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Un baiser s’il vous plait – Emmanuel Mouret – 2007

Un baiser s'il vous plait - Emmanuel Mouret - 2007 dans Emmanuel Mouret un%20baiser%20s%27il%20vous%20plait(1)La délicatesse.    

   7.5   Saisir des situations du quotidien, les rendre singulières et travailler autour, les faire fleurir pour en saisir toute leur beauté, leur gravité, leur absurdité. C’est en quelques sortes l’objectif du cinéaste dans ce film comme dans les autres. Un baiser s’il vous plait permet de voir plusieurs histoires, les unes dans les autres, souvent racontée par un narrateur qui chaque fois s’efface et laisse vivre son récit comme s’il provenait du présent.

     Au début Emilie se perd et demande son chemin à Gabriel. Par un concours de circonstances il l’emmènera à destination avec sa voiture, ils vont discuter, sympathiser, puis dîner. Ils sont tous deux mariés mais lui voudrait lui laisser un baiser, qu’elle esquive doucement, contre son gré. C’est qu’elle connaît une amie à qui il est arrivé une histoire de ce genre, qu’un baiser a lancé puis tout foutu en l’air.

     Nous voilà donc embarqué dans une autre histoire, celle d’une femme, mariée, un boulot qu’elle aime, un meilleur ami avec qui elle partage ses angoisses, lui fait part de ses conseils. Une petite vie tranquille et sans histoires qui bascule imperceptiblement le jour où son meilleur ami, Nicolas (Mouret himself) récemment laissé à l’abandon par une fille qui est partie en Asie, ne va pas bien et pense que son mal-être est dû au manque de sexe qu’il n’arrive guère à concrétiser dès l’instant qu’il ne partage pas un minimum de complicité avec sa partenaire. Judith acceptera donc (non sans hésitation) de venir au secours de son ami, de soigner ses maux pour qu’enfin il s’épanouisse à nouveau. Le baiser va tout changer, car ce baiser qu’ils s’offrent l’un et l’autre, ils n’en ont jamais eu de tels. Puis c’est en faisant l’amour qu’ils découvrent tous deux des sensations nouvelles qu’ils ignoraient complètement.

     C’est toute la beauté et la gravité du film de Mouret, qui montre l’éclosion d’un amour impossible puis la confrontation dans une deuxième partie avec les petits amis respectifs, souvent laissés sur la touche. Ce n’est pas tant le rapprochement en tant que tel qui est réussi (et pourtant il marche, j’y ai cru d’un bout à l’autre) mais la manière qu’a Mouret de le traiter. Avec beaucoup d’humour essentiellement. Il y a une scène savoureuse, irrésistible : les deux amis décident de remettre le couvert en y donnant de la mauvaise volonté de façon à désacraliser l’unicité de leur acte, ils vont donc faire ça par-terre et le moins glamour possible. Malheureusement ça ne marche pas (à cet instant on fait un bref retour à notre rencontre du début, l’homme qui coupe la jeune femme en lui disant qu’il se doutait du non-fonctionnement de leur plan. Plus tard d’ailleurs il la coupera une nouvelle fois, simplement pour lui raconter une histoire de cinq minutes, qui lui est arrivé par le passé, projetée à l’écran de la même manière que le reste, par l’effacement du narrateur derrière son histoire, aussi rapide donc soit-elle) et Judith a un autre plan : Puisqu’ils ont tout fait pour que le plaisir ne refasse pas surface, elle propose de recommencer et tout faire pour qu’ils en éprouvent un maximum, ainsi peut-être que les sensations s’inverseront. Scène hilarante et je pèse mes mots. Bien entendu ça ne marchera pas non plus. Et ce qui devait ressembler au départ à un simple rapport sexuel médicament va se prolonger en relation sexuelle régulière, les deux amis se désirant presque dorénavant à chaque moment de la journée.

     Je ne vais pas raconter la suite du film que l’on pourrait croire plus conventionnelle, chargée, peut-être même trop affectée. Il n’en est rien. Mouret est resté très sobre jusqu’au bout de son film, et les rebondissements se feront encore nombreux, d’autant qu’il a su faire exister les deux autres personnages, jusqu’ici hors-champs à savoir les deux petits amis officiels respectifs. Le projet aboutira alors sur un nouveau baiser, dont on se demande s’il ne va pas encore une fois changer la face du monde. C’est peut-être du vaudeville, mais alors du vaudeville de première classe. Les plans sont allongés, souvent fixes et saisissent chaque personnage avec amour et élégance. Au passage l’interprétation est formidable. C’est à la fois drôle et très émouvant.

Changement d’adresse – Emmanuel Mouret – 2006

Changement d'adresse - Emmanuel Mouret - 2006 dans Emmanuel Mouret change-of-address-changement-d-adresse-1Demain on déménage.    

   6.5   Changement d’adresse est un film très attachant, toujours grâce à son personnage qu’il joue lui-même, ce type maladroit, respectueux, toujours à se poser des milliers de questions, mais tout particulièrement ici grâce à la présence de Frédérique Bel, sublimée en bonne copine curieuse, sorte de miroir du réalisateur/personnage.

     Le film commence par un déménagement, logique. Ou plutôt il commence par une recherche d’appartement. David vient à peine d’accoler sa demande sur la vitrine d’un magasin qu’il est interpellé par une jeune demoiselle qui dit connaître quelqu’un qui recherche un colocataire. En fait, on se doute assez vite qu’il s’agit d’elle dès l’instant qu’elle l’emmène visiter l’appartement, prétextant qu’elle vit momentanément chez son amie, et invente tout un tas de trucs pour ne pas être grillée avant que le garçon en question lui ait fait bon effet. Elle lui avouera rapidement le subterfuge et bientôt il emménagera à ses côtés, dans cet appartement pour le moins étrange, sans vraiment l’être, assez banal en apparence, mais non doté de cloisons entre les pièces, chambres comme salle de bain, qui se retrouve en plein milieu du salon, ce qui n’a jamais été un problème selon elle.

     L’ambiance du film est installée. Bien plus installée encore lorsque David avoue à sa colocataire qu’il joue d’un instrument : le cor. Vient alors toute une série de jeux de mots subtils autour de cet instrument, que le spectateur voit souvent plus comme un corps que comme un cor. C’est très drôle. Le film fonctionnera toujours de cette façon là, c’est la patte Mouret. Il y a un truc vieux burlesque là-dedans hyper savoureux. Souvent par les mots, mais parfois aussi par les gestes. Quand David tombera amoureux d’une jeune femme à qui il donne des leçons de cor, et que Frédérique tombera amoureuse de l’homme à la photocopieuse, leur petit manège s’intensifie, entre conseils et confessions. A tel point que les barrières n’existent plus et ils apprennent à leur insu à vivre comme un couple (il discute avec elle lorsqu’elle prend son bain, ils dorment parfois ensemble, même une fois ils font l’amour, qu’ils oublieront aussitôt, prétextant qu’il ne vont pas culpabiliser d’avoir penser à leurs amours respectifs, j’étais plié) voire comme un vieux couple (dès l’instant qu’ils jouent au Monopoly ou bien qu’elle dit retrouver ses chaussettes au quatre coins de la pièce).

     La venue d’un nouveau personnage, en l’occurrence Dany Brillant ne fait pas partie des moments mémorables du film. Changement d’adresse perd alors un peu de son rythme. La fin est très belle en revanche. Après, je ne peux m’empêcher de me dire, maintenant que j’ai vu Un baiser s’il vous plait, que Mouret est encore meilleur quand il exploite à fond ses personnages. Dommage qu’il laisse ainsi de côté le personnage de Frédérique Bel, on aimerait tant nous aussi l’accompagner à la photocopieuse.

Dolce – Aleksandr Sokurov – 2000

63La parole condamnée.   

   4.0   Dolce est moins un film de mise en scène que de narration pure. Il s’ouvre comme on ouvre un roman photo, d’ailleurs les images se succèdent et les pages se tournent, rien ne les différencie. Mais la majorité du film saisit en gros plan le visage d’une femme dont on a d’autre choix que d’accepter ses dires, à ce stade il s’agirait même plutôt d’une complainte. C’est un peu le problème de Dolce que les autres films de Sokurov n’ont pas, c’est un film qui bavarde mais qui n’enrobe pas ce bavardage. C’est une narration non accompagnée. Ce n’est pas vraiment du cinéma en somme. Reste qu’il y a une maîtrise indéniable dans le récit, mais qu’il ne s’agit essentiellement que d’écriture. Rien ne vit vraiment là-dedans.

Une vie humble (Smirennaya zhizn) – Aleksandr Sokurov – 1997

51Coma.     

   6.5   Le titre ne ment pas, c’est bien une vie humble que film Sokurov, pour du cinéma qui l’est tout autant. Petit village dans les montagnes japonaises, dans une vieille maison isolée où le cinéaste, tel un conteur, filme une dame âgée, solitaire, la découvrant en train de coudre des kimonos, cuisiner, manger, se coiffer et pour finir réciter une prière à la solitude. De temps en temps, la voix off, qui est celle du réalisateur, vient annoter quelques sentiments, les siens durant ce voyage et la découverte de cette culture traditionnelle. Accompagnée comme c’est toujours le cas chez le cinéaste russe par des images sublimes, poétiques, naturelles, constamment en mouvement, qu’il s’agisse de s’attarder sur le crépitement d’un feu, un vent violent ou lointain ou sur les déplacements des corps humains, cette œuvre, qu’il faut regarder dans un état proche du coma, distille une atmosphère des plus agréable à défaut d’être bouleversante.

Elégie orientale (Vostochnaja elegija) – Aleksandr Sokurov – 1996

Elégie orientale (Vostochnaja elegija) - Aleksandr Sokurov - 1996 dans Aleksandr Sokurov fscje-300x225Dans la brume.

   7.0   Le film défile derrière une épaisse brume, comme s’il s’agissait de lointains souvenirs ou d’un rêve qu’il est difficile de se rappeler. Le narrateur tente de raccrocher ses mots à ce qu’il voit, ce qu’il rêve, ce qu’il se souvient, d’abord d’après la géographie, évoquant son errance dans les lieux, son entrée silencieuse et en apesanteur dans cette nouvelle culture, puis en se penchant sur les témoignages de différentes personnes, sur des évènements du passé, réels ou mythologiques. Enorme travail sur l’image et l’ambiance sonore, tentant de reproduire un état proche de la méditation.

Miel (Bal) – Semih Kaplanoglu – 2010

Miel (Bal) - Semih Kaplanoglu - 2010 dans Semih Kaplanoglu

L’esprit de la ruche.

     5.5   Avant la séance le projectionniste m’a défendu d’aller voir le dernier Lelouch en appuyant ses arguments sur l’affiche, qu’il jugeait très représentative du film. Je n’étais pas spécialement motivé de toute façon, ce sera selon le temps et les films qui me restent à voir. Je prenais alors une place pour Miel, ce film turc auréolé d’un ours d’or à Berlin, qui lui séduisait autant par son affiche que par son titre. Le projectionniste me dit que c’est un film très beau, très contemplatif, que ça devrait donc me plaire. Raté ! Enfin, raté, c’est un grand mot. C’est justement parce que je le trouve trop propre, trop joli, hyper cadré, très calculé en fin de compte qu’il ne m’embarque pas. Je ne sais pas si c’est un film poseur, mais j’ai le sentiment d’un cinéaste qui fait du plan plutôt qu’il ne raconte. Sa caméra est posée ici, puis là, parfois à bon escient – derrière un feuillage alors que le jeune garçon s’en approche, comme pour voir ce qu’il va voir avant qu’il ne le voit – parfois inutilement – les multiples plans à travers le bocal, comme pour insister sur l’effet Graal aux yeux du petit garçon, ou encore ce plan sur le doigt qui se lève et tout le flou autour. C’est un film qui ne vit pas vraiment, tout m’apparaît tellement cadenassé que je vois le travail et non le fruit de ce travail. Il y a deux séquences néanmoins réussies, au point d’entrer dans mes séquences préférées de l’année, au point d’améliorer considérablement le film à mes yeux, pendant la projection comme maintenant, car j’y pense beaucoup. C’est la scène de la recherche sur cette colline, qui sort complètement de ces plans très cadrés, c’est une scène qui prouve que le cinéaste filme incroyablement bien le groupe et quand sa caméra se fait plus mobile, insuffle de la vie à tout ça et une dramaturgie forte. C’est la scène du sceau d’eau où la lune s’y reflète, parce qu’à cet instant je vois un garçon qui découvre les choses de l’univers – ce que tend à être le film en son entier, mais de façon maladroite – et c’est une scène obscure avec comme seule lumière ce petit cercle lunaire que le garçon tente d’attraper, avant de le laisser se reformer lentement dans son reflet. Je suis déçu car j’attendais énormément de ce film. Déception relative évidemment, ne serait-ce que concernant le travail sonore, que j’ai trouvé magnifique, le temps que prend le cinéaste pour apprivoiser cet enfant et le drame qui se dessine autour de lui. Il m’a manqué quelque chose. Ce que j’ai dit précédemment mais aussi la surprise. Tsaï Ming-Liang qui travaille lui aussi beaucoup sur du plan fixe narratif arrive à faire vivre ses plans, en les étirant un maximum ou alors en allant y débusquer des envolées incroyables. Ce n’est pas l’effet que ça me fait ici, ou alors très rarement. J’aurais cependant très bien pu citer la fin du film dans les séquences réussies, car elle est vraiment magnifique.

Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu (You will meet a tall dark stranger) – Woody Allen – 2010

Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu (You will meet a tall dark stranger) - Woody Allen - 2010 dans Woody Allen .vous-allez-rencontrer-un-bel-et-sombre-inconnu-naomi-watts_m

Mais si l’amour.     

   5.5   S’il a perdu sa veine incisive Woody Allen n’en a pour autant pas perdu son ludisme, sa capacité à tisser ses histoires autour de ses personnages. C’était déjà le cas avec Scoop, drôle et attachant. Mais dans ses petites histoires à l’intérieur de la grande, Woody réussit étrangement mieux tout ce qui tourne autour de ces quarantenaires (Naomi Watts, Josh Broslin, Antonio Banderas) moins les autres. J’ai une impression de vieillot à chaque apparition d’Anthony Hopkins, avec sa prostituée écervelée, une impression de film en pantoufle. C’est mignon, un peu mordant parfois, mais tellement anecdotique. Quant à l’ex-femme, la mère du film en somme, tous ces élans spirituels sont tellement appuyés qu’ils lassent. En revanche dès que Woody se penche sur ce couple en crise, parce qu’il n’arrive pas à finaliser son livre et qu’il tombe sous le charme de sa belle voisine, parce qu’elle voudrait fonder une famille, ouvrir sa propre galerie et tombe sous le charme de son supérieur, le film devient beau, touchant et fonctionne très bien. Ce n’est pas un Woody Allen qui me marquera, comme souvent de toute façon. Disons qu’il se situe entre Vicky Cristina Barcelona et Scoop. Un peu mieux que le premier, un peu moins bien que le second. On y pense un peu après coup mais on oublie assez vite.

The American – Anton Corbijn – 2010

The American - Anton Corbijn - 2010 dans Anton Corbijn slideshow_1001652552_2010_the_american_0201Mister Butterfly.

     7.5   Ce n’est pas un polar sur un tueur à gages à la mode Jason Bourne (trilogie que j’aime bien cependant) on est plus dans le registre de l’homme solitaire et seul, pris dans un espace façon Melville. On pense assez au Samouraï, peu au niveau du récit – avant tout centré ici sur la préretraite d’un tueur – davantage au niveau formel, quand la lenteur épouse le quotidien du personnage. Quand on voyait Delon chercher la bonne clé dans un trousseau qui en comptait des dizaines, et cela, Melville prenait le temps de le filmer, presque en temps réel, ici il est récurrent de voir Clooney s’occuper d’un fusil, effectuer des réglages, l’assembler scrupuleusement pièce par pièce, afin que l’objet soit prêt pour un exécuteur. Avant cela, lorsque sa couverture est grillée, dans le fin fond de la Suède, où il est obligé de se séparer en plus de ses assaillants, de la femme avec qui il prenait congé, parce qu’elle découvrait son identité (ou parce qu’il la pensait inquisitrice de tout ça, possibilité peu probable mais non négligeable) l’Américain, car c’est principalement comme ça qu’il sera appelé ou parfois Jack, parfois Edward aussi, prendra le train pour l’Italie, la région des Abruzzes, pour se faire tout petit et attendre son prochain contrat. Et Anton Corbijn (le génial réalisateur de Control, son premier long métrage, qui succédait à de nombreux clips), avec minutie, filme le quotidien de cet homme. Dans la plus banale illustration : musculation matinale, divers repas, virées chez les prostituées, échanges avec le prêtre du quartier, quelques cafés pris ci et là, que Corbijn accompagne du plus profond silence. C’est un film silencieux, dont certains passages rappellent le cinéma de Léone, cité clairement le temps d’une scène où l’on passe Il était une fois dans l’Ouest dans un bar. Mais aussi dans sa représentation Melvilienne : Rapidement appelé pour un nouveau coup dont il n’en sera pas le finisseur, l’Américain se doit donc de préparer une arme pour une collègue. Tout est précis, minutieux, millimétré, incompréhensible aussi lorsque les deux tueurs échangent un jargon du métier qui nous arrive comme charabia, et surtout ancré dans une unité temporelle de façon à ce que l’on éprouve comme l’Américain. En ce sens The American ressemblerait plus à Policier adjectif, autre film vu cette année, sur le quotidien répétitif, solitaire et en temps réel, qu’à n’importe quel film (américain) sur le même sujet. Ou alors à The limits of control, sorti l’an dernier, plus classique cependant que le Jarmusch qui était solaire, ambiant drôle et très radical. Il y a deux scènes que j’aurai enlevées : une scène de bar, lorsque l’Américain observe l’homme qui le poursuit,  je n’aurai rien enlevé de la scène à proprement parler, je l’aurai simplement épuré en enlevant la chanson Tu vuo’ fa’ l’Americano, d’une part je n’en vois pas l’intérêt, si ce n’est comme clin d’œil second degré qui dénote avec le reste du film. J’aurai supprimé aussi les échanges entre le patron et la tueuse, en gros tout ce qui se passe dans le dos de Clooney, dans les toutes dernières scènes du film. Je préfère nettement quand je n’ai aucune avance sur lui. Finalement, la fin montrera qu’il en savait plus qu’on l’imaginait, mais c’est cette sensation que je trouvais remarquable, puisque de toute façon il ne s’agit que d’un film sur les inquiétudes, l’incapacité à se détacher de son passé. Car The American c’est avant tout un film sur l’homme vieillisant – George Clooney toujours beau (peut-être même encore plus que d’habitude) laisse apparaître un visage souvent fatigué, poil grisonnant, renforcé par les interventions de son patron qui lui dit constamment qu’il se ramollit – et sur le désir impossible de tirer un trait sur des choses du passé. C’est aussi ce que cherche Clara, la prostituée avec laquelle il passé le plus clair de son temps (hors travail) et dont il tombe amoureux. Un homme qui reste et restera éternellement seul, c’est ce qu’il serait condamné à être s’il faisait un autre job. Là, il est condamné à la solitude mais surtout à une inquiétude permanente, incapable de faire entièrement confiance en qui que ce soit, incapable de dormir à poings fermés (Et cette tension est bien rendue, elle est présente tout au long du film). Ce qu’il fait le mieux c’est appréhender le monde, calculer son entourage, et dégainer le plus vite possible dans toutes les situations. En retraite, l’Américain n’est alors plus de ce monde, d’une part car il est inutile, aussi parce qu’il représente un danger. Il ne lui reste plus qu’à éviter de disparaître. Il devient papillon le temps d’un envol (des moments de grâce avec Clara) mais ne pourra résister longtemps à cette transformation éphémère.

Massacre à la tronçonneuse (The Texas Chain Saw Massacre) – Tobe Hooper – 1974

texas_chainsaw_massacre_1_lc_03Une nuit en enfer

     9.5   Comme souvent aujourd’hui ça commence en road-movie, une bande d’amis sillonne les routes avec leur minibus, discutent de signes du zodiaque, de cimetières profanés, de vieux abattoirs, de tout et de rien, et tentent de rejoindre la maison de famille abandonnée de deux d’entre eux, un garçon en chaise roulante et sa sœur, accompagnée. On est dans les grands espaces désertiques texans, à l’ambiance singulière que la chaleur vient alourdir. Ils prendront alors un type en stop. Mauvaise pioche ! Le type est un cinglé, fasciné par les couteaux, il n’hésite pas à se taillader la main devant eux, puis à leur demander s’ils peuvent le déposer chez lui. Voyant le groupe refuser sa demande, il décide de faire une entaille au bras du garçon handicapé puis de se tirer du minibus en y laissant un peu de son sang sur les portières. Plus tard, le groupe enfin à destination, s’éparpillera en forêt de façon à trouver de l’essence, un point d’eau ou simplement à passer du bon temps. Lorsque l’un d’eux, un peu trop curieux, fait irruption chez un autochtone, dans une maison d’apparence abandonnée, il tombe nez à nez avec un fou masqué, une masse dans une main, une tronçonneuse dans l’autre, qui le massacre sans pitié. C’est le début du carnage.

     Là où Massacre à la tronçonneuse m’a surpris c’est dans ce parti pris de faire un survival avec seulement cinq victimes – le film dit se baser sur une histoire vraie, juste pour en jeter d’entrée. Je m’attendais à quelque chose de beaucoup plus large, avec un tueur en ville, façon Halloween. Il y a donc ces cinq citoyens américains auxquels on ajoute cette espèce d’auto-stoppeur fou qui se révèle être le frère de LeatherFace, l’homme à la tronçonneuse. Puis il y a aussi un autre homme, celui de la station essence (sans essence) au début du film, qui semble aussi être l’un des frères. On fera aussi la connaissance du grand-père, limite zombie. Si quatre personnages sont très vite massacrés – j’étais choqué par la brièveté des exécutions – une fille résiste et c’est avec elle que le film devient survival génial, entre course effrénée dans les bois et scènes de tortures délirantes. Déjà en tant qu’horreur pure on n’avait en effet pas fait mieux. Rappelons que l’on est en 1974. La dernière demi-heure du film est un truc de malade ! Mais surtout, Massacre à la tronçonneuse a un atout des plus dément : c’est son ambiance sonore, souvent abstraite, des sons stridents sortis de nulle part, des crissements, des cris, des grognements. On n’est pas loin d’un trip psychédélique à la fin dans la maison, avec ces couleurs vives, l’œil puis les lèvres de la jeune femme qui n’en finit plus de crier, les hôtes complètement barjes, qui n’en finissent plus de se marrer. C’est hyper malsain. Le film se termine sans épilogue, rien, dans l’action, une fille qui rit, le visage maculé de sang, un homme qui crie, comme un enfant qu’on prive de son jouet, tronçonneuse levée vers le ciel jaunâtre d’une aube salvatrice excepté pour lui.

Rosetta – Luc & Jean-Pierre Dardenne – 1999

Rosetta - Luc & Jean-Pierre Dardenne - 1999 dans Luc & Jean-Pierre Dardenne rosetta_2La vie moderne.    

   7.0   Il y a quelque chose d’accablant, à première vue, dans ce film des frères Dardenne, on croirait la pauvre Rosetta tout droit sortie d’un film de Lars VonTrier. En fait le miracle naît de cette rencontre avec ce garçon, vendeur de gaufres.

     Rosetta rêve d’avoir un travail normal et à chaque fois qu’elle en tient un, il lui échappe, pas parce qu’elle fait mal son travail mais parce qu’on n’a plus besoin d’elle. Ainsi le film démarre sur les chapeaux de roues, Rosetta marchant pas décidé dans les couloirs d’une usine avant une altercation avec son supérieur qui lui dira simplement que sa période d’essai est terminée. Plus tard c’est dans la boulangerie de cet homme que le problème se réitèrera. Rosetta lorgne alors sur ce garçon, sensiblement du même âge qu’elle. Elle aimerait tellement être à sa place. Pourtant le garçon semble être amoureux. Le temps d’un repas il se passera un truc très fort qui permet au film de prendre un autre chemin, de toucher à une grâce inespérée. Une simple danse voire un simple silence. Rosetta qui ne savait pas aimer est perturbée, elle ne connaît pas ce sentiment. Plus tard elle dénoncera le garçon qui s’était confié à elle, lui montrant qu’il emportait et vendait quelques gaufres à son compte. Rosetta enfile alors le tablier à sa place. Sincèrement, s’il n’y avait pas eu cette scène à deux, complètement détachée du reste, parce que lumineuse, presque improbable, la suite m’aurait probablement révulsé. Ça aurait sans doute été de trop. Probablement ce que j’ai ressenti dans leur dernier, Le silence de Lorna, qui je trouve, ne touche à rien de fabuleux, de divin comme dans leurs autres films.

     Les frères Dardenne ne lâchent jamais leur personnage féminin, pas une seule seconde. Par immersion totale, on suit les périples de la jeune fille confrontée à la dureté de la vie active. Et Rosetta a beau être jeune et forte, pleine de ressources et d’abnégation, en fin de film elle tombera – la trop lourde bouteille de gaz a raison d’elle. C’est ce garçon, pourtant trahi, mais finalement amoureux par-dessus tout qui la relèvera. Fin magnifique, comme très souvent chez les cinéastes belges.

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