Border (Gräns) – Ali Abbasi – 2019

23. Border - Gräns - Ali Abbasi - 2019Let me feel.

   6.0   Tina a un odorat exceptionnel qui l’aide beaucoup pour son travail de douanière. Un jour, elle rencontre un homme qui lui paraît suspect, Vore. Synopsis Wikipedia, concis, précis, qui intrigue sans dévoiler. J’aime beaucoup.

     Il y a une vraie étrangeté tout au long de Border, qui tient moins à cette idée de filmer frontalement la difformité qu’à tenter de faire qu’elle devienne la normalité du film. Ou tout du moins à briser cette frontière (border, le titre international) ou bien à flirter avec les limites (gräns, le titre original suédois). « Les humains ne sont pas tous méchants » dira un moment Tina, le personnage du film, mais quand ils ne sont pas épouvantablement laids (ça transpire la pédopornographie par tous les pores mais c’est aussi parce que Tina détecte (renifle) ce mal-là) ils n’existent pas, sont soit relégués au rang de machine sans affect (les flics, notamment, qui n’éprouvent rien de rien, même par rapport à ce que Tina pourrait instaurer de malaise) soit ridicules et petits, comme c’est le cas de Roland, le compagnon de Tina, un peu fou de ses chiens et de sa télé, un peu alcoolique aussi.

     Mais Tina va bientôt rencontrer quelqu’un, au physique aussi ingrat que le sien. La grande originalité de Border c’est de faire de cette rencontre entre deux inadaptés une invitation à sinon modifier, perturber notre regard, au moins le temps du film, sur nos certitudes face à la différence, ainsi que face à la monstruosité. Ambition qui évoque aussi bien le sublimation du laid chez Reygadas, la poésie collective du Freaks de Browning ou les apparitions sublimes de l’homme éléphant d’Under the skin. Ce n’est jamais aussi fort et réussi que dans ces films, mais il y a une tentative de briser l’aspect fantasy des trolls en forêt pour en proposer quelque chose de plus terre-à-terre, en écho avec la monstruosité du genre humain : Beaucoup d’évocation de bébés difformes, violés, maltraités dans le film. C’est un peu lourd, un peu déviant, j’aime assez. Un moment donné, Tina, je crois, dit qu’elle ne comprend pas qu’un couple apparemment sans histoire, avec leur maison Ikea-like puisse être capable de renfermer autant d’horreur. Il est rare, au cinéma, de fissurer à ce point le vernis suédois des apparences. Enfin j’avais pas vu une critique aussi prononcée depuis Snow therapy, en gros.

     Deux autres films viennent aussi en tête : Un autre film suédois, Morse, bien entendu. Rien d’étonnant puisque le récit vient d’une nouvelle du même auteur, John Ajvide Lindqvist. Reste à savoir, maintenant, si Ali Abassi deviendra un cinéaste aussi transparent que Tomas Alfredson. Et l’autre film est mexicain, c’est La région sauvage, dans sa gestion étonnante du fantastique et sa fable sur le désir. La bonne nouvelle c’est que Border est bien plus intéressant que ces deux films-là. Notamment son ambiance, pesante, hyper malsaine, boostée par une atmosphère sonore et musicale assez dingue. Il y a une vraie tension, dérangeante mais assez inexplicable, avec des plans sortis de nulle part. Je suis sorti désarçonné je dois dire, presque flippé, pourtant malgré sa violence très frontale, le film sait aussi trouver des instants de douceurs, dans le regard de Tina, dans ses gestes, principalement avec les quelques animaux pacifiques qui traversent le film : Un cerf, un renard. Une bien curieuse découverte, donc.

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