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One + One – Jean-Luc Godard – 1969

38Eloge de la musique.     

   8.5   One + One c’est avant toute chose Les Rolling Stones. L’enregistrement tout en panoramique de leur désormais célèbre chanson Sympathy for the devil, que l’on n’écoutera jamais en son entier dans le film, selon le vœu de Godard lui-même. Une bonne moitié du film s’attarde donc sur des bribes de la chanson, cinq jeunes musiciens chacun à sa place ou alors en rond, en train de fumer des clopes, chercher l’accord parfait, le tempo parfait, l’intonation de voix adéquate. La caméra devient personnage indiscret en se faufilant dans les moindres recoins du studio d’enregistrement, derrière les membres du groupe ou de face. C’est une sensation incroyable de voir cela, j’étais envoûté, l’alliance mise en scène du cinéaste / génie musical des Stones offre alors un truc divin, en symbiose, probablement était-ce la meilleure façon de filmer un groupe. Mais le thème de One + One ce n’est pas vraiment la musique des Stones, c’est la révolution, sous nombreuses de ses formes. Car en parallèle à ces enregistrements, plusieurs types de revendications : Les Black Panthers, dans une sorte de casse pour voiture, énoncent leurs principes révolutionnaires en citant les pensées de leaders noirs et tuent des femmes blanches à la mitraillette ; En off et pendant toute une partie du film est lu un roman politico-pornographique ; Un homme lit Mein Kampf dans son sex-shop tout en giflant des clients pro FLN et anti-Vietnam ; Eve Democracy, une jeune londonienne, fait des graffitis sur les murs et les voitures, des jeux de mots en critique au pouvoir en place, et répond succinctement aux questions des journalistes. One + One c’est donc tout ça à la fois ! Tout en sachant qu’il y a bien cet autre moyen de révolution, beaucoup plus poétique, qu’utilise le groupe de rock : la musique. Eux aussi ils font la révolution, à leur manière. On ne tire pas de véritables leçons ou conclusions avec Godard, mais on apprend constamment. On ne résolve pas mais on s’étend. Film archi passionnant, qui mine de rien semble faire la liaison entre son cinéma des années 60 et le suivant.

Taxidermie (Taxidermia) – György Pálfi – 2006

Taxidermie (Taxidermia) - György Pálfi - 2006 dans György Pálfi 18611652

Freaks.    

   7.0   C’est en montrant le glauque à l’excès qu’une oeuvre devient malsaine, mais c’est en lui offrant une beauté lyrique improbable qu’elle devient fascinante, de manière aussi subversive qu’inspirée. Taxidermie est construit en trois parties, trois époques, trois générations d’une même famille, trois récits différents.

     C’est d’abord un homme, en pleine seconde guerre mondiale, on suppose, dont l’activité se résume à être le larbin d’un sergent totalitaire qui l’a embarqué sous sa houlette avant tout comme esclave. Pour combattre sa morne existence il se laisse aller aux plus grands fantasmes sexuels, obsédé par le corps, la chaleur, le sexe, s’amusant à se brûler avec des bougies, s’accrochant un chalumeau au bout de la queue, se masturbant à outrance grâce au simple rêve d’une petite fille qui le branle, ou en observant des jeunes femmes dans une baignoire, ou en copulant dans un tas de viande de porc toute fraîche. Montrer le besoin de sexe à l’extrême, c’est l’enjeu de cette première partie de film, qui ne recule absolument devant rien, jouant sur la carte du gore et de l’humour, montrant tour à tour une scène de masturbation transformée par le rêve en triple coït avec une jeune femme, une grosse femme et un porc mort, tout en y insérant des scènes clairement pornographiques, jusqu’à des scènes plus jouissives mais tout aussi grotesques comme lorsqu’un coq vient piquer le bout du gland du jeune homme qui se branlait à travers un trou du chalet large comme sa bite, qu’il venait de lubrifier avec du sperme. Rien ne nous est épargné. Mais le plus fort dans tout ça c’est l’occupation de l’espace qu’en fait le réalisateur, et l’utilisation esthétique, avec cette brume permanente, et une très belle ambiance sonore. C’est laid mais c’est très beau.

     Avant de se faire liquider par son supérieur, cet homme laisse derrière lui un marmot, curieusement doté d’une petite queue de cochon, que l’on lui coupera sans hésitation, l’abandonnant à de terribles cris témoignant d’une douleur atroce. On reste dans le contexte du gore mais sous un aspect plus douloureux, comme s’il fallait s’attendre à souffrir. Ce n’est pourtant pas tant le signe de ce second récit, davantage placé sous le signe de l’excès par la bouffe. Le fiston a grandi, il est énorme, et son quotidien se résume à se goinfrer de nourritures les plus variées, le plus vite possible, de façon à remporter un maximum de prix. Génération de la reconnaissance par le sport, dans un pays qui après une guerre douloureuse, tente de racheter sa population et d’en faire des élites. C’est le patriotisme qui ressort ici plus qu’autre chose, où chaque compétiteur obèse représente son pays. György Pálfi utilise de nombreux travellings, comme celui tout d’abord latéral où il s’agit d’observer en un seul plan les différents mangeurs en train de s’empiffrer à outrance, ou comme ce travelling circulaire où l’on voit chacun en train de vomir ce qu’il a avalé, en cercle, caméra placée au centre. Le sexe est un sentiment qui a plus ou moins disparu ici, les personnages parlent maintenant d’amour, ils courent après l’american dream, ou quelque chose du genre, après le succès en tout cas et la vie tranquille sur un pédalo par exemple.

      Un enfant va naître de cette union, un enfant albinos. Plus tard, pendant que le père ne sera plus qu’un légume dans son fauteuil, devant sa télé, aussi gros qu’une vache, dévorant ses friandises avec le papier, le fils, devenu taxidermiste reconnu, éprouvera comme une fascination pour l’immortalité, que son métier, pense t-il, pourrait lui apporter. De jour en jour il achète ses produits au supermarché, dans ces rayons identiques à n’en plus finir, car on est désormais en pleine période de consommation extrême, on est aujourd’hui. Symbole de cette génération, le père incapable de bouger sa graisse, qui semble avoir avaler quelques big mac de trop, est en train de se mourir tranquillement, pendant que ses chats, aussi désagréables que lui, salivent d’avance de pouvoir déguster ce gros plein de soupe. Le jour venu, le jeune taxidermiste passera à l’acte et tentera de relier tous ses organes à une machine permettant son fonctionnement ad vita eternam. Comme dans tous projets humains il y a des imperfections, son bras et sa tête en feront les frais. Fin du film.

     Pour György Pálfi l’homme est un animal malade. Ses trois personnages ont une particularité physique étrange : le bec de lièvre pour l’officier, la queue de cochon pour le compétiteur hors pair, l’albinos pour l’empailleur. Tout semble être relié à l’animal quand on observe bien. Et les animaux du film, qui sont en nombre conséquent ici, ne sont pas toujours très sympathiques. Rarement un film ne m’aura paru aussi jusqu’au-boutiste dans ses excès. J’aurais très bien pu l’arrêter au bout d’un quart d’heure, je n’ai même d’ailleurs pas réussi à regarder toute la séquence finale, pourtant il y a une vraie réflexion sur les enjeux humains, son attrait pour le sordide, voire même un test pour le spectateur, qui sans doute pour la plupart est capable de tenir devant cette débauche de gore extrême. Mais esthétiquement c’est remarquable, c’est très drôle aussi, et c’est cet aspect ovni qui rend clairement cette expérience charnelle passionnante.

Le bruit des glaçons – Bertrand Blier – 2010

Le bruit des glaçons - Bertrand Blier - 2010 dans Bertrand Blier

La mort.    

   3.5   Quand certains s’accordent pour dire que le Blier des années 70/80 n’est plus des nôtres, que depuis il y a eu Les côtelettes et surtout Combien tu m’aimes, d’autres voient en ce nouveau film une sorte de résurrection selon laquelle, enfin, le cinéaste reparlerait de la mort, s’y confrontant plus naïvement, avec beaucoup plus d’humour, comme à son meilleur, dans Buffet froid par exemple. C’est très vite oublié ce qu’était le cinéma de Blier auparavant, car même si ça n’a jamais été un cinéaste de l’espace, il réussissait par les dialogues et surtout des acteurs emblématiques à créer un monde, qu’il soit absurde, tendre ou misogyne. C’était écrit, toujours trop écrit, mais comme c’était fou et osé, la mayonnaise Blier prenait. Pas toujours en ce qui me concerne, je n’aime pas Tenue de soirée par exemple, qui semble être à mon sens une sorte de caricature de son cinéma et je n’ai jamais réussi à le percevoir autrement ce film là. Je préfère nettement ses films plus sensibles et poétiques (Préparez vos mouchoirs et Beau-père) voire ceux plus sages mais touchants comme La femme de mon pote. Le bruit des glaçons tend à se rapprocher de ses films dits plus sensibles, avec beaucoup moins de prétention (L’horrible Combien tu m’aimes donc ou le moyen Notre histoire, ce dernier tout de même doté d’instants lumineux) mais il se noie dans son côté daté, dépassé. Il y a bien ci et là quelques passages, quelques répliques principalement qui font sourire, encore heureux on était venu pour ça, mais Blier semble une fois de plus dépassé par l’artificialité de ses personnages, son gros pitch absurde qu’il peine à développer et ses propres références. Il y a une illustration simple à cela c’est la durée que tient son pitch (à savoir la visite d’un homme par son cancer, sous apparence humaine) qui ne tient pour ainsi dire pas plus d’un quart d’heure. Ensuite, Blier, probablement en panne d’imagination, fait venir à son tour le cancer de la servante. On se retrouve donc avec deux cancers dans une maison, donc avec quatre personnes (il y a une scène de cul qui est ouvertement reliée aux Valseuses d’ailleurs). Blier semble incapable de faire un film avec deux personnages. Et quand il aura à nouveau fait le tour, il fera revenir le fils de cet homme, qui couchera avec la servante (Si ça rappelle pas Préparez vos mouchoirs ça !). Blier fait du Blier, c’est rance, il s’auto cite sauf que ce n’est plus vraiment drôle, ce n’est même plus attachant. Rarement un film de Blier n’aura paru si théâtral dans l’utilisation de l’espace : lieu unique, personnages qui entrent et sortent de la scène, répliques sur-écrites. Et dans le même temps il y a des instants savoureux, ils se font rares mais existent bel et bien. Lorsque Dupontel (qui interprète le cancer de Dujardin) s’inquiète pour les solutions de soins comme la chimio ou bien lorsque Dujardin évoque son passé avec sa femme, ou lorsqu’il avoue la compensation de son manque d’imagination par une consommation abusive d’alcool. Il y a quelque chose de touchant à voir le cinéaste lui-même projeté dans la peau de son personnage. Malheureusement c’est anéanti par cette (non) mise en scène en roue libre, avec de grossiers flash-back, des regards caméras particulièrement immondes, et un Dujardin très moyen, parce que chez Blier sans doute, tentant de faire du Depardieu, se perdant ainsi sur tous les niveaux. Et parfois, cette naïveté que j’aime de temps à autres chez Blier, se couvre de ridicule, mais ça ne m’agace pas, ça me fait plus de peine qu’autre chose, comme si j’assistais à la déchéance d’un cinéaste que j’aimais bien.

Oncle Boonmee (Celui qui se souvient de ses vies antérieures) – Lung Boonmee raluek chat – Apichatpong Weerasethakul – 2010

Oncle Boonmee (Celui qui se souvient de ses vies antérieures) – Lung Boonmee raluek chat - Apichatpong Weerasethakul - 2010 dans Apichatpong Weerasethakul 554006_sans-titre

Zone de rêve.     

   8.0   J’aimerais pouvoir en parler facilement, évoquer les sensations dans lesquelles m’a plongé cette merveille, laisser s’enchevêtrer les mots comme le cinéaste thaïlandais le fait avec les images, mais à première vue c’est presque mission impossible. C’est un film qu’il faut aller voir en salle absolument. D’une part car il n’y a pas plus simple et pur, c’est d’une lisibilité incroyable, il n’y a pas à cogiter, il s’agit uniquement de se laisser porter, d’entrée dans la jungle, de ne faire qu’un avec son ambiance, avec cette nature. D’autre part car il redéfinit une manière de faire du cinéma, plus sensorielle, déstructurée, à l’image de la mémoire humaine. Boonmee est un apiculteur atteint d’une maladie rénale, et l’on va le suivre jusqu’à sa mort, entre un présent qui convoque ses proches disparus, et un passé mélangé au futur, dans lesquels on découvre ses vies antérieures, en animal ou encore en princesse. Dans des strates temporelles toutes peuplées de fantômes, on accompagne le corps et surtout l’esprit de Boonmee vers cette grotte libératrice et régénératrice, lieu de naissance de l’une de ses nombreuses vies antérieures (dont il ne sait s’il était homme ou animal, homme ou femme) et maintenant lieu de sa mort d’humain. Il est question de la mort, comme d’une angoisse progressive mais paradoxalement vécue de façon paisible, sereine, en adéquation avec les dieux. C’est une vision de la réincarnation absolument magnifique, poétique et lumineuse, ça donnerait presque envie de mourir.

Des filles en noir – Jean-Paul Civeyrac – 2010

des-filles-en-noir-2010-20353-990412197   4.0   Ce film ne fonctionne pas car il ne nourrit aucune empathie pour ses personnages, qui rappelons-le ici sont deux adolescentes pas encore majeures, trouvant toutes deux une fascination dans la mort comme réponse à une société atroce. Là on se dit qu’Elephant de Gus Van Sant n’était pas plus sympathique envers ses personnages, c’est vrai, sauf que c’était justement cette neutralité poétique qui était sublime dedans, cette impression de flottement, de ballet musical, ballet du plan-séquence, ballet de l’espace, du vide, du silence, d’une mort qui s’approche. Des filles en noir est carrément antipathique au sens où tous sont détestables, de ces adolescentes capricieuses au professeur intransigeant, de cette mère (et cette famille) qui ne cherche pas à comprendre aux infirmières d’un hôpital. Tout le monde est pourri. Et c’est sans surprise. En gros on attend que la mort se pointe. C’est un film qui parle de la mort, mais c’est un film mort, qui ne vit justement pas, tout le contraire du dernier film de Weerasethakul. Là où le film tente donc d’être hyper complaisant envers ces deux adolescentes, il échoue lamentablement (puisqu’elles sont énervantes au possible) et ne suscite absolument plus aucun intérêt, étant donné qu’il est accompagné d’une mise en scène sans relief, sans évolution, qui enchaîne les gros plans sur les grimaces et ne prend guère le temps de s’intéresser à l’espace. En même temps il ne semble plus y avoir d’espace autour des deux filles qui sont en plein étouffement permanent. Reste alors que l’interprétation. C’est maigre.

Un poison violent – Katell Quillévéré – 2010

19430306   4.5   Promotion hideuse d’abord avec une affiche aussi subtile que la bande-annonce, la croix dans le dos sur le papier quelle idée ingénieuse, dévoilement des personnages du film en teaser avec tous les pseudos rebondissements que ça accompagne, il n’y avait au départ pas grand chose qui donnait envie de se jeter sur le premier film de cette jeune cinéaste. Et puis il y a eu le prix Jean Vigo. Etant donné qu’ils sont rarement mauvais je me suis laissé tenter. Si Un poison violent n’est pas un bon film dans sa globalité selon moi (déjà, les musiques, quelle lourdeur), il réussit par instants esseulés à atteindre une intensité qui le fait s’envoler. Ce n’est déjà pas si mal.

     Dans Hadewijch, le dernier Bruno Dumont, il y avait aussi une adolescente en proie au doute sur ses croyances, en plein questionnement intime sur sa foi. Beaucoup plus riche et insolent était ce film qui dans le même temps contenait de vrais défauts inhérents à cette prise de risque, mais au moins il avait une mise en scène, ce n’était pas Dumont à son meilleur, mais on était charmé, notamment par cette sublime fin qui en faisait l’un des finals les plus beaux de l’année. Un poison violent est un film sage. Et plus que cela c’est un film qui stagne, qui ne s’aventure jamais au-delà de ses propres balises.

     Chaque personnage se trouve en plein doute ou en tout cas se trouve à un moment de sa vie où il doit sinon faire des choix, souffrir voire mourir. La mort sert ici comme fil rouge. Et personne n’évolue vraiment au sein de son questionnement intérieur. Entre les mines déconfites d’une Lio mono-expressive, le cabotinage ennuyeux de Galabru, niveau interprétation ce n’est pas le pied non plus. Heureusement, il y a des moments plutôt miraculeux, très forts émotionnellement même. Ce peut être un jeu de séduction adolescent assez maladroit mais très touchant, une très belle partie de football, certaines discussions prêtre/jeune fille ou père/jeune fille presque sorties d’un Pialat. Oui il y a des choses sensationnelles dans ce film (la scène de confirmation dans l’église en fait partie d’ailleurs) on en n’est pas débordé non plus mais le peu suffit, et du coup je ne suis pas loin de l’aimer ce film.

Crime d’amour – Alain Corneau – 2010

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Les chasseuses.     

   5.5   Il n’est pas utile de connaître L’invraisemblable vérité de Lang pour très vite comprendre où est ce que Corneau veut en venir, à savoir le retournement de situation dans un engrenage improbable, d’une affaire de meurtre. Il est parfois question de problèmes hiérarchiques chez Corneau, Dans Série noire par exemple, jusqu’à aujourd’hui peut-être son meilleur film, il est aussi question de retournement des choses, comme dans La menace, et ce Crime d’amour, son dernier film, ne déroge absolument pas aux règles, ça tombe même sous le sens, à tel point que l’on se demande pourquoi le cinéaste n’avait pas réalisé ce correct remake plus tôt à la place de se perdre dans les méandres du précédent, qui était lui le remake d’un film de Melville. On l’aura compris, Corneau n’avait plus grand chose à dire, il avait besoin de faire renaître les classiques. Si le tout début du film laisse présager un plantage sans nom (direction d’acteurs branlante, rythme soporifique, grimaces décuplées, platitude de la mise en scène) la suite sauve les meubles, avec son ambiance un peu poisseuse, ces personnages mystérieux, ce climat hyper sensuel et peu enjoué pré-meurtre, et celui hyper ludique et enfin dynamique post-meurtre. Et s’il s’abandonne à des idées de montages complètement vaines (l’explication par images noir et blanc en flash-back, à chaque nouveau rebondissement improbable dans l’intrigue) Corneau n’en délaisse pas son personnage central, d’arrosé arroseur, qui s’en va chercher son innocence dans la plus folle des manipulations. C’était à qui sera le plus vicieux et efficace. Et ça fait son petit effet je trouve.

D’amour et d’eau fraîche – Isabelle Czajka – 2010

D'amour et d'eau fraîche - Isabelle Czajka - 2010 dans Isabelle Czajka Anais-Demoustier-Pio-Marmai-D-amour-et-d-eau-fraiche-300x199 Utopia.

   6.5   C’est dans des séquences comme le repas de famille, ou bien les étreintes sexuelles avec des inconnus, ou encore dans les échappées bucoliques de la deuxième partie que le petit film d’Isabelle Czajka devient magnifique. Le fait de suivre ce personnage d’un bout à l’autre, sans entrée en matière ni même sans réelle fin, d’être avec elle dans son intimité ou tout le contraire, permet de plonger véritablement dans ce qu’elle vit, partager ses doutes, ses angoisses, ses coups de gueule, et même par moments ne pas comprendre certains de ses actes.

     Il y a deux parties nettes dans le film. Une première d’installation si l’on peut dire où il s’agit de suivre Julie en train de se battre au quotidien pour trouver un meilleur job que celui dans lequel elle est, galérer pour payer son appartement, se confronter d’une part à un père rabougri qui semble avoir baissé les bras, à une mère radine et à la ramasse, à un frère moralisateur et bien installé lui dans cette société capitaliste. Et puis il y a une rencontre (Ah, Pio Marmaï !) dans cette première partie qui ouvrira les portes d’une seconde, plus mouvementée, plus tendue aussi, mais par la même plus passionnante. Un récit de fuite vers le sud, une vie de galère qui se transforme d’un coup en vie de bohème, malheureusement moins légale aussi.

     Il y a une phrase que dit Julie lors de la scène du repas familial, lors du fameux clash avec le grand frère, que je trouve géniale. Il cherche à lui faire accepter que dans la vie il faut bosser pour y arriver, que tout ne tombe pas tout cuit comme ça, que pour construire une vie de famille il faut probablement avoir passer des week-end à bosser avant, que lui encore aujourd’hui travaille plus qu’il n’en faut et qu’il en est ravi, que sa famille vit bien. Julie lui répond alors quelque chose comme : « Moi aussi j’aimerai bien être heureuse d’aller bosser 60h par semaine, de revenir chez moi le soir, de voir mes enfants, d’être contente, mais ce n’est pas ce que j’ai envie, je n’arrive pas à me dire que je suis heureuse quand je fais ça ! ».

     D’amour et d’eau fraîche m’est apparu tel un écho au mien de quotidien, et même si j’ai sans doute eu plus de chance que Julie dans la recherche et la trouvaille d’un boulot qui me convient, je pense tous les jours à l’idée de me barrer, de quitter cette vie, ce carcan routinier éternel qui fait davantage penser à la mort qu’une simple arrestation pour vol en supermarché. C’est ce qui arrive à la jeune femme à la toute fin du film, avec son compagnon téméraire. Dans le dernier plan on les voit nager paisiblement, et se demander ce qu’ils feront demain. C’est sans doute moins confortable à long-terme mais c’est pourtant beaucoup plus excitant que ce qu’on a vu dans la première moitié du film. Et je ne dis pas que le film est meilleur dans telle ou telle partie, je le trouve très bon de bout en bout.

Body snatchers – Abel Ferrara – 1993

Body snatchers - Abel Ferrara - 1993 dans Abel Ferrara Carol+screams+(Ferrara,+1993)

Le village des damnés.    

     6.0   Il me manque un petit quelque chose pour être convaincu, probablement émotionnel d’une part mais aussi ce qui permettrait au film de sortir d’une mécanique que je perçois un peu trop bien. Ferrara restera selon moi un cinéaste de l’ambiance comme avait pu l’être avant lui un cinéaste comme Carpenter auquel on pense beaucoup ici. Le climat, qu’il soit lourd ou complètement envoûtant, a du sens chez Ferrara et il est très souvent supérieur à ses récits. Là instantanément je mettrais Body snatchers dans le même panier que New rose hotel. Films ambiants avec mise en scène soignée, sensuelle, mais pas forcément passionnants. L’un de ses films que je préfère, Bad lieutenant, n’est d’ailleurs pas celui qui en terme de mise en scène m’a le plus marqué. Il y a pourtant de la puissance ci et là mais ce doit être davantage le destin unique qui me fascine, et ce personnage indiscernable et pathétique, il y a quelque chose de fort dans la manière d’appréhender cette histoire simple. Tout le contraire des films précédemment cités, où les personnages peinent à incarner véritablement l’histoire. Néanmoins je vais donc un peu parler de la mise en scène de Body snatchers, que je trouve absolument remarquable. Ces lents travellings sont à l’image du reste, dans la capacité du film à nous perdre, ne dévoilant que progressivement ce que l’on doit voir, bien après les personnages très souvent. Tout cela accentue bien entendu le climat de paranoïa qui règne dans chaque séquence, de l’une des premières dans des toilettes paumées où la fille rencontre un homme plutôt étrange, à la toute dernière dans l’hélicoptère. Qu’il cadre sur les visages ou non on se pose sans cesse la même question. Et le mouvement de la caméra ne fait que confirmer cet état. J’adore les mouvements de caméra chez ce cinéaste, ce sont eux qui rendent ses films puissants par instant, naviguant entre réalisation académique et plus talentueuse. Et c’est la vitesse avec laquelle le film s’embrase aussi à de nombreux instants, à la mi-film par exemple, lorsque Marti est avec le militaire (le jeu des mains), scène très sensuelle mais très mystérieuse aussi, suivie par une scène où l’on voit des militaires qui sortent des espèces de cocons d’un marais, suivie d’une scène chair de poule où l’enfant s’approche de sa mère endormie, et la voit se désintégrer sur le lit avant que son double n’entrouvre la porte derrière lui. Ferrara joue sur les mécanismes de la peur, de la parano, tout en dévoilant son film de séquences en séquences, se répondant parfaitement les unes aux autres. C’est là qu’il est fort, c’est dans sa capacité à tout mélanger avant de tout remettre en ordre. On comprend tout dans Body snatchers, c’est un film hyper lisible. Malheureusement il est très peu touchant et s’il est envoûtant il n’embarque pas vraiment. Je suis resté admiratif mais c’est tout – Et il faut bien reconnaitre qu’il est en dessous des précédents « Body snatchers » de Siegel et Kaufman.

Blissfully yours (Sud sanaeha) – Apichatpong Weerasethakul – 2002

blissfullyyours34Summer samba.   

   9.0   Un film incroyable, au-delà des mes espérances. Jusqu’ici il y avait toujours un petit quelque chose qui m’empêchait d’y trouver le grand film du cinéaste thaïlandais. L’immersion n’était jamais vraiment totale. Blissfully yours est absolument immense. J’adore sa construction. Il aurait pu durer encore des heures, jamais je ne voulais quitter cette forêt.

     Il y a deux parties assez distinctes. Une première d’installation. Le quotidien en Thaïlande. Le combat d’une jeune femme pour faire entrer ce garçon immigré Birman dans son pays. Et une seconde magnifique, très détachée du monde. Entre ces deux parties il y a une transition. Très contemplative, rappelant Mysterious object at noon. On est sur la route et on admire, lentement, ce que l’on a autour de nous. Et l’on s’engouffre dans la jungle. Le bonheur s’approche. Et le générique commence. Après 45 minutes de film c’en est un autre qui démarre.

     Il y a comme une rupture, le film devient hyper naturaliste, la caméra se faufile entre les feuilles, filme des instants de silence sur un rocher surplombant la forêt, des petits dialogues le long de la rivière, des scènes de sexe en pleine nature. Il y a comme un bonheur immense, ce genre de bonheur que l’on obtient sans le rechercher, celui qui ne se reproduira sans doute jamais. Pas de retour à la vie, un simple plan très long, sur un visage rempli de sérénité. Pas d’images, simplement quelques mots pré-générique final pour évoquer cet après-bonheur, car ce n’est plus le même film évidemment. Le cinéaste thaïlandais parle de son pays, comme toujours, mais il le filme dans l’intimité. Et il filme le détachement, la fuite plus que l’enlisement. C’est somptueux. 

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