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L’Atalante – Jean Vigo – 1934

87L’amour fou.     

   6.5   Comme bon nombre de films estampillés chef d’œuvre ultime (là j’ai en tête Citizen Kane de Welles ou Métropolis de Lang) L’atalante restera comme une petite déception me concernant, probablement d’une part car j’en attendais énormément, plus que n’importe quel film d’ailleurs, mais aussi car je le pense vraiment, tout n’est pas réussi dans ce film. J’ai un problème avec le personnage qu’interprète Michel Simon. Ce n’est pas tant qu’il prenne une place importante, ou que l’on ne comprenne pas la moitié des mots qui sortent de sa bouche mais surtout qu’il joue, que c’est le seul qui me paraît vraiment jouer, et protéger son jeu dans ce film. Je ne crois donc à rien s’il est à l’écran. Malheureusement il y a toute une partie du film où il devient presque personnage central. Heureusement L’Atalante devient film fabuleux dès l’instant où le couple se délite et que la femme fait une fugue. Il y a un cadrage incroyable déjà quand les personnages se tiennent sur le haut de la péniche. Je reconnais les lieux, l’Oise, les écluses. Et lorsque ce couple est séparé, que l’un déprime sur son bateau en espérant qu’elle reviendra, ne se pardonnant probablement pas sa dureté envers elle, que l’une rêve de son homme qu’elle a quitté sur un coup de folie car elle ressentait un besoin de ville, Vigo opte pour quelque chose d’insensé : Il les fait se coucher dans un lit séparément (en montage alterné) et se toucher mutuellement, comme si de nouveau ils se retrouvaient, ils couchaient ensemble à distance. Je repense encore à cette frénésie amoureuse qui naît essentiellement dans une séquence où un seau d’eau est rempli et que l’homme doit y voir sa bien-aimée à l’intérieur en y ouvrant grands les yeux. Et qu’il répète cela à la fin du film, se jetant de L’Atalante dans l’Oise espérant croiser le regard de sa belle, qui apparaîtra oniriquement en robe de mariée (rappelons qu’il s’agit de leur voyage de noces). Il y a des instants lumineux, incroyables, sortis de nulle part. Si l’Atalante n’est pas la claque que j’imaginais (il n’est rien face à l’Aurore de Murnau à mon sens) il m’en restera des images tout de même, et de grandes images, ce qui n’est déjà pas si mal.

Zéro de conduite – Jean Vigo – 1933

25Les toits dont les rêves sont faits.     

   8.0   Je me suis toujours demandé ce que Truffaut et Rozier avaient en commun. C’est Jean Vigo. Zéro de conduite pourrait à la fois être une matrice de Rentrée des classes et de Les quatre cents coups. La fuite ne se fera pas vers l’extérieur comme René dans une rivière ou Doinel vers l’océan  mais sur les toits de l’école. Zéro de conduite c’est le récit d’un quotidien scolaire, de la rentrée (l’arrivée par le train) jusqu’aux fêtes de l’école. On y verra les classes et les dortoirs, le réfectoire et la cours de récré. A aucun moment Vigo ne cherche de sérieux chez ses personnages, c’est leur amusement, leur besoin de transcender le quotidien, de transgresser les règles sur lesquels il préfère se pencher. A la fin du film, les modèles dansants d’A propos de Nice sont devenus ici des pantins masqués, et la dimension festive prend une autre tournure lorsque les enfants décident d’y insuffler leur rythme. Les ralentis sur lesquels s’appuyait Vigo dans sa commande pour la natation sont réemployer de façon magnifique, où l’on découvre les enfants dans une marche en avant, marche révolutionnaire avec pluies de plumes de toute part après une énorme bataille de polochons, les discernant difficilement derrière tout ce chambardement, ces confettis et ce mouvement permanent. Ça c’est pour la dimension de liesse, ce climat qui rappelle des souvenirs, de joie ultime que l’on a ressentie dans notre enfance, aussi minces soient-ils. Ce sont ces moments là que l’on se souvient le plus. Comme des batailles de nourriture à la cantine, l’élaboration de divers plans dans la récré, une bonne entente avec un surveillant mais pas les autres, la cigarette dans un coin de la cours. Mais ce sont aussi des scènes de classes qui marquent, comme ce garçon interrogé par son professeur lui répondant un ‘Je vous dis merde’ sec et désintéressé. Ou bien cette main moite du professeur sur celle de l’élève, lui inspirant probablement un profond dégoût. La chair comme dans A propos de Nice semble être un élément important chez Vigo. Zéro de conduite doit être son film le plus autobiographique, c’est aussi le plus beau, le plus fort de ses films, il contient tellement du cinéma d’après.

La natation par Jean Taris – Jean Vigo – 1931

40L’homme-dauphin.   

   6.0   Film de commande pour la série Journal Vivant, La natation par Jean Taris est un documentaire sportif de neuf minutes. Pas le plus fou des films de Vigo il y a néanmoins une manière singulière de s’y prendre. Un homme parle en off, expliquant ses mouvements, faisant un cours de natation rapide. On le verra presque uniquement dans l’eau, souvent par l’intermédiaire d’images ralenties de façon à saisir les moindres gestes, la moindre respiration. C’est drôle d’avoir comme sujet la natation au cinéma : il semble y avoir quelque chose qui les relie, dans l’instant, la synchronisation, de la respiration et du corps pour l’un, de l’image et du son pour l’autre. Le film pourrait être anecdotique alors qu’il appelle la suite : il n’y a qu’à voir l’image lorsque le corps la quitte, les gouttes d’eau qui envahissent l’écran. Vigo a joué sur les contrastes et c’est beau, presque fascinant.

A propos de Nice – Jean Vigo – 1930

70La chair et la mort.     

   7.0   C’est un vrai/faux docu sur Nice, où l’on découvre son apparence et son envers, sa liberté de s’auto détruire. Nice apparaît ville de plaisir, ville à plaisirs, enchantement permanent au premier abord et par un montage savant devient moins beau, il semble y flotter une odeur de mort dans ce dédale coloré, éblouissant, trop sans doute. Un homme installé au soleil sur une chaise longue devient noir brûlé dans le plan suivant. Des enfants qui jouent sur un trottoir que l’on découvre peu après rempli de déchets. Même sans être trop démonstratif Vigo tire de Nice quelque chose de désolant. Il suffit de voir ce monde s’empiler, s’adonner à des réjouissances égoïstes, car il n’y a pas vraiment de vie dans cet afflux humain, que l’on soit sur la plage ou sur la promenade des anglais. L’exhibition, la déformation du paysage, l’accoutumance au crade pour finir sur une danse clairement macabre. Vigo disait à propos de son film : « (…) sitôt indiqués l’atmosphère de Nice et l’esprit de la vie que l’on mène là-bas – et ailleurs, hélas ! – le film tend à la généralisation de grossières réjouissances placées sous le signe du grotesque, de la chair et de la mort, et qui sont les derniers soubresauts d’une société qui s’oublie jusqu’à vous donner la nausée et vous faire le complice d’une solution révolutionnaire ». A propos de Nice c’est cela. C’est une vision des plus inquiétantes qu’en a Vigo, et elle date de 1930.

Enter the void – Gaspar Noé – 2010

Enter the void - Gaspar Noé - 2010 dans Gaspar Noé enter-the-void-1

Tokyo trip.     

   7.0   Noé fait partie de ces cinéastes qui se prennent pour des virtuoses. Volonté de faire quelque chose de différent, voire de révolutionner le cinéma, de manipuler les sentiments du spectateur et conscience de tout cela. Un peu comme Lars Von Trier, cinéaste que Noé affectionne, il le revendique, cinéaste dont il semble se rapprocher dans la volonté créatrice formelle (mouvements de caméra, improvisations, plans impossibles…) de même que sur l’aspect mélodramatique de leurs récits. A la différence que Noé aime moins l’esprit glauque que crasseux, il ne filme pas à hauteur d’hommes, enfin pas vraiment, il entre dans les personnages, il virevolte autour d’eux où les enferment dans des cadres exigus. C’est le cas dans ses premiers films – Carne et Seul contre tous – où il nous fait partager les sentiments d’un boucher pervers, raciste, dont la vie minable et la société qui l’entoure le rendent taré. Film étouffant au possible. C’est le cas aussi dans Irréversible où il se place en tant que voyeur, au-dessus des personnages en début de film (ce sera le procédé majoritairement utilisé dans Enter the void), avant d’entrer à leurs côtés pour un déluge de violence où l’on à l’impression d’être leurs doubles, puis en fin de film en caméra aérienne, plans-séquences posés, mais davantage comme un œil extérieur, presque celui d’un fantôme, comme celui d’Oscar dans Enter the void.

     Avec Enter the void (initialement appelé Soudain le vide, judicieusement rebaptisé) Gaspar Noé expérimente encore davantage. C’est son film, et de très loin, le plus jusqu’au-boutiste à ce jour. Générique tout simplement hallucinant dans un premier temps. Noé faisait sensation avec Irréversible en mettant le générique de fin au début du film, défilant en sens inverse à l’écran, de haut en bas, lettres renversées. Il récidive ici avec ce montage épileptique, où l’on n’a le temps de rien lire et on est agressé par un gros techno surpuissant et des lettres pleines de couleurs à donner mal au crâne d’entrée. Générique le plus fort vu depuis longtemps. Ensuite, ce que l’on appellera la première partie, où l’on suit intégralement en caméra subjective, en temps réel, et en plan-séquence unique (mais clairement truqué) les derniers instants de la vie d’Oscar dans un Tokyo aux couleurs et aux bruits ahurissants. Je reviens un instant sur les premières secondes du film où l’on voit Oscar et sa frangine (Paz de la Huerta) sur le balcon de leur appartement, accoudés face à un immense Love Hôtel aux couleurs psychédéliques et Oscar qui demande à Linda d’observer cet avion, unique lumière dans le ciel nocturne. Il y a une telle sensation de vertige dans cette scène, j’ai beaucoup pensé à Cloverfield – la scène sur le toit pendant la première explosion – j’ai trouvé ça tout simplement monstrueux. Il y a un moment fort dans cette longue séquence subjective : Oscar se fait une pipe de DMT, drogue à la faculté de faire ressentir le passage entre la vie et la mort, et se laisse aller dans un long trip psychédélique. Six minutes durant on se croirait en train d’observer un lecteur Windows media, ça c’est pour ceux qui n’entrent pas dans le délire, ou plutôt revivre quelques sensations éprouvées durant le voyage à l’infini dans 2001, l’odyssée de l’espace. De toute façon c’est citable, puisque Noé le revendique haut et fort que c’était son rêve de faire une séquence hallucinatoire à la 2001. De la même manière il ne cache pas que les séquences au-dessus des personnages, où il les suit d’une pièce à une autre, d’un quartier à un autre, il les a pioché chez De Palma. Pour en revenir à cette séquence, elle représente ce que j’aime dans le film, au moins dans cette volonté totalement libre de faire partager un délire. Que l’on entre dans le film ou pas, on ne peut nier le fait que Noé ait réalisé un trip, qui sort en totalité de sa tête, un truc qui ne ressemble à aucun autre. Pour cette simple raison je trouve cette première partie épatante.

     Et là c’est intéressant : Interprétation libre. Je trouve les dialogues avec son pote au début complètement superflus. Celui-ci lui parle de la mort, de réincarnation, du livre des morts tibétain (Avant tout on revoit des instants de sa vie, puis on a le don d’ubiquité, de tout voir et de tout entendre, avant d’avoir le choix d’une lueur, d’en sortir ou non, de se réincarner…) et c’est en toute logique que tout le film ne fait qu’explorer la théorie expliquée par son ami. En toute logique donc, malheureusement. Ça ne me plait pas. Alors, comme ça ne me plait pas, que je trouve ça gros, presque grossier, j’essaie de voir autrement. Il n’y a rien dans le film qui ne dit pas que l’on est en train de vivre un trip hallucinatoire total, dont le point d’orgue serait le Love Hôtel et la réincarnation finale, qui provoquerait son propre réveil. J’aime l’idée d’un trip total. Parce que dans la seconde partie (nous sommes l’esprit d’Oscar, nous voyons des moments de sa vie, dans un maelström éprouvant) il y a des choses que je n’aime pas trop : c’est le côté mécanique des transitions (un objet en appelle un autre, un visage en appelle un autre) mais surtout les coïncidences temporelles un peu bizarres. Dans la troisième partie, l’esprit d’Oscar semble virevolter, tente de trouver sa place, et se déplace par sources lumineuses (oh le procédé relou). Une partie intéressante mais très vite éreintante. On voudrait que ça se termine, vite. Et puis ces allers et venus entre les immeubles de la ville, franchement c’était saoulant. C’est ce que je reproche au film en fin de compte, ce côté mécanique. Il y a moyen de partir vraiment dans un délire sans précédent, au lieu de ça, de nombreuses scènes se répètent, et surtout tout devient prévisible. Noé nous fait voyager à travers un esprit, et il le condamne à une contrainte des distances, comme s’il était encore un corps, un esprit ‘téléportable’ aurait été plus judicieux. Rien ne l’empêchait de le faire.

     Mais Enter the void explore une de mes grosses faiblesses au cinéma. A partir du moment où je trouve quelque chose de fabuleux dans un film (ici en l’occurrence il s’agit du générique, de la partie en subjectif et de la scène au Love Hôtel) il m’est alors difficile de ne pas aimer le film, à moins que celui-ci en devienne tellement insupportable qu’il efface mes fortes émotions ressenties précédemment. Ce qui donne une poignée de film que je n’ai pas honte d’aimer, le terme est trop fort, mais que j’aurai probablement regardé d’un autre œil s’ils étaient dépourvus de certaines séquences qui me happent. Récemment, avant Enter the void, c’était Vahlalla rising qui m’a fait cet effet. L’ambiance musicale et le silence me plaisaient. Il y a quelques années, il y avait Apocalypto, dont j’aimais l’énergie foudroyante. Je n’ai pas d’autres exemples en tête là. Quoi qu’il en soit, le visionnage d’Enter the void arrive dans une période où je n’avais guère envie de ça. Ayant vu La blessure récemment, le film de Klotz, je cherchais davantage à entrer dans une période « plans fixes », en me refaisant tous les Akerman d’ailleurs. Ici on est dans tout l’inverse ! Pourtant j’ai été embarqué. Je craignais ce film et il m’a embarqué. Il y a une tonne de défauts mais il y aussi suffisamment de choses que j’aime pour oublier un peu ce que j’aime moins. La dernière demi-heure par exemple.

     Enter the void trouve toute sa dimension dramatique dans une scène qui revient fréquemment, comme un souvenir difficile à jamais gravé dans une mémoire, c’est l’accident de voiture avec les parents. C’est probablement la scène la plus violente du film, avec la présence du sang, les visages atrophiés des parents, les cris de la petite sœur. Cette scène me rappelle émotionnellement celle de Tétro, où il y avait là aussi un accident de voiture qui investissait fréquemment la mémoire du personnage. L’accident dans Enter the void a un double emploi : il permet de tisser les liens mélodramatiques qui touchent de plein fouet une famille (Une seconde qui change une vie, une spéciale Noé, le temps détruit tout, disait-il dans Irréversible) et de comprendre la proximité d’un frère et de sa sœur par la suite. La promesse (de sang) de ne plus jamais se quitter, jusqu’à l’épisode de séparation dans des orphelinats séparés. Il y a comme un mystère qui touche à cet amour entre le frère et la sœur, un amour qui serait encore plus fort. Oscar n’aime pas l’idée que l’on touche à sa sœur, cette réaction n’appartient pas tant à une surprotection qu’à un amour incestueux refoulé. Là j’ai pensé au dernier Bonnell, La dame de trèfle, qui dans une mise en scène beaucoup plus sobre, et avec comme fond une histoire de meurtre, le cinéaste tissait cette inceste mystérieuse, ne dévoilant jamais cette vérité inavouable. Noé prend moins de pincettes, néanmoins, le mystère demeure, concernant la réciprocité.

     Tout ça c’est bien joli mais je ne pense pas que c’est ce qui intéresse Noé. Dans Irréversible au contraire la mise en scène se mettait au service du récit. Il fallait avant tout filmer un couple d’acteurs. Il fallait montrer un déluge de violence dans une boite de nuit. Montrer un viol en temps réel. Montrer un long dialogue dans un métro. Un plan-séquence (trafiqué ou non) pour chaque scène, treize au total, si ma mémoire est bonne. Mais une histoire, construite façon Mémento, commençant par la fin, finissant par le début. Vingt-quatre heures de la vie d’un couple qui bascule, de la vengeance assouvie au calme d’un après-midi printanier. Dans Enter the void, et même si le scénario semble beaucoup plus travaillé, on a vraiment l’impression d’avoir affaire à une performance mise en scénique. La caméra subjective pendant plus d’une demi-heure. Des plans-séquences aériens impossibles. Un montage sonore hallucinant, j’y reviens. Voilà pourquoi j’aime Enter the void. Noé ne s’est pas contenté de faire du Noé. Il m’a fait vivre quelque chose de fort. C’était une expérience. Une expérience visuelle et sonore hors du commun. L’image c’est la couleur avant tout qui lui offre un charme si singulier. Noé dit qu’il fallait réduire la présence du bleu au maximum. Le bleu, dit-il, efface la force des couleurs vives, à choisir il préfère utiliser le noir qui les fait ressortir. Je ne sais pas si c’est vrai, mais une chose est sure, je n’avais jamais vu un déluge de couleurs vives de la sorte. Les personnages évoquent un moment donné l’idée du bad trip dans la prise de DMT. C’est à dire que l’on se sent bien et qu’instantanément, pour un truc ou un autre, on se sent mal. Et se sentir mal dans une ambiance aussi dingue c’est badant à mort. C’est ce que j’ai ressenti par moment. En fin de compte je me demande si ce n’est pas l’effet recherché par le cinéaste : offrir une sensation de bien-être mélangé à un mal-être enfoui, comme s’il cherchait par le cinéma à nous procurer ce qu’une drogue hallucinatoire peut procurer. Exercice périlleux voire hyper prétentieux mais mine de rien ça fonctionne presque, ça fonctionne même pas mal par moment. C’est dans le fonctionnement avec le climat sonore que les images sont percutantes. Thomas Bangalter (Daft Punk) déjà présent sur la bande-originale complète d’Irréversible a su créer ici des sonorités incroyables, étouffantes autant qu’excitantes. Des sonorités qui n’aurait d’égal visuel que la scène au Love Hôtel. Franchement, du début jusqu’à la fin, le travail sonore est ahurissant, c’est du jamais vu. La scène du Love Hôtel justement, j’en viens : Rarement une séquence dans un film n’aura autant combiné une telle palette d’émotion. Encore une fois c’est dans un plan-séquence improbable, que Gaspar Noé s’en va saisir les positions érotiques dans chaque pièce de l’hôtel, ‘censurant’ les sexes avec des espèces de flammes, de néons visqueux (ces fameuses lueurs selon le livre des morts tibétain) dans un brouhaha mélangeant son techno, respirations répétitives et cris d’orgasmes.

     Le film s’ouvrait sur un ENTER qui prenait tout l’écran. Il se clôt sur un THE VOID brutal remplaçant le THE END habituel. Pas de générique puisqu’il est déjà passé au début, les lumières se rallument d’emblée. La salle était sonnée, dans le bon ou dans le mauvais sens, peu importe. Je suis sorti de la salle en titubant, avec la tête qui tournait encore. Quelque part c’est cette sensation que je voulais avoir, donc c’est réussi, et puis je n’avais jamais vu un truc pareil. Sitôt que je vois le film comme le trip hallucinatoire d’un shoot d’un soir ça me plait, s’il s’agit d’autre chose un peu moins. Quoiqu’il en soit je suis ravi d’avoir vu ça au cinéma. Je pense que c’est le film de sa vie au cher Gaspar. Ça fait vingt ans qu’il le potasse. Ça fait vingt ans qu’il voulait le faire mais attendait le jour où il pouvait, techniquement, le faire. C’est un film où toutes ses obsessions sont réunies. C’est incroyable.

     Une dernière chose : je ne pense pas que Gaspar Noé cherche à filmer Tokyo dans Enter the void. Tokyo n’est qu’une toile de fond. Son rythme, ses bruits, ses couleurs. Tokyo est simplement utilisé comme le décor d’un trip. Comme cette maquette dans la chambre de l’ancien colocataire, où lorsque l’on éteint les lumières on a l’impression de voir Tokyo sous LSD, dira le personnage.

Eva – Gaspar Noé – 2006

Eva - Gaspar Noé - 2006 dans Gaspar Noé foto+eva+noe

Ronron.    

   4.5   C’est l’un de ses courts les plus intéressants, le plus proche d’Enter the void d’ailleurs. Découpé en trois parties durant chacune deux minutes, on suit une jeune femme, l’Eva du titre (Herzigova), effectuant des positions très sensuelles dans un couloir rouge d’hôtel, accompagné d’un chaton indiscret d’une part, allongée au bord d’une piscine de nuit, et joliment accompagnée ensuite, puis dans une ambiance stroboscopique et sombre, dans une séquence sexuelle très ‘Love Hôtel’. C’est beaucoup trop court pour que l’on émette n’importe quel avis, que l’on soit saisi de telle ou telle sensation (surtout à cause de cette découpe) mais il y a une atmosphère qui sent le sexe autant que la mort là-dedans, trois plans-séquences mobiles bien entendus, qui préparaient en quelques sortes son film somme.

Sida – Gaspar Noé – 2005

Sida - Gaspar Noé - 2005 dans Gaspar Noé noe_400-300x169 La parole immobile.   

     2.5   Ce court est très intéressant parce qu’il montre les limites du cinéma de Gaspar Noé, quand il s’agit d’écouter ses personnages. La parole chez Noé est réussie lorsqu’elle est off (Seul contre tous), lorsque l’objectif ne cherche pas tant à montrer qu’à s’immiscer (Le métro puis l’appartement dans Irréversible), lorsque le plan est fixe mais que le personnage qui parle fait un peu autre chose (Son court Intoxication). Ce qui ne fonctionne pas ici ce n’est pas le fait que les mots soient indépendants de l’image (Paz Encina le fait magnifiquement dans Hamaca Paraguaya par exemple) mais simplement le fait que l’image soit inutile, grossière voire putassière. Effectuer des gros plans sur un type qui parle de son sida, voir que physiquement il en souffre, ça ne m’intéresse pas de la façon dont il le fait : l’homme est assis sur un lit, ou debout dans une chambre, mais il ne vit pas vraiment. L’observer dans son quotidien (parce qu’il dit que même si la maladie l’immobilise, moralement et physiquement, il tente malgré tout de faire des choses) d’autant qu’il y a plein de trucs à montrer, aurait sans doute été plus judicieux. On est au Burkina Faso, d’accord il ne veut pas filmer le pays, sans doute pour universaliser ce message, mais était-ce une si bonne idée d’immobiliser le personnage, de casser la structure basique de dialogue dans l’image ? Bien sûr que cet homme se meurt peu à peu, mais fallait-il pour autant le montrer sans vie ? Le court dure presque 20 minutes, le procédé est vite usant. Et c’est la mise en scène qui le rend ennuyant, dommage.

Intoxication – Gaspar Noé – 2002

Intoxication - Gaspar Noé - 2002 dans Gaspar Noé 444-300x225 Monologue en cuisine.   

     3.0   Plan-séquence fixe de cinq minutes sur un monologue de Stéphane Drouot. Le réalisateur de Star Suburb parle de pureté cinématographique qu’il chercherait désormais à atteindre, il cite Akerman dans ses modèles, s’emploie dans un langage pathétique, parfois passionnant parfois incompréhensible. Ce film est très loin de ce que fait Noé habituellement. La caméra est immobile, pas de bruits sonores et l’on écoute un monologue d’un bout à l’autre. Quelque part je me dis que le cinéaste peut sinon se reconvertir (on reste tout de même dans une ambiance crado) changer le cap un jour ou l’autre. A suivre donc.

Sodomites – Gaspar Noé – 1998

image-w1280Capoté.

     0.5   Celui-là c’est l’horreur absolue. Il n’y a aucune idée de mise en scène, son seul intérêt réside dans l’utilisation du montage, épileptique, voire stroboscopique, au point de ne plus différencier le plan d’un autre. Dans une pièce qui aurait mieux fait d’être sombre (car très mal éclairée) une bande de dingues ascendants primates vêtus de cuir s’apprête à démontrer les vertus du préservatif. Publicité peut-être, mais publicité trash. Un homme/bête est condamné à utiliser la capote et le lubrifiant s’il veut se faire la nana qu’on lui présente. Pendant ce temps on voit Philippe Nahon (futur boucher facho) qui se masturbe. Les scènes de sexes sont explicites, pornographique (pénétration en gros plan) et le climat est assourdissant. La fin est à mourir de rire. Bref c’est nul.

Tintarella di luna – Gaspar Noé – 1985

Tintarella di luna - Gaspar Noé - 1985 dans Gaspar Noé Tintarella-di-luna

L’œil du diable.     

   5.0   C’est le tout premier court-métrage de Gaspar Noé. Celui dans lequel on ressent le plus une inspiration directe, ce petit monde surveillé rappelant très largement le premier film de David Lynch, Eraserhead. Durant les premières secondes nous plongeons lentement en avant dans une sorte de ville à l’abandon, funeste, qui combat actuellement la peste. Très peu de survivants, nous l’apprend ce carton initial. Une femme, que nous allons suivre, se prostitue puis tente de rentrer chez elle. Sur le chemin, le long d’un canal, elle est agressée par un homme qui l’étrangle, la fait tomber à l’eau et la laisse se noyer. Le village apprend alors qu’une personne de plus est décédée des suites de la peste cette nuit dans les vallées boueuses. La caméra effectue un zoom arrière sur le village et nous voilà au-dessus. La main d’un homme s’en va saisir le petit personnage mort, le met dans sa poche et ferme la maquette avant de s’en aller, comme un dieu qui surveillerait une ville, ou un homme qui se fabrique une petite histoire à l’aide de figurines. On n’en saura pas plus. Ce film fonctionne très bien, et ne dure que 16 minutes, car on entre très facilement dans cette petite histoire de survie dans le glauque. Noé n’aura jamais fait autre chose qu’expérimenter la survie, alliant toujours violence et sensualité. Ce premier court est probablement son meilleur même si esthétiquement y a du progrès à faire.

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