3.5 J’étais surpris de voir à quel point fonctionnait plutôt bien la première partie du film. Tout est relatif évidemment, on est chez Jean Becker, très souvent les dialogues sonnent faux, la mise en scène est sans extravagance, généralement en champ/contrechamp et les mots des uns arrivent en réponse à ceux des autres du tac au tac, sans donner de vie, sans passer au-delà de l’écriture. Deux jours à tuer ne déroge pas à cette règle, pourtant pour la première fois j’ai l’impression que Becker a voulu un peu faire son Blier, qu’il en a eu marre de ses gentils personnages habituels, toujours bien dans leurs pompes, toujours irréprochables même quand ils ne sont pas aimables. Non cette fois-ci il s’agit d’un homme qui décide du jour au lendemain de tout envoyer balader. Sans doute qu’il s’est réveillé un matin, et qu’un excès de clairvoyance lui a permit de se rendre compte de la vacuité de son existence. Un bon boulot fait de mensonges qui lui rapportent gros, une jolie petite femme au foyer, deux enfants, des amis qui ne parlent que de leurs réussites, tout ça il en a soudainement tellement marre qu’il envoi tout bouler de façon assez jubilatoire à défaut d’être comique. Oui, car c’est fait méchamment, à la manière de Dewaere dans Coup de tête, mais c’est différent car les gens autour de lui ne lui ont pas fait grand chose si ce n’est d’avoir été comme lui, de l’avoir suivi, de l’avoir aimé. Le film marche donc un temps parce qu’il surprend, il est limite malsain, comme durant ce repas de famille où il critique un à un les dessins que ses enfants lui ont offerts pour son anniversaire, ou encore lorsque dans une fête lui étant concerné, il déballe ses quatre vérités à ses amis convives les humiliant tour à tour, jusqu’à sa propre femme. Je n’aime pas ce que cherche à dire le cinéaste avec ce personnage pour lequel il espère que l’on va s’attacher, mais je me dis que quelque chose peut émerger de tout ça. Non, le gros problème c’est la deuxième partie du film, c’est le revers de la médaille, celui qui montre la véritable identité de Becker. On découvre un Dupontel qui a tout lâché pour retourner voir son père en Irlande, qu’il n’avait pas vu depuis trente ans, ce père qui avait fui tout comme lui le domicile familial à l’époque et ne fait dorénavant que pêcher à la mouche. Deux trucs fondamentaux me répugnent alors au plus haut point. On apprend d’une part, dans les cinq dernières minutes, que cet homme (Dupontel) est malade, comme un twist, qu’il a fait tout ça parce qu’il n’avait plus que quelques jours à vivre. Manipulation affective et donc narrative depuis le début, et le film tombe dans un atroce pathos, c’est une chose. Mais le pire c’est ce que cherche à dire Becker : Cet homme a envoyé balader tout son entourage c’était dans son droit, mais c’est cette façon de le faire qui est finalement plus que disgracieuse, carrément répugnante. Sauf que la fin permet une inversion des choses, avec la présence du père qui ne répondait jamais aux lettres de ses petits enfants : Tout cela n’était que mascarade mais comme cet homme était malade il ne faut pas trop lui en vouloir, il a agit dans le bien de tous. D’autant plus sale lorsque le film se termine sur les retrouvailles du grand-père venu annoncer la mort de son fils auprès d’une famille qu’il ne connaît pas, et sur ce dernier plan d’une femme qui pleure, parce qu’en fin de compte c’est elle la coupable. Becker n’avait en fait rien à dire de nouveau, il s’est fait passer pour le méchant loup pendant les trois quarts de son film pour ne déboucher que sur son habituel cinéma de misère et réac, déballant son couplet pantouflard sur la vieillesse et la mort.
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« On pleure pendant La Rafle parce que… on ne peut que pleurer. »
1.0 La base du projet : raconter les faits tragiques de la rafle du Vel d’Hiv. Il n’existe rien de plus noble. Encore faut-il le faire avec modestie, c’est une première chose. Ce qui n’est pas le cas de Roselyne Bosch qui décide d’asséner son discours didactique sous des pluies de performances et de violons incessants. On voit beaucoup les personnages pleurer, certains ne le font pas très bien. La réalisatrice tente aussi de faire des beaux plans comme celui de grue dans le vélodrome, c’est assez gerbant, d’autant que c’est très vite du numérique c’est flagrant. Et pour accompagner tout cela, une musique ronflante, lancinante qui revient sans cesse lors de sursauts dramatiques, le bouquet final à la toute fin du film en est l’exemple parfait. Parlons de cette fin justement : Pouvait-on faire pire ? Roselyne Bosch détruit l’ampleur tragique de la Shoah ni plus ni moins, en choisissant de faire revenir certains des personnages, le premier parce qu’on l’a vu s’évader (là ça tient encore la route) le second parce qu’il semble être tombé du train. Tout cela intervient trois ans plus tard, lorsqu’une jeune infirmière qui s’est occupé de ces gosses au vélodrome puis dans le camp de Beaune, réapparaît post Armistice lors des retrouvailles (applaudit par tout le monde, on croit rêver) pendant que d’autres pleurent leurs enfants défunts. En tant que reconstitution ce n’est déjà pas réussi (il faut voir comment elle rend les quartiers pauvres de Montmartre, bien vivants, sympathiques, où il fait bon vivre ; et puis surtout il faut voir les vêtements des juifs tout au long du film, presque propres, simplement noircis au niveau de l’étoile jaune) mais en tant que rappel du drame (au sens où il ne faut pas oublier, jamais) c’est complètement à côté de la plaque. Non, finalement, Roselyne Bosch invite à oublier cette page de l’histoire. En tout cas c’est comme cela que le verrons les enfants (car c’est à eux que le film se destine ça ne fait aucun doute) à travers les yeux du petit Nono. Quant à l’habillage du film, parce que la réalisatrice ne s’est pas contentée de faire un mélo que l’on vivrait intégralement du côté des victimes, il est d’autant plus atroce dans son traitement extérieur, entre les entrevues Pétain/Laval affligeante de naïveté, les quelques scènes avec Hitler, assez risible, et la présence dans tout ça d’une dichotomie Police/Pompier méchants/gentils carrément navrante. La scène des lances à incendie c’est un peu celle des douches dans La liste de Schindler, et se répercute à la toute fin lorsqu’on prend le parti d’occulter les drames réels de la Shoah en montrant des retrouvailles ou en disant dans un bandeau final que même s’il y a eu 13000 juifs emportés par cette fameuse rafle, la population française a tout de même permis à presque autant d’autres de ne pas partir. Ce n’est tellement plus le propos du film c’est désolant. C’est un film d’idées, d’intentions, parfois bonnes même, mais qui se noie dans le contraire de ce qu’il voudrait vraiment montrer. L’illustration parfaite de tout ça ce sont les acteurs. Comment croire que Gad Elmaleh en ancien combattant, Mélanie Laurent en infirmière protestante et Jean Réno en infirmier juif donnent une certaine idée vraie de cette page tragique de l’histoire. On n’y croit jamais. Et c’est complètement anachronique. Comme tout le reste ! Reste une belle reconstitution du camp de Beaune (enfin tout est relatif) dont on se demande s’il est fait en France, que le générique viendra confirmer notre hypothèse en laissant défiler des noms de lieux de pays de l’est. Même jusque là Roselyne Bosch n’a rien fait comme il fallait.
Le sang des innocents (Non Ho Sonno) – Dario Argento – 2002
Publié 4 décembre 2010 dans Dario Argento 0 CommentairesMi casa tu casa.
6.0 J’ai de la tendresse pour ce film de Dario Argento – Bien qu’il soit situé dans une période où le maître du giallo n’est plus que l’ombre de lui-même. L’histoire est passionnante : Giacommo Gallo a vu jeune sa mère se faire tuer atrocement (à coups de clarinette) et l’on a parait-il retrouvé le tueur, qui n’en était pas à son premier coup. On appela ça l’histoire du nain, le tueur étant vraiment petit. Vingt ans après, de nouveaux crimes sont similaires à ceux-ci et l’enquêteur d’hier (Max Von-Sydow) reprend du service, surtout qu’il avait juré au jeune Gallo qu’il retrouverait l’assassin de sa mère.
Il faut voir comment le film est construit. Il y a cette introduction, classique. Une intro de giallo, quoi. Puis on suit une femme, qui va se faire liquider dans un train, scène terrible. Ensuite une autre jeune femme, qui va se faire poignarder dans sa voiture. Puis une autre jeune femme que le tueur va noyer scrupuleusement. 40 minutes de film et on ne sait toujours pas sur quel héros ni sur quelle figure se reposer, c’est génial. Limite expérimental.
Ensuite c’est plus classique, c’est très basé sur l’enquête, on dirait presque du Seven (pour la longue série à accomplir) et on retrouve pour l’ambiance sonore le Argento de Suspiria. La scène où il filme en travelling plongé un tapis où l’on voit les pieds de nombreuses personnes venues pour un spectacle, scène qui s’étire longuement, puis entre dans une pièce, une autre, et l’on voit l’ombre des pieds d’une fille, l’ombre d’elle en train de se faire étrangler, puis ses pieds… est une scène absolument jouissive. C’est un peu le maître mot du cinéma de Dario Argento : jouir, jubiler, s’éclater. Bien qu’il y ait quelques minutes en trop, le film fonctionne plutôt bien.
Date limite (Due date) – Todd Phillips – 2010
Publié 4 décembre 2010 dans Todd Phillips 2 CommentairesLes chèvres.
4.0 On prend (presque) les mêmes et on recommence. Todd Phillips semble avoir trouvé le bon filon : le road movie accéléré, à échéance, où il ne faut pas arriver en retard. Very bad trip montrait trois amis d’un type dont c’était le mariage imminent, qui lui organisaient son enterrement de vie de garçon à Vegas avant de le perdre dans une nuit mémorable mais dont ils ne se souviennent de rien.
Dans Date limite, Robert Downey Jr. doit regagner la côte ouest pour assister à l’accouchement de sa femme, mais il est quelque peu retardé par une sorte de Pierre Richard, dont il fait malencontreusement la rencontre à l’aéroport, juste avant d’embarquer. C’est d’abord un arrachage de portière, puis un échange de sac, puis très vite une interdiction de vol. Et le voilà contraint de faire 3500 km en bagnole avec ce type à ses côtés, qui ne cesse de lui poser des questions, s’endort au volant, se masturbe la nuit sous son nez et adopte une démarche qu’Aldo Macione et le Serrault de La cage aux folles pourraient envier.
Un film de dimanche après-midi. Rien de plus. Qui adopte un bon rythme et une bonne flopée de situations abracadabrantesques (l’accident de voiture, le café cendré) comme autant d’étapes improbables raccourcissant la possibilité d’arriver à temps à Los Angeles – Ou à Hollywood comme le répétera maintes fois son acolyte. Le film ne faiblit jamais, il est à l’image du précédent. Après, nombreuses situations sont hyper prévisibles, comme c’était déjà aussi un peu le cas dans le précédent qui gagnait cependant sur un tableau : sa fin. Hilarante. La fin de Date limite est quand même pas terrible.
En tout cas c’était bon de voir quelques guest stars inattendues comme Jamie Foxx, en ami peut-être trop sympa que l’on soupçonne très vite être le père de cet enfant qui va venir, ou encore Juliette Lewis en mère dealeuse déjantée, comme un rôle synthèse de sa carrière. La musique aussi est top : de Neil Young à Pink Floyd, en passant par Fleet Foxes. Ouai, c’est cool. Mais c’est tout.
La maison des bois – Maurice Pialat – 1971
Publié 3 décembre 2010 dans * 100, * 730 et Maurice Pialat 3 CommentairesMy childhood.
10.0 J’ai cette belle sensation que le film ne me quittera jamais, qu’il est déjà bien ancré dans ma mémoire, que je me souviendrai de cette maison, ce village, ce petit garçon pour toujours. J’ai beaucoup pleuré, de tristesse bien sûr, surtout dans le dernier tiers du film, mais de bonheur aussi, parce que je trouvais ça magnifique tout simplement. La scène du pique-nique en est l’illustration parfaite je crois : il n’y a rien de dramatique durant ce long moment, tout est affaire de joie, d’amusement avec en parallèle les mamans condamnées à faire le chemin à pied parce que leurs lettres ne sont pas arrivées. Ce n’est pas triste, c’est même très drôle, d’ailleurs il y a une scène où toutes deux, très remontées, laissent échapper un fou rire nerveux, je n’avais jamais vu quelque chose de ce genre dans un film. Il y a donc cette scène de pique-nique, comme substitution éphémère à ces peines quotidiennes, le départ au front de Marcel, cet enfant sans nouvelles de ses parents. Dans le même registre, ce qui doit d’ailleurs être ma scène préférée, il y a ce moment suspendu là-aussi (il y en a énormément dans La maison des bois) où les trois enfants, Hervé, Bébert et Michel jouent avec leur ‘grande sœur’ Marguerite à deviner les cris d’animaux en les imitant plus ou moins bien. Et le film regorge comme cela d’instants miraculeux, ce genre d’instants qui resteront gravés dans ma mémoire.
Car La maison des bois pourrait tout aussi bien être plombant, il est au contraire lumineux, sincère et surprenant. La première guerre mondiale se passe puis se termine, il y a ceux qui disparaissent et ceux qui restent. C’est dans ce déchirement que tout devient beau, sensible, ce garçon appelé qui ne reviendra pas, ces familles que la guerre fait éclater puis à sa fin les reconstruit en en éclatant alors une nouvelle. Il n’y a pas plus de bonheur après la guerre (ou alors il est bref, le temps d’une journée d’Armistice) qu’il y en avait pendant. A l’image de Maman Jeanne, attachée aux enfants qui ne sont pas d’elle plus qu’aux siens, dira son mari Albert, et elle de répondre que c’est simplement parce que les uns sont grands, les autres il faut encore s’en occuper. La guerre permet à Jeanne de vivre, de s’épanouir, ce n’est qu’après celle-ci qu’elle mourra, séparée de son grand fiston que la guerre lui a pris, bientôt séparée de sa fille qui s’apprête à vivre sa propre vie, mais surtout de ses bouts de choux de retour dans leurs familles d’origine, donc sans plus aucune raison de rester parmi les vivants. Tout est magnifique jusque dans les nuances. Nuances apportées aussi dans la classe, dont Maurice Pialat s’est attribué le rôle délicat de l’instituteur.
Ce film est un poème. Il parle finalement plus de la vie et de l’enfance que de la mort. La preuve, dans ce dernier épisode, Pialat choisit de montrer Hervé, de montrer Paris, il ne montre pas vraiment l’absence d’Hervé dans La maison des bois, il aurait pourtant bien pu le faire. Les dernières minutes sont probablement les plus belles et tristes que j’ai vu de ma vie. Comme le format utilisé est celui de la télévision on pouvait craindre que la commande s’en ressente, que Pialat ne fasse plus vraiment du Pialat. Au contraire, c’est même du Pialat puissance 10, et un beau passage de relais entre L’enfance nue et Nous ne vieillirons pas ensemble. Il est aussi question d’adaptation de l’enfant (nous suivons Hervé en permanence) et de couples qui se déchirent (Le père et la mère d’Hervé, qu’on ne voit pas, puis son père et sa nouvelle femme auquel on assiste dans la dernière partie du film). C’est un film sur les familles déchirées, recomposées, sur ces instants de bonheur qui ne se reproduiront plus, des gens qui vivent ensemble et que l’on sépare. Des vies que la guerre a détruit. Mais c’est surtout, à mes yeux, le plus beau film sur l’enfance.
Les amours imaginaires – Xavier Dolan – 2010
Publié 30 novembre 2010 dans Xavier Dolan 1 CommentaireBang bang.
7.5 Après le très remarqué J’ai tué ma mère, usante démonstration des relations conflictuelles entre une mère et son fils, tout de même enrobées d’amour, où il faisait néanmoins état d’un cinéma fait de fulgurances gracieuses éparses et prometteuses, Xavier Dolan revient avec un projet autrement plus ambitieux, stylisé et inventif avec Les amours imaginaires, duel amoureux entre deux amis, Marie et Francis, pour le même garçon bellâtre Nicolas.
Là où le film précédent ne nourrit absolument aucune empathie pour son personnage, au mieux il m’indifférait, ceux de ce nouveau film sont des êtres ou meurtris ou désintéressés, plein d’espoirs ou de frustrations enfouis. Dolan ne filme plus un personnage – et en plus il se filmait lui-même – mais trois, et de très belle manière, en épousant leurs sentiments, leurs impulsions via une caméra sensuelle, curieuse, hypnotique. Le moment où Marie et Francis observent, tout en ruminant leurs frustrations, Nicolas danser sous les stroboscopes et Pass this on de The Knife avec sa mère, que Dolan tourne intégralement au ralenti, est un moment de grâce intime luxuriant (Scène de l’année me concernant) alors qu’il pourrait être clipesque et ridicule. C’est dans cette prise de risque incroyable que j’aime le nouveau film de Xavier Dolan. Il tente plein de choses, n’hésite pas à user des artifices formels comme les ralentis, les filtres et une bande son aussi archaïque que belle et branchée (en gros du Fever Ray, Indochine, France Gall ou Bach) pour démarquer son cinéma, de ces petites touches à première vue hermétiques (j’ai mis du temps avant d’entrer dans le film) mais finalement touchantes. Et puis on en sort hypnotisé, ailleurs, au rythme ralenti du Bang Bang de Dalida.
Pour agrémenter tout cela Dolan a recours à ce qui agit comme une force supplémentaire au film, en intermède ces interviews sans rapport avec l’histoire, où l’on voit d’autres personnages (de fiction ou non, rien n’est précisé) parler de leurs amours imaginaires, vécues comme de simples chagrins ou comme des traumatismes, mais racontés avec énormément d’humour.
Le film trouve donc son style, que certains trouveront vain, désuet ou insupportable. Ces moments ralentis, filtrés, musicaux (bref la totale) où l’on découvre Marie et Francis au lit par exemple, chacun de son côté, afin de montrer que cet amour intérieur commun ne les empêche pas de baiser, mais que ce n’est pas par amour, que ce n’est pas ce qu’ils recherchent. Ces moments où le corps s’abandonne, en tant que plaisir de chair seulement, et où les sentiments détachés de ce qu’ils vivent sur l’instant, s’en retrouvent décuplés, l’un ne trouvant refuge que dans les larmes et grimaces de gênes en permanence (c’est la sensibilité inquiétante du timide Francis) l’autre dans la parole incontrôlée et le besoin de fumer pour ne pas mourir (c’est la dureté caractérielle et maîtrisée de Marie). C’est vraiment un film sur les petites et grandes déceptions de la vie. Sur ces moments où l’on voudrait exploser mais où l’on garde tout pour soi. Où l’on encaisse alors qu’on voudrait disparaître.
Je ne pensais pas dire cela il y a un an mais je crois que Xavier Dolan est un garçon très talentueux, ambitieux et téméraire. J’aime sa façon de se jeter à corps perdu, de ne pas faire un film pour faire un film mais pour parler de ces névroses, de ces sentiments. Dans l’intensité ça me fait penser à Vincent Gallo. Il y a comme cela un abandon total à la pellicule que je trouve passionnant. Des moments de jalousie très forts, lorsque Marie décide de s’en aller de leur petite escapade à la campagne tout en se répétant « Je m’en fou » plusieurs fois pour se convaincre d’oublier, ou bien lorsque Francis se masturbe tout en respirant le parfum de cet ange tant convoité sur des vêtements qu’il a laissé traîner. Et des moments incroyables de pudeur et douceur lorsque par exemple, toujours au ralenti, Marie et Francis marchant l’un et l’autre côte à côte après une longue querelle, celle-ci passe le parapluie d’une main à une autre pour abriter son ami, c’est le plan d’une amitié retrouvée. Ah et aussi j’ai trouvé très fort que pendant tout le film Nicolas et sa bouille d’ange, que Marie rêvera en statue de Miche Ange, Francis en visage façonné à la Cocteau, me fasse inlassablement penser à Louis Garrel, dans certaines de ses mimiques jusque dans ses postures. Car Louis Garrel apparaît à la toute fin du film, quelques secondes, représentant un nouvel amour imaginaire, une nouvelle conquête pour Marie et Francis, jamais remis (comme le montre cet agacement impulsif assez impressionnant de Francis lors des retrouvailles un an plus tard) de ce coup de massue infligé par le bellâtre, dont ils étaient clairement tombés amoureux, tandis que lui, n’aimait d’amour, finalement ni l’un ni l’autre.
L’éveil, puis rien.
4.5 On s’attendait à un film audacieux, un film aussi fou que Steak, mais un film aussi sans prétention, un film qui inventerait dans chaque séquence, un film qui assumerait son statut de film bis, mais tellement beau et foutraque qu’il en deviendrait fascinant. Ça c’était mon sentiment après Steak. Rubber n’est même pas l’ombre de Steak, il en est la version prétentieuse, non assumée. On passe par deux états extrêmes dans le tout début du film. La naissance du pneu, extraordinaire. Avec sa difficulté à fonctionner, rouler, comme un bambin peinerait à faire ses premiers pas. Avec sa découverte d’un pouvoir télépathique qui lui permet d’exploser les objets, animaux ou encore humains qu’il a sous les yeux. C’est le plus beau moment du film. A côté, comme si c’était du remplissage, un shérif vient présenter cela (ce film) à des spectateurs dans un désert, qui n’attendent que de la bouffe et de l’action. Le film aura même commencé sur un regard caméra de ce même shérif évoquant quelques films cultes américains et déployant sa théorie du No reason. Je ne sais toujours pas quoi penser de cette séquence. Quoi qu’il en soit ce n’est pas vraiment ce qui me passionne. C’est le pneu qui m’intéresse. Ce que Dupieux est capable de faire avec. Est-il capable de lui donner vie ? De le rendre inquiétant ? En gros, est-il capable de faire passer des émotions par un pneu. Carpenter avait réussi à le faire avec Christine, le grand film sur l’objet tueur. Dupieux échoue parce qu’il ne s’y intéresse pas. Soit il répète inlassablement le même procédé du pneu killer, soit il préfère se concentrer sur ces spectateurs à la jumelle. Aucun intérêt. Et même si techniquement c’est admirable, même si ça fait plaisir de se dire que l’on peut voir ce genre de choses au cinéma, même s’il y a des moments aussi franchement drôles, on ne peut s’empêcher d’être déçu, vis-à-vis ce projet hybride qui ne sait pas vraiment où il doit donner de la tête.
Crash – David Cronenberg – 1996
Publié 29 novembre 2010 dans * 100, * 730 et David Cronenberg 0 CommentairesMaybe the next one, Darling.
10.0 Ce qui frappe dans Crash c’est la vitesse avec laquelle on entre dans le vif du sujet. Pas d’installation préalable qu’on qualifierait de commune, le film montre dans sa première séquence, une femme se frotter sur le cockpit d’un avion de tourisme, avant qu’un homme lui fasse l’amour. Dans la séquence suivante, un homme fait l’amour à une fille dans une sorte de bureau ou des coulisses de ce qui semble être un lieu de tournage. Plus tard on apprendra que la première femme et le deuxième homme sont ensemble, mais qu’ils s’ennuient, et pour palier à cet ennui passent du bon temps ailleurs, probablement pour se retrouver. C’est un point de départ. Un constat clinique et triste d’un couple qui s’emmerde. Non pas vraiment qu’ils s’emmerdent ensemble, mais que le sexe comme simple répétition au quotidien les emmerde. Il leur en faut davantage. Lors d’un trajet en voiture, alors que James malveillant cherche des papiers plus qu’il ne regarde la route, il se retrouve sur la voie d’en face et heurte de plein fouet un véhicule venant vers lui en sens inverse. En état de choc mais bien vivant, il ne bouge plus. Le conducteur de la voiture d’en face a terminé la collision dans son pare-brise, on se doute qu’il est mort sur le coup. Sa femme, passagère, elle-aussi est en état de choc, hébétée mais bien vivante. Elle laisse échapper un sein de son chemisier en détachant sa ceinture de sécurité. C’est l’image la plus récurrente de Crash : ce sein qui sort de son revêtement. Je vais tenter d’y revenir.
C’est à l’hôpital, ou plutôt dans cette espèce de clinique délaissée que le destin de James va se jouer. Alors qu’il se fait à ses nouvelles cicatrices, qu’il réapprend à marcher, le médecin qui s’occupe de lui, qui se dit photographe médical mais semble être bien plus attaqué que ça, paraît éprouver une fascination pour lui, ses cicatrices, ses marques. Lui-même, alors que l’on voit pour l’instant que son visage, est scarifié de partout. Le ton est donné une fois de plus, on est inquiet, pourtant il se dégage une sérénité assez improbable et l’on n’est pas au bout de nos surprises.
La scène apogée du film, qui fonctionne comme un aiguillage nouveau, vers lequel tout va s’orienter, c’est la reconstitution d’un accident célèbre par Vaughan le médecin photographe très bizarre, dans une sorte de secte clandestine en plein air. Auparavant on aura vu notre homme blessé séduire la femme de la victime, faire l’amour plusieurs fois dans la voiture, sa nouvelle, qu’il a acheté (parce qu’il conduit à nouveau) le même modèle que son épave accidentée. C’est ensemble qu’ils iront à ce show des plus étranges. Le spectacle du soir c’est la reconstitution minutieuse de l’accident de James Dean, dont Vaughan et deux autres cascadeurs seront les acteurs, réalisant le tout sans trucages ni même ceintures de sécurité. Tout se vit alors au rythme de cette fascination perverse pour l’accident de la route, le danger tout particulièrement et les pulsions désireuses que cela procure. Le climat du film devient alors très sale, de plus en plus répugnant. Ça commence dans la maison de Vaughan, sombre, glauque, et la rencontre avec cette femme, Gabrielle, accidentée de la route elle aussi, réduite à vivre avec des cicatrices énormes et une prothèse métallique qui lui permet de se déplacer, dans l’impossibilité de plier ses jambes. On découvre une salle entièrement vouée aux accidents célèbres, blindées de photos d’archives. Et toujours cette fascination, de plus en plus installée (la progression se fait au rythme de James Spader, qui se laisse happé chaque fois davantage). Quand il demandera à Vaughan d’expliquer le pourquoi de cette passion il mettra d’abord en avant la fascination pour le remodelage du corps par la technologie. Mais plus tard il avouera le véritable dessein de ces expériences sans limite. La recherche d’une forme de symbiose orgasmique absolu lié au plaisir de la chair, de la voiture tout en ayant conscience de la mort.
C’est seulement après qu’on aura droit à une séquence absolument incroyable, le genre de scène de cinéma qu’on oublie pas. Tout se passe lors d’un lavage automatique. James est au volant et observe sa femme Catherine et Vaughan sur la banquette arrière faire l’amour violemment. Il observe comme il observait le trafic à la fenêtre de son appartement. Plus par les jumelles mais par le rétroviseur intérieur. Même satisfaction, même fascination, même excitation. Toute cette scène est rythmée par le bruit incessant de la machine de lavage, le bruit du plastique sur le métal, l’eau qui se déverse, les boudins qui frottent, tout devient sexuel, mécanique et charnel. Ça ne sent pas l’essence ni le savon, ça sent la transpiration, la mouille et le sperme. C’est crade et en même temps c’est excitant. C’est d’autant plus déstabilisant que c’est la première véritable scène de ce genre, après il y en aura d’autres.
Dans Crash, la voiture devient prolongement du corps humain, de toute façon c’est ce qu’elle est d’une manière ou d’une autre, mais Cronenberg accentue cela, cette impression de deux en un, d’objet/humain homme/objet. Tout apparaît tel un contrepoint selon lequel l’homme évoluerait de façon artificielle voire machinique quand sa voiture prendrait l’apparence humaine. Dans La mouche il y avait déjà ce glissement, cette métamorphose d’union entre l’homme et l’animal puis l’animal/homme avec la machine. Ce n’était que dans un seul sens. Dans Crash c’est beaucoup plus subtil puisque l’on ne distingue plus bien la différence. Est-ce que l’un devient plus humain ou est-ce que l’autre devient plus machine ? Cet aspect est renforcé très vite dans le film avec dans un premier temps la réparation du corps, Vaughan (Elias Koteas) dit lui-même sa fascination pour la technologie comme remède aux plaies corporelles. L’homme n’est alors plus qu’un bout de tissu que l’on rafistole, un objet que l’on recolle, une plaie que l’on suture. Il n’est plus que minerves et prothèses, bouts de métaux réparateurs en tout genre. Dans un deuxième temps l’impression de voiture comme entité presque vivante, charnelle. Il y a tout un parallèle intéressant sur la place de l’objet métallique aujourd’hui, et tout particulièrement la voiture, associée au plaisir passionnel, une certaine beauté inanimée que l’on chérit, que l’on désire, que l’on nettoie, que l’on change, que l’on observe, dans laquelle on vit. Beaucoup aujourd’hui sont fascinés par elle, la vitesse qu’elle procure ou simplement la beauté de l’objet en tant que tel. Ça c’est pour ce que l’on voit, ce qui saute au yeux. Pour le reste, la voiture est aussi associée au danger, elle est arme de destruction, instrument de mort. Il faut voir à quelle fréquence on est asséné de spots publicitaires sur le danger de la route, ou simplement du nombre d’accidents mortels qui font notre quotidien. C’est cette idée là qui intéresse tout particulièrement Cronenberg : la technologie actuelle et l’impact sur notre imaginaire. Impact basique comme dit précédemment mais impact plus viscéral aussi, associé au sexe voire à la mort.
Comme je le disais plus haut, une image revient dans Crash, celle du sein comme moteur du désir. C’est un peu comme lorsque l’on appuie sur l’accélérateur, c’est l’événement moteur de ce plaisir. Il y a cette même jouissance qui grandit. Le plaisir ensuite de se frôler chair contre chair, se toucher, s’embrasser, se pénétrer, comme le plaisir de la vitesse, du vent qui s’accentue, qui frappe le visage, le fait que l’on soit collé au siège, et la collision comme orgasme suprême. C’est un peu comme cela que l’on peut voir la reconstitution de l’accident de James Dean. Les corps se rencontrent dans Crash, à tout bout de champ, ils se frôlent, se cognent, ils changent, ils deviennent machines.
J’aime énormément le personnage incarné par James Spader. Il m’a rappelé celui de Kyle McLachlan dans Blue Velvet. Ils ont tous deux ce même appétit incontrôlé du danger, ils s’y abandonnent littéralement. Et Elias Koteas est formidable. Son personnage semble être le seul maître de tout, de ce qu’il entreprend, de ce qu’il désire. A la différence du couple, il semble atteindre cet état extatique qu’ils recherchent. Il est invulnérable, de part ses cicatrices multiples et son abnégation. Il n’y a que lors d’une seule scène que sa sensibilité s’accroît fortement, quand il découvre son ami cascadeur sous les décombres, qui avait entrepris de réaliser l’œuvre de l’accident de Jane Mansfield seul, sans lui, il devient triste, peut-être parce qu’il n’est pas mort à ses côtés, aussi parce qu’il admire la perfection de cette reconstitution. Il pourrait alors être affecté mais ce n’était qu’un passage, ces pulsions reviennent très vite.
En tant qu’expérience de cinéma c’est quelque chose d’ahurissant, ce genre de film qu’il faut voir puis revoir, en épouser son rythme, sa lenteur, car rien ne va vite dedans, Cronenberg a beau montrer des voitures dans deux/tiers des plans, des accidents, des courses il n’y a pas de vitesse. Sa caméra virevolte, caresse les corps et les carrosseries. A filmer ainsi, il rend beau le laid, en filmant (caressant) de vilaines cicatrices, en sublimant un carambolage mortel dans une brume nocturne, en filmant même des corps morts. C’est vrai que la musique d’Howard Shore, comme un thème froid et inquiétant qui revient de manière répétitive, n’est pas étrangère à cette sensation, elle épouse chacune des images, et permettent à elles deux (image et musique) d’ouvrir nos sens de ne rien faire d’autres que (res)sentir. Ce pourrait être un film très théorique, plus écrit qu’incarné, pourtant toutes les sensations sont décuplées. Le film en devient même bouleversant dans les quelques mots que glisse James à Catherine après le crash final, qui accentuent cet état d’insuffisance en écho à la toute première scène du film. Le couple semble être en proie à la recherche éternelle du véritable orgasme, cette limite qu’ils ont tant espérée n’est pas encore arrivée, même pas comme ça, alors que Vaughan s’en accommode très bien de son côté, le couple reste en quête. Le film n’était pour eux que parenthèse d’un bonheur espéré, finalement qu’une illusion.
The bitter end.
7.5 Smith couche avec London, fantasme sur Thor son colocataire, et passe ses journées avec sa meilleure amie Stella. La première est une belle blonde aguicheuse, le second est un surfeur blond et baraqué con comme la lune, la troisième est rentre-dedans, belle et sarcastique. Lors d’une soirée bien gratinée, Smith mange un peu de space cake et commence à délirer, découvrant des gens qu’il ne voyait que dans ses propres rêves, en rencontrant dans un premier temps une fille rousse qui semble être poursuivi, puis en découvrant des types louches avec des masques d’animaux complètement grotesques qui lui courent après, puis en se rendant compte qu’il est le témoin, peut-être même l’acteur (puisqu’un messie/gourou au physique de Bob Marley lui dit qu’il est l’élu) d’un complot fanatique qui viserait à détruire le monde entier.
C’est un pur moment de plaisir, plein de couleurs devant lequel il faut s’abandonner, se laisser aller, se laisser gagner par le jeu, un délire éphémère et gratuit comme peut l’être une soirée arrosée ou enfumée, ça n’a à mon sens aucune autre prétention. Kaboom joue avec les clichés et les détourne, montre une jeunesse hystérique et sur un nuage. Toutes les barrières sont mises alors de côté, tout devient possible, tout est prétexte à y croire. Film ouvertement bi, qui affiche sa liberté sexuelle dans chaque plan, avec son humour de teen-movie dans un débit inimaginable, son montage syncopé comme s’il fallait faire vite, comme si tout cela ne durait qu’un temps, son énergie tenue d’un bout à l’autre, d’abord envoûtante puis carrément excitante, jubilatoire. Et puis les acteurs sont tous beaux, pimpants, tellement sous les projos que l’on se sent constamment en plein voyage onirique. Film pop doté d’une bande-son irréprochable qui détruit sur son passage toutes les comédies érotico-romantico-trash vues jusqu’à maintenant.
Kaboom c’est l’explosion, en tout cas l’onomatopée qui la définit dans les comics. Et Kaboom c’est aussi un peu une bande-dessinée avec ses petites saynètes, ses sauts sans temps morts d’une case à une autre, d’une bulle à une autre, mais ce n’est pas de la Bd insupportable comme chez Rodriguez, c’est envoûtant, c’est filtré à l’arc-en-ciel, on se croirait par moment chez Hou Hsiao Hsien, puis l’instant d’après chez Richard Kelly, puis dans son mystère aussi un peu chez Lynch. Ce serait donc une combinaison de tous ces cinémas, mais pour les ados, un film sous acide, qui ne tiendrait plus comme objet riche et labyrinthique mais comme un film plutôt creux, sans pour autant être vain étant donné ce qu’il procure comme bonheur, comme orgasme. Je n’avais pas vu une fin de film aussi dingue depuis longtemps. Je pourrais revoir cette petite bombe n’importe quand (c’est la réflexion que je me suis faite) il semble pouvoir se placer n’importe où, redonner la pêche en cas de coup de pompe. Je regretterais presque qu’il ne soit pas davantage jusqu’au-boutiste, une sorte d’Inland Empire pop, sex and drug. Car le film est un peu à l’image de ce qu’il montre dans sa nudité, sa crudité, j’ai parfois pensé à du Larry Clark, mais ça ne va jamais si loin. Pourtant il ne s’ancre pas dans le réel, il s’en détache constamment, du coup je le trouve presque trop sage. Film psychédélique, jouant à outrance sur les couleurs, les sons, mais que l’on voudrait encore moins contrôlé, peut-être même plus absurde, plus branché répliques vides et inutiles que clinquantes et instantanément cultes.
Cependant, au moment de la déflagration nucléaire finale, les notes d’un tube de Placebo (magnifiquement utilisé) retentissent pour nous envahir durant la course en voiture effrénée qui ferme le film dans un éclat de jouissance hors norme. L’emploi de ce morceau à ce moment là me touche d’autant plus qu’il me rappelle mon saut en parachute de mes vingt ans, et cette musique sur cette vidéo qui l’accompagnait, que je regardais un moment donné en boucle pour en saisir à nouveau chaque sensation, chaque frisson. Les cinquante secondes de chute libre étaient accompagnées par ce morceau, que je n’appréciais pas spécialement avant mais qui représente aujourd’hui à mes yeux cette sensation ultime. C’était un saut de cinquante secondes, un orgasme de cinquante secondes, mais une sensation nouvelle. Kaboom c’est aussi un peu cela, un saut en parachute, mais dans le sens inverse, c’est une ballade planante et inquiétante pendant quatre-vingt minutes et cinquante dernières secondes frappa-dingues. En nous faisant vivre une sensation de cinéma proche de l’hallucination, Araki m’a séduit, surtout de cette manière, en prenant les choses en main, en osant presque tout.
La vie au ranch – Sophie Letourneur – 2010
Publié 26 novembre 2010 dans * 2010 : Top 10 et Sophie Letourneur 0 CommentairesEntité saturée.
8.5 Sophie Letourneur saisit quelque chose d’incroyable avec La vie au ranch, simplement des tranches de vie, d’une collocation, durant un repas, une discussion ou encore en boîte de nuit et choisit de s’intéresser à ce qui est banal, anodin, absurde justement car rien de tout cela ne l’est vraiment. C’est dans l’absence de sensationnel que chaque personnage se met à exister devant la caméra, dans ce je-m’en-foutisme permanent, car c’est dans ces situations que les instants de joie ou les conflits apparaissent véritablement, que l’on y croit le plus.
Tout paraît improvisé – on a vraiment l’impression qu’une caméra est posée au milieu de la pièce et que l’on demande aux acteurs de s’en donner à cœur joie, de reproduire du vécu – pourtant rien ne l’est. Tout est minutieusement écrit, préparé et vécu justement. Afin d’étoffer son récit Sophie Letourneur s’appuie beaucoup d’enregistrements épars de certaines de ses propres soirées pendant ses 20 ans, dans lesquelles elle adorait y cueillir des conversations, de vrais échanges à l’aide d’un dictaphone.
En fait c’est la nuance qui fait la force de ce joli film. Ce mélange d’insouciance et d’appréhension. Ce mélange de liberté féminine, de joie ensemble et d’éclatement dans le groupe, dans ce huis clos emprisonnant. Du coup, même si ces nuances apparaissent tout de même durant tout le film, mais de façon imperceptible, on y décèle facilement deux parties distinctes. Une première comme un huis clos, où l’on est en majorité dans cet appartement, ce ranch comme elles disent, une entité les empêchant d’exister individuellement. On a tellement l’impression d’avoir affaire à un groupe soudée, à une seule et même personne divisée en cinq, que l’on confond chacune des filles. Un ranch vu comme une bulle d’insouciance leur interdisant toute émancipation. Elles le veulent bien aussi. Pourtant c’est avec l’une d’elles, Pam, que l’on comprend que cette situation n’est que bonheur éphémère. Dans une deuxième courte partie, les filles prennent quelques jours à la campagne, dans la maison de famille de Manon en Auvergne. Sans doute est-ce dû à cette immensité qui les absorbe, mais les tensions prennent le pas sur ce climat de liesse habituel. Chaque fille existe alors individuellement, ou presque, et le groupe se délie. La toute fin qui sonne comme un après est quelque chose de très beau, très émouvant.
Personnellement, ce qui me plait c’est qu’il y a justement une façon invisible de traiter ce passage à un autre âge, de traiter cette petite vie de bohême éphémère. Les conflits, les moments difficiles sont aussi bien présents dans la première partie du film que les instants de joies dans la seconde. Mais il y a comme une cassure, probablement renforcée par les ellipses. Lorsque vers la fin du film la cinéaste filme le visage de chacune de ces filles, dans un bal nocturne à la campagne, ou dans une nouvelle colloc à Berlin, il y a ce sentiment qui m’étreint, ce genre de sentiment que je ressens aussi devant Du côté d’Orouët de Rozier, film vers lequel La vie au ranch semble quelque peu se rapprocher, principalement dans cette fuite finale. A première vue on pourrait davantage penser à Rohmer mais il y a un côté sale, spontané, vide de réflexion intellectuelle, bestial qui me fait davantage penser à Rozier. C’est un sentiment que je trouve très fort, qu’il m’arrive de ressentir en groupe ou même dans mon couple, ce sentiment que tout cela est là mais que plus tard il ne sera plus là. La vie au ranch est un film très drôle, pourtant c’est un film qui parle de la fin (du groupe, le début d’autre chose) et de la mort (avec en filigrane la grand-mère de Pam à l’hôpital).
Mais il y a surtout quelque chose d’important là-dedans, Sophie Letourneur fait durer ses plans, et pas simplement sur des visages qui parlent, elle filme ses interprètes dans des situations, les cadre intelligemment en les y enfermant produisant une sorte de saturation de l’espace, elle ne filme pas vraiment des dialogues, elle filme des corps. Le dialogue est complètement déstructuré de toute façon, il est en champ mais plus souvent en contre-champ, il peut-être carrément ailleurs aussi, il s’imbrique très souvent, par moment on ne comprend même pas la moitié de ce qui se dit. En fait La vie au ranch c’est comme lorsque l’on est bourré ou pas pendant une soirée arrosée. Si tout le monde l’est sans moi je ne suis pas, c’est un peu le début du film en somme (qui commence dans une soirée étudiante d’ailleurs). Si tout le monde l’est avec moi, d’un coup je comprends tout, je partage tout, c’est un peu tout le reste du film. J’ai vraiment eu l’impression de connaître ces filles, de partager un moment de leur vie. Mais d’ailleurs je connais ces filles, il y a des situations que j’ai vécues exactement de la même manière. Il ne faut pas oublier de dire que la cinéaste a effectué un casting de dingue pour trouver ces filles qu’elle a finalement débusquées dans une vraie collocation. Elles se connaissaient déjà presque toute.
Franchement je suis ressorti de ce film avec un sentiment étrange partagé entre souvenirs presque oubliés et visions fantasmées d’une certaine post-adolescence que j’aurais aussi aimé vivre, je veux dire comme ça, exactement comme ça. Là, je vois des filles qui grandissent, sans qu’elles ne s’en rendent compte, un groupe qui vie et qui change. Une amitié trop intense, trop entre deux –âges, qui s’apprête à s’éteindre. C’est assez magnifique.