construction, l’origine de son fonctionnement, ce qu’il pourrait transporter. Puis peu à peu l’objectif se recule, imperceptiblement. Il recule et se décale, on comprend alors que nous regardions le spectacle derrière une fenêtre. En continuant ce travelling arrière minutieux et progressif, nous découvrons un homme, assis à une chaise, dans la pénombre. Nous étions lui finalement. Nous sommes derrière lui maintenant. Volutes de fumée sur la droite du plan accompagnant la cigarette de cette silhouette totalement noire, car le plan n’est illuminé que par des faisceaux lumineux de travers les vitres. Nous ne voyons plus le téléphérique, il a disparu dans le décor brumeux ou simplement flouté par les sources de lumières, par le différend de la prise de vue. Mais il reste présent parce que ce bruit récurrent, cette répétition sont toujours là. Le film continuera ce procédé qui vise à perdre les personnages dans des lieux. Les faire se fondre dans le paysage, désolant, morne, presque apocalyptique. Paysage mort que seule la pluie tente de faire vivre. C’est un amour fort vécu telle une épreuve, un homme qui approche une chanteuse, déjà prise puis au détour d’un mensonge accompli, la belle terminera dans les bras d’un autre homme encore, lors d’une soirée festive hypnotique. Un mystère plane sans cesse dans ce film, une inquiétude mêlée à un sentiment de plénitude singulière. Une fois encore j’ai adoré faire ce voyage et le dernier film de Béla Tarr, prochainement sur nos écrans, s’annonce lui aussi comme un ovni remarquable.

La piscine – Jacques Deray – 1969

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Piège à reflets.    

   8.5   Voilà un film que j’aimais beaucoup avant et que j’aime toujours aujourd’hui. Qu’est-ce qui me plaisait dans ce film, avant ? Etait-ce une question d’ambiance, ce huis-clos si sensuel, si pesant, ou bien était-ce la beauté de chaque personnage, piscine incluse dans ce lieu solaire qui décuple les sentiments ? J’en sais trop rien. Toujours est-il que j’adoube ce film depuis longtemps.

     Ce qui m’a frappé cette fois c’est la manière qu’à le film d’avancer, de faire naître des troubles entre les personnages par quelques silences et la direction des regards. Le huis-clos a son importance puisque c’est lui qui enferme ce quatuor de façon définitive et passe rapidement d’une atmosphère sereine à mystérieuse, entre le passé commun des uns et les tentations au présent des autres. Lors d’une soirée festive, où Ronet ne se gêne pas pour inviter le gratin de St Tropez dans la villa de ses amis, les binômes ne se cassent jamais vraiment, où alors brièvement, comme si les provisoires n’avaient pas d’importance – Delon dansera avec une inconnue sans même la regarder, l’abandonnant sans même lui dire un mot, sans lui offrir le sien.

     La piscine joue évidemment une place majeure dans le film. « C’est la plus belle chose de la maison » dit Romy Schneider un moment donné. Quand l’ami débarque avec sa fille, la piscine exerce son attraction. Ronet y plonge tel un enfant impatient, en faisant une bombe dans l’eau qu’il accompagne de cris improbables. Il n’y aura que son bolide à quatre-roues qui par instant seulement prendra un peu de valeur, un peu fade face au rectangle d’eau. Il y a quoiqu’il en soit l’attirance confirmée pour l’image du confort, sa sensualité comme son danger. Dans l’un le danger est visible, trop ostensible pour laisser vaquer une certaine inquiétude, des personnages comme du spectateur. La piscine est plus mystérieuse, surprenante, elle peut frapper dans l’imprévu. C’est un lieu de désir, de pulsions sexuelles comme dans cette première séquence très solaire où les deux amoureux s’étreignent fougueusement, ou plus tard, dans cette soirée nocturne, à ses abords, le désir prend une dimension plus intense avec ces caresses/coups de fouet à l’aide d’une petit branche, rapport entièrement consentant, comme si le pouvoir que l’endroit exerçait empêchait de ne pas s’y aventurer.

     Puis, la piscine est aussi et surtout le lieu du danger, le vecteur de la chute. Un seul personnage dans le film n’est pas menacé, c’est la fille, Jane Birkin, on le sent dès le début. C’est elle qui a tout à gagner de ces espèces de fusions pulsionnelles. Elle n’ira jamais dans l’eau, elle longera régulièrement les abords, de la piscine comme du petit étang, mais ne s’abandonnera jamais à l’eau, comme si elle en connaissait les risques. Et donc c’est bien entendu le lieu du crime. Un crime de possédé. Un crime où c’est le lieu qui est le coupable. Lorsqu’il fera ses aveux à sa femme, Delon dira « Il a voulu me frapper. Il est tombé dans l’eau. Après je ne sais pas ce qui m’a pris. Je l’ai empêché de sortir ». La piscine exacerbe les sentiments, prend possession de l’âme.

     La beauté du film tient aussi dans son choix de tournage : Outre la particularité d’avoir intégralement tourné le film en double version (français puis anglais pour la version américaine) c’est surtout l’option de tourner au fil du scénario qui fonctionne bien, puisque le but était que l’ambiance de tournage ait son impact dans le film, sur les personnages, mais de façon naturelle, juste grâce au temps, à la durée, le trouble, l’agacement. Ainsi le climat s’automnalise petit à petit et lorsque Delon et Schneider commence à s’éloigner à l’écran c’est aussi ce qui se passa en vrai, l’un ne supportant bientôt plus l’autre, et vice-versa, à force de répétitions de plans (On dit Deray maniaque) et d’enferment en permanence – tournage dans un lieu unique entre juillet et octobre, chaleur éreintante et interdiction de se baigner dans la piscine utilisée pour le film.

     Le parallèle avec le très beau récent film de Maren Ade, Alle anderen, m’a sauté aux yeux. Dans chaque film, le couple au début, relation stable et récente (environ deux ans) semble intouchable, dans une bulle de rêverie pleine d’étoiles. Puis tout se disperse par l’intervention d’un corps extérieur. Et même si je trouve la fin du film allemand beaucoup plus forte et bouleversante que cette banale enquête policière redondante du film de Jacques Deray, j’aime beaucoup l’idée en tout cas que dans l’un on peut se dire que la feinte de la mort ne sauvera peut-être pas le couple alors que le crime et l’aveu de ce crime semblent avoir le pouvoir de faire renaître le couple de l’autre.

Les derniers jours du monde – Jean-Marie & Arnaud Larrieu – 2009

s,725-0d2e75Liberté !

     8.0   Les dernières paroles que l’on entend sont celles de Léo Ferré, ‘(…)c’est ton style, ton style c’est ton cul, c’est ton cul (…)’ ce sur quoi un homme et une femme courent nus en plein Paris juste avant l’Apocalypse. Cette fin, que le titre suggère, ne correspondra jamais à ce que l’on s’y faisait. Au présent, un homme tente de raconter son histoire, plutôt récente, elle date d’un an. Au présent, il a un bras amputé, il semble vivre seul, déambuler dans un Biarritz proche du chaos, sous une pluie de cendre ou envahis par des hommes masqués tout de jaune vêtus. Au passé, ce sont les images de ce qu’il nous raconte que l’on voit, sa vie de famille, puis cette troublante apparition en la présence d’une femme, qui le conduira à l’adultère. Passé et présent se mélangent. Quelques signes ou personnages, ambiances ou objets permettent de les différencier, mais on glisse de l’un à l’autre sans indices, sans évidences, soit lorsque Robinson est enfin seul, devant ce petit livre de cuisine qui lui sert de manuscrit (parce qu’il y a pénurie de papier dans le pays) ou simplement d’une scène à une autre, parce que la précédente se termine. Il n’est pas impossible de le voir aux côtés de sa femme, puis ensuite accompagné de l’ange blanc Laé ou par rencontres régulières avec cette femme qui semble si bien le connaître, lui et son père, récemment disparu en mer. Il n’y a rien de précis, c’est comme si l’on naviguait dans la tête de cet homme. Ce qu’il voit et vit et ce qu’il se rappelle. Si au début le souvenir prend davantage de place qu’ensuite, les lignes temporelles continueront de se mélanger jusqu’à la toute fin du film où elles ne semblent plus faire qu’un. Le film ne devient pas fou, il est fou. Dès les premiers instants. Le fait de ne rien savoir de cette situation inquiétante liée à ce chaos imminent suffit. Le film est vécu de l’intérieur. En accompagnant systématiquement cet homme, complètement en retrait face aux évènements, indifférents aux propositions de sa fille de quitter le pays sur son bateau, refusant par la même occasion les avances de cette femme qui voudrait le conduire jusqu’en Costa Brava. C’est Laé qui le préoccupe. Cet amour clandestin qui s’est estompé, qui a disparu, qui l’a abandonné, on n’en sait dans un premier temps pas grand chose. Et puis cette menace d’apocalypse se confirme. L’eau potable vire au jaune fluo. La terre se met à trembler. On parle aussi d’ogives nucléaires. Le chaos prenait l’apparence d’un problème d’ordre chimique (bouches d’égout ouvertes, hommes masqués, contamination de l’eau courante) avant qu’il ne semble être lié aux nappes phréatiques (éboulements, tremblements) puis aux menaces gouvernementales (renforcement des frontières, missiles nucléaires). Le film ne contrebalance jamais son point de vue. Pas de fin du monde à l’américaine, pas d’effets spéciaux. Tout est vécu d’un point de vue humain, qui devient multiple, parce qu’il se charge de raconter une époque et une autre. De s’attarder sur des personnages et sur d’autres. De surprendre par des détails ou des trucs incroyablement imposants. On y échange un morceau de viande contre un vélo, on conduit une camionnette avec un masque de plongée parce qu’il n’y a plus de pare-brise puis de nombreux personnages se mettent à mourir tous en cœur dans un effet boule de neige. Et on baise ! Ombeline (Catherine Frot) voudrait s’offrir à Robinson toute la journée en buvant du vin. Laé déambule entièrement nue dans la majorité de ses apparitions. Lorsque Robinson retrouve sa femme sur Toulouse – devenue capitale de la France parce que Paris est sous les bombes – et alors qu’ils sont séparés, là-aussi il n’est plus question que de sexe car comme le dira t-elle « C’est fou c’qu’on baise quand ça va mal ». Le dernier film des frères Larrieu s’apparente à quelque chose de plus passionnel et pulsionnel qu’autre chose, comme si cette fin du monde matérialisait toutes les envies et les propulsait en remparts aux évènements. Du même coup on se fiche de cette fin du monde. Elle n’est pas vécue comme un cauchemar ni comme quelque chose de tragique. C’est un récit extrêmement drôle qui vient nourrir toute cette utopie du plaisir avant la mort. Parce qu’il y a des morts en plus, dans le chaos qui se propage des coups de folies surgissent – Une femme déçue se tranche la gorge, un homme terriblement amoureux fait le saut de l’ange – et des attentats se multiplient – le tir de rocket. Mais ce n’est jamais grave, toujours fou et génial. C’est un film d’une liberté absolue, complètement fou et foutraque et pourtant c’est tout à fait lisible, très beau, très poétique – quelle fin magnifique !

Nous, princesses de Clèves – Régis Sauder – 2011

48Passe ton bac d’abord. 

     5.0   Un regard intéressant est porté sur l’adolescence et le parallèle effectué entre une petite dizaine d’entre eux et le destin de la princesse de Clèves relève du rapprochement apologique des contraires, enfin en principe. Contraire par l’époque, creux de plus de quatre siècles, contraires par les mœurs – diversité du choix et des possibles face à une intransigeance de l’obligation conjugale. Ce petit film un peu documentaire, un peu essai pédagogique, un peu satire virulente d’une société qui enfoui la culture (pied de nez à l’allusion révoltante du président de la république face au patrimoine littéraire culturel) brosse à la fois le portrait d’une génération qui souffre, à l’école (le bac approche, les désillusions grandissent), à la maison (le fossé se creuse avec les parents) ou face à la société (trouver sa place) et met aussi en scène, comme un cours de théâtre, et régulièrement, la lecture du texte de Madame de Lafayette récité face caméra par ces mêmes ados. Evoquer le texte véritable, évoquer ses répercussions sur des sentiments, des idées et évoquer les ressemblances en miroirs entre les personnages centraux, qu’il s’agisse de ceux d’antan, la princesse autant que Madame de Chartres, sa mère, que ceux d’aujourd’hui, jeunes et parents du XXIe siècle. Belle ambition qui rappelle quelque peu L’esquive d’Abdelatif Kechiche, même si ce dernier abandonnait toute pression du réel, se concentrant sur son objectif fictionnel ultra naturaliste. La grande différence, c’est malheureusement la mise en scène. Bien que je ne sois pas un grand admirateur du premier film du réalisateur de Vénus noire, trop emprunt d’une recherche de la performance, du malaise qui lui ôte rapidement sa beauté, son intelligence – tout l’inverse d’un Pialat par exemple – il faut reconnaître qu’il y avait une incroyable force mise en scénique de plongée dans le quartier, une vitalité, la violence des discussions, la magnificence improbable des rencontres, l’effroi d’un contrôle de police. Régis Sauder s’est contenté de faire un film qui ne propose pas grand chose à ce niveau là, un film sans relief, comme si l’écriture pouvait suffire. Quelque chose de très écrit et du même coup très pâle, très plat dans sa représentation cinématographique. Ce serait une pièce de théâtre, déjà ce serait beaucoup mieux, les images seraient les mêmes. Il y a néanmoins deux trois envolées particulièrement fortes, entre un visage coincé dans les contours d’une fenêtre qui donne sur une grue de chantier (plan Costaïen) ou un corps désarticulé dans les hautes herbes d’un terrain vague qui dit vouloir voler de ses propres ailes ; mais très peu de fulgurances, d’émotions palpables (qu’elles soient lumineuses comme chez Pialat ou éprouvantes comme chez Kechiche) que l’on remplace ici par des constructions banales de plans pleins et maladroits.

Fast and Furious 5 (Fast Five) – Justin Lin – 2011

Fast and Furious 5 (Fast Five) - Justin Lin - 2011 dans Fast & Furious Fast-Five

Table rase.   

   5.5   Le Furious a disparu du titre original comme si la série voulait montrer avant tout le reste qu’elle était Fast. Fast Five comme si elle passait la cinquième, l’asphalte va encore trembler, la poussière tournoyer, les pneus crisser, les pots d’échappement s’enflammer. A peine en fin de compte. Si l’on veut retrouver les Run à n’en plus finir du premier volet c’est la déception. Si l’on veut retrouver ce montage hyper stylisé mode cinématique Gran Turismo c’est aussi peine perdue. Non pas que Fast five se sépare de l’action pure, et plus particulièrement de l’action au volant, mais simplement qu’il devient film de casse avant tout. On pense finalement davantage à Ocean’s eleven qu’au premier Fast and Furious. Film de casse qui débute par un petit braquage de train où il s’agit ni plus ni moins de voler des bagnoles (une GT40 très convoitée entre autres) avant que toute la troupe au grand complet (Toretto, O’Connor, Roman et consorts) n’envisage de s’attaquer au plus grand baron de la pègre de Rio (il faut savoir que nos génies du volant sont fichés à mort aux Etats-Unis), un certain Reyes qui contient des planques de frics à millions de dollars. Une simple puce dans l’autoradio d’une petite quatre-roues bleus avec deux bandes blanches est le relais d’une attaque assez spectaculaire qui prendra toute la dernière moitié du film. En fait, pas si spectaculaire que ça. Disons, moins petit malin en tout cas que le film de Soderbergh. A l’image du casse lui-même, puisque sa préparation bien que réfléchie, calculée, méthodique ne se déroulera à aucun moment comme prévu, Toretto alias Vin Diesel préférant, parce qu’il est désormais un peu tard, d’oublier la finesse – je le cite. Le petit plus de ce cinquième volet c’est ce à quoi nous avons le droit en face. Il y a toujours eu des grands méchants dans cette saga et c’est probablement dans celui-ci qu’il aurait dû être plus impressionnant que les autres, proportionnellement à ce qu’il détient. Mais en fait, bien qu’il ne soit pas très aimable tout de même, ce n’est jamais de Reyes que nous avons peur, à l’image de la fin où il se fait tuer froidement de deux balles en pleine tête comme si nous n’en avions plus rien à secouer. Non, le vrai type flippant de ce volet est un flic. Dwayne Johnson, alias The Rock, campe un policier d’intervention sans scrupules, le plus réputé de tous, qui ne laisse jamais ses proies s’en sortir. Quelques séquences verbales délicieuses, interventions musclées et combat improbable avec l’autre dinosaure du film Vin Diesel viennent parfaire l’aura Goliathesque du personnage. Mais le plus important de Fast Five : Comment le film s’en sort-il en tant que divertissement pop-corn ? Ma foi plutôt bien, plutôt même très bien. Les 2h10 – courageuses pour ce type de film – passent comme une lettre à la poste. L’invraisemblance des scènes d’action (plus c’est improbable mieux c’est) n’a d’égal que la cool attitude façon vannes sur vannes qui se dégage de l’ensemble. Avec en prime une petite surprise pour les fans en guise de twist final déjà pas délaissé puisque la bande au complet faisait déjà son effet – La drôlerie systématique de « Roman » et Ludacris en tête. On regrettera que le film ne prenne pas davantage de risques – probablement qu’il est réalisé en pensant à l’opus suivant – faisant mourir un personnage clé de Fast and Furious mais devenu obsolète pour ne pas dire inutile, dommage aussi qu’il se complaise à de trop nombreux instants dans un sentimentalo-romantisme laborieux (« Moi j’ai pas de souvenir de mon papa », « faites attention à ma sister enceinte », « moi j’suis flic parce que mon mari était flic et s’est fait liquider devant sa porte ») comme psychologie de comptoir justement parce qu’elle est surlignée, jamais suggérée alors que ça aurait largement suffit. C’est certain que cinématographiquement c’est un peu le point mort, et si l’on éprouve aucune sympathie pour le premier volet c’est cuit, mais le film se révèle doué – plus que les épisodes précédents – en tant que spectacle musclé, décomplexé, jouissif et hypnotique. Et ce n’est déjà pas si mal.

Le gamin au vélo – Jean-Pierre & Luc Dardenne – 2011

Le gamin au vélo - Jean-Pierre & Luc Dardenne - 2011 dans Luc & Jean-Pierre Dardenne le-gamin-au-velo-05-10441166gdmwz_1798

     7.0   Film à la fois dans la continuité de ce que proposent les frères Dardenne depuis leurs débuts, depuis La Promesse, auquel on pense beaucoup ici, autant qu’il suggère une certaine cassure par l’utilisation musicale que par l’idée même de prendre Cécile de France au casting. Jusqu’ici, les acteurs aujourd’hui connus qui ont joués chez les Dardenne (Jérémie Rénier, Emilie Dequenne, Olivier Gourmet, Deborah François) l’ont été grâce aux Dardenne. Ce sont des « stars » nés via le cinéma Dardennien. C’est donc la première fois que les frangins filment une actrice déjà star. Inquiétude à son paroxysme lorsque l’on apprend qu’il s’agit de Cécile de France donc, actrice moyenne, généralement trop dans l’emphase enfantine pour convaincre. Cet air qu’elle se donne habituellement (mention spéciale chez Klapisch, une horreur) n’a pas complètement disparu dans Le gamin au vélo, mais il se fait plus discret, il se fond dans le comportement de son personnage. Pour une fois ça sonne vrai, et sans doute que ça la rapproche miraculeusement à nos yeux de ce petit bonhomme, campé par un Thomas Doret fabuleux. C’est toute la frénésie du cinéma Dardennien qui s’empare de son corps, le fait courir, se battre, monter aux arbres, pédaler, crier, mordre, sauter par-dessus les murs. Il est sur le qui-vive sans cesse. Un père absent qu’il recherche, une déception, un déplacement paternel vers un adolescent du quartier. C’est au détour d’une séquence anodine qu’un rapprochement improbable avec une jeune femme va permettent la construction d’une relation maternelle, protectrice, au-delà de toute explication banale. On ne saura rien du passé de la jeune femme, comme nous ne saurons pas non plus clairement pourquoi cet homme doit abandonner son fils. Il n’y aucun éclairage apporté au passé chez Les Dardenne, tout est là, brut de pomme, au présent, accentuant cette idée géniale de course, aussi intense que mystérieuse. C’est sans doute bien la première fois que la caméra des cinéastes bouge si peu, ce qu’ils avaient déjà amorcés avec Le silence de Lorna. C’est comme si l’on ressentait une certaine maturité finalement à les voir faire ce cinéma habituel, que l’on reconnaît entre mille, et pourtant se renouvèle sans cesse. Ces bouleversements auraient pu témoigner d’un penchant dommageable vers le film social mainstream, où l’on se serait mit à regretter les miracles incandescents, bouleversants et simples qu’étaient Le fils et L’enfant. Et bien non, Le gamin au vélo reste dans cette veine là, moins radical dans ses intentions cinématographiques c’est vrai, mais toujours aussi puissant sur ce qu’il raconte de l’absence, de la filiation, de la quête d’un modèle, de cet optimisme permanent qui naît de ces personnalités au premier abord indiscernables et invulnérables. Les trois moments musicaux utilisés, durant chacun à peine quelques secondes, construisent une symphonie en trois actes, qui se déplace imperceptiblement du père vers l’ado vers la jeune femme comme autant d’étape d’une construction personnelle bien trop rapide et fulgurante pour qu’elle ne se réalise sans encombre. Le gamin pourrait très bien ne plus être à la toute fin du film, les frères Dardenne préférant lui offrir le mystère d’une résurrection s’en allant au travers des feuillages, devenus berceau fantastique et mystique, puis quittant le cadre au guidon de son vélo.

La solitude des nombres premiers (La solitudine dei numeri primi) – Saverio Costanzo – 2011

10_-la-solitude-des-nombres-premiers-la-solitudine-dei-numeri-primi-saverio-costanzo-2011 Trauma.  

   8.5   La réussite tient dans le mélange des genres. La première séquence oppressante voit un spectacle d’enfants, maquillés, déguisés, en musique. La manière de filmer, ici la variation entre gros plans, panoramiques, plans miroirs, l’ambiance sonore utilisée et les gros intertitres colorés du générique rappellent d’emblée le cinéma d’horreur, plus exactement le cinéma italien, plus exactement Dario Argento. Après cette longue introduction impressionnante dont on se demande où elle veut bien nous mener – il s’agit d’enfants tout de même – un cri vient interrompre la représentation. Le cri c’est aussi le prolongement de toute ambiance funèbre dans chaque film d’horreur, le résultat d’une souffrance muette avant qu’elle ne devienne stridente. Ce cri là c’est celui d’un enfant, faisant partie de la troupe, tétanisé, que l’on accompagne en coulisse presque sans inquiétudes indiquant la nature habituelle de cette crise. Le film a glissé. On ne s’en rend pas encore bien compte, mais il est passé du film d’épouvante au mélo. Et il va bientôt brillamment montrer, de façon aussi originale qu’excitante, que l’on peut lier les deux genres. Pour tout fan de giallo, c’est un doux rêve qui se réalise.

     1984, 1991, 1998, 2007. Autant d’années durant lesquelles nous allons suivre Alice et Mattia. Les cartons vont se succéder en début de film, s’éloignant des schémas habituels où l’on consacre une année à une partie. Le film ne cessera d’aller et venir entre les différentes périodes, créant un climat étrange de perte de repère. Le fait de prendre des interprètes chaque fois différents et ne se ressemblant pas vraiment entre les parties est une riche idée qui accentue l’aspect du corps qui ne peut s’intégrer, obligé chaque fois d’être autre pour surmonter les étapes. Nous verrons trois visages différents pour chaque personnage suivant l’année dans laquelle il se situe. Et par un savant montage d’imbrication c’est comme s’il n’existait plus ni flash-back, ni présent. Le but étant de se familiariser avec les personnages à l’aveugle, suivant les étapes qu’il va franchir, et non directement en le liant à un événement traumatisant de son enfance. Il y a un traumatisme mais il apparaîtra bien plus tard. Du coup il y a une empathie démesurée c’est évident mais moins liée au traumatisme qu’à leur solitude. Cet état qui naît dès l’enfance avec des parents soient exécrables soient incompréhensifs, et se prolonge dans l’adolescence, âge ingrat sous toutes ses formes jusqu’à l’âge adulte où il est finalement déjà trop tard.

     Alice boite depuis qu’elle est toute petite. Au collège, on l’appelle la boiteuse. Elle se renferme totalement sur elle, même si l’espoir naît de cette jeune bimbo, Viola, qui s’intéresse soudainement à elle, tente de la faire exister. Mattia ne parle presque pas, il s’auto mutile, il est en somme le cinglé de l’école. Même un garçon de son âge, timide et lui aussi renfermé de parviendra pas à faire de Mattia un ami, en tentant de venir à bout de cette carapace. C’est un miroir aussi intéressant que surprenant. Il semble que si l’une essaie de combattre ce traumatisme qui ne lui a apporté des autres que pitié et indifférence, l’autre semble se complaire dans l’auto flagellation, refusant de parvenir à une certaine forme de respect de soi. Les traumatismes révèleront évidemment les réponses à ces questionnements, dans une séquence au montage presque épileptique et cinétique, point d’orgue de ce qu’il était jusqu’à maintenant. Et le jeu du film, morbide, voire mortifère se poursuit même dans ce genre de scènes qui font aussi flippé que froid dans le dos. L’émotion n’arrive pas vraiment de cette double révélation, c’est tellement sombre qu’on est dans un premier temps mal à l’aise. Une sale tempête de neige contre une nuit pluvieuse. L’éminence d’un accident contre celle d’une malveillance enfantine. Le giallo apparaît encore plus dément lorsque l’horrible voyage d’Alice – onirique ou pas – l’embarque vers l’enfance de son ami, où elle passe dans un appartement devenu forêt – La forêt au cinéma est toujours transitoire, on l’a vu récemment dans Tomboy – le tout dans une ambiance cauchemardesque rappelant inévitablement Suspiria, Carrie, peut-être même Répulsion. C’est aussi flippant que bouleversant. Saverio Costanzo a presque créé un genre. Sa réalisation est en adéquation avec ses personnages. Elle traduit parfaitement cet état d’oppression, cette gêne perpétuelle face à l’autre, cette manière de passer d’un état à un autre. De vivre cela de l’intérieur, puisque nous sommes systématiquement aux côtés de l’un ou de l’autre, accentue le cloisonnement et le regard apeuré qu’ils portent tous deux sur le monde. La gêne et la honte aux confins de la folie. Cet effet giallo correspond assez bien à l’idée baroque que l’on peut se faire d’une telle solitude traumatique. Le film pourrait tomber dans l’excès mais curieusement il reste au stade de l’imagination. Quand Alice brandit un bout de miroir cassé elle finit par se raviser. Quand elle embarque Mattia vers le mariage de Viola on se prépare inutilement à un possible carnage. Chaque fois qu’une scène de l’enfance est jouée, on craint systématiquement le drame. Le film est plein de fausses pistes

     Mais plus qu’un miroir le film se veut un croisement entre deux âmes traumatisées. C’est donc aussi une magnifique histoire d’amour. Ou plutôt de sentiments, refoulés, que l’on s’interdit, que l’on bataille pour laisser surgir. Un symbiose difficile à éclore. Une fusion qui prendra des années. Entre acceptation de l’autre puis surtout de soi. Adolescents ils auront dansé ensemble. Ils n’étaient pas loin de s’embrasser parce qu’Alice en avait envie – poussée par le phénomène Viola – mais c’était contre l’envie du garçon. Tu ne diras rien à personne, lui demandait Alice. Phrase si douloureuse, si représentative de tout ce mal-être qui les animait. Ils seront toujours en contact quelques années plus tard mais leurs occupations – la photo pour elle, les mathématiques pour lui – auront pris trop de place. Il faudra un ultime carton « Sept ans plus tard » pour que le récit ne se disperse plus. C’est l’heure. C’est un simple message qui va provoquer l’union. Et c’est sous Bette Davis eyes de Kim Carnes que la plus belle scène du film se met en marche. Lui qui patiente derrière la porte. Elle qui s’habille au plus vite et du mieux qu’elle peut. Les visages ont l’air de ne jamais avoir autant souffert. Fausse fin, puisque la vraie se terminera sur un banc. Ce banc maudit, ineffaçable. Un dernier voyage comme expiation du passé. Cette main qui passe dans ces cheveux, ces visages qui se rapprochent et en hors-champ, comme un symbole, le baiser de la fin, qui annonce un début. Magnifique.

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silencio


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